— S O U S L E S C A R T E S —
GLACEE.
Autour de moi, l’obscurité s’étend, infinie. En suspens au cœur des ténèbres, je me contente de sombrer. Ma respiration est coupée et mes paupières se font lourdes. Lutter ne devient plus qu’un désir enfantin et inutile.
Pourquoi survivre à une mort certaine ? Affronter la faucheuse quand celle-ci aura, de toute façon, le dernier mot ? Se démener ? Pour la vie ? Les êtres aimés ? Shanks ? Oui. Peut-être. Quelque part, je crois que cet argument pourrait me convaincre.
Mais je vais si bien, là.
L’alcool qui brûlait mes plaies et le sel de l’eau de mer ne me font plus aucun mal. Comme anesthésiée, je sombre doucement jusqu’au fond. Et, pourtant, mes poumons ne me cuisent pas. Soit, cela fait plusieurs minutes maintenant que je ne respire plus. Mais la douleur n’est qu’éphémère et elle s’en est allée.
Soudain, dans l’obscurité, un éclat. Mes yeux s’ouvrent davantage, observant le reflet. Juste devant mes yeux, il brille un instant, flottant devant moi, jusqu’à ce que je réalise de quoi il s’agit.
Une épée. Celle que le Serpent a balancé par-dessus bord, juste avant notre combat.
Peut-être les dieux sont-ils restés sur leur fin, face à ce combat. Ou l’univers souhaite sans doute me tendre la main. Ou le hasard est du genre comique. Mais dans ce vaste océan froid et gelé, il a fallu que ma route croise celle de cette lame.
Détendue, je la regarde quelques instants. Lisse et tranchante, sans aucune décoration, elle est d’une simplicité déroutante. Mais, bientôt, la simple surface argentée se voit parcouru de quelques taches sombres. Je mets quelques instants avant de réaliser qu’il s’agit d’un dessin. Sur la lame de l’épée, je regarde le portrait de quelqu’un.
Soudain, le portrait bouge, comme animé.
Il s’agit d’une femme. Tout à fait étrangère et familière à la fois, elle se tient au bord d’un toit d’immeuble. Ses yeux s’écarquillent et ses lèvres s’ouvrent, laissant filer un cri silencieux tandis qu’elle regarde le vide sous ses pieds, atterrés.
Le temps d’un instant, il me semble qu’elle va y sauter. Mais à l’instant où elle court vers celui-ci, une écharpe jaillit depuis son dos et s’enroule autour de son corps, la freinant dans son geste. Au bout de ce lien, un homme aux longs cheveux noirs tire sur le lasso improvisé jusqu’à ce que le dos de la femme touche son torse. Puis, l’enserrant dans ses bras, il la maintient contre lui, l’empêchant de bouger.
L’image éclate en volutes de fumée avant d’en reformer une nouvelle.
Le dessin d’une femme, encore. Peut-être la même que celle que je voyais juste avant ou entièrement différente, je ne saurais pas dire. Son visage me semble à la fois familier et inconnu. Les bras étendus autour d’elle, son corps forme une croix. Elle se tient debout sur le bord d’un toit, elle aussi, dos au vide. Et, un vague sourire aux lèvres, elle se laisse tomber en arrière.
Mais la silhouette d’un homme aux cheveux noirs jaillit soudain depuis ce qui ressemble à une liane et, fermement, l’attrape au vol. Mes sourcils se froncent et mon cœur se serre étrangement dans ma poitrine à cette vision. Il me semble que mes plaies recommencent à me lancer douloureusement, une à une.
L’image éclate en volutes de fumée avant d’en reformer une nouvelle.
La même femme et le même homme. Dans des accoutrements modernes. Lui porte un gilet pare-balles par-dessus une chemise blanche et elle, une simple combinaison. A quatre pattes au-dessus de lui qui est allongé, elle le frappe au visage dans ce que je devine être des hurlements rageurs, bien que je n’entende rien.
Derrière eux, un homme blond à la barbe fournie se tient, debout. Il passe les menottes à un être. Un sursaut me prend quand je reconnais ce dernier. Le Serpent. A cette vision, chacune de mes plaies me brûlent atrocement, m’arrachant un hoquet de douleur.
L’image éclate en volutes de fumée avant d’en former une nouvelle.
