chapitre 21 ◌ réveil
Le temps passe.
Cette simple pensée s'installa en lui, creusa désagréablement son chemin dans son esprit durant les jours qui suivirent sa rédition face à ses propres sentiments. Parce que le temps passait, mais il était toujours là, à repousser l'inévitable et à se mentir à propos de l'avenir qui l'attendait. Non, il ne pourrait jamais mener une vie paisible, entouré de ses amis et de cette fille qui le hantait tout autant, constamment, et penser le contraire était stupide.
Quelques jours de plus.
Voilà ce qu'il se disait ensuite, lorsque leurs regards se croisaient ou quand elle attrapait doucement son visage pour embrasser ses lèvres.
Quelques jours de plus.
Peut-être repoussait-il l'échéance pour laisser plus de temps à la compréhension. Ophelia était surprenante. C'était le meilleur mot qu'il avait trouvé pour la décrire. Il découvrait encore de nouvelles facettes de sa personne, tous les jours. Habituellement, ce qu'il ne comprenait pas le frustrait et l'énervait, mais avec elle, cela ne faisait que décupler sa curiosité. Renoncer à tout ce qu'il ne savait pas encore sonnait comme une erreur.
Mais le temps passait et, à force de ne pas agir, de douter de ses responsabilités, il allait finir par se noyer dans la culpabilité. Il possédait le pouvoir et savait comment tout se finirait. Agir était son devoir.
— À quoi tu penses ?
Ramené au moment présent par la voix claire d'Ophelia, Eren reporta son attention sur les cartes qu'il tenait devant lui. Depuis la banquette d'en face, la jeune femme haussa un sourcil et le dévisagea avec curiosité.
— Plus ça va, moins tu arrives à deviner, fit-il remarquer.
— C'est peut-être pour ça que je t'aime bien, sourit-elle en haussant les épaules. C'est ennuyant de tout savoir. Il n'empêche que c'est à toi de jouer, alors concentre-toi un peu.
De sa part, ce genre de phrase n'annonçait jamais rien de bon. Quelle idée d'accepter de jouer aux cartes avec elle, dans un premier temps.
— Tu recommences, la prévint-il en serrant les dents.
Le sourire d'Ophelia se fit plus grand et la lueur malicieuse dans son regard clair plus brillante. Loin de plaisanter, il la toisa avec agacement, les sourcils plus froncés que jamais tandis que, sous la table, son pied glissait discrètement contre sa jambe
— De quoi tu parles ?
— Tu triches !
— Ah bon ? Je ne fais rien qui irait à l'encontre des règles du jeu, si ?
Trop fier pour avouer qu'il n'était plus du tout concentré sur leur partie, Eren jeta un coup d'œil contrarié à ses cartes et en jeta une sur la table sans même réfléchir à ce qu'il faisait. Elle était incroyable. Parfaitement sereine, elle continua son manège durant les tours suivants et, à force de ne pouvoir qu'observer ce visage qu'il était désormais certain de connaître par cœur, il se résigna à déclarer forfait après quelques longues minutes à supporter cette exquise torture.
— T'as gagné, admit-il à contrecœur.
— Oh, je sais.
Ophelia eut du mal à retenir son amusement lorsqu'ils atteignirent enfin leur étage et que leur voisin de palier les surprit main dans la main, prêts à s'embrasser après une attente trop longue à leur goût. L'homme ne fit que cligner des yeux à plusieurs reprises avant de les dépasser avec scepticisme, ce qui eut le don de faire glousser la jeune femme. Eren leva les yeux au ciel et, sans qu'elle n'ait le temps de le voir venir, la fit taire d'un baiser tout en l'entrainant dans leur chambre avant que d'autres ne passent par là. La porte se referma au contact du dos d'Ophelia qui esquissa un sourire lorsqu'il décida de s'attaquer aux boutons de sa chemise, grognant d'agacement comme le grand impatient qu'il était.
— On est pressés ? se moqua-t-elle.
Elle aurait voulu garder cette image de lui pour toujours. C'était dans ces moments qu'il se ressemblait le plus. Quand il lui offrait des regards vivants, des demi-sourires involontaires et une vue parfaite sur ses joues discrètement rosies qui lui valaient son fameux froncement de sourcils contrarié si elle osait en faire la remarque.
— C'est toi qui dis ça ?
— Je te taquine, Jaeger.
— Ouais, tu fais que ça.
— Tu veux que je fasse autre chose en particulier ? lança-t-elle, sautant sur l'occasion pour l'embêter un peu plus.
