𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟏
𔘓
C H A P I T R E 2 1
𔘓
Assise dans la voiture de James Harold, je demeure muette. En quatrième vitesse tout à l’heure, j’ai sauté hors de mon déguisement, enfilé les premiers vêtements que je croisais, fais un bisou à mes animaux et bondit dans ce véhicule.
Le trajet a été aussi court que silencieux. Un instant, je m’imagine que James ne l’a même pas remarqué. Mais il chuchote soudain, dans le silence de la nuit illuminée des lampadaires :
— Comptez-vous me dire ce qu’il vous arrive ?
Je secoue simplement la tête de droite à gauche.
— Bien… soupire-t-il en regardant l’immeuble devant lequel il s’est garé.
Grâce aux vitres teintées et phares éteints, nous passons inaperçus. Attendant je-ne-sais-quoi, nous demeurons ici. Je ne sais même pas pour quelle raison James m’a demandée de venir.
Seulement, je suis bien trop concentrée sur le nom du nouveau suspect des policiers. S. Ralyk…
Quelle vaste blague. Je n’ai jamais eu le moindre contact avec Richard Dumas, sous ce pseudonyme. Je suis demeurée discrète, silencieuse. J’ai même réduit mes activités secrètes, ces derniers temps.
Je n’ai le temps de ruminer plus longtemps que la portière s’ouvre, dans notre dos. Quelqu’un se précipite sur la banquette arrière et lâche :
— C’est bon, je suis là, désolé pour le retard.
J’observe James Harold qui ne se retourne même pas, se contentant d’observer la rue plongée sous les lueurs des lampadaires, devant lui. Mon ventre se noue à cette vision.
Il semble si détaché…
— N’oubliez pas, reprend le nouveau venu de sa voix chevrotante. Je ne suis jamais venu. Si on apprend qu’un commissaire donne des informations sur une enquête en cours…
Un commissaire ? Mes yeux s’écarquillent. Jamais je n’aurais soupçonné que le bras de James soit aussi long.
— Bon, reprend-t-il, sans se soucier du silence de l’homme d’affaires. Mes hommes ont trouvé une pièce secrète, dans le manoir des Dumas. Les empreintes de Richard les recouvraient alors, on suppose qu’il était celui l’ayant… Décorée.
Décorée ? je répète intérieurement en fronçant les sourcils. Le bras du commissaire glisse entre nos deux sièges, donnant un dossier craft à James qui les saisit.
— D’ailleurs, monsieur Harold, évitez les messages textos, la prochaine fois. Même si vous me les envoyez en codes, si les affaires internes voient qu’un proche d’une victime de meurtre me parle en pleine nuit, je risque ma tête…
— Entendu. Je devais simplement vous voir de toute urgence après ce que m’a dit mon ex-femme.
— Je… Je comprends bien, mais…
Il ne termine pas sa phrase. Je suppose que, comme moi, son souffle s’est coupé lorsque le noiraud a ouvert l’enveloppe pour en tirer son contenu. Lequel s’avère être des photographies.
Ses sourcils se froncent face à ces dernières.
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel…, grogne-t-il avant de me tendre un cliché.
Mon cœur fait un bond. Je comprends un peu mieux ce qu’entendait le commissaire par « décoration ».
Un mur semblant venir d’une demeure ancienne, à en juger par sa jonction au plafond faites de moulures et ce même plafond gravés de motifs. Le sol de parquet est traversé d’un tapis onéreux qui n’attire que très vaguement mon attention.
Mes yeux sont irrémédiablement attirés par ce mur. Ou plutôt, ce qui recouvre quasiment entièrement ce dernier.
Photographies, punaises, fils de toutes les couleurs reliant des clichés, des post-it et même un plan… Un pêle-mêle ressemblant à…
— On dirait vos tableaux blancs sur lesquels vous écrivez le déroulé de vos enquêtes, réalise James Harold en faisant glisser les photographies sous ses yeux.
— Car il s’agit d’une enquête. Capitale. Richard Dumas recherchait la véritable identité de S. Ralyk.
Mon cœur tambourine à toute vitesse dans ma poitrine et mes mains se font moites. Peut-être James Harold avait-t-il raison, en fin de compte, peut-être m’avait-t-il abordée pour une raison particulière…
Et s’il était proche du but ? Et s’il m’avait trouvée ?
