𝟏𝟗 ¦ 𝐋𝐄 𝐒𝐀𝐍𝐆
𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟏𝟗 ━ 𝟏,𝟔𝐊 𝐦𝐨𝐭𝐬
La Fontaine de Sang, Les Fleurs du Mal,
Cʜᴀʀʟᴇs Bᴀᴜᴅᴇʟᴀɪʀᴇ (1857)
L'appartement de Jean se trouvait sans dessus dessous. Classeurs, carnets, cahiers et feuillets jonchaient les vingt mètres carrés de sol qui le composait. Mais, pour une fois, ce n'était pas spécialement la faute de son locataire aux tendances bordéliques. Le responsable de ce remue-ménage faisait un mètre cinquante cinq, avait de courts cheveux châtains foncés, de grands yeux verts et quelques taches de rousseur. Bref, il s'agissait évidemment de Siméon.
L'adolescent avait découvert, au cours d'une conversation avec son grand frère, que ce dernier s'était déjà rendu chez Jean. L'information avait drôlement intéressé Siméon qui ne demandait qu'à découvrir le petit appartement de l'étudiant en art. Lorsqu'il avait eu vent de sa curiosité, Jean avait aussitôt accepté de lui faire visiter son logis. Aujourd'hui, Siméon avait donc expliqué à sa mère qu'il se rendait chez un ami afin de travailler un exposé. Mais en réalité, Jean l'avait récupéré au coin de la rue pour passer la matinée ensemble.
Depuis qu'il était entré dans son petit appartement, le garçon ouvrait de grands yeux curieux. Il avait d'abord visité les lieux, une activité qui fut rapidement expédiée car Jean n'habitait pas vraiment un manoir. Plus que le mobilier en lui-même, Siméon avait particulièrement aimé tous les dessins qui ornaient une bonne partie des murs (et des portes). Il remarqua également la présence d'un tableau, posé contre sa commode. L'œuvre semblait inachevée, mais il s'agissait vraisemblablement d'un double portrait représentant Jean et une autre personne.
— C'est un cadeau d'anniversaire pour ma mère, expliqua son auteur en notant son intérêt. Je ne l'ai pas encore terminé.
— Tu peints beaucoup sur des toiles ?
— Seulement quand lae modèle en vaut la peine.
Jean ponctua sa phrase d'un clin d'œil. Siméon s'esclaffa en comprenant qu'il venait de se complimenter lui-même, puisqu'il s'était justement peint sur ce tableau.
— Je peux regarder tes carnets ? lui demanda-t-il.
— Bien sûr ! Ce n'est pas ce qui manque ici.
Comme tout bon artiste qui se respectait, Jean possédait une collection faramineuse de ces petits calepins qu'il avait amassé au fil du temps. Beaucoup d'entre eux étaient restés chez sa mère, sous son lit ou au fond de son placard à vêtement. Mais il en avait également une bonne dizaine éparpillés aux quatre coins de son appartement. En plus de carnets à croquis, ses tiroirs abritaient plusieurs classeurs remplis de feuillets volants et d'une grande pochette pour ses travaux les plus volumineux.
Siméon se plongea dans toutes ses productions avec un grand enthousiasme. C'était toujours très enrichissant de découvrir l'univers d'un autre artiste ; encore plus quand il s'agissait de Jean. Siméon s'attachait vite aux gens, alors on le trouvait parfois un peu collant. Mais l'étudiant ne lui avait jamais donné l'impression d'être dérangé par sa présence ; au contraire, il était toujours très gentil avec lui. Aujourd'hui, il acceptait même de le laisser regarder son travail et prenait la peine de lui expliquer tout un tas de choses passionnantes.
— Oh, il est super beau celui-là !
Jean se pencha par-dessus l'épaule de Siméon afin de voir ce qui avait retenu son attention. Le dessin en question était un projet réalisé dans le cadre d'un de ses ateliers pratiques.
— Le thème tournait autour des ombres et de la lumière. On est parti d'une feuille entièrement noircie à la mine de charbon. Il fallait ensuite gommer certaines zones en fonction de l'exposition lumineuse pour faire apparaître le dessin. En plus d'être super long, c'était incroyablement salissant !
L'étudiant lui montra la consigne de l'exercice ainsi que d'autres croquis réalisés avec la même technique.
— Tu as beaucoup d'heures de pratique par semaine ?
— J'ai trois ateliers obligatoires de quatre heures chacun, expliqua Jean. Mais il nous arrive souvent de rester travailler sur nos projets en dehors de ces créneaux horaires. Et je me suis aussi invité dans l'atelier de ta mère, ajouta-t-il en riant. Sinon, ce semestre, j'ai quatre heures d'anglais et deux cours en amphithéâtre : histoire de l'art et théorie des arts.
Encouragé par les yeux brillants de curiosité du plus jeune, Jean s'en alla chercher un épais classeur jaune. À l'intérieur, il y avait rangé tous ses cours dans des pochettes plastiques.
— Je peux t'envoyer ceux de l'année dernière, si tu veux, proposa-t-il. Il y un paquet de trucs barbants, même pour moi, mais d'autres pourraient t'intéresser.
— Vraiment ? s'exclama Siméon. Merci !
Il s'empressa de lui donner son adresse mail afin que l'étudiant puisse lui transférer les fichiers concernés.
— Oh, je peux utiliser tes toilettes ?
Évidement, Jean acquiesça. L'adolescent s'éclipsa dans la toute petite pièce qui n'habitait rien d'autre que ses toilettes et son ballon d'eau chaude. La salle de bain se trouvait juste à côté. Jean appréciait qu'elle soit à part, car cela lui donnait l'illusion d'habiter dans un appartement un peu plus grand.