— Que tu te taises, déjà.
— Je compte sur toi pour ça.
— Tu me fatigues.
— Déjà ?
Son rire s'évanouit au contact de sa bouche qui retrouva la sienne avec empressement. Sans briser ce contact, le brun glissa ses mains jusqu'à la taille d'Ophelia et elle se laissa guider tandis qu'il l'entrainait en direction du lit où - ils le remarquèrent à la dernière minute - était paisiblement installé leur troisième colocataire. Un juron commun leur échappa lorsqu'ils se rattrapèrent à temps, sous le regard froid de la boule de poils qui vivait encore là. Ophelia arcqua un sourcil, surprise par l'air presque insolent du chat.
— Salle de bain ? proposa-t-elle alors.
— Salle de bain, conclut Eren en haussant les épaules.
D'humeur légère, la jeune femme se remit à rire lorsque ses pieds décollèrent du sol et qu'elle se retrouva à prendre le chemin de la pièce adjacente à la chambre sans même avoir besoin de marcher, perchée sur l'épaule de son partenaire. Ironique, elle adressa un dernier geste de la main à l'animal avant que la porte ne se referme sur eux.
⋇⋆✦⋆⋇
Le temps passe.
Les minutes qu'il ne sentait pas s'écoulaient quand même. Les heures semblaient minuscules mais elles étaient là, bien qu'invisibles.
— À quoi tu penses ?
La paume d'Ophelia se pressa contre la sienne, leurs deux mains placées entre eux. Eren reporta son attention sur la jeune femme assise en tailleur face à lui et observa brièvement la manière dont leurs doigts se lièrent. Son regard fut plutôt attiré par la myriade de tâches violâtres qui s'étalait sur sa peau laiteuse, le long de son cou et de sa clavicule. Il les effleura de sa main libre et adressa un regard mi-satisfait, mi-désolé à Ophelia, bien que conscient qu'il ne s'agissait que d'une infime partie des marques qui recouvraient son corps.
— C'est rien, idiot. Réponds plutôt à ma question, pour une fois.
— Au temps, dit-il.
Le contenu de la réponse ne la surprit pas, mais son honnêteté le fit.
— Cet enfoiré peut aller se faire voir pour l'instant, tu crois pas ?
Eren tenta de ne pas avoir l'air trop en désaccord et baissa les yeux vers le chat roulé en boule à ses côtés. Il aurait bien voulu pouvoir prononcer ces mots avec autant de certitude, mais elle n'entretenait pas la même relation avec le temps que lui. Ses jours à elle n'étaient pas comptés - et heureusement.
— Peut-être. Et toi, qu'est-ce qui te préoccupes ?
Ophelia leva vers lui un regard étonné.
— Comment tu..?
— Je sais pas, ça se voit.
Venant de n'importe qui d'autre, ce constat l'aurait vexée, étant donné le mal qu'elle avait eu à apprendre comment dissimuler ses émotions et ses pensées pour survivre. Mais puisque c'était lui, elle esquissa seulement un léger sourire.
— Je pensais à Aida, avoua-t-elle.
Compréhensif, Eren acquiesça. Ophelia ne mentionnait que rarement les inquiétudes actuelles qu'elle rencontrait concernant sa sœur, mais il pouvait voir à sa manière de raconter leur enfance qu'elle en était nostalgique. Elle lui avait conté tant d'anecdotes et confié tant de secrets qu'il avait désormais la certitude de la connaître mieux que personne. Cette pensée était réconfortante, malgré tout.
— Elle te manque ?
— Beaucoup. Je me rends juste compte qu'elle avait quinze ans la dernière fois que je l'ai vue... Elle doit approcher des dix-neuf, maintenant. Elle a dû beaucoup changer, sourit-elle tristement. J'aurais voulu voir ça.
— Tu regrettes d'être partie ?
— Non, bien sûr que non, s'empressa-t-elle de répondre. Il le fallait. Aida le sait aussi. Rester coincée entre les murs de Revelio et dans l'ignorance n'aurait rendu service à personne. Mais je me fais du souci pour elle. Au début, je me disais que tout irait bien parce que je savais que Porco était avec elle, mais maintenant...
S'attirant un regard amusé de la part de la jeune femme, il fit de son mieux pour ignorer le sentiment négatif qui monta en lui à la mention du guerrier, bien conscient de la place qu'il avait eue dans la vie d'Ophelia durant son adolescence.
