Chapitre 3.1 : Oheïana, me voilà

Assise aux côtés de Misael et de Zeyir contre un des cabanons qui borde l'arène, j'observe d'un air distrait Athala s'adonner à de féroces offensives contre un groupe de quatre hommes qui essaient de l'atteindre, en vain. Cette femme est décidément redoutable, c'est à se demander ce qu'elle fait dans ce camp de bras cassés.

— Comment veut-elle nous donner l'envie de progresser en se battant comme ça ? C'est injuste, souffle Misael, un air de résignation dans la voix.

Je ne réponds pas, ne pouvant qu'approuver. Rares sont les femmes qui excellent comme Athala. Son visage dur et concentré inspire la crainte, le sifflement de son yagan qui ne rate jamais sa cible fait frissonner. Rares sont ses sourires, mais elle est admirée. Au fil des mois, elle est pour moi devenue un modèle : je m'émerveille devant sa résignation et sa persévérance. Et le fait qu'elle n'ait que trois ans de plus que moi me donne envie de me surpasser pour atteindre son niveau le plus vite possible. Elle a rapidement compris que j'essayais de suivre son exemple, et de ce fait, elle trouve régulièrement des moments pour m'entraîner. Je pense que quelque part, elle est sensible au fait que je me sois retrouvée ici à cause de mon statut de femme. En effet, j'aurais pu aller dans un bien meilleur camp militaire si j'avais eu une paire de testicules, ayant un niveau en combat supérieur à la moyenne.

Malgré tout cela, nous ne sommes pas amies, juste des camarades qui nourrissent entre elles du respect, rien de plus. Il faut dire qu'elle n'est pas bavarde, n'ouvrant la bouche seulement pour me corriger. Mais ses entraînements ont payé : elle est en train de faire de moi une dangereuse combattante.

Je détourne les yeux et observe la luminosité baisser au fur et à mesure que le soleil descend. Très prochainement, nous pourrons aller nous promener à Etros, la petite ville située aux abords du camp. C'est toujours agréable de sortir un peu d'ici pour prendre l'air et voir d'autres personnes dont la vie n'est pas régie par les combats. L'espace d'un instant, la pression redescend.

— Il y aura sûrement de l'orage tout à l'heure, lâche Misael en regardant les nuages s'amonceler dans le ciel, les yeux plissés.

Levant à mon tour la tête, mon regard se porte sur tout autre chose : à travers les nuages, le soleil vient de disparaître derrière la palissade en bois du camp. C'est le signal que j'attendais.

— C'est bon, on y va, lancé-je en me mettant sur mes deux jambes.

Misael m'emboîte aussitôt le pas, aussi pressé que moi. Suivis par Zeyir, nous prenons le chemin de la sortie. Zeyir est une fille avec laquelle je n'ai jamais parlé : discrète, les yeux souvent fixés au fond d'elle-même, je n'ai jamais osé interrompre ses pensées. Je ne me formalise pas de son silence, après tout, cela m'est égal. L'important est son amitié avec Misael, qui la connaît depuis longtemps. Ce dernier m'a expliqué qu'ils viennent tous les deux du même village, à l'ouest d'Atielle. De nature à ne pas se prendre la tête, mon ami laisse Zeyir dans son monde, puis lorsque je ne suis pas dans les parages, je les vois discuter. Peut-être qu'un jour, notre trio sera un peu plus qu'un duo.

Nous nous retrouvons rapidement à l'extérieur du camp sous un ciel de plus en plus menaçant et accélérons le pas pour éviter la pluie. La petite ville d'Etros est déserte en cette fin d'après-midi, seuls quelques commerces sont ouverts et le silence règne. Comme d'habitude, nous passons d'abord au relais des messagers, l'endroit où l'on peut récupérer nos lettres. Dans la pièce très mal rangée, une femme entre deux âges – toujours la même – se tient derrière un petit bureau. A notre entrée, elle lève rapidement la tête et nous reconnaissant, se lève pour aller regarder dans sa réserve si elle a quelque chose pour nous.

— Rien pour aujourd'hui, navrée, fait-elle lorsqu'elle revient, s'asseyant lourdement sur sa chaise, peu décidée à prononcer un mot de plus.

