𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓𝟕

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS





















— Du coup, on peut dire que je suis une bête de sexe ?

             Une simple demi-heure s’était écoulée depuis qu’Edward s’était effondré devant les yeux de sa sœur, du sang recouvrant son uniforme déchiré et emmêlant ses cheveux artificiellement blonds. Pourtant, tant de choses s’étaient déroulées depuis cet instant où, le cœur fendu, elle s’était précipitée sur son corps que tous avaient l’impression qu’ils se trouvaient ici depuis des jours.

             Mais tout s’était déroulé relativement rapidement. Le hurlement d’effroi qu’avait poussé la jeune femme en entourant le buste d’Edward de ses bras, le sourire fatigué de celui-ci qui avait tenté, jusqu’au bout, de la rassurer et, surtout, ce qu’il s’était passé juste après.

             Un hoquet de douleur, le faux-blond avait ouvert brutalement la bouche, laissant un filet de sang jaillir de celle-ci et submerger les traits tirés de sa sœur. Et, sans même que celle-ci ne songe à lui demander ce qu’il se passait, un bras l’avait fermement entouré dans une étreinte rassurante, la tirant en arrière.

             Elle avait tenté de se débattre contre cette force. Mais l’homme la tenant alors n’était autre que Levi Ackerman, un être contre qui elle ne faisait pas le poids.

             Alors, hurlant de douleur en voyant la vision du corps de son frère se rapetissir à mesure qu’elle s’en éloignait, sentant ses pieds pendre dans le vide tandis que le noiraud s’envolait en l’entrainant, pleurant à si chaudes larmes qu’elle ne parvenait à voir la raison pour laquelle son frère s’était si soudainement animé, à savoir la seringue plantée dans son épaule, elle avait senti ses forces l’abandonner.

             Et, à l’instant où Levi s’était retourné contre elle, la forçant à poser sa tête sur son pectoral droit et se détourner de la vision de son frère agonisant, une forte vague de chaleur les avait submergés. Eclatante, elle avait brûlé leur rétine à un point tel qu’ils avaient dû fermer les yeux durant de longues secondes, sentant le sol et les maisons autour d’eux s’agiter en un fracas immense.

             Lorsqu’ils les avaient rouverts plus tard, le spectacle s’offrant à eux les avait saisis. Géant, s’élevant dans les airs sur une quinzaine de mètres, une silhouette agile et particulièrement musclée les avait soudain surplombés de toute sa hauteur. Et, face à ces yeux marrons aussi vides que le désespoir, devant ces lèvres charnues dévoilant des dents d’acier, il avait fallu de longues secondes à la jeune femme pour comprendre que le titan qui venait de se transformer était son frère.

             La suite. Elle préférait ne pas y penser, honteuse d’avoir pris la décision de changer autant la vie de l’homme sans même le consulter.

             Lui, en revanche, ne semblait pas le moins du monde touché par la tournure qu’avaient pris les évènements, à en juger par les blagues particulièrement douteuses qu’il proférait au sujet du fait qu’il était le nouveau titan bestial.

— Edward…, le rappela-t-elle à l’ordre d’une voix lasse.

             Assis torse nu sur le haut d’un rempart, entouré de l’escouade Levi et de la sienne, il semblait particulièrement réjoui d’avoir un certain public. Ses jambes étaient habillées d’un drap vert émeraude et des nervures rougeâtres étaient encore visibles sous ses yeux à présent rieurs.

             Le Edward que tous connaissaient était de retour.

— Trop tôt ? demanda-t-il en se tournant vers ses connaissances, cherchant une réponse à sa question.

             Son regard croisa Petra et Auruo, visiblement en train de se disputer en retrait, puis Mikasa penchée sur Eren qui fixait le sol de ses yeux écarquillés. Et, se souvenant du fait qu’il avait avalé Sieg Jäger quelques minutes seulement après que le brun ait appris son lien de parenté avec lui, il réalisa que le jeune homme devait être en état de choc.