Le même homme aux cheveux noirs, habillés d’une chemise blanche et des lunettes de soleil dissimulant ses traits. A côté de lui, la femme. Ou une autre, encore une fois. Je n’arrive pas vraiment à le cerner. Finalement, un autre homme aux longs cheveux bruns noués en queue de cheval et yeux émeraudes. Ils marchent main dans la main, regardant au loin.
Mes plaies semblent s’approfondir tant elles me font atrocement souffrir.
L’image éclate en volutes de fumée avant d’en former une nouvelle.
Le brun au cheveux longs et yeux émeraudes est de nouveau visible. Mais, debout derrière la femme, il pioche à main nue dans un paquet de céréale tandis que, disposant des photos ou des cartes sur une table devant elle, elle parle à voix basse.
Je remarque l’insigne de police à sa taille. Ma peau congèle tant que mes os tremblent et mes dents claquent, même sous l’eau.
L’image éclate en volutes de fumée avant d’en former une nouvelle.
Le blond à la barbe fournie est à nouveau visible, assis sur un fauteuil au coin d’une cheminée. Une cigarette à la main, il observe d’un sourire doux la femme qui est allongée sur un canapé lui faisant face, visiblement endormie.
Ma poitrine me brûle.
L’image éclate en volutes de fumée avant d’en former une nouvelle.
A quatre pattes sur le sol, une main tendue devant elle, une femme fixe, les yeux larmoyants, deux garçons à genoux dans les bras l’un de l’autre. L’un lui fait face tandis qu’elle crache du sang, un trou béant transperçant son ventre et laissant tomber ses organes sur le sol.
Je souffre tant.
L’image éclate en volutes de fumée avant d’en former une nouvelle.
Debout dans une forêt enneigée, un homme marche. Ses longs cheveux de givre tombent sur ses épaules développées. Dans ses bras, il tient une femme visiblement inconsciente. Son crâne et la moitié de son visage sont dissimulés sous un voile noir. Une quantité astronomique de sang coule de son visage et son porteur marche, la mine grave.
Jamais je n’ai eu autant mal.
L’image éclate en volutes de fumée avant d’en former une nouvelle.
Couverte de sueur, une femme dort d’un sommeil agité dans des draps de satin. Remuant, elle semble en proie à un cauchemar. Mais une main se pose soudain sur son épaule, l’apaisant instantanément tandis que l’autre, amputée et remplacée par un crochet, fait délicatement remonter la couverture sur son corps.
Il me semble que je meurs.
L’image éclate en volutes de fumée avant d’en former une nouvelle.
Allongée sur un canapé et recouvert de sang, un homme massif aux lèvres striées d’une cicatrice semble en piteux état. Au-dessus de lui et tremblante, une femme éponge ses plaies en pleurant à chaudes larmes. Il glisse une main sur sa joue pour la rassurer.
Mon cœur est trop gros pour ma poitrine.
L’image éclate en volute de fumée avant d’en former une nouvelle.
Le premier homme que j’ai vu, aux cheveux longs, est à nouveau visible. A présent partiellement dénudé, son torse sculpté parsemé de tatouages brille sous une luminosité vacillante. Il marche, le corps d’une femme jeté sur son épaule et, dans l’autre main, un pistolet est visible. Son regard est froid, déterminé.
Des larmes coulent sur mes joues.
L’image éclate en volutes de fumée avant d’en former une nouvelle.
L’homme brun aux yeux émeraudes est à nouveau visible. Une épée à la main et habillé d’une chemise en lin rappelant les habits de Moyen-Âge, il fixe durement une femme devant lui. Elle me montre le dos mais, soudain, se retourne.
Mon cœur rate un battement et je sursaute. Elle me regarde. Moi. Dans les yeux. Contrairement à toutes les autres scènes que j’ai vues où je n’étais que voyeuse, elle semble maintenant consciente de ma présence.
Et je réalise alors que je la reconnais. Il s’agit du Forgeron. Le bras droit du Serpent, celle qui a tué l’ancienne Imperecea.
Mon sang se glace dans mes veines. Son regard est déroutant.
— J’ai façonné bien des épées, Imperecea…
Sa voix retentit soudain, comme lointaine. Mais elle résonne dans cet océan froid, ténébreux et glacé.
— De quoi mettre des rois sur des trônes ou décimer des armées. Mais il en existe qu’une seule qui puisse porter le coup de grâce à un Impereceis. Une qui garde trace de tous les maux infligés par l’empereur en faute pour mieux le frapper.
