Chapitre 2 √
J'ai fait un détour avant de rentrer de la maison et je suis passée chez la famille d'Aiden. Ses parents étaient là, bien que mon petit-ami travaille encore. Il a décroché son boulot en tant qu'ébéniste l'an dernier et assiste tous les jours un vieux monsieur, le gérant de la fabrique. Il finit tard le soir alors j'ai demandé à ses parents s'ils pouvaient le prévenir de ma venue, et de mon besoin de lui parler.
J'ai rencontré Aiden dans un supermarché il y a un peu plus d'un an. À vrai dire, nous nous sommes foncés l'un dans l'autre et il a fait exploser le pot de crème fraîche qu'il tenait dans ses bras sur ma chemise. Mon premier réflexe a été de lui crier dessus, furieuse mais il a réussi à me calmer, me proposant par la suite d'aller boire un verre. Nous sommes donc passés chez moi afin que je puisse me changer et j'ai découvert qu'il habitait dans le quartier. Ensuite, tout s'est enchaîné très vite. On s'envoyait des messages, on se voyait en cachette jusqu'à ce que ma mère découvre notre relation secrète. Elle a été déçue sur le moment de mes cachotteries mais a fini par me pardonner. Plus le temps passe et plus Aiden et moi sommes inséparables, comme deux personnes qui se complètent à la perfection.
Aujourd'hui, cela fait un peu plus d'un an et demi que notre relation dure et c'est toujours autant le coup de foudre, ce que ma mère ne comprend plus depuis une semaine. Jusqu'ici, elle a toujours apprécié Aiden, bien qu'elle soit réservée dès qu'il vient à la maison. Et maintenant, elle s'obstine à vouloir me faire participer à la Sélection pour peut-être avoir une chance d'épouser le prince Kaled.
Mais moi, je n'ai aucune envie de quitter ma vie, ma famille et Aiden pour un simple prince que je ne connais même pas. Il trouvera une fille prête à devenir un pot de fleurs pour lui, mais cette personne ne sera pas moi.
Quant au test, il consiste à évaluer nos aptitudes, notre fertilité, comportement, caractère... afin d'en sélectionner finalement vingt qui vivront durant cinq mois au palais. Chaque femme entre dix-sept et vingt-cinq ans a la possibilité d'y participer. C'est pour cela que Solenn, ma sœur âgée de vingt-deux s'est inscrite.
Tant mieux pour elle, mais je ne la suivrai pas dans cette idée.
— Sarah, on mange ! crie Solenn d'en bas.
Je me lève de mon lit, puis ouvre la porte. Je descends les escaliers tranquillement. Les marches grincent à chaque pas effectué. Cela me fait penser que notre maison s'est assez vieillie avec le temps. Mes parents l'ont achetée après la venue de Solenn au monde avec le reste d'argent qu'ils possédaient.
Peu après ma naissance, notre père est parti. Il voulait des enfants forts et endurants, des fils plus précisément. En s'apercevant qu'il avait eu une deuxième fille et que ma mère ne voulait plus d'enfants, il est allé voir ailleurs, tentant sa chance avec une autre pour obtenir ce qu'il voulait.
Ma mère a par la suite perdu son travail de secrétaire et Solenn et moi avons grandi dans la pauvreté, jusqu'à devenir assez grandes pour pouvoir obtenir un job. J'ai trouvé un petit boulot de caissière dans un supermarché quant à Solenn, elle est devenue boulangère.
J'atteins la salle à manger aussi petite qu'étroite et m'assois à table en face de Solenn. Les étagères recouvertes de poussières me rappellent à quel point nous vivons toujours dans une piteuse misère. Ma mère se vieillit et ma sœur et moi ne gagnons pas assez d'argent. Cette Sélection s'annonce être un rêve éveillé pour nous tous.
— Sarah, tu manges ?
Je suis tirée de mes pensées par la voix inquiète de ma mère. Son assiette est à peine remplie, celle de Solenn l'est moyennement et la mienne, excessivement. J'observe la quantité de pommes de terre dans mon assiette, l'air dégoûtée. Je me priverai pour ma mère.
— C'est gentil de te préoccuper de moi, maman, mais tiens...
Je me lève et verse les pommes de terre dans l'assiette de ma mère qui me fixe, stupéfaite.
— Non Sarah, mange !
— Pas question. Mange à ta faim, maman. Il y a du pain dans la réserve de toute manière.
— Il n'y en a plus, déclare froidement Solenn. Je l'ai vendu en fin d'après-midi.
Je déglutis discrètement en me levant, un sourire crispé au visage.
— Tant pis. Je n'ai plus faim.
— Sarah, reviens ici... Viens manger...
Les ignorant, je quitte la pièce et remonte les escaliers, l'envie de manger m'envahissant brusquement. Je suis une piètre menteuse et mon estomac me le rappelle. Mon ventre se met à gargouiller si fort que j'en rigolerai presque.
Je referme la porte de ma chambre derrière moi puis la verrouille le loquet. Du coup de l'œil, je dévisage la longue masse allongée sur mon lit.
Aiden.
— Je t'ai déjà dit de ne pas faire ça, chuchoté-je. Tu me fais peur.