— Trop tôt, conclut-il donc tandis que Mikasa posait une main rassurante sur son épaule.

             Ses yeux continuèrent de détailler les alentours et il réalisa bien vite que, même si ses proches étaient éparpillés un peu partout autour de lui, très peu lui prêtait attention. Erd, Gunther et Hanji étaient soigneusement postés devant les titans ligotés et amputés, surveillant leur régénération. Petra et Auruo, se disputant sous le regard visiblement exténué d’Ymir, semblaient avoir trouvé un public. Jean, Sacha, Conny et Marco, de leurs côtés, demandaient à Erwin pour la énième fois en dix minutes si la réussite de cette mission serait fêtée avec de la viande et de l’alcool. Levi, pour sa part, n’était pas visible contrairement à sa moitié qui se trouvait plantée devant son frère.

             Elle dut comprendre ses réflexions intérieures car, tandis que les jeunes recrues attelaient leurs montures aux pieds du mur, elle prit la parole en s’accroupissant à hauteur d’Edward.

— On prépare notre petite balade chez Eren mais on préfère soigner les blessées avant. Autant dire qu’on a pas mal de choses à faire, expliqua-t-elle. Même s’ils sont très contents que t’es survécu.

— Mouais, retorqua-t-il d’une mine boudeuse. J’ai explosé, me suis transformé en titan et ai mangé à homme avant d’exploser encore, il me semble que ça mérite tout de même quelques applaudissements.

— Si je puis me permettre…

— Non tu peux pas, la coupa-t-il avant même qu’elle n’ait fini sa phrase.

             Levant les yeux au ciel, elle asséna un coup de poing à hauteur de l’épaule de son interlocuteur. Celui-ci contracta les dents, faisant semblant de ne rien avoir ressenti mais maudissant intérieurement les séances d’entrainement qu’elle s’infligeait depuis si longtemps et qui lui avait appris à optimiser un maximum sa force.

             Parce que, là, maintenant, le haut de son bras le cuisait.

— C’est Levi que tu devrais remercier et applaudir, continua-t-elle tout de même. Erwin est furieux qu’il est caché l’existence de cette seringue mais elle nous a été d’une grande aide.

— Pourquoi il l’a cachée, d’ailleurs ? demanda Edward en fronçant les sourcils, son index allant se perdre sur l’endroit où le noiraud l’avait piqué, une demi-heure auparavant. C’est pas son genre de ne pas écouter les ordres du major ou de ne pas lui obéir au doigt et à l’œil.

             (T/P) haussa les épaules, ne sachant vraiment quoi rétorquer. Il est vrai que le seul qui n’avait jamais pu apaiser la hargne destructrice de Levi était le blond. Le noiraud lui obéissait, s’inquiétait pour lui. A un point même qu’elle avait longtemps été convaincue — jusqu’à découvrir l’existence de ce lien spécial de soumission naissant chez les Ackerman — qu’il était amoureux de l’homme. Elle s’était même sentie légèrement peinée pour le caporal en songeant que ses sentiments n’étaient décidément pas réciproques.

             Mais, aujourd’hui, elle savait la vérité sur l’attachement du noiraud à Smith. Elle comprenait pourquoi il avait donné l’impression de l’aimer et à un point tellement plus prononcé que le blond envers lui. Parce que ce n’était pas de l’amour. Loin de là. Une amitié était née entre eux par la suite mais le ciment et la naissance de cette relation étaient quelque chose de bien moins naturel. Un simple artifice aux allures réelles.

             Un lien insurmontable et incassable.

             Alors comment expliqué que le noiraud semblait réussir à s’en détourner ? Peut-être était-ce le même phénomène qui avait poussé Dan à trahir son père ? Quelque chose en lui, comme vestige d’une autre vie, semblait reconnaitre en la jeune Bosuard une amie digne de cette loyauté immense qu’offrait le lien Ackerman et il l’avait donc désignée comme nouvelle bénéficiaire de ce pacte, se détournant de son père.