— On a jamais été aussi proches en quatre ans, mais elle reste inatteignable, conclut-elle.
— T'as aucune idée de la manière dont tu pourrais la retrouver ?
Ophelia secoua la tête sans un mot mais son regard déviant vers la gauche un instant suffit à Eren pour comprendre qu'elle mentait. Elle réfléchissait, en permanence. Elle avait forcément une idée. Et si elle n'en faisait rien, c'était qu'elle impliquait un choix difficile.
Peut-être préférait-il ne pas savoir, finalement.
Jusque-là installée face à lui, elle quitta cette position pour s'approcher jusqu'à pouvoir l'entourer de ses bras. Surpris, Eren lui rendit son étreinte par automatisme et la laissa enfouir son visage dans le creux de son cou. L'odeur fraîche qui émanait de ses cheveux noirs encore humides de leur lavage récent lui parvint et il ferma les yeux, s'octroyant cet instant de paix comme s'il s'agissait du dernier.
Ils le savaient tous les deux.
Cette tranquilité touchait à sa fin.
Quelques jours de plus.
⋇⋆✦⋆⋇
C'était une belle journée.
Une journée passée dehors, à se promener et à partager des glaces et des anecdotes.
Il aurait pu s'agir d'une journée banale.
Alors que le soleil entamait sa descente en direction de l'horizon et que le ciel prenait une teinte plus chaude que le bleu qu'on lui connaissait, Ophelia posa sa tête contre l'épaule du jeune homme assis à côté d'elle. Eren jeta nonchalamment un caillou en contrebas, se fichant de savoir s'il attérissait sur le chemin de goudron ou bien directement dans la mer. Il ne risquait pas de tomber sur la tête de quelqu'un, en tout cas. Ils se trouvaient dans un coin désert, à l'écart de l'agitation de la ville.
Silencieux, il écouta Ophelia tandis qu'elle parlait de son enfance, de l'unité des guerriers. C'était ces conversations qui l'amenaient à comprendre qu'il ne pouvait plus penser comme il l'avait fait durant toute son adolescence. Haïr les guerriers pour leurs crimes n'avançait à rien, il était inutile de blâmer des enfants pour les horribles idées que des adultes ignorants leur avaient mis en tête. Il ne pouvait pas continuer à tenir Reiner pour responsable de la mort de sa mère et tout ce qui avait suivi, pas alors qu'il pouvait si facilement comprendre Ophelia et ses motivations.
Aucun des guerriers n'était à blâmer pour le massacre de Shiganshina, neuf ans auparavant. Il fallait voir plus grand.
— Je commence à avoir faim, avoua la jeune femme après de longues minutes passées à parler. On devrait rentrer avant qu'il fasse nuit.
Eren acquiesça d'un air pensif qui la poussa à s'emparer délicatement de son menton pour l'inciter à la regarder. Elle le dévisagea un moment, à la recherche de quelque chose qui pourrait lui indiquer ce qu'il se passait dans sa tête, mais elle ne trouva rien. Elle ouvrit la bouche avant de la refermer sans prononcer un mot, refusant d'admettre qu'elle ne parvenait plus aussi bien à deviner ce qu'il pensait.
— Quoi ? fit-il.
— Rien. Je peux ? demanda-t-elle, le regard rivé à ses lèvres.
Il lui répondit presque qu'elle n'avait pas besoin de demander. Mais, certain qu'il s'agissait de l'un de leur dernier moment à passer ensemble, il se contenta d'attirer son visage vers le sien pour plaquer ses lèvres contre les siennes. Il aurait voulu l'embrasser comme il le fallait, quitte à ce que ce soit bien son ultime chance de le faire, mais le temps choisit ce moment pour terminer sa course invisible et leur donner l'impression que la seconde qui suivit serait la dernière.
Aucun d'eux n'aurait été capable de dire lequel poussa l'autre au sol en premier. Le coup de feu sembla leur parvenir avec une poignée de secondes de retard. Alors qu'ils se relevaient dans la précipitation sans prendre la peine de se lâcher, leurs regards s'accrochèrent et Eren vit celui d'Ophelia se teinter d'une véritable peur qui lui donna l'impression de sentir son sang bouillir dans ses veines.
— Je te l'avais dit ! entendirent-ils en contrebas. C'est cette traîtresse, ils avaient raison ! Elle est là !
En comprenant ce qu'il venait de se passer, il serra les dents si fort qu'il crut se les briser et s'empara de la main d'Ophelia. Ils l'avaient retrouvée.