Aiden se lève et malgré la pénombre, j'arrive à percevoir son sourire.
— Tu as peur de moi ? Ce n'est pas ce que tu disais l'autre jour quand tu jurais m'aimer pour l'éternité...
Il s'approche de moi et je reste le souffle coupé. Il sent terriblement bon et me fait tant d'effet que je reste figée, n'osant plus bouger. Sa présence m'enivre et à chacune de ses venues, la même flamme brûle toujours dans mon cœur. Elle ne s'éteindra jamais et j'en suis persuadée, mon amour pour lui est plus fort que tout.
— Alors, tu m'aimes Sarah ?
Il me pousse contre le mur, ses bras serrant doucement ma taille. Ses lèvres sont tout à coup si proches des miennes et mon cœur s'affole à m'en faire mal à la poitrine.
— Tu connais déjà la réponse.
— Dis-le-moi.
Je relève la tête pour pouvoir plonger mon regard dans le sien.
— Je t'aime, Aiden.
J'ai à peine fini ma phrase que ses lèvres s'écrasent sur les miennes dans un baiser endiablé. Ses bras m'enveloppent telle une barrière réconfortante, sa chaleur m'envahit tout à coup. Sa langue emmêlée à la mienne, son cœur battant tout contre moi, je me laisse emporter dans une tornade d'émotions.
Il me pousse sur le lit d'un geste rapide, puis sa bouche descend dans mon cou.
— Mmh... Aiden...
Je pose ma main sur son torse pour le repousser doucement.
— Je voulais te parler de quelque chose.
Il se résigne à s'allonger à côté de moi en soupirant.
— Je dois aussi te parler, répond-il, son visage redevenant sérieux.
Il évite mon regard et me fait signe de commencer de la tête.
— Ma mère veut que je participe au test, déclaré-je de but en blanc.
Un long silence s'écoule sans qu'aucun de nous deux ne disent quelque chose. Je n'ai pas besoin de préciser de quel test il s'agit, il le sait parfaitement. Tout le monde en parle en ce moment de toute manière, les informations ne font que réitérer les mêmes propos.
— Aiden, dis quelque chose...
Il se contente de m'observer, se racle la gorge puis ajoute à voix basse :
— Je veux que tu y participes aussi.
Je fronce les sourcils, mon cœur s'arrêtant de battre.
— Quoi ?
— Je veux que tu passes ce test.
— Quoi ? Mais non, je...
— Écoute, Sarah, on n'en a jamais vraiment parlé mais regarde la vérité en face : tu ne manges pas, tu es fatiguée, tes cernes sont visibles à des kilomètres et tu t'affaiblis de jour en jour et ce à cause de ton travail qui te prend tout ton temps. Je n'ai pas envie que tu t'en ailles, crois-moi mais laisse-toi au moins une chance de reprendre une vie saine. Je ne te demande pas d'épouser ce fichu prince, de participer à tous les projets dans ce palais, je te demande juste de tenter ta chance pour avoir une vie meilleure le temps de quelques mois.
Je le fixe, éberluée de ses propos. Ce n'est pas le même Aiden que j'ai en face de moi. Jamais il ne m'abandonnerait ou ne me pousserait à m'en aller loin de ma famille ! Il a dû comploter avec ma mère, je ne vois pas autrement.
— Aiden, tu te moques de moi ? Alors on rompt, c'est ça ?
— Écoute-moi. Je veux que tu reprennes des kilos, que tu arrêtes de bosser dix heures par jour pour nourrir ta famille et que tu te rendes comptes de ton état ! Je n'ai pas envie de voir la fille que j'aime autant épuisée, tu peux le comprendre ça ?
-— Mais je vais bien ! Et je t'aime... Je pensais que tu m'aimais.
— Tu ne vas pas bien, Sarah. Ne mens pas. Et je t'aime aussi, c'est pour ça que...
Il ne termine pas sa phrase et se mordille la lèvre, nerveux. Je suis à bout, j'ai envie d'exploser et de l'insulter.
— Finis ta phrase, bon sang !
— C'est pour ça que je dois rompre avec toi.
Je me lève et recule subitement comme si ses propos m'avaient électrisés. Je suis tétanisée. Il ne peut pas être sérieux, il n'a pas le droit de me faire ça. Notre amour était supposé être plus fort que tout et il me pousse littéralement dans les bras d'un autre !
— Je romps avec toi pour ton bien. Si tu m'aimes vraiment, va passer ce test. Si tu l'échoues, tant pis. Si tu le réussis, mange à ta faim, sois heureuse le temps de cinq mois et essaie de rester qualifiée le plus longtemps possible. Mais ne reste pas dans cette situation, ce n'est plus possible Sarah.
Il sourit tristement, se relève puis avance vers ma fenêtre pour s'en aller. Non, mais j'hallucine ! Il va m'abandonner. Mon cœur se serre lorsque je le regarde partir, sans même le retenir.
Je finis par me laisser choir sur mon lit, les larmes coulant à flots sur mes joues. Trop abasourdie pour remettre les choses au clair, je me roule en boule et laisse la tristesse me submerger le temps d'un instant.
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