             Était-ce que Levi faisait ?

             Edward en était convaincu. Il voulait juste pousser la femme à laquelle le noiraud s’était plié de lui-même à le comprendre.

— Je ne sais pas pourquoi il a fait ça, rétorqua-t-elle. Jean m’a fait comprendre qu’ils ne s’entendent plus très bien depuis l’épisode de la caverne Reiss. Quelques… regards particuliers auraient été échangés lorsqu’ils se rendaient à Orvud.

— Leur relation semble s’être dégradée, on dirait, commenta-t-il d’une voix légère, faisant mine de ne rien avoir en tête.

             Il inclina légèrement son crâne sur le côté, poussant sa joue avec sa langue avant de chantonner distraitement :

— Comme c’est étrange…

             Aussitôt, la jeune femme se tourna vers son frère, les yeux plissés. Ce ton faussement, ignorant, elle le connaissait bien.

             Il lui cachait quelque chose.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle simplement, cherchant à en savoir plus.

             Il fit mine de ne pas comprendre, écarquillant exagérément les yeux tandis que l’air froid se plaquait sur son torse frissonnant. Elle saisit une autre couverture derrière elle et la jeta sur les épaules de son fraternel sans rompre un seul instant leur contact visuel.

             Qui croyait-il duper ? Elle le connaissait depuis bien trop longtemps maintenant pour qu’il puisse espérer l’avoir de cette manière.

— Edward, l’appela-t-elle fermement.

             Il ouvrit la bouche, prêt à se défendre. Mais, en croisant le regard froid et sévère de sa sœur, réalisa qu’il valait encore mieux qu’il mette carte sur table. Elle était loin d’être dupe, avait faim et froid. Mieux valait ne pas l’agacer.

             Surtout quand il voyait le pli sous ses yeux montrant sa grande fatigue.

— Erwin est le premier à avoir pu soumettre Levi et cela à éveiller son instinct, ce lien Ackerman. Le procédé devait être violent. Il ne s’agit pas d’une entente entre un homme et un autre mais bien d’une soumission et il fallait que Levi le ressente comme tel pour ce lien s’éveille, commença-t-il. Dans les bas-fonds, il a du tomber sur plein de personnes qui lui ont dit de fermer sa gueule et de déguerpir mais cela n’a pas suffit à éveiller ce lien, il fallait un acte vraiment brutal pour que cela se produise et disons que leur première interaction l’a été.

             La jeune femme fronça les sourcils en acquiesçant, signifiant à son frère qu’elle comprenait ce qu’il disait. Levi s’était soumis à Erwin car celui-ci avait fait preuve d’une certaine violence avec lui la première fois qu’ils s’étaient rencontrés.

— Eren n’a jamais levé la main sur Mikasa mais le rapport relatant de leur première rencontre évoque la violence avec laquelle il lui aurait hurlé dessus en lui ordonnant de se battre, expliqua-t-il. Son instinct a alors été de se soumettre.

             Il poursuivit.

— Au cours d’un interrogatoire, Dan m’a avoué que son père le battait. Et la première fois qu’il l’a emmené chez lui après son adoption, il lui a ordonné de ranger sa librairie en le trainant par les cheveux jusqu’aux étagères. Encore une fois, nous décelons la présence de violence. Pour ce qui est de Kenny, c’est plus compliqué… Disons que je pense qu’il a tout de suite rencontré la personne qui lui fallait.

             Elle ne prêta même pas attention à la dernière phrase d’Edward, concentré sur ce qu’il venait de lui révéler à propos de l’homme caché derrière la mort de ses parents, celui qui œuvrait pour le roi et avait tout fait pour que sa mère — qui avait le même pouvoir qu’elle — ne révèle pas la vérité sur les titans et leur lien au roi.

