39° Deux Cas à Part
Livaï
A bien y penser, Livaï a souvent été entouré de gamins plus jeunes que lui.
Ça a commencé dès le moment où il a pris Isabel Magnolia sous son aile, lorsqu'il vivait dans les Bas-Fonds. Puis il s'est engagé au sein du Bataillon d'Exploration, et les différents membres de son escouade étaient également des ados. Sans compter la tripotée de jeunes recrues qui ont rejoint les rangs de leur corps d'armée depuis plusieurs années. A présent, l'ancien soldat doit également composer avec Gaby et Falco, en plus des orphelins qui courent les rues.
Et si Armin et Annie continuent de se bécoter comme ils doivent sûrement le faire depuis qu'ils sont en couple, il est très probable que Livaï sera relégué au rôle de baby-sitter pour leurs gosses. Il ne serait pas étonné de devoir s'occuper d'un Armin Junior, ou d'une Annie Junior.
-Tu sais très bien qu'on n'est pas toujours collés l'un à l'autre, lui a dit Armin en roulant les yeux. A t'entendre parler, on croirait que t'as affaire à deux personnes qui sont désespérément en manque.
Ce à quoi Livaï a laissé échapper un son narquois. Il n'a jamais été attiré par tout ce qui a trait au romantisme ou d'autres niaiseries de ce genre. (De toute façon, avec tout ce qu'on attendait de lui en tant que soldat le plus puissant de l'Humanité, il n'avait pas tellement l'occasion de penser à se poser avec quelqu'un.) Raison pour laquelle il prend plaisir à charrier Armin sur sa relation avec Annie Leonhart. Toutefois, il est indéniable que son jeune ami a l'air plus détendu en présence de sa copine. A l'inverse, la jeune blonde semble moins blasée lorsqu'Armin est avec elle. Leur duo fonctionne bien, et Armin a l'air épanoui dans sa relation. C'est le plus important, et c'est à lui, Livaï, de l'accepter.
Accepter que quelqu'un qu'il a connu gamin pourrait envisager de se marier d'ici quelques temps et de fonder une famille... Comme si l'ancien soldat avait besoin d'un autre coup de vieux. Même si ça fait un peu plus de deux ans qu'ils ont officialisé leur relation, s'ils décident de sauter le pas, rien ne pourra les en empêcher.
Enfin... le temps passe et personne ne peut rien y changer. Ça fait maintenant trois ans que le Grand Terrassement a pris fin et entre-temps, les derniers membres de l'Alliance ont été promus au rang d'ambassadeurs. Ce qui veut dire qu'ils vont devoir, à l'avenir, se déplacer régulièrement. Leur voyage en direction de l'île Paradis a été préparé plusieurs mois à l'avance, et le départ a lieu demain.
Ce qui veut dire que leur déplacement durera plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Tout dépendra de l'évolution de la situation là-bas, sans compter le temps de trajet aller-retour.
-T'as déjà fait tes valises je suppose ?, demande Livaï à Armin alors qu'ils se trouvent dans le Bureau du Major.
-Elles sont déjà bouclées depuis ce matin. J'avais encore des choses à régler aujourd'hui, donc j'ai préféré le faire le plus tôt possible pour ne plus avoir à y repenser.
Il pousse un soupir.
-Dire que je vais bientôt revoir Mikasa... Elle m'a beaucoup manquée.
On a déjà demandé à Livaï s'il comptait retourner vivre dans sa terre natale. La réponse était non. Plus personne ne l'attend, là-bas. Et même, tout ce qui est susceptible de l'attendre, ce sont les tombes de ses camarades tombés au combat. Du moins, pour ceux qui ont eu le droit d'être mis en terre.
Non, Livaï préfère vivre pour les vivants, quand bien même le souvenir des personnes disparues l'envahit quelquefois. De toute façon, la douleur ne disparaît jamais vraiment. On apprend seulement à vivre avec. Mais il faut surtout compter sur les personnes qui nous sont proches.
Et en l'occurrence, la personne dont il se sent le plus proche devra s'en aller pour plusieurs mois. Bien qu'il sache que ce départ est inévitable, l'humeur de l'ancien soldat sombre à chaque fois qu'il y pense. Il se sent ridicule de penser ainsi. On dirait un parent qui dépose son enfant à la crèche pour la première fois.
Si ça continue comme ça, il va vraiment finir par croire qu'il est devenu le nouveau père de son jeune ami.
La voix d'Armin le ramène au présent.
-Ça s'est bien passé, ta séance d'aujourd'hui ?
-Hmm... ouais ça va. Aller chez le kiné est moins chiant que ce que je pensais.
