Chapitre 15 ~ Verdict
C'était le grand jour.
Une semaine après la fin de ses examens, Ash avait été convoquée dans le bureau du major Erwin Smith où on lui annoncerait enfin son rôle au sein du Bataillon.
La jeune femme était plantée devant l'immense porte en bois qui menait au bureau du major, attendant que quelqu'un l'autorise à entrer. Elle entendait l'écho de nombreuses voix à l'intérieur; elle reconnaissait les exclamations tonitruantes d'Hanji, quelques protestations de Mike, et les remarques acerbes de Livaï qui se faisaient plus épars. Au dessus de la confusion de ce panache de voix, Ash décelait parfois celle plus calme et profonde d'Erwin, qu'elle n'avait pas revu depuis le jour de l'ultimatum.
Ash ne savait pas si elle en voulait à cet homme de lui avoir volé sa vie ou si elle admirait son irrémédiable prestance. Sûrement un peu des deux. La balafrée n'avait jamais vraiment compris pourquoi le major lui avait imposé le choix d'intégrer le Bataillon ou de pourrir en prison, puisqu'il devait évidemment savoir qu'à défaut de perdre sa totale liberté, elle n'aurait jamais opté pour la détention à perpétuité. Il l'avait, en un sens, obligée à les rejoindre; et quelqu'en soit la raison, elle ne la saisissait pas. Qui était-elle pour qu'on la poursuive, puis qu'on la contraigne à intégrer l'incarnation de son idéal sans même la connaître? L'avait-il confondue avec quelqu'un qu'il connaissait? Car le major, ce soir là, alors qu'elle était à genoux devant lui, semblait avoir reconnu en elle l'incarnation de l'irréfutable espoir qui enflammait ses yeux à la couleur du ciel.
Et s'il s'était trompé? Et si, dans quelques instants, lorsqu'elle entrerait dans son bureau, il réaliserait qu'elle n'était qu'un imposteur, vague reflet de la personne que le major semblait rechercher avec ardeur, et qui nourrissait ses convictions? Et si, en comprenant l'ampleur d'une telle escroquerie, il la rejetait dans la rue, dans ce monde impitoyable qui incarnait pourtant ses origines? Bien qu'elle lui vouait toujours une profonde rancœur pour l'avoir arrachée de sa vie de truand à son insu, elle n'était pas prête à y retourner, pour rien au monde. Elle avait appris à aimer sa nouvelle existence, ses nouveaux amis, son nouvel avenir. Jamais plus elle ne voudrait encore être balarguée dans un nouvel univers, elle ne voulait plus faire l'effort de s'adapter, de se battre contre ses dangers inconnus, d'apprendre à aimer de nouveau. C'était trop dur, trop effrayant, trop accablant. Elle ne voulait plus quitter sa vie de soldat, qu'elle avait d'abord détesté, puis assimilé, et enfin affectionné. Elle n'accepterait plus de refaire de tels efforts pour trouver une nouvelle place, dans ce monde impitoyable et dénué de sens.
Ainsi, elle se trouvait là, paralysée devant la porte de celui qui sans le savoir avait une emprise destructrice sur sa vie, et patientait, le cœur battant sous l'effervescence de ses réflexions.
L'appréhension était pourtant un mot qui ne faisait jusqu'ici aucunement partie du vocabulaire de la jeune femme. Elle avait toujours su vivre en conjuguant les aléas de l'existence avec son bon sens, et ne doutait que très rarement des jours à venir. Mais à présent, et pour la première fois, ses mains se faisaient moites et son cœur battait la chamade dans sa poitrine, étourdie par cette drôle de sensation qui ne s'était jusqu'alors jamais emparée d'elle. C'était plus simple, avant; elle avait toujours décidé seule de la manière dont elle menait sa vie. Aujourd'hui, elle avait laissé les autres le faire à sa place, et cela lui faisait irrémédiablement peur.
Ash sursauta violemment lorsque la porte s'ouvrit enfin. Elle tomba nez à nez avec le major, l'incarnation même de toute son anxiété, qui la sondait de son regard pénétrant.
