𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟒
𖤓
ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
▬▬ MARTYRS ▬▬
‣ S03E10
petit spoiler
Assemblés devant le palais royale, les citoyens riaient de bon train en ce jour heureux. Devant eux, la bâtisse allongée ne laissait voir d’elle que quelques-unes de ses colonnes ainsi qu’une toiture pyramidale au centre. Pour cause, devant le lieu se trouvait une gigantesque estrade de bois.
Cette dernière s’élevait sur plusieurs mètres, splendide. Préparée le matin-même pendant qu’Emeraude et Levi discutaient, elle avait été consolidée rapidement afin d’être prête à accueillir ce qui serait sûrement l’évènement majeur de la décennie.
La construction avait été couverte d’un épais tapis rouge foncé qui descendait jusqu’au sol, cachant son armature en bois. Sur le textile se trouvait au milieu un écu vierge, symbolisant l’entièreté de l’armée. Dépassant de celui-ci de façon symétrique, deux épées se faisaient face en haut du bouclier et deux pédales de gaz faisaient de même en bas.
Il avait été brodé dans du fil rouge. Autour du motif se dessinaient trois lignes entourant celui-ci et remontant jusqu’au sommet —dont le sol était invisible pour les gens situés en contrebas. Sur elles se trouvaient à égale distance des écus plus petit mais aussi plus précis représentant chacun Maria, Rose et Sina.
Même si le premier avait été perdu, la façon dont tous s’évertuaient de le compter comme partie de leur territoire était rassurante pour Emeraude. Car elle comptait bien faire partie de ceux qui reconquerrait cet endroit.
Ces broderies étaient donc juste en face du public conséquent qui s’était amassé mais il n’y prêtait pas attention. A l’instar des civiles, Hanji et Emeraude regardaient l’action se déroulant sur l’estrade, un sourire niais aux lèvres.
Reconnaissable par leur blouse vert kaki, les hauts-gradés de l’armée se tenaient debout, mains derrière le dos. Il y en avait en tous six. Deux —dont le major Erwin— se tenaient à gauche de la plateforme, le dos droit face au peuple à un mètre l’un de l’autre. De l’autre côté, gardant cette même position et distance entre eux, trois autres observaient le dernier devant eux.
Daris Zackley se tenait debout, de profil. Dans ses mains et brillante de mille feux, la couronne d’or attirait tous les regards. De loin, Emeraude ne pouvait voir que ses rubis et non ses détails mais elle devina combien elle était onéreuse en un simple coup d’œil.
En face du général-chef, Historia se tenait à genoux. Le buste légèrement avancé pour baisser la tête, elle présentait à Zackley ses longs cheveux blonds noués en une tresse qui faisait le tour de son crâne. Sur son corps et soulignant sa peau diaphane, la longue cape royale rouge dont le sommet était constitué d’une fourrure blanche avait été fermée sur ses épaules.
Face à son regard bleu déterminé et son nez fin, Emeraude se demanda comment elle avait pu douter du fait qu’elle était bien sa véritable souveraine. Car elle avait l’allure d’une chef, d’une reine.
Mais, même si elle savait ce jour heureux, quelque chose la minait. Ses pensées étaient ailleurs depuis la veille. A vrai dire, depuis que le caporal avait mis fin à leur conversation. Elle n’avait cessé de se sentir tracassée depuis.
— Hanji ? interpella-t-elle son amie en se penchant pour couvrir les exclamations de joies des habitants autour.
La concernée, qui avait le bras en écharpe sur ses vêtements de civile, se tourna immédiatement vers son amie, emportant sa queue de cheval touffue dans son geste. Elle jeta un regard attentif à la jeune femme derrière ses lunettes, montrant qu’elle l’écoutait.
— Tu sais si Levi va bien ?
Elle vit les sourcils de la brune se hausser mais n’en dit rien. Bien sûr, elle comprenait que la jeune femme soit abasourdie par une telle question. Elles qui avaient été très proches du temps où l’ancienne escouade existaient s’étaient longuement parlées de différents sujets. Aussi la scientifique n’était-elle pas sans connaitre l’aversion de son amie pour le caporal.
Mais elle avait l’air inquiète et c’était en ce point précis qu’elle était surprise. Comprenant par ailleurs qu’il s’agissait d’une véritable appréhension d’Emeraude, elle décida de ne faire aucune remarque.