Car oui, maintenant, Livaï Ackerman alterne entre les séances de rééducation et celles chez le kiné - un type assez cool d'ailleurs, pragmatique et du genre taiseux, toutes les qualités qu'attend l'ancien Caporal chez les autres pour qu'ils évitent de lui taper sur les nerfs. Même s'il sait qu'il ne pourra peut-être plus jamais marcher comme avant, il refuse toutefois de rester passif face à sa situation. Alors il y va progressivement et si tout se passe bien, il pourra songer à se déplacer avec l'aide de béquilles.
-Je serai pas mal occupé ces prochains jours, annonce ensuite l'Ackerman. Je vais participer à une distribution de friandises pour les mômes du quartier. Ça leur fera sans doute plaisir.
Les lèvres d'Armin s'étirent en un sourire attendri.
-Tu as toujours eu un côté paternel, même si tu ne le montres pas facilement. Tu étais déjà comme ça avec nous, à l'époque.
-Fallait bien que quelqu'un vous empêche de faire des conneries.
C'est plus fort que lui. Il faut toujours qu'il parle avec rudesse. Heureusement qu'Armin est bien au-dessus de ça.
-D'ailleurs en parlant de ça...
En entendant cela, le jeune blond lui jette un regard plein de curiosité. Livaï a sorti de sa poche une petite boîte kraft qu'il tend à Armin pour la lui offrir. Ce dernier s'approche de lui et s'empare de la boîte. En l'ouvrant, il y découvre un foulard blanc plié soigneusement.
-Wow..., murmure le jeune homme. Avec ça, je vais être sûr d'être assorti avec toi.
Il le regarde droit dans les yeux, l'air sincèrement touché par ce présent.
-Merci Livaï.
-Fais gaffe à pas le perdre. C'est un modèle unique.
Armin le fixe en fronçant les sourcils.
-Ah bon ? Tu l'as acheté dans quelle boutique ?
-Je ne l'ai pas acheté.
Les yeux bleus de son jeune ami sont marqués par la stupéfaction et l'incrédulité. Livaï peut presque voir les rouages tourner dans sa tête pour comprendre ce que ça implique. Il regarde ensuite le présent entre ses mains avant de fixer le cou de l'ancien soldat. Là, ses yeux s'agrandissent d'un coup.
-Attends, me dis pas que tu as...
Il n'achève pas sa phrase et secoue la tête, comme s'il refusait de croire ce que son ami plus âgé a voulu faire par-là.
-Livaï, c'est ton foulard. Tu...
-C'est le tien maintenant.
Les épaules d'Armin s'affaissent alors que l'Ackerman se saisit délicatement du foulard plié dans la boîte. Ce faisant, il commence à le placer autour du cou de son jeune ami qui se met à bégayer.
-Mais... mais tu peux pas faire ça, enfin ! C'est... c'est le dernier souvenir que tu as de ta mère et... tu me le donnes à moi qui...
-Il serait vraiment temps que t'arrêtes de te voir comme une sous-merde, gamin. Et que t'arrêtes de trop réfléchir.
-Je le sais bien, mais c'est plus fort que moi.
Livaï termine de nouer le foulard avant d'admirer son œuvre. Une œuvre qui ne concerne pas tant le foulard qu'il vient de nouer que la personne qui en est à présent la détentrice. Deux choses qui ont une valeur inestimable pour l'ancien soldat.
-Ma mère a été pendant longtemps mon unique famille, dit-il. Quand elle est morte, j'ai emporté avec moi un pan d'une de ses robes, et ce foulard est depuis lors l'objet qui a eu le plus d'importance pour moi.
Il s'arrête un instant.
-Du moins... un des objets les plus précieux à mes yeux.
Livaï pense alors au dessin que lui a fait Hansi il y a plusieurs années, ainsi qu'au coquillage gris que lui a offert Armin. Ces deux artefacts sont rangés précieusement dans sa chambre, sur son bureau, l'un près de l'autre - le dessin étant à présent dans un cadre de couleur noir.
-Seulement voilà, poursuit l'homme plus âgé avec plus de douceur, après tout ce temps qu'on a passé ensemble, tu es ce qui se rapproche le plus d'une famille pour moi, Armin. Voilà pourquoi il est juste, à mes yeux, de t'offrir ce que j'ai de plus beau.
C'est vrai qu'ils en ont fait du chemin, depuis leur premier rendez-vous dans le Bureau de Livaï pour parler du monde extérieur. Non, ça va même plus loin. En fait, ça remonte lorsque Livaï a convoqué Armin après qu'il ait entendu son désir d'explorer le monde extérieur.
Encore un coup de vieux. Et de deux.
En face de lui, les yeux du jeune blond se sont embués de larmes. Sans même avoir à être dans sa tête, l'ancien soldat devine qu'il est sur le point de se confondre en remerciements. Alors même qu'il ouvre la bouche pour prendre la parole, Livaï l'interrompt:
-Pas la peine de me dire merci. En fait, c'est plutôt à moi de te remercier.