- Ash, dit-il simplement, comme s'il résumait l'entièreté de son existence par son prénom.
La balafrée, dont les mots restaient irrévocablement coincés dans le fond de sa gorge, se contenta d'appuyer son poing droit sur le cœur, ses doigts tournés vers le ciel, et de positionner son autre bras dans son dos, en soutenant le regard azur du major. Ce dernier hocha la tête, comme s'il reconnaissait toute l'humilité de son salut, et l'invita à entrer.
Lorsqu'elle franchit en silence le seuil de la pièce, elle sentit immédiatement trois paires d'yeux la laver de toute parts, et elle pensa qu'à cet instant, elle ne s'était jamais sentie aussi vulnérable. Erwin ferma la porte dans son dos, et la jeune femme se retrouva ainsi enfermée avec l'élite de l'armée de l'humanité, qui avait le pouvoir de la juger, de la jeter, de l'accepter. Un frisson lui parcourut l'échine.
Erwin Smith prit place derrière son bureau. Un long silence s'ensuivit, où la jeune femme eut tout le loisir de détailler la pièce.
Elle était immense, évidemment. De larges fenêtres surplombaient le bureau, lui prodiguant une luminosité apaisante. Dans le fond de la pièce trônait un large divan, qui ne semblait avoir jamais servi à personne, comme s'il s'agissait d'un simple objet décoratif. La pièce était encadrée par deux gigantesques bibliothèques composées de toute une myriade d'ouvrages plus épais les uns que les autres. Ce bureau était ainsi à l'image de son propriétaire: ordonné, méticuleux, érudit.
Adossé contre l'une des étagères, le caporal reluquait la recrue de son regard orageux, sans un mot. Hanji était à moitié assise sur le bureau du major, et lui lança un petit sourire discret. Mike, devant la fenêtre, hocha la tête pour la saluer, tandis qu'Erwin avait posé les coudes sur son bureau et entrelacé ses doigts sur lesquels reposait son menton, l'air soucieux. Ash s'approcha timidement jusqu'à atteindre le centre de la pièce où elle se figea, de peur d'aller plus loin, et resta ainsi, raide comme un piquet, dans l'attente du verdict.
- Bien, Ash, finit par déclarer Erwin en appuyant exagérément l'intonation de son prénom. Comment s'est passé ta formation? T'es-tu bien intégrée au Bataillon?
- Heu... Bien, merci, major, répondit-elle d'une voix étranglée, décontenancée par les questions de son supérieur.
- Mais encore?
Ash leva un sourcil étonné. Un personnage aussi éminent que le major du Bataillon d'Exploration ne devait-il donc pas vaquer à des occupations bien plus importantes au lieu de s'enquérir sur l'état d'esprit d'une simple recrue?
- Heu.. Eh bien je pense que le caporal-chef pourra vous fournir plus amples détails sur...
- Je connais déjà son point de vue, soldate. Ce que je veux, c'est le tiens.
Ash jeta un regard paniqué aux trois gradés, témoins silencieux de l'échange. Mike et Livaï ne lui furent d'aucune aide, le premier se contentant de regarder ses pieds et le second persistant à la transpercer du regard, l'expression impénétrable. C'est Hanji qui lui intima de se délester sans crainte en lui affichant un sourire encourageant. Ainsi, Ash se racla la gorge puis se lança.
Elle détailla à haute voix les grandes lignes de sa formation, sans trop entrer dans le détail, élaborant un discours des plus formels. Elle précisa sa bonne entente avec les membres de l'escouade d'élite, en passant sous silence l'étrange relation qu'elle entretenait avec le caporal. Lorsque le major lui demanda d'être plus précise quant à ses sentiments et impressions, la jeune femme avoua finalement ses débuts difficiles au sein du Bataillon, puis sa conscience des enjeux qui l'avaient fait changer d'avis, en espérant silencieusement qu'Erwin oublierait la plausible éventualité qu'elle n'avait pas sa place ici - si toutefois il ait pu entrevoir cette possibilité.