Je cherche mon visage, sur ce mur. Mon cœur se serre quand je le trouve. Le cliché semble avoir été pris à mon insu. Je marche dans la rue, un tee-shirt flanqué de la tête de Kim Kardashian sur les épaules…
Il l’a prise le jour de mon interview. Il me connaissait depuis des mois déjà lorsqu’il m’a abordée, dans ce restaurant…
— Alors, vous pensez que S. Ralyk est derrière ce meurtre ?
— Tout à fait.
— Vous vous plantez en beauté, lâche James en jetant presque le dossier sur le tableau de bord.
Médusée, je me tourne vers lui. Il pince l’arête de son nez dans un soupir.
— Richard Dumas a toujours eu une obsession débile pour ce journaliste. Il était convaincu qu’il s’agissait d’une femme et avait sans doute un désir vis-à-vis d’elle. Il avait créé une version fantasmée de cette personne dans sa tête mais cela n’a rien à voir avec sa mort.
Je n’avais aucune idée que le blond me connaissait… Ni même que James avait conscience de mon existence.
— Raison de plus ! s’exclame le journaliste avec entrain. Il l’harcèle, S. Ralyk le trouve et le tue !
James secoue la tête.
— Vous n’avez jamais lu d’articles de cette personne. Ce n’est véritablement pas son genre.
Un rire retentit, à l’arrière du véhicule.
— Vous ne voulez pas non plus m’apprendre à faire mon métier ?
— Je suis tentée mais je passerais mon tour, soupire James Harold en tendant une liasse de billets, derrière lui. Fermez derrière vous en partant.
J’entends dans les mouvements secs du commissaire qu’il est furieux, lorsqu’il s’en va. La porte claque avec force et je regarde sa silhouette nous dépasser dans la rue, sans un regard pour nous.
Il regagne le commissariat et je jauge les photographies.
— Ces flics sont complètement débiles, lâche-t-il en allumant un cigare.
La flamme brille, illuminant ses mains, lorsqu’il la place au bout de l’objet. Je détourne les yeux et observe la rue, le ventre noué.
— Je ne savais pas que vous lisiez les articles de S. Ralyk.
— Nous avons tous nos idoles, lâche-t-il avec nonchalance sans remarquer mon sursaut. Tenez… Je parie que vous fantasmez en secret sur un chanteur d’un boysband.
Je ne suis pas d’humeur à rire. Il doit vite le comprendre car un soupir le prend et, fumant son cigare, il lâche simplement :
— L’attrait de l’anonymat… Vous devez comprendre, vous qui êtes friande des œuvres de Crocodile.
— Je ne le suis plus, je tonne abruptement.
Il s’arrête un instant dans ses gestes.
— Je n’apprécie pas de donner de la force à une personne aussi mesquine.
Je sens son regard sur moi que j’ignore, me contentant d’observer un point, au loin.
— Je ne vous comprends pas… Je pensais que le regard des autres vous était sans importance.
— Il l’est…, je lâche, hésitante, avant d’ajouter plus bas, …mais pas le sien.
Il semble surpris. Je ne réagis pas tout de suite. Puis, me laissant m’ouvrir au silence de la nuit, les photographies toujours abandonnées sur mes genoux, je soupire.
Mon portrait, sur ce mur, lié par un fil à celui de James, puis un autre à la chaine télévision où je travaillais, puis encore un autre au journal d’avant…
— Avant, j’étais terrifiée par le regard des autres. Je n’osais rien faire, voulais me terrer dans un trou de souris. Souvent, je regardais des vidéos sur les meilleurs façons d’avoir confiance en moi… Rien ne fonctionnait.
Ma gorge est sèche.
— J’ai décidé d’un nouveau départ. Un journal m’avait embauchée, moi, entre une centaine d’autres candidats ! J’ai vu cela comme un signe… Je voulais devenir celle que je rêvais d’être, une femme douée dans son domaine que le monde appréciait.
Un frisson parcourt mon échine. Il m’écoute calmement.
— Je me souviendrais toujours de mon premier jour… Je m’étais levée en avance, avais médité, fait du sport, mangé sain, choisi une tenue élégante, m’étais maquillée, manucurée, coiffée…
Je ris tristement en me souvenant.