La remerciant, nous repartons donc et continuons notre petite balade en silence. Aujourd'hui, l'ambiance est maussade, quelque chose nous pince les entrailles et ce temps pourri n'arrange pas notre humeur. Et puis, je ne peux retenir ma frustration : voilà plus d'un mois que je n'ai rien reçu d'Alek, et en cinq mois passés ici, il ne m'a envoyé que trois pauvres lettres. La colère se mêle à l'inquiétude, et je n'en suis que plus irritable. Et même si ses lettres étaient longues et bien écrites, signe qu'il y avait passé du temps, je ne peux m'empêcher d'être vexée de ne pas avoir plus de nouvelles de lui. Je sais seulement que l'école des Généraux lui plaît, qu'il s'y est bien intégré et qu'il progresse chaque jour, même si l'enseignement y est intense. J'ai peur qu'il m'ait oublié.

Nous finissons par arriver en bordure du village, légèrement en hauteur face à l'immensité des champs vallonnés qui s'étendent devant nous. Un peu en contrebas, à notre gauche, on peut voir le camp élancer ses palissades vers le ciel et quelques hommes de la taille d'une fourmi patrouiller sur le chemin de ronde.

Lorsque je sens une première goutte s'écrase sur mon nez, je donne le signal du départ.

— On y va ? Il pleut.

Mais Misael ne bouge pas, il plisse les yeux vers un point de la plaine.

— Attendez, regardez, des loups arrivent.

Je suis la direction de son regard. Très loin, sur le petit chemin qui conduit jusqu'au village, trois loups courent, filent dans le vent et dans la pluie qui commence à tomber. Ils courent vite, trop vite pour que cela soit complètement normal. Misael, Zeyir et moi nous hâtons de prendre le chemin du retour, et arrivons peu après que les trois loups aient pénétré dans le camp. Ce sont à coup sûr des messagers, et c'est suffisamment atypique pour qu'une flambée d'inquiétude me traverse. Ils ont déjà disparu, se trouvant sûrement dans la maison du Commandant Marvik. Dans le ciel de plus en plus noir et sous la pluie de plus en plus froide et piquante, quelque chose court dans le sang de chacun. Personne ne s'abrite, les gens se rassemblent au centre du camp, se lançant des regards préoccupés. Le mot court dans le camp, les conversations enflent, puis tout bouge.

Un homme sort en courant de la maison du Commandant et se précipite vers les remparts. En silence, nous le suivons des yeux, jusqu'à ce que la pluie torrentielle l'engloutisse derrière ses rideaux. Dans l'attente, nos rythmes cardiaques légèrement plus rapides, nous frissonnons lorsque le premier son s'élève dans l'air, traversant le martellement de l'eau. Un son si puissant qu'il résonne dans ma cage thoracique, tellement plein de signification que je baisse la tête, le désespoir s'abattant sur nous comme l'orage. En réponse au souffle de la corne de brume qui mugit toujours, la foudre frappe une première fois les montagnes au loin. Puis le tonnerre claque et craque, faisant vrombir le sol et trembler nos corps.

Puis c'est la débandade, certains soldats commencent à courir, soit pour s'abriter, soit pour fuir leurs responsabilités. Sous la pluie qui n'a pas fini de nous tremper, d'autres comme Misael, Zeyir et moi restent immobiles, attendant les instructions. Celles-ci viennent quelques minutes plus tard, lorsque Athala surgit devant nous soudainement. Par-dessus le son toujours aussi fort de la corne de brume, elle rugit :

— On ne perd pas de temps, je veux de l'action maintenant : tous ceux qui m'entendent, je veux que vous commenciez à construire des remparts autour d'Etros, prévoyez large. Et je veux du travail propre et solide.

Puis elle disparaît à nouveau, allant distribuer ses instructions aux différents groupes qui occupent l'arène.

— Aller, c'est parti, lance Misael d'une voix résolue en agrippant mon bras et celui de Zeyir et en commençant à nous traîner derrière lui.

Je me détache de lui d'un geste brusque tandis que la fureur enfle progressivement dans mes veines. La respiration anarchique, je prends la tête du groupe qui va vers la petite ville où nous étions tout à l'heure, mais où l'ambiance est sensiblement différente. Les civils attendent notre arrivée la mine grave, d'autres se dirigent vers les champs et les pâturages pour récupérer ce qu'ils peuvent de provisions. C'est Misael qui va vers les habitants et leur explique la marche à suivre : actuellement, la priorité est de construire des remparts.