Les secondes filèrent, et tandis qu'il patientait, le châtain songea que Siméon prenait drôlement son temps. Le plus étrange, c'était que même en tendant l'oreille, Jean n'entendait pas le froissement des vêtements ou du clapotis de l'eau. Cette absence de bruit le fit froncer les sourcils. Après tout, les toilettes n'étaient généralement pas un endroit dans lequel on aimait s'attarder sans raison. Au bout de dix minutes, Jean se dirigea vers la porte contre laquelle il frappa doucement.
— Eh, Siméon ? l'appela-t-il. Ça va ?
Un son étouffé lui parvint, comme si le garçon avait sursauté. La voix qui s'éleva en réponse sembla hésitante.
— J'ai- J'ai un petit problème...
— Comment ça ? s'étonna Jean.
Après un court silence, il entendit le verrou tourner. La porte s'entrouvrit lentement et Jean jeta un coup d'œil prudent à l'intérieur. Siméon était assis sur la lunette des toilettes, les mains crispées sur le bas de son pull pour cacher sa nudité.
— Je crois que j'ai mes règles, souffla-t-il.
La bouche de Jean s'écarta dans un oooh silencieux qui s'étira pendant de longues secondes. Il fut, naturellement, très surpris par l'information qui venait de monter jusqu'à son cerveau et qui le laissa d'abord interdit. Mais au vu de la situation délicate dans laquelle se trouvait son jeune ami, Jean s'extirpa bien vite de cette confusion passagère.
— Est-ce que c'est la première fois ? lui demanda-t-il.
— Oui, bredouilla Siméon. Et j'ai- j'ai taché...
Jean comprit qu'il parlait de son sous-vêtement sur lequel on pouvait distinguer les contours d'une petite forme sombre.
— Eh, c'est pas grave, le rassura-t-il. C'est qu'une tache, d'accord ? Je peux même la nettoyer, si tu préfères.
Siméon releva vers lui un visage étonné.
— Tu- Tu ferais ça ?
Jean acquiesça en souriant. Il avait frotté bon nombre de taches de peinture dans sa vie, alors ce n'était pas trois gouttes de sang qui allaient l'effrayer. D'abord hésitant, Siméon finit par faire glisser son pantalon et son sous-vêtement le long de ses jambes pour lui tendre ce dernier. Dans le lavabo de sa salle de bain, Jean passa le tissu sous l'eau claire avant de recouvrir la tache d'une bonne couche de savon solide. Il la frotta entre ses doigts, la rinça, et répéta l'opération jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucune trace de sang. Son pantalon remonté, Siméon l'observait faire depuis l'encadrement de la porte.
— C'est plus facile de le retirer lorsqu'il n'est pas encore sec, expliqua Jean. Et il faut toujours utiliser de l'eau froide, sinon le sang risque de coaguler.
Il essora le tissu entre ses mains, mais celui-ci restait trempé. Pour le faire sécher plus rapidement, Jean s'arma d'un vieux sèche-cheveux qu'il utilisait parfois lorsqu'il peignait. L'opération prit quelques minutes, mais elle permettrait à Siméon de renfiler le sous-vêtement sans frissonner d'inconfort. Avant qu'il ne s'éclipse à nouveau dans les toilettes, Jean lui tendit un petit paquet emballé.
— Tu as des serviettes chez toi ? s'étonna l'adolescent.
— Annie m'a déjà envoyé lui en acheter en catastrophe. Depuis, j'en garde toujours dans mon sac. Tu devrais faire pareil, ça permet d'éviter les mauvaises surprises.
Lorsque Siméon se fut correctement rhabillé, Jean lui donna quelques serviettes supplémentaires à glisser dans son sac.
— Les premières règles ne sont généralement pas très fortes, alors tu ne devrais pas avoir à la changer avant ce soir. Mais prends-en quand même avec toi, juste au cas où.
L'adolescent hocha la tête et le remercia. Il se sentait beaucoup mieux dans ses vêtements propres, grâce à Jean. Pourtant, ce dernier devina à son regard fuyant et sa posture gauche que quelque chose semblait toujours le tracasser.
— Tu m'en veux pas de ne pas te l'avoir dit plus tôt ?
— Pourquoi je t'en voudrais ?
Jean l'invita à s'asseoir sur le lit avant de poursuivre.
— Je n'avais pas besoin de le savoir, Siméon. C'est ton corps, tes choix. Ça te regarde, toi et personne d'autre, affirma-t-il. Ça ne change pas qui tu es et ça ne changera certainement pas mon regard sur toi. D'accord ?
L'adolescent acquiesça, un léger sourire aux lèvres. Jean put voir ses épaules se relâcher et son corps se décrisper. Il eut un pincement au cœur en songeant que Siméon avait craint sa réaction, même pendant un court moment, mais il ne devait pas le prendre personnellement. Le garçon avait sans doute connu quelques mauvaises expériences par le passé. Le reniflement qu'entendit Jean confirma cette théorie.
— Viens-là, bonhomme.
Il l'attira dans ses bras pour lui donner un câlin digne de ce nom. Aujourd'hui comme hier, Siméon était un garçon. Et peu importait ce qu'il avait ou n'avait pas entre les jambes.
Nᴏᴛᴇ ᴅᴇ Lʏᴀ
Le plot-twist que personne n'a vu venir... mais qui est pourtant prévu depuis le tout début :)
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