— Faut qu'on se tire d'ici !
Habituée à réagir rapidement, Ophelia se mit aussitôt à réfléchir alors que la main d'Eren serrait la sienne plus fort et l'incitait à avancer plus vite. Le souffle court, les larmes aux yeux sous le coup de la panique, elle jeta un regard nerveux aux deux Mahr armés qui se dirigeaient vivement vers le chemin menant à cet endroit en hauteur, celui qui avait été leur havre de paix l'espace de quelques heures. Ils seraient là d'une minute à l'autre.
— O', qu'est-ce que t'attends ? fit Eren lorsqu'elle s'arrêta.
— Il faut que tu me laisses.
— Quoi ?! Tu délires complètement si tu crois que-
— Ils savent que je suis là ! l'interrompit-elle en haussant le ton malgré sa gorge nouée. Si je fuis, ils feront que lancer plus de personnes à ma recherche, et ça te mettra en danger ! Alors vas-t'en, d'accord ?
Un nouveau coup de feu retentit mais ne les atteignit pas, lancé par un des soldats qui voulait apparemment s'amuser. Eren les savait tout proches. Silencieux pendant quelques minces secondes qui semblèrent être une éternité toute entière, il observa la crainte et la résignation d'Ophelia. Il pouvait lire les mots qu'elle lui avait adressés quelques jours auparavant dans ses yeux. Endurer la pire des souffrances pour le garder sain et sauf.
Sa main lâcha la sienne.
Ses poings se serrèrent.
— On est loin de la ville, pas vrai ?
— ...Hein..? souffla Ophelia alors qu'il revenait sur ses pas pour se diriger droit vers les Mahr qui tendaient déjà leurs fusils vers eux. Eren, attends, qu'est-ce que tu fais ?
— Ce que je fais de mieux.
La suite se passa bien trop vite pour elle.
Elle entendit les coups de feu, sentit un bras familier s'enrouler autour d'elle et l'attirer vers un corps tout autant familier, aperçut l'éclair qui traversa le ciel. Elle n'eut pas l'occasion de voir leurs poursuivants.
Quand elle rouvrit prudemment les yeux, elle remarqua d'abord la fumée, puis les côtes qui l'entouraient.
— Qu'est-ce que...
Pour avoir assez étudié les capacités d'une personne possédant un Titan lors de ses années d'entrainement, elle comprit sans difficulté où elle se trouvait et quelle idée Eren avait eue, mais il fallait avouer que se retrouver piégée dans une cage thoracique géante n'était pas commun. Il n'y avait bien que les os, et une infime partie du corps titanesque. Juste un bras et quelques côtes, apparemment.
— Eren ? tenta-t-elle lorsque la carcasse se mit à trembler et que quelques morceaux en tombèrent, signe qu'elle n'était plus occupée par un humain.
Malgré la fumée, Ophelia parvint à s'extirper de là et balaya les environs du regard, à la recherche d'un signe de vie. Qu'elle ne trouva pas, puisque la première chose qu'elle aperçut fut une flaque de sang émanant de sous le poing de ce Titan partiel, ainsi que quelques membres écrasés tout juste discernables.
— Je suis là.
La jeune femme se retourna dans un sursaut. Elle vit d'abord le corps inerte du deuxième soldat sur le sol, puis écarquilla les yeux en le voyant. Sans réfléchir, elle se rua dans sa direction et se laissa tomber à genoux devant lui, déjà occupée à inspecter la blessure dont émanait la même fumée que celle de la carcasse de Titan.
— Ça va, c'est rien, râla Eren.
— Tu t'es pris une balle ?!
— Tant qu'elle reste pas coincée à l'intérieur ça devrait aller, non ?
Ophelia s'empressa de vérifier qu'il y avait bien un trou de sortie dans son dos, et soupira de soulagement lorsqu'elle en eut la confirmation. Elle n'était pas certaine de ce qui serait arrivé si la balle n'était pas ressortie, mais elle ne comptait pas le découvrir aujourd'hui.
— T'as rien ? voulut-il s'assurer malgré son regard froid qu'elle ne parvint pas à interpréter.
Encore déboussolée, elle secoua la tête et se contenta de l'enlacer en fermant les yeux, n'ayant aucune idée de ce qu'elle pouvait faire d'autre. Il ne fit rien pour lui rendre son étreinte, déjà loin de cette scène, loin d'elle. La bulle protectrice qui les avait gardés à l'abri pendant des jours venait d'exploser, et le réveil était brutal. Mais il l'avait vu venir.