Connard, songea-t-elle simplement en se rappelant de la douleur sur le visage de Dan lorsqu’il avait appris ses origines, mais aussi du soulagement qui lui avait déclaré éprouvé en découvrant l’existence de ce lien de soumission. Car, jusque-là, il se sentait perdu avec ses sentiments, ne comprenant pas pourquoi il aimait tant son père malgré ses actes.

             Alors elle l’avait apaisé en lui expliquant la vérité.

— Pourtant, même si la loyauté ackermanienne semble venir de la violence, Dan s’en est remis à cette enfant qu’il n’a même pas encore rencontré, expliqua-t-il.

— Je ne sais pas s’il s’en est remis à elle, s’opposa-t-elle. Et il connait la vérité sur le lien, contrairement à Levi.

— S’il a renoncé à la tuer, c’est qui s’en ai remis à elle, affirma-t-il.

             Elle fronça les sourcils.

— Comment est-ce possible ? demanda-t-elle, abasourdie. Le lien Ackerman est très puissant, comment la première inconnue venue pourrait…

— J’ai une théorie, la coupa-t-il. Une théorie sur le lien des Ackerman, sur le fait que n’importe qui se montrant violent envers eux puisse le manifester.

— Je t’écoute, l’encouragea-t-elle, se sentant perdue par toutes ces explications.

             Il marqua une pause, se demandant comment il pouvait amener le sujet.

— En se montrant violent, même sans le faire exprès, avec Dan, Mikasa et Levi, les bénéficiaires de leur lien ont ainsi pu exploiter leurs capacités sous condition. Ils n’étaient pas autonomes, obéissait à une autorité spécifique, expliqua-t-il. Seulement Dan et Levi se sont visiblement émancipés de ces personnes puisqu’il a décidé de s’évader de prison en apprenant l’existence de Bosuard et que Levi a caché cette seringue.

             Elle fronça les sourcils.

— Je ne vois pas où tu veux en venir, admit-elle.

             Il poussa un faible soupir, se penchant légèrement en avant.

— Tu m’as bien dit que tu sentais une connexion étrange entre vous ? Qu’il te semblait familier parfois ou juste être quelqu’un dont tu avais besoin ? Comme un sentiment d’être connectée à lui ?

— Non, je ne te l’ai pas dit, s’indigna-t-elle, mal à l’aise à l’idée que le blond en sache autant.

— T’étais ivre, expliqua-t-il.

             Ouvrant légèrement les lèvres, elle haussa les sourcils. Si elle ne se souvenait même pas s’être confiée à son frère, à qui d’autres était-elle partie expliquer ses sentiments pour le noiraud ? Cela ne la mettait pas bien à l’aise.

             Mais ce n’était pas le moment de songer à cela.

             Edward prit de nouveau une profonde inspiration, vérifiant d’un bref regard autour de lui que personne ne l’écoutait avant de poursuivre :

— Je croix que le lien Ackerman peut être déclenché par n’importe qui se montrant violent mais que ce rapport de soumission n’est pas une fatalité en soit. J’ai trouvé des parchemins expliquant l’existence d’un clan génétiquement modifié afin de créer des supers-soldats et je pense qu’il s’agit des Ackerman. Ayant été créés pour servir les rois, ils devaient se soumettre à une figure d’autorité et une partie d’eux a donc été façonné dans cet objectif, ce qui est le lien Ackerman.

             Il marqua une brève pause.

— Mais les recherches ont été abandonnées après qu’une étrange mutation ait été observée chez six membres différents de ce clan, la dernière étant une femme du nom de Kuchel qui vivait dans les bas-fonds, expliqua-t-il, ignorant délibérément le spasme qui prit sa sœur lorsqu’elle entendit le nom de la mère de Levi. Elle était soumise à son maquereau, l’homme qui la « manageait » en tant que prostitué. Elle lui a obéit au doigt et à l’œil, agissant pour lui, jusqu’à la naissance de son fils.

