𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟔
















— U  L  T  I  M  E    S  O  U  H  A  I  T —






















             LEVANT LES YEUX DE mon téléphone, je me précipite dans le rayon librairie du vaste magasin s’étalant sur plusieurs étages. Celui-ci, avec ses murs noirs et décorations orange, est spécialisé dans les produits culturels. Je le connais assez bien, m’y étant rendue assez souvent pour dénicher quelques mangas.

             Cependant, à présent, une autre raison me motive. Des heures après qu’Ace ait quitté la bibliothèque, je l’ai enfin retrouvé. Alors que je me triturais les méninges, tentant de comprendre où il avait pu passer, mon collègue Dan — qui se trouve être aussi un Voyageur — m’a envoyé un message qui a attiré mon attention.

« Je ne vais même pas essayer de comprendre ce qu’il se passe, je te demanderai juste de limiter les dégâts, s’il-te-plaît. »

             Fronçant les sourcils, je lui ai répondu que je ne comprenais pas de quoi il parlait et il m’a invité à ouvrir l’application twitter. Aussitôt, j’ai réalisé le problème.

             En top tendance twitter se trouve, encore à l’heure actuelle, le nom d’Ace. Bien des postes relatent le choc qu’ils ressentent face à la ressemblance entre un simple passant et le personnage du manga One Piece. Selon eux, nul cosplayer ne pourra jamais atteindre ce niveau, il semble sorti des pages tout en ayant des traits humains.

             Je n’en suis pas étonnée puisqu’il s’agit réellement du pirate. Mais le détail qui a le plus attiré mon regard était l’autre hashtag en tendance.

« W : the two world. »

             Il s’agit du titre d’un drama coréen relatant l’histoire d’une jeune femme dont le père a écrit un roman graphique à succès. Un soir, celui-ci disparait et en tentant de le trouver, elle bascule dans le webtoon. Les épisodes défilent jusqu’à ce que le personnage principal de la fiction rejoigne le vrai monde où il trouve une librairie.

             Et, des heures durant, il lit les tomes retraçant l’histoire de sa vie avant de les balancer un à un au sol sous le regard consterné des clients.

             Actuellement, Ace fait la même chose. Tant et si bien que bien des personnes ayant filmé la scène imaginent qu’il s’agit d’une performance artistique afin qu’il se fasse connaitre sur les réseaux sociaux. Aucun ne soupçonne qu’il n’a en réalité même pas idée de ce que sont les réseaux sociaux ou même qu’il est actuellement en train d’être filmé.

             Bientôt, mon regard est attiré par un amas de personne. Ils ne sont qu’une dizaine mais le simple fait qu’ils soient tous en train de le filmer hérisse mes poils. Un frisson me parcourt et, rabattant ma capuche sur ma tête, je prends une profonde inspiration.

             Dépassant une colonne, je le vois enfin. Il est dos à moi.

             Son torse musclé disparait sous un tissu épais foncé et son habituel short dépasse de celui-ci. Ses jambes galbées sont rangées dans des baskets sales que la Vipère a dégotté pour lui. Seulement même s’il a une allure plus commune, ses cheveux ébènes chutant sur sa nuque et sa taille trahissent déjà son personnage tant il lui ressemble.

             Autour de lui et étalé sur le sol, une quantité astronomique de tomes se trouvent. Les couvertures gisent autour de lui tel un halo sombre. La tête penchée vers l’avant, il parcourt en toute hâte des pages.

             Mon estomac se noue tandis que ma poitrine est prise d’un soubresaut. Pas une seconde il ne soupçonne les gestes des personnes l’entourant, il est trop précieux pour ce monde et ne se doute pas qu’à l’heure actuelle, des millions de personnes le regardent attentivement.

             Non, debout devant les étalages, il se contente de lire l’histoire de sa vie. Le récit de drames qui divertissent tant de lecteurs à travers le monde.

             Sur mon cœur se referme une poigne invisible similaire à celle qui m’a attirée vers lui ce matin, lorsque nous nous trouvions à Marineford. Je le vois se redresser légèrement, signe qu’il la ressent aussi. Le lien invisible semble nous tirer l’un vers l’autre.

             Ne perdant pas un instant de plus, je pénètre la foule amassée autour de lui. Seulement leurs silhouettes sont dures et ils ne semblent pas vouloir bouger, résolument plantés dans le sol. Donnant quelques coups d’épaules, je progresse tant bien que mal jusqu’à ce qu’une main se referme brutalement sur mon sweatshirt et me tire en arrière.