— Non, idiot, t'as tout pris, souffla-t-elle.
Idiot.
C'était probablement le meilleur mot pour le décrire.
Elle le penserait pendant un long moment.
⋇⋆✦⋆⋇
Ce soir-là, quand Ophelia sortit de la salle de bain, elle se mit aussitôt à arpenter la pièce tout en réfléchissant sous le regard plus impassible que jamais de son colocataire. Ils n'avaient pas échangé un mot depuis leur retour et ce silence avait fait ressurgir en elle une nervosité qu'elle n'aurait soupçonnée.
— On devrait partir d'ici, dit-elle. Et trouver un plan.
Elle s'était préparée à toutes les réponses possibles, sauf à celle qu'il lui offrit.
— « On » ?
Ophelia cessa de faire les cent pas et se tourna vers Eren. Elle le dévisagea dans l'espoir de comprendre ce qu'il cherchait à dire mais n'y parvint pas. Si elle l'avait trouvé fermé dans la journée, il était désormais impossible de voir quoi que ce soit dans ses yeux. Même le chat n'était pas venu le voir, installé sur un oreiller loin de lui comme s'il ne l'avait pas reconnu.
— Tu veux rester là, peut-être ? ironisa-t-elle.
— Non, je compte bien m'en aller. Seul, précisa-t-il durement. Est-ce que ça pose un problème ?
Cette soudaine hostilité lui valut un regard sceptique.
— Oui, ça pose un problème, Jaeger. Qu'est-ce qui t'arrive ?
Jamais encore leur différence de taille ne l'avait frappée. Mais quand il se leva à ce moment-là pour lui faire face, malgré le fait qu'il ne mesurait qu'une tête de plus qu'elle, elle se sentit toute petite. Elle n'avait jamais non plus perçu cette aura dangereuse, ni eu le droit à un regard si froid. Elle ne baissa pas les yeux face à toutes ces nouveautés, mais elle croisa les bras devant elle dans un geste de protection inconscient.
— Rien du tout, répondit-il trop calmement. Je pense juste que la comédie a assez duré.
— La comédie ?
— Cette perte de temps. C'était sympa quelques temps, mais ce qui s'est passé aujourd'hui m'a fait comprendre que j'ai des choses plus importantes à régler.
Cette fois, Ophelia ne put retenir le rictus nerveux qui anima ses traits. Elle détourna le regard une fraction de seconde et passa une main dans ses cheveux avant de se rendre compte qu'elle en montrait beaucoup trop.
— Quand tu dis « perte de temps », tu parles de nous ?
— Il n'y a pas de « nous », Hawk, rétorqua Eren.
— Je comprends pas. T'as pas besoin de faire ça, tu sais ? On peut trouver un moyen de-
— Oui, tu comprends pas. Écoute, je vais reformuler : tout ce qui s'est passé ces dernières semaines n'a servi à rien. Il est temps d'ouvrir les yeux et de retourner à la réalité. Je m'en suis rendu compte tout à l'heure, c'est tout.
Décidée à ne pas ciller, elle fouilla son regard sans pour autant trouver une quelconque information contraire à ce qu'il disait. Ophelia se fit alors violence pour ne rien laisser paraître et déglutit discrètement. Il la fixait encore, visiblement insensible aux conséquences de ce qu'il disait.
— Je dois comprendre que tu regrettes ?
— Non.
Surprise, elle haussa les sourcils. Ses espoirs de recevoir une explication logique à cette conversation se retrouvèrent pourtant écrasés à la seconde où il reprit la parole, lui portant le coup de grâce sans aucune pitié.
— C'est pas assez important pour que j'en pense quoi que ce soit. Ça vaut rien.
— Si je vaux rien, insista-t-elle malgré sa gorge plus nouée que jamais, pourquoi tu m'as pas laissée tout à l'heure ? C'est moi qu'ils voulaient, t'aurais pu t'en aller comme je t'avais dit de le faire.
— Je voulais pas prendre le risque que tu dévoiles tout ce que tu sais sur Paradis, répondit Eren sans avoir besoin de prendre le temps de réfléchir. On sait tous les deux que tu nous aurais trahis s'ils t'avaient donné l'occasion de revoir ta sœur.
— Je vous aurais trahis, acquiesça Ophelia. Parce que je suis pas des vôtres.