Je tressaille.
— Cette épée se nomme Justice.
Un vent violent gonfle mes poumons, pénétrant.
— Saisissez-la et prouver aux Voyageurs que vous êtes légitime de vous emparer du trône, Imperecea.
Mes yeux s’écarquillent.
— Tuez-le.
A l’instant où ces paroles résonnent, ma main se referme sur le pommeau de l’épée. Et, aussitôt, de l’air pénètre mes poumons, vivifiant. Ceux-là se gonflent tandis que le froid m’assaille et que je prends conscience de chacun des membres de mon corps.
Au-dessus de moi ne s’étend plus l’obscurité infinie. Car je ne me trouve plus dans l’océan. Non, je suis à nouveau sur le bateau. Mes yeux papillonnent pour s’habituer à la soudaine luminosité.
Devant moi et debout à côté des mâts, mon vieil ennemi me regarde. Une épée à la main et ses longs cheveux de givre coulant le long de son torse, il me fixe ardemment. Mais je n’ai plus peur je n’ai plus la sensation de douleur. Mes plaies, entorses et os brisés... Tout cela n’existe plus.
Aujourd’hui, je me bats.
— Eh bien, Imperecea, vous êtes décidemment plus tenace que…
Fendant l’air de ma main, j’exécute un geste sans même y songer et, soudain, des grains de sables jaillissent du sol avant de se consolider autour de ses pieds, formant une roche. Je ne sais même pas d’où je tiens ce pouvoir qui me surprend.
Mais pas autant qu’il surprend Han. Celui-ci, les yeux écarquillés, fixe ses jambes avant de me regarder à nouveau.
— TOI !? rugit-il. NON ! TU N’ES PAS ELLE !
Sans lui laisser le temps de répondre, je plonge sur le côté. Au même moment, il projette sa lame en ma direction, me manquant de peu. Je ne saurais comment l’expliquer mais j’ai anticipé son mouvement. Comme si un sixième sens s’était manifesté en moi.
D’un mouvement de pied rageur, il se défait des roches. Mais, aussitôt, j’exécute un geste de la main et il tombe à la renverse, giflé par l’air. Puis, à l’instant où il se relève, j’envoie mon épée frappée une corde tendue.
Aussitôt, une poutre s’effondre, percutant Han sur le flanc et le propulsant, quelques mètres plus loin. Comme si, soudainement, je m’étais découvert un œil de lynx.
Etendue sur le sol, il pousse un hurlement de rage en se relevant. Il fait peine à voir. Du sang coule en abondance sur son front, son torse… Je l’ai salement amoché, animée d’une force nouvelle.
— COMMENT AS-TU PU…
— Tu sais, je crois que l’eau glacée m’a fait du bien… Elle m’a notamment permis de me découvrir un sens de la déduction étonnant. Qui m’a permis de réaliser certaines choses.
Debout à quelques mètres de moi, il tient tant bien que mal. Mais sa poitrine se soulève avec difficulté.
— Tu es le Serpent. Tu mors les gens… Mais pas moi. Et depuis qu’on a commencé à s’affronter, tu n’as pas tenté de me mordre et tu as soigneusement essuyé des ongles maculés de mon sang à chaque fois que tu m’as griffée.
Un sourire étire mes lèvres et je fais tournoyer l’épée dans ma main.
— Je me demande donc… Tu peux ingérer le sang de tout le monde mais qu’en est-il de l’Imperecea ? Après tout, si tu ingères son sang c’est que tu la blesser et c’est contraire aux lois divines… N’est-ce pas pour cette raison que tu prends grand soin de ne pas avaler mon sang ? Hein ? Vu d’ici, on dirait presque…
Je passe d’un geste vif ma paume sur la lame de l’épée, l’enduisant de mon sang. Il se liquéfie en me voyant faire.
— Que mon sang est ta faiblesse…
Il n’a pas le temps de répondre. Mes bras s’animent d’eux-mêmes, comme si une formidable épéiste avait pris le contrôle de mes gestes. L’épée s’enfonce soudain dans son ventre, le transperçant.
Et je n’ai même pas le temps de réaliser mon geste qu’il se décompose en poussière grise.
2067 mots
hey ! désolée pour ce
chapitre tardif !
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