Il prend le menton d'Armin dans le creux de sa main.
-Merci pour ton intelligence et ta sagacité. Merci pour ta douceur et ta bonté. Merci pour ton imagination et tes rêves inspirants.
La main de Livaï se place derrière la tête du jeune blond. Il fait rapprocher leur front de façon à ce qu'ils soient collés l'un contre l'autre. Livaï ferme son unique œil valide alors qu'il profite de la chaleur que lui procure cette démonstration d'affection.
-Merci pour le garçon que tu as été, et pour l'homme que tu es devenu. Merci d'avoir été un soldat digne de confiance et d'être un Major inspirant pour tous. Merci d'être un stratège et un diplomate hors-pair. Merci d'être un ami fidèle et aimant.
Armin se met à renifler. Livaï, lui, sent sa gorge se serrer alors qu'il débite les raisons pour lesquelles il est reconnaissant d'avoir son jeune ami dans sa vie.
-Merci pour ce que tu es, murmure-t-il tout en luttant pour que sa voix ne tremble pas. Merci d'être qui tu es. Et surtout, merci de rester comme tu es.
Sur ces paroles, Armin fait un geste pour le prendre dans ses bras, et Livaï fait aussitôt de même.
Cette étreinte, comme toutes celles qu'il effectue avec Armin, a le don d'apaiser l'ancien soldat, comme un baume au cœur. L'énergie tranquille et apaisante qui s'en dégage semble indissociable de la personne du jeune blond. Et même, cette impression le renvoie à quelques années plus tôt, lorsque le Bataillon d'Exploration s'est aventuré plus loin que ce qu'il avait l'habitude de faire. A leur arrivée, la tranquillité qu'a inspiré cet endroit à Livaï a été contrebalancée par la puissance qui se dégageait de l'élément qu'il fixait. Comme une sérénité doublée d'une force à mesure qu'on l'observe, et une sensation de liberté qui fait croire que tout est possible. C'est exactement à cette sensation que Livaï associe Armin. Une douceur mêlée à la force de ses convictions et de ses rêves.
-Merci d'être mon océan, Armin Arlert, ajoute-t-il doucement.
Les bras du jeune blond le serrent davantage, preuve qu'il a saisi le cheminement de pensée de Livaï.
L'ancien soldat se revoie avec Armin, lorsqu'ils observaient la mer depuis la falaise, alors que le jour cédait à la nuit. Leurs deux éléments présents, à savoir la nuit et la mer, étaient comme un écho à la complicité et à l'amitié qui lie les deux hommes. A l'image de ces deux éléments participant à l'harmonie du paysage qu'ils admiraient, à eux deux, ils forment à présent une synergie à la fois puissante et harmonieuse.
Un duo devenu inséparable l'un de l'autre.
Deux doubles inversés qui se complètent.
Deux cas à part, tout simplement.
-Je t'aime Livaï, murmure Armin d'une voix étouffée.
Pour une fois, l'ancien soldat se retrouve à court de répartie. Il savait qu'Armin l'aimait, mais l'entendre le dire - le confirmer - achève de le priver de parole. Et puis, son jeune ami a beau l'avoir prononcé d'une petite voix, la sincérité qui émane ces mots ne fait qu'intensifier cette déclaration.
En proie à mille émotions, Livaï ne sait comment réagir. Il n'est pas comme Armin, il a des difficultés à verbaliser ce genre de choses. Lui, il est plus du genre à le montrer, même si ça ne se voit pas à première vue, il faut bien l'admettre. Et pourtant... il aimerait le lui dire. Bien sûr que Livaï aime son jeune ami, il l'aime plus que sa propre vie. Il voudrait le lui dire... Mais il n'y parvient pas. Comme si on avait mis un barrage barrant la route à une immense vague.
-Armin...
Cette confrontation intérieure fait alourdir sa respiration. Et le jeune blond a l'air de s'en être rendu compte.
-Hé, lui dit-il d'une voix apaisante. C'est pas grave si t'arrives pas à le dire. Je sais que tu m'aimes aussi.
Il est si compréhensif que c'en est presque injuste. Mais il y a aussi cette phrase. Je sais que tu m'aimes aussi.
Ça aussi, il l'a compris.
Livaï resserre davantage ses bras autour d'Armin en posant sa tête sur son épaule, bien décidé à faire passer dans son étreinte toutes les choses qu'il ne parvient pas à dire à l'oral. Le sentiment de protection qu'il ressent vis-à-vis de lui, l'amitié fraternelle qu'il vit quotidiennement avec lui, le côté paternel qu'il a développé envers lui et qu'il a encore du mal à assumer... La tempête d'émotions qui le traverse en ce moment-même doit beaucoup l'aider.