             La jeune femme se redressa brutalement. Alors Kuchel s’était aussi émancipée de son lien ? En se tournant vers Levi ?

— Les derniers parchemins que j’ai trouvés sur les Ackerman ne parlent que de cette mutation, ajouta Edward. Il serait possible pour les Ackerman de s’émanciper en choisissant d’eux-mêmes un nouveau référant, quelqu’un qui ne les contrôle pas mais à qui ils sont loyaux. Il ne s’agit plus d’esclaves contrôlés par leur maitre mais de gardiens choisissant d’aider leur protégé.

             Elle écarquilla les yeux, comprenant peu à peu ses dires.

— Ils appelaient cette mutation « la loyauté véritable ». Celle qui permet réellement d’exploiter au maximum les capacités des Ackerman. Leurs pleins pouvoirs sans aucune barrière. La liberté, expliqua-t-il. Ce que voit Dan en Bosuard ou Levi en…

             Il marqua une brève pause, voyant les yeux de la jeune femme s’écarquiller.

— Et bien… En toi.

             La nouvelle la percuta de plein fouet, ébranlant son cœur qui cessa de battre le temps d’un instant. Ses entrailles se soulevèrent, elle ne savait quoi répondre. La bouche entrouverte, aucune pensée ne traversait même son esprit bloqué depuis ces révélations.

             Trop d’informations. Trop d’émotions.

             Elle ne savait comment réagir. Elle ne savait même pas si elle était en mesure de réagir.

             Trop de choses s’étaient passées en trop peu de temps. La nouvelle nature d’Edward. La réussite de la mission. Le lien Ackerman. La loyauté véritable. Levi.

             Son frère ne dit rien, se contentant de la dévisager tandis qu’elle se mettait à respirer bruyamment, regardant partout autour d’elle sans ne rien parvenir à voir. Une pause. Elle avait besoin d’une pause. Non. Elle avait besoin de lui. De Levi.

             Mais où était-il, bon sang ?

             Accroupie, elle se releva en tremblant. Il n’y avait pas que le flot dangereux de ces nouvelles la saisissant. Non. Là, tapis au fond d’elle, autre chose s’éveillait. Comme la morsure d’une gêne lointaine grandissant à mesure que le temps passait.

             Debout sur ses jambes, elle demeurait voûtée, comme peinant à supporter son propre poids. A ses pieds, Edward leva la tête vers elle, songeant à la laisser seule un moment avec ses émotions, histoire qu’elle y fasse le tri. Mais son sang ne fit qu’un tour lorsqu’il remarqua la lueur rouge flamboyante de ses yeux.

             Ses iris s’étaient illuminées, traversées de volutes écarlates qui se mouvaient autour de ses pupilles, illuminant avec force son regard d’une lueur sanglante. Des larmes vinrent baigner celui-ci tandis qu’elle accrochait le regard de son frère avec ardeur, réalisant que quelque chose se produisait en elle.

             Se relevant d’un geste souple et rapide, il jeta un regard derrière lui. Les prisonniers se trouvaient plus loin, rangés derrière Eren et Ymir, chacun posté à côté d’une personne spécifique. Et lui-même se trouvait juste devant sa sœur.

             Cette dernière se mit à trembler violemment, ses jambes arquées semblant lutter pour ne pas s’effondrer.

— Putain de merde, souffla-t-il en s’éloignant d’un pas de la jeune femme. Comment j’ai fait pour ne pas y penser !?

             Tremblante, elle n’eut la force de le suivre des yeux lorsqu’il recula. Elle craignait qu’en levant la tête, elle ne rompe son équilibre et s’effondre au sol. Elle le sentait déjà précaire.

             Que se passait-il ? Où était Levi ? Une brûlure dense lui déchirait l’estomac, remontant jusqu’à son œsophage et l’empêchant de réfléchir correctement. Elle avait mal. Atrocement mal.

             Et ses rares pensées étaient rivées sur le visage du caporal absent.