Armés de haches et de scies, aidés de cordes et de bras, nous commençons à abattre des arbres. Ceux-ci s'abattent sur le sol en s'enfonçant dans la terre boueuse. L'eau dégoulinant dans mes yeux, mon cerveau arrête de fonctionner et je laisse mon corps s'activer pour ne pas avoir à affronter la réalité qui nous tombe enfin dessus après tant d'années. Couper, couper, tirer, pousser... Toutes la nuit, des centaines d'habitants et de soldats dressent de hauts remparts en bois autour d'Etros : mais cela suffira-t-il à contenir les Perdus ? Toute la nuit, la pluie nous lessive et nous frappe, la foudre illumine nos silhouettes fantomatiques, et la corne de brume résonne sans s'arrêter, son bruit devenant infini. Plus loin, dans les montagnes, d'autres cornes lui répondent et transmettent le message à travers toute l'Atielle : les Perdus arrivent.

Le matin arrive finalement après une éternité, et même si rien n'est achevé, tout le monde s'arrête pour prendre une pause, se faire un thé chaud et changer ses vêtements trempés. La pluie s'est arrêtée, mais le ciel est toujours couvert. Frissonnante, les muscles fourbus et avec un mal de dos épouvantable, je m'avance vers Misael qui tient Zeyir contre lui, tous deux appuyés contre le seul arbre encore debout d'un petit bosquet.

C'est la fatigue, la panique, la peur, qui s'emparent brutalement de moi. Je serre les poings, furieuse, et explose devant Misael :

— Pourquoi ?! Comment est-ce qu'ils les ont laissés rentrés, ces incapables ?

Le visage de Misael reste calme, et cela me met hors de moi. Je frappe mes poings contre l'écorce de l'arbre, la douleur atténuant peu à peu cette colère sourde. Des larmes de rage et de désespoir coulent sur mes joues humides, et lorsque passe ma crise de nerfs, je finis par appuyer mon front contre l'arbre. Fermant les yeux, je crois que je m'endors quelques secondes, le temps de finir de me calmer. Je recule d'un pas, ne m'étant jamais sentie aussi paisible. Bras croisés, je croise de nouveau le regard de Misael qui continue de me fixer. Zeyir se repose toujours contre lui, et un échange silencieux nous relie, lui et moi. Ses yeux noirs plantés dans les miens, je finis par souffler un grand coup et me détourne de lui, regardant vers Etros.

Des petits groupes de personnes arrivent en continu de toutes les directions, traînant derrière eux des petites charrettes, des chèvres ou des vaches. En quelques heures, la population d'Etros s'est considérablement agrandie : cette ville va désormais servir de refuge pour toutes les personnes des alentours.

— Aller, il faut retourner au travail, murmure d'un ton lasse une voix bien connue.

Je me tourne vers Athala qui arrive vers nous d'une démarche rapide.

— Raconte-moi d'abord, s'il-te-plaît, lui demandé-je.

Elle bascule la tête en arrière, regardant le ciel quelques secondes avant de revenir vers moi pour me répondre.

— Des personnes mordues ont échappé à la vigilance des gardes-frontières, et c'est lorsqu'elles se sont transformées en Perdus et ont commencé à morde d'autres personnes dans un village que l'alerte a été donnée. Mais c'est trop tard maintenant, les Perdus sont déjà en Atielle, on ne peut rien faire, à part commencer à s'organiser. Nous allons finir de construire ces remparts, avertir tous les gens des alentours, puis nous les protègerons, c'est notre rôle.

Athala commence à faire demi-tour vers le camp, sûrement pour aller prendre d'autres instructions auprès du Commandant Marvik, puis s'arrête quelques secondes pour nous faire face à nouveau, la mine grave, presque terrifiante.

— Les Perdus, ce ne sont pas de simples loups. Ils sont énormes, et si vous hésitez, regardez leurs yeux : ce sont des billes d'un noir sans fond où brille une lueur de folie. Tuez-les.

Hey !! Comment allez-vous aujourd'hui ? Des trucs de prévu ?

Avec ce chapitre, tout commence à s'accélérer et on commence à rentrer dans le vif de l'histoire ! J'ai hâte de vous poster la suite !!

🔥 est-ce que vous avez un perso préféré entre Alek, Misael et Athala ? (Kiara compte pas, vous l'adorez n'est-ce pas ? ;) )

🐺 que pensez-vous de l'absence d'Alek ? du fait qu'il n'écrive pas à Kiara ?

⚡️comment va se passer la première confrontation avec les Perdus ? Ils vous font peur ?

Je vous attends en commentaire !

Gros gros bisous ☀️

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