Elle s'efforçait de toute son âme de ne pas faire paraître sa gêne atroce de se dévoiler de la sorte sous le regard abyssal du major, la mine enjouée d'Hanji, l'expression ennuyée de Mike et surtout, devant le petit homme qui la fixait dans son dos, dont la présence intimidante la perturbait du plus haut point.
- Bien, déclara Erwin une fois la logorrhée de la recrue achevée. J'ai cru comprendre également que tu avais obtenu d'excellents résultats à chacun de tes examens. Et encore, excellent est un faible mot...
Cette fois, Ash ne put empêcher le feu de lui monter aux joues.
- Au vu de tes remarquables performances, poursuivit le blond d'un ton monocorde, tu dois te douter qu'il m'est impossible de te laisser sans escouade. Passons donc à ton affectation.
Chacune des personnes présentes se tendit et l'atmosphère s'électrisa, dans le suspens de la réponse tant attendue.
- Tu intégreras l'escouade du caporal-chef Livaï, annonça solennellement Erwin, mais...
Il leva la fermement main pour intimer le silence face aux protestations naissantes d'Hanji et Mike.
- Mais, précisa-il, ce ne sera que temporaire.
Au vu des mines interloquées des haut gradés face à elle, Ash jeta un œil par-dessus son épaule pour entrevoir la réaction du caporal. A la vue de son sourcil levé, elle se douta que cette précision n'était pas dans ses plans.
Erwin se pencha plus en avant sur son bureau pour venir planter ses yeux céruléens plus profondément encore dans ceux de la jeune recrue face à lui.
- J'ai une proposition à te faire.
Ash se figea.
- Tu dois sûrement savoir que la prochaine expédition extra-muros est fixée pour dans quelques semaines. Ton baptême du feu sera extrêmement significatif pour toi...
Elle eut l'impression que sa tenue de soldat était faite de plomb et se sentait défaillir.
- ... Puisque si tu fais tes preuves, je te nommerai chef d'escouade au même titre que toutes les personnes présentes ici.
Le bureau du major fut plongé l'espace de quelques secondes dans un silence interloqué. Ash avait ouvert grand ses yeux, et se demanda un instant si elle avait rêvé. Elle remarqua à peine l'homme aux cheveux ébène dans son sillage se précipiter sur le bureau du major et se pencher vers ce dernier avec un regard assassin.
- T'es sérieux, là, Erwin?
- Tout le monde sait qu'Ash est douée, mais j'avoue que là, c'est un peu précipité, avoua Hanji à son tour en se grattant le crâne, hébétée.
- Tu ne peux pas prendre une telle décision comme ça, Erwin! renchérit Mike, médusé. Elle n'a jamais vu de titan de sa vie!
- Tu n'en sais rien, Mike, répondit sévèrement le major en toisant d'un regard grave ses subordonnés.
Ash, terrée dans son mutisme abasourdi jusque là, fronça les sourcils à l'entente de la réponse du major.
- Et vous, qu'est ce que vous en savez, major?
Tous les regards se verrouillèrent à nouveau sur elle, mais cette fois, la balafrée les soutint fermement. Elle avait lâché sa réplique instantanément, témoin de l'ébullition cuisante qui l'habitait. Elle se fichait bien des impressions et bonnes manières, à présent.
Le major soupira avec lassitude.
- Sortez. C'est un ordre. Toi, dit-il en désignant Ash, tu restes ici. J'ai à te parler en privé.
Les gradés allaient remettre leurs protestations sur le tapis, mais avant que le brouhaha ne reprenne, Erwin leur lança un regard si intense et implacable qu'ils se turent tous en un même réflexe, et sortirent un par un, dépités et abasourdis.
Avant que Livaï ne passe le pas de la porte derrière ses coéquipiers, il jeta un dernier regard derrière lui; Ash croisa son regard meurtrier, et elle sentit son cœur douloureusement se froisser dans sa poitrine.
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