Il prit le temps de la toiser, sans montrer aucune empathie malgré les signes évidents de sa peine. Il savait interpréter ses gestes, même les plus minimes. Sans le savoir, elle avait passé des semaines à lui mettre les cartes en main pour ce moment, pour cette ultime partie qu'il jouait seul, profitant de la voir si désarmée.
— Non, je pense pas que tu le sois. Je pense pas que tu aies ta place où que ce soit, étant donné la facilité avec laquelle tu changes de camp.
— D'accord.
Les signes venaient de disparaître. Sous les yeux d'Eren, Ophelia venait de se refermer entièrement. Son regard changea, lui aussi. Non plus blessé mais méprisant, il accrocha celui du jeune homme qui ne cilla pas malgré sa surprise. Tout à coup, elle n'eut plus rien de la jeune femme radieuse qui souriait devant un coucher de soleil. Là, elle ressemblait à la traîtresse, la manipulatrice, la tueuse, qu'elle était.
— Vas-t'en, alors. T'es libre, pas vrai ? Alors vas-y.
Elle demeura impassible tandis qu'il la dévisageait une dernière fois. Avant de partir, il ne lui glissa qu'un dernier avertissement concernant ce qui arriverait si elle venait à trahir Paradis.
— Je vais me gêner, répliqua-t-elle juste avant qu'il ne disparaisse.
Bien que plus sérieuse que jamais d'un point de vue extérieur, quelque chose vola en éclat au sein de son propre corps. La souffrance était physique. C'était comme regarder la porte se fermer sur une partie d'elle-même. Parce qu'Eren emmenait bien avec lui tout ce qu'elle lui avait confié, ce que personne d'autre ne saurait jamais. Il partait avec des souvenirs d'elle qui ne lui semblait même pas importants, qu'elle aurait préféré garder si elle avait su que tout se finirait ainsi.
À bout de nerfs, Ophelia se laissa tomber au bout du lit et prit sa tête entre ses mains. Il allait forcément revenir, tout ça n'était qu'une mauvaise blague. Ce n'était même pas cohérent ! Il devait y avoir une explication. Une main glissa jusqu'à ses cheveux et tira dessus sans qu'elle n'en ressente la douleur, trop préoccupée pour ça.
— Qu'est-ce que j'ai fait ? souffla-t-elle en secouant la tête, incapable de comprendre ce revirement de situation.
Un miaulement lui répondit. Épuisée, la jeune femme tourna la tête en direction de l'animal qui venait d'avancer jusqu'à elle pour la toiser en silence.
— Qu'est-ce que tu veux ?
En guise de réponse, le chat frotta sa tête contre son bras et se mit à ronronner. Ophelia tenta vainement d'afficher un sourire et ne prit pas la peine de rattraper la larme qui lui échappa.
— T'es vraiment mon dernier ami, rit-elle piteusement tout en passant sa main dans son pelage blanc. Bon sang, qu'est-ce que je suis censée faire ?
Eren ne reviendrait pas, se mentir là-dessus plus longtemps aurait été ridicule. Il avait été assez clair et n'était pas du genre à faire demi-tour lorsqu'il était lancé. Il avait forcément un plan, une stratégie qui n'impliquait que lui. De toute évidence, il n'avait jamais prévu de garder ce lien qui s'était créé entre eux. Une perte temps.
Tant pis, elle ferait les choses de son côté elle aussi. Mais puisqu'elle ne pouvait pas aller retrouver ceux du Bataillon d'Exploration sous peine d'être prise pour une traîtresse de ce côté-là aussi, il ne lui restait qu'une seule option qu'elle avait jusque-là mise de côté par envie de rester aux côtés d'Eren, de trouver un plan qu'ils auraient pu mettre en place en s'entraidant.
Poussant un soupir fatigué, Ophelia reporta son attention sur l'animal et acquiesça à ses propres pensées, l'image des murs de Revelio déjà bien en tête.
— Je vais devoir y retourner.
。・:*:・゚★,。・:*:・゚☆
alors, je sais pas du tout si j'ai réussi à faire ce que je voulais au niveau du rythme du chapitre, mais en tout cas il est assez long 😭
enfin bon, voilà, fallait bien que ce moment arrive 😔
j'aimerais beaucoup avoir vos avis sur ce chapitre, et peut-être des théories pour la suite si vous en avez ? 👀
je dis pas ça pour vous faire peur, mais je trouve que j'ai été vachement gentille avec ophelia depuis quelques temps, donc ça va peut-être changer 😼
je vous dis à bientôt pour la suite!
Zoé
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