             Je manque de tomber mais me rattrape de justesse aux corps autour de moi qui ne prêtent même pas attention à ma chute, trop occupés à le filmer. Aussitôt, mon regard se pose sur la garce qui m’a agrippée.

             Ses yeux bruns me toisent tandis qu’elle hausse un sourcil si clair qu’il se confond avec sa peau. Avec ses yeux en amande et ses cheveux coupés à rat, elle arbore un style atypique qui m’aurait d’ordinaire plu.

             Mais je ne suis vraiment pas d’humeur.

— Evite de gâcher ma vidéo, lâche-t-elle simplement avant de reporter son attention sur le large téléphone qu’elle tient dans sa main manucurée.

             Léthargique, je ne réponds pas tout de suite, me contentant de la fixer.

             Je ne pourrais expliquer pourquoi mais cette simple phrase rompt quelque chose en moi. Peut-être est-elle réellement odieuse. Ou alors ce n’est sans doute qu’une simple goutte d’eau. Une larme chutant dans le vase de ma tête. L’ultime acte.

             La découverte de mes pouvoirs. Ma téléportation à Alabaska. L’agression dans la taverne. Ace qui fait de moi son otage. Ace qui me fait jurer de ne jamais le sauver. Ace qui m’abandonne pour affronter Barbe Noire. La plaie béante dans son ventre. Les hurlements de Luffy. La douleur dans le mien. Le réveil. Notre dispute.

             Le vase déborde, à présent.

— Pose ce téléphone.

             Ma voix est calme, ferme mais audible. Je sais d’ailleurs qu’elle la comprit mais elle ne daigne pas me lancer un regard, ses yeux concentrés sur l’écran.

             Mon sang ne fait qu’un tour. L’homme qu’elle filme comme s’il n’était qu’un animal, la personne en pleine crise émotionnelle qu’elle réduit à l’état de spectacle, le pirate qui n’a pas conscience d’être épié dans une telle vulnérabilité est mon ami.

             Je ne peux pas rester devant cela sans rien faire.

— Je ne me répéterai pas.

— Oh, va jouer ailleurs, petite. Tu seras gentille, rétorque-t-elle en fronçant les sourcils sans même poser les yeux sur moi.

             Mes poings se ferment. Des nanas dans ce genre, j’en ai croisé plein. Des femmes qui ne savent rien de ce qu’est le fait d’être un être humain décent, des personnes qui s’imaginent qu’être hautaines et insultantes font d’elle des « bad bitch » sans se rendre compte que ces deux mots désignent à l’origine des entités splendides, fortes, courageuses et inspirant le respect.

             La beauté de cette garce ne suffit pas à corriger le fait qu’elle se comporte comme la pire des raclures. Et c’est précisément cette pensée qui me traverse lorsque, refermant brutalement ma main sur son téléphone, je m’empare de celui-ci.

             Le retournant dans un geste vif, je balance mon bras par-dessus ma tête et projette l’objet loin devant moi.

             Lorsqu’il s’écrase dans un fracas monstrueux sur le sol à quelques centimètres seulement du pied d’Ace, se décomposant sur le choc en arrachant un sursaut au noiraud, les personnes autour de nous semblent enfin revenir à elle. Quelques cris de surprise retentissent autour de nous et ils bougent enfin, remuant pour nous regarder.

— MAIS T’ES COMPLETEMENT MALADE, SALE CONNASSE !? rugit la femme.

             A présent dos à elle, je ne peux que deviner son expression furieuse. Mais, l’imitant, je ne me retourne même pas lorsque, dans un sourire satisfait, je murmure :

— Va jouer ailleurs, petite. Tu seras gentille.

             Sans lui laisser le temps d’hurler, j’attrape un nouveau téléphone que je projette en direction du sol. Puis un autre. Et encore un autre. Mes gestes sont vifs et les bruits cacophoniques s’enchainent tandis que des cris de panique retentissent. Je ne me soucis même pas de tomber sur des gros bras qui choisiront de me faire payer tout cela.

             Pour la première fois depuis longtemps, je me sens bien.

             Chaque smartphone se décomposant sur le sol en un fracas monstrueux, chaque cri de douleur en voyant la scène, chaque silhouette s’empressant de me fuir en toute hâte, chaque éclat de colère retentissant dans mon dos sont comme une délivrance.