Emeraude ? Tout va bien ? résonna la voix inquiète d’Eren au loin.

             Elle ne pouvait le voir, engloutie par sa douleur, mais tous sur le mur s’étaient tournés vers elle, leurs regards attirés par Edward qui marchait à reculons pour s’éloigner d’elle et l’intense chaleur qui émanait de sa personne.

             Inquiet, le titan assaillant fit un pas en direction de la jeune femme, souhaitant l’aider. Mais, le saisissant brutalement par le bras, le faux-blond le contraint à garder sa position.

             Avant qu’il ne proteste, il s’expliqua :

— Quasiment tous les titans primordiaux sont à moins de dix mètres d’elle, je crois que ça déclenche son lien au Chemin sans qu’elle le veuille et que c’est extrêmement douloureux, expliqua-t-il en voyant la lueur rouge embuant les yeux de sa sœur encore debout à quelques mètres de lui. Tout ce qu’on peut faire pour elle c’est se casser.

             Il n’eut le temps de répliquer qu’il la vit tomber à genoux, ses bras refermés sur son ventre tandis qu’elle tremblait violemment, son front se collant au sol puisqu’elle ne parvenait même plus à soutenir le poids de sa propre tête. Edward promena son regard aux alentours, cherchant Levi. Elle savait qu’il était la seule personne qui pourrait l’apaiser.

             Seule sur le haut du mur, ses amis s’étant tellement écartées qu’un périmètre de vingt mètres existait autour d’elle, elle ne parvenait plus à penser correctement. Ses yeux étaient clos, son nez ne sentait aucune odeur, le goût du sang avait déserté sa bouche, elle n’entendait plus rien ni ne ressentait quoi que ce soit sur sa peau.

             Comme isolée du monde.

             Soudain, mouvant quelque peu sur ses genoux, elle sentit ceux-là s’enfoncer dans le sol devenu chaud. Et, fronçant les sourcils, mis quelques secondes à identifier cette sensation familière. Du sable. Elle se trouvait sur du sable.

             La présence de tous ces titans à côté d’elle l’avait fait basculée dans le Chemin. Là où Armin était censé être piégé à jamais. Armin. Ses pensées s’arrêtèrent sur le blond un instant. La dernière fois qu’ils s’étaient vus, il lui avait assuré qu’elle ne pourrait plus revenir dans le Chemin et qu’elle devait donc l’y abandonner.

             Mais elle y était maintenant. Et cela signifiait que lui aussi.

             Immédiatement, elle se redressa. Ses paupières s’ouvrirent alors brutalement tandis qu’elle essayait de se relever. Mais ses gestes furent brutalement entravés. Ses poignets demeurèrent collés l’un à l’autre à hauteur de ses chevilles, dans son dos.

             Etrange. Elle n’avait pourtant pas souvenir d’avoir adopté cette position.

             Parcourant l’horizon autour d’elle, elle tenta de trouver le garçon. Mais, avec un frisson de désespoir, réalisa qu’elle ne voyait rien. Point de nuit étoilée. De douce brise. De sable chaud. Juste du néant.

— O… Où…, commença-t-elle d’une voix tremblante, tentant de se débattre contre ce qu’elle devinait être des chaines à ses mollets et poignets.

— Les rôles sont inversés, on dirait, résonna une voix douce qu’elle aurait reconnue entre mille.

             Armin.

             Aussitôt, ses yeux aveugles s’écarquillèrent et une bouffée de soulagement la pris. Il était là. Tout prêt. Partout autour d’elle. Comme si sa voix l’entourait entièrement.

— Tu es là ! s’exclama-t-elle avec un large sourire. J’ai réussi à revenir te voir ! Je suis dans le Chemin !

— Pas exactement, répondit-il de cette voix toujours vrombissante mais douce.

             Elle fronça les sourcils, continuant de promener ses yeux autour d’elle malgré sa cécité, espérant y voir quelque chose.