— Et j’avais préparé des pâtisseries. Pour faire bonne impression, pour mes collègues.
Ma gorge se serre.
— Elles les ont accueillies avec un sourire en me disant que j’étais adorable. Le patron m’affirmait que j’étais très prometteuse… Je croyais mon rêve réalisé.
Un soupir me prend. J’ai de la peine pour celle que j’étais, à l’époque, qui n’avait aucune idée de ce dans quoi elle avait mis les pieds.
— Je suis allée aux toilettes. Dans une cabine, j’ai entendu ces mêmes collègues qui m’avaient remerciée se foutre de moi en se demandant si j’étais encore coincée en primaire, à ramener à manger… Le patron m’a demandé de sortir les poubelles et j’ai découvert ce que j’avais préparé, mes pâtisseries, balancées dedans.
Un frisson me prend.
— J’ai voulu me dire que ce n’était pas grave. Mais les choses ont empiré. Chaque matin, j’apprenais qu’une réunion avait eu lieu à laquelle je n’avais pas été conviée, je recevais des mails de l’équipe de communication interne qui informait qu’un évènement était organisé…
Mon estomac se noue.
— Mais mon patron préférait toujours que je reste pour récurer les toilettes ou trier de la paperasse. Il invitait tout le monde au restaurant, sauf moi. Il me donnait des surnoms par rapport à mon physique. Il m’envoyait faire des corvées où je passais pour une conne…
Une larme roule sur ma joue. Je fixe le tableau de bord.
— Je me souviendrais toujours du silver ratio latte… Une boisson qu’il voulait que j’aille chercher à l’autre bout de la ville, avant qu’il n’arrive au bureau. Sinon… « tu seras viré, le petit goret », je l’imite d’une voix faible.
Ma gorge se serre et mes lèvres se pincent.
— Lorsque le barista m’a dit que la boisson n’existait pas, j’ai été tellement terrifiée d’être renvoyée que j’ai insisté et insisté et insisté… Des clients m’ont engueulé parce que je bloquais la file et le barista m’a hurlée dessus que j’étais bouchée… Je suis partie quand le manager a sorti son téléphone pour me filmer, convaincu que je ferais le prochain buzz, sans doute.
Je ris doucement.
— Des épisodes comme celui-là, où je passais pour une conne parce que le patron voulait me faire une blague, j’en ai vécu plein…
Mes mains tremblent.
— Je me sentais comme une merde du soir au matin. Je dormais peu car je devais faire des heures supplémentaires qui n’étaient pas payées et j’étais terrifiée de démissionner et de ne pas retrouver d’emploi… J’avais si peu confiance en moi que je me disais que c’était un miracle d’avoir été prise là-bas et que je ne retrouverais rien.
Ma gorge est serrée mais je parviens à parler. J’apprécie le silence que James observe.
— Ma seule lueur dans mes journées… C’était ce webtoon que je lisais, dans les toilettes, ma boîte à repas sur les genoux, pendant la pause-déjeuner. Avec cette héroïne si forte.
J’observe la rue d’un œil vide.
— Voir cet auteur se moquer de moi… Je sais pas, j’ai eu l’impression de revenir à cette époque où le regard des autres m’importait tellement. Ou je pleurais sans arrêt et déjeunais sur le sol des toilettes.
Le silence prend place, presque solennel. James ne dit rien.
Au bout d’un moment, il perce le voile de notre mutisme d’une voix rauque :
— Je suis sincèrement désolé.
— Vous n’avez rien à vous reprocher, ne vous excusez pas.
Le silence qui s’ensuit me semble étrange, tout en retenu. Comme s’il s ‘efforçait de se taire. L’air est tendu et nous ne bougeons presque plus.
Alors, je chuchote :
— Nichons.
— C’est quoi votre putain de problème ? s’exclame-t-il en se redressant brutalement.
— Ça devenait beaucoup trop sérieux, entre nous.
Il affiche un sourire qu’il tente pourtant de réprimer, sans succès.
— Vous êtes décidément irrécupérable.
J’éclate de rire et il m’imite. Nous nous chamaillons quelques heures dans le calme de cette voiture.
Sans même réaliser que le temps passe.
𔘓
petites révélations
j'espère que ce
chapitre vous aura
plu !!
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