             Bientôt, plus aucune personne ne se trouve autour de moi. Je sens leurs regards sur moi mais m’en détache bien vite, levant enfin les yeux vers Ace.

             Il me fixe, debout au milieu du parterre de livres. Sur ses joues, des larmes coulent. Elles dévalent ses taches de rousseur tandis que, le menton légèrement levé, il me toise avec un certain agacement. Je sais qu’il n’est pas ravi de me voir. Cela se lit dans ses iris.

             Essoufflée, je fais quelques pas jusqu’à lui. Il m’observe l’approcher sans ne rien dire.

— Ace…, je murmure en essayant de reprendre mon souffle.

— Ne te fatigue pas, répond-t-il simplement d’une voix ferme. Je n’ai aucune envie d’écouter tes explications. Pas après…

             Ses yeux se posent sur la pile de mangas à ses pieds. A sa main, je reconnais le cinquantième tome et déglutis péniblement. Celui-ci relate de la mort d’Ace. Mon cœur se serre et je ne peux m’empêcher de baisser le regard, honteuse.

             Si mon arrestation avait entrainé la mort de mes proches ainsi que la mienne, tuant presque mon frère de chagrin, je ne sais comment je réagirais en découvrant que tout cela n’a été que du divertissement pour des millions d’inconnus.

             Dont celle qui a fait le serment de vouloir me sauver et a assuré vouloir agir pour mon bien.

— Je voulais simplement t’aider, je croyais que…

— Tais-toi.

             Il n’y a aucune animosité dans sa voix, seulement une profonde fatigue. A nouveau, j’ose lever le regard en sa direction. Et l’expression qui traverse alors son visage forme un étau qui se serre autour de ma gorge.

             La douleur à son état le plus brute. Les deux yeux d’Ace scintillent sous la lumière des néons et la fine pellicule de ses larmes. Mi-closes, ses paupières ne semblent même plus pouvoir supporter leur propre poids et son nez a rougi.

             Mon cœur se serre. Par le passé, il a affirmé à Luffy que jamais il ne pleurerait. Jamais je ne me pardonnerai de l’avoir poussé à briser cette promesse.

             Je n’ose même pas répondre.

— (T/P), murmure-t-il d’une voix enrouée par la tristesse tandis que ses cils mouillés encadrés son regard dévasté, j’étais sincère, ce matin.

             Mes mains tremblent au bout de mes bras.

— Tu croyais bien agir, ce matin…

             Mon menton est parcouru de spasmes tandis que ma lèvre inférieure l’imite. Mes yeux se font humides. Ma poitrine se serre.

— …Mais tu as gâché mon existence à cause d’une simple envie égoïste.

             La poigne sur ma poitrine se fait cuisante, comme si le lien invisible entouré autour de mon cœur essayait d’arracher mon organe en dehors de ma cage thoracique. Mes entrailles se retournent car je sais ce que cela signifie.

             Inconsciemment, Ace tente de rompre ce qui nous lie.

             Une larme coule sur ma joue, chaude. Je ne parviens pas à la retenir mais l’envie d’essuyer celles couvrant la mâchoire du noiraud me démange. Pourtant, je ne fais rien. Car je suis convaincue qu’au moindre geste, je briserai quelque chose. Tout semble soudain si fragile.

— Ace, j’ai vraiment essayé de t’aider, je murmure d’une voix rendu aigüe par la douleur.

             Il acquiesce légèrement.

— Je sais…

             Un sourire sans joie étire ses lèvres humides.

— …C’est ça, le pire.

             Soudain, dans un geste déconcertant qui me surprend, il pose sa large main sur ma tête. Un sursaut me prend tandis que la chaleur de sa paume m’enlise, quelque peu réconfortante. Mes yeux imbibés de larmes s’écarquillent.

             Il me regarde un instant, forçant à nouveau ses lèvres à s’étirer en un sourire qui se veut réconfortant :

— J’ai été ravi de te connaitre, (T/P) et tu es une bonne personne. Ne t’en veux pas trop pour l’erreur que tu as faite. Mais, s’il-te-plait…

             Mon estomac se noue.














— …Ne revient plus jamais dans ma vie.

























2029 mots

voici le chapitre d'hier que
j'ai oublié de publier mdrr

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