— Je suis dans le Chemin. Toi, tu es dans ma tête, expliqua-t-il.

— Quoi ? rétorqua-t-elle aussitôt, quelque peu saisie par cette déclaration.

             Dans sa… tête ? Mais de quoi parlait-il ? Elle commençait à se sentir submerger par le flot ahurissant de nouvelles s’étant abattues sur elle aujourd’hui.

— La présence des titans primordiaux autour de toi a éveillé ton instinct et tu as essayé de te connecter à tous les titans autour de toi, expliqua-t-il. Naturellement, tu t’es liée à moi. Tu es la Gardienne, tu es censée nous protéger. Alors tu as dû ressentir ma détresse et tenté inconsciemment de me secourir.

             Il avait terminé son propos d’une voix plus basse, moins audible. Comme s’il avait honte de ce qu’il ressentait. Il avait voulu se sacrifier pour eux. Mais il se sentait à présent embarrassé de le regretter.

             Mais elle se fichait éperdument de son embarras. Une promesse était une promesse.

             Ils rentreraient tous à la maison ou ne rentreraient pas.

— Je vais te sortir d’ici, rétorqua-t-elle d’une voix ferme.

— Non ! répondit aussitôt Armin. Tu ne te rends pas compte du choc que ça leur fera si je reviens. Le monde entier se souviendra de…

             Aussitôt, elle se raidit. Les traits de son visage retombèrent tandis que le brutal sentiment qui venait de s’emparer d’elle et que le blond avait ressenti aussi l’avait poussé à se couper en plein milieu de sa phrase.

             Car elle avait compris.

             Et elle était en colère.

— Armin, espèce d’imbécile…, soupira-t-elle en sentant les chaines à ses poignets — ou plutôt aux poignets d’Armin dans le corps de qui elle était — cisailler sa peau.

             Elle le sentit déglutir. Elle ressentait tout, étant dans sa tête et même ses os. Alors il avait vécu ainsi, durant tout ce temps passé dans son crâne ? Toutes ses années ? Ressentant le monde extérieur par son biais ?

— Je…, commença-t-il, tentant de se défendre.

— Comment as-tu pu faire ça ? insista-t-elle, abasourdie.

— Il le fallait ! rétorqua-t-il aussitôt d’une voix rendue particulièrement aigue par l’émotion. Quelqu’un devait s’assurer que vous pouviez avoir cette deuxième chance ! Qui sait ce qu’il se passerait si vous vous souveniez de…

             Il s’interrompit vite. Même si elle en savait plus que les autres sur les titans, la jeune femme n’avait tout de même aucune connaissance quant à leur passé et leur vie antérieure. Il ne pouvait pas la brusquer de la sorte en lui révélant la vérité d’une traite.

             Elle, de son côté, pensait à autre chose.

— Tu sais comment sortir d’ici…, prononça-t-elle à haute voix à mesure qu’elle prenait conscience de la réalité. Tu n’as jamais été prisonnier, tu as toujours su comment sortir du Chemin… Mais tu es resté, tu t’es sacrifié… Tu aurais pu regagner ta liberté mais tu as toujours…

— On ne sait pas ce qu’il se passera si je reviens ! rétorqua-t-il d’une voix paniquée. Est-ce que notre deuxième vie sera effacée ? Est-ce que tout le travail qu’on a fait pour sauver l’ancienne escouade Levi et même tous les soldats aujourd’hui restera ? Est-ce qu’on reviendra au moment où je me suis enfermé dans le Chemin, lors du Grand Terrassement ? Est-ce que tu y survivras ?

             Elle l’écouta, le cœur battant. Elle comprenait ses arguments. Il se sacrifiait pour le plus grand nombre. Mais, comme il l’avait si bien dit, en tant que Gardienne du Chemin, elle protégeait les hôtes des titans.

             Alors l’idée qu’il puisse passer l’éternité enchainé de la sorte ne passait pas.