-T'as intérêt à m'écrire souvent, lui dit-il d'une voix qu'il a espéré autoritaire, mais dont les diverses émotions la rendent rauque malgré lui.
-Je n'y manquerai pas, assure Armin. Je te le promets.
Et c'est à ce moment-là que Livaï réalise que c'est la dernière fois qu'ils se retrouvent seul à seul avant le départ de demain. La dernière fois avant un long moment. Il s'agit-là de leur unique occasion de se dire réellement au revoir, sans la présence des autres ambassadeurs de leur équipe. L'embrassade qu'ils échangent n'en est que plus représentative.
Les prémices de leur amitié ont vu le jour dans un Bureau, celui de Livaï. Et c'est dans le Bureau d'Armin qu'ils se disent au revoir, rien que tous les deux. Non pas que leur amitié s'achève ici, bien au contraire. Cela marque un autre tournant dans leur relation. Ils seront séparés pour une durée indéterminée, mais unis par des liens étroits de confiance, d'affection et de complicité. Tout ce mélange de sentiments l'un pour l'autre qui se sont enracinés au plus profond de leur être et qui n'a fait que fleurir au fil des années, et qui n'est pas près de flétrir - n'en déplaise à cette foutue distance.
A croire que je suis devenu fleuriste pour avoir ce genre de raisonnement, se dit Livaï.
Après de longues minutes dans cette position, ils se détachent l'un de l'autre.
-Une dernière chose, lui dit Livaï avant qu'Armin ne puisse se retirer complètement.
Alors que ce dernier le regarde l'air intrigué, l'ancien soldat avance sa main encore valide vers son visage. En joignant son index et son majeur, il exerce une légère pression sur le nez de son jeune ami.
Armin le fixe avec de grands yeux. Finalement, il sourit, l'air touché.
-Je vois que tu as pris la relève.
-Ça veut pas dire que je vais te laisser me faire la même chose, foutu mioche.
Le jeune blond se relève en laissant échapper un petit rire.
-Ça va me manquer de t'entendre dire ça, tu sais.
Il se dirige ensuite derrière Livaï pour se saisir des poignées derrière son fauteuil roulant.
-Tu dois faire quoi maintenant ?, demande l'ancien soldat.
-Je dois faire un debriefing avec les autres, histoire qu'on soit au point sur ce qu'il y aura à faire au moment du départ. Et on part demain matin à la première heure.
Armin fait pousser le fauteuil de Livaï en direction de la sortie. Juste avant qu'ils ne quittent la pièce, son ami s'arrête d'un seul coup.
-D'ailleurs à ce propos, je sais que tu passes ta main dans mes cheveux quand je m'endors sur mon bureau.
-Et ça te pose un problème ?
-Pas du tout. Et t'entendre me dire que je suis la personne la plus courageuse à tes yeux est un vrai privilège.
-Donc tu dormais pas vraiment, hein ? Attends que je te réveille avec de l'eau glacée, la prochaine fois.
Sur ces paroles faussement menaçantes, le jeune blond ouvre la porte puis fait sortir Livaï. Les deux hommes avancent dans les couloirs sombres des appartements qui leur ont été attribués par le gouvernement mahr. Ils s'approchent d'une salle éclairée, de laquelle proviennent les voix de Jean, Connie, Reiner, Annie et Pieck, l'équipe d'ambassadeurs menée par Armin.
Le jeune Arlert s'arrête une deuxième fois, cette fois devant un long miroir mural accroché dans le couloir. Livaï tourne la tête pour voir leur reflet, et ce qu'ils renvoient lui fait l'effet d'un thé chaud. Derrière lui, on pourrait croire qu'Armin tient un rôle de protecteur pour l'ancien soldat. Le gamin qu'il a pris en charge de façon non-officielle il y a plusieurs années est maintenant celui qui le prend sous son aile. Un retour des choses qui vient boucler la boucle.
A en voir l'air mélancolique et béat du jeune homme, des pensées similaires doivent également le traverser.
-Allons-y, Major, déclare Livaï. Ton équipe t'attend.
Armin se ressaisit et tourne la tête vers la pièce éclairée en passant rapidement la main sur son nouveau foulard. Il a le regard confiant de quelqu'un qui n'a pas peur de ce que le futur leur réservera.
-Oui, allons-y.
Et alors qu'ils se remettent en route, Livaï songe avec un sentiment de tranquillité:
Avec ce gamin à nos côtés, notre futur est entre de bonnes mains. Je ne pouvais pas rêver meilleur successeur que lui.
Oui, leur futur ne peut être que radieux... tant qu'Armin Arlert se trouve avec eux. Et Livaï ne regrette absolument pas d'avoir fait la connaissance d'une telle personne.
Loin de là.
»»----- 𝐅𝐈𝐍 -----««
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