— Tu ne comprends pas, (T/P) ! insista-t-il. Me faire sortir d’ici, prendre le risque d’effacer tout notre travail, ce serait simplement égoïste !

             Elle se raidit. A présent, elle partageait l’esprit ainsi que le corps d’Armin. Ce qui faisait qu’elle aussi pouvait comprendre comment sortir du Chemin.

             Elle resongea à ce terme un instant.

             Egoïste.

             Elle aimait sa sonorité, la façon qu’avaient les syllabes de rouler sur sa langue. Alors sans doute fut-ce pour cette raison que, levant le menton, elle laissa un faible rictus étirer ses lèvres avant de déclarer entre ses dents, ses yeux imbibés de larmes :

— Je n’ai jamais été qu’une sale égoïste, de toute façon.

— (T/P), NON ! hurla-t-il.

             Mais il était trop tard.

             Naissant dans l’abdomen de la jeune femme, la brûlure de tantôt se mua en une véritable flamme. Et, arpentant les parois de son âme, elle s’éleva dans son torse jusqu’à sa gorge, dévorant la retenue qu’elle possédait encore. Sa tête bascula brutalement en arrière tandis que le feu de la rage poursuivait sa route, franchissant le bord de ses lèvre dans un hurlement brutal.

             Long. Presque guttural. Douloureux. Armin songea avec peine qu’il reconnaissait ce son. Cet appel à l’aide. Ce murmure si sonore. Cette signature de l’au-delà.

             La voix des martyrs.

             Et, tandis qu’elle hurlait, dévorant le Chemin sous sa voix, faisant trembler les réalités, déchirant le corps du blond de l’intérieur, il sentait les chaines autour de ses poignets se mettre à chauffer violemment mais ne dit rien. Sa chair meurtrie le cuit douloureusement tant les fers de ses liens devenaient brûlants mais il garda ses lèvres pincées entre elles, s’efforçant de se taire.

             S’il hurlait à son tour, il cèderait à son appel et glisserait vers l’autre monde, le sien, celui auquel il appartenait.

             Il sentit le liquide du métal en fusion recouvrir sa peau, le brûlant si ardemment que des dizaines de larmes s’échouèrent sur ses joues. Le cri de la jeune femme, qui résonnait encore, était si brûlant qu’il avait fait fondre le métal.

             Il sentit son cœur battre trop ardemment. Et, bientôt, réalisant qu’il ne tenait plus, laissa sa tête basculer en arrière tandis que ses liens fondaient sur ses poignets et mollets nus.

             Ses lèvres s’ouvrirent. Il n’eut le temps d’hurler. A peine sa voix franchit-elle sa bouche qu’il se sentit aspirer vers l’arrière, une vive lumière blanchâtre jaillissant de derrière lui.

             Elle avait réussi. Elle le faisait sortir du Chemin.

             La lumière derrière lui devint de plus en plus vive mais il garda ses yeux ancrés sur le néant du Chemin plongé dans l’obscurité. En lui, il sentait le corps de la jeune femme glisser en même temps vers l’autre monde.

             Ses yeux le brûlèrent soudain, la lueur du jour étant trop forte. Contre ses omoplates, le sol dur du mur Maria le fit souffrir légèrement tandis que la prise chaude des bras de la jeune femme autour de son corps l’apaisait.

             Il mit quelques secondes avant de réaliser que le Chemin n’était nul part en vue. Il était entièrement revenu.

             Les cris de ses compagnons au loin qui venaient de le voir arriver, la sensation du vent sur sa peau, la voix du caporal appelant la jeune femme inconsciente autour de lui, le ciel gris devant ses yeux.

             Tout était vrai.














             Il était rentré à la maison.

 


















et bah purée j'en ai mis du temps, sorry !

mais bon je pense que la fin de ce chapitre vous aura plu !

encore mille merci pour les 100k de vues c'est ultra plaisant ! ❤️

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