— Je peux pas t’aider, dit-elle sans se préoccuper de la scène devant elle, lui montrant qu’elle disposait de toute son attention. Personne sait comment Levi se sent. Pas même Levi, je pense.
Emeraude acquiesça en fronçant légèrement les sourcils, signe que cette réponse ne l’avait pas rassurée. Pour cause, la réponse d’Hanji n’en était pas vraiment une. Mais elle n’avait pas vraiment besoin de mots de la scientifique. Elle savait ce qu’elle avait vu.
Non pas que le caporal était devenu moins capable de dissimuler ses émotions mais plutôt que la jeune femme commençait maintenant à le connaitre assez bien. Quoi qu’il en soit, elle avait appris à intercepter les éclairs les plus fugaces, les ombres les plus vives dans ses yeux quand il parlait. Et c’est avec cela qu’elle venait de se constituer un avis sur la santé mentale de l’homme.
Or, la veille, il lui avait vraiment semblé exténué. A un point qui ne pouvait pas être une pure fatigue corporelle. Non. Il souffrait de l’intérieur et cela l’avait saisit tant —même s’il s’agissait de Levi, celui qui dissimulait toujours ses émotions— cette réalité l’avait frappée.
Après un petit silence entre elles, Hanji reprit pourtant la parole avant de reporter son attention sur Historia :
— Hier, avant que tu te réveilles, il est parti voir Kenny sur son lit de mort. J’ai aussi le sentiment que ça l’a touché, déclara-t-elle.
Emeraude haussa les sourcils. Parlaient-elles du même Kenny ? Celui qui avait essayé de tuer Levi ? Celui dont Dan devait se méfier ? Elle était perplexe. Pourquoi diable le soldat se sentirait-il mal qu’une telle ordure s’éteigne ?
Elle tenta de faire abstraction quelques instants du garçon, se disant que le moment était très mal choisi. Et, en effet, Zackley posa finalement la lourde couronne d’or sur les cheveux de la nouvelle reine, la sacrant.
Aussitôt, comme si les dieux souhaitaient bénir cette action, un puissant rayon de soleil vint plonger sur la blonde, l’illuminant. Lorsqu’elle se leva pour faire face à la population, le poing droit sur le cœur et le bras gauche rangé derrière elle, elle paraissait infiniment plus grande. Comme frappée de sacralité.
Tous autour d’elle se mirent à hurler de joie, ventant ses mérites. Ils lui faisaient confiance : elle avait tué le titan rampant et sauvé sa population. Naturellement, Emeraude sourit aussi face à sa nouvelle reine. Et, comme instinctivement, elle se tourna vers le bas de l’estrade à droite, là où aurait dû se situer Levi.
Seulement, lorsqu’elle constata que sa place était vide, qu’elle remonta les yeux jusqu’à Erwin et le remarqua en train de détailler ce même endroit nerveusement, elle comprit que quelque chose n’allait pas. Elle ne savait pas pourquoi le noiraud n’avait daigné se montrer mais ce n’était pas habituel. Toute son escouade ainsi que celles des autres étaient là.
— J’y vais, reste ici, demanda-t-elle simplement à Hanji.
La brune n’eut pas le temps de répondre que son amie disparut. Eberluée par sa rapidité, elle la chercha quelques instants des yeux avant de se résigner, se disant qu’elle souhaitait sans doute être seule. Ses questions sur Levi n’étaient pas anodines. Elle ne devait pas se sentir au mieux de sa forme.
Là-dessus, en même temps que le reste des habitants, elle leva le poing vaillamment en l’air, accompagnant son geste d’un « vive la reine » sonore. A côté d’elle Henri, son nouvel ami, l’imita en riant fièrement. L’ancienne monarchie ayant eut un lien indirect avec la mort de son père, il était heureux de voir la véritable souveraine reprendre ses droits.
Il avait assisté à toute la scène. C’est pourquoi ils échangèrent un regard complice. Puis, en tirant sur la veste bleu marine de son blazer, il lâcha à la scientifique :
— Attends qu’elle réalise qu’elle est tombée amoureuse du taré qu’est Ackerman, ricana-t-il.
Hanji esquissa un sourire amusé. Elle aussi en était venue à la même conclusion en voyant l’inquiétude que son amie nourrissait envers le caporal sans arrêt. Mais elle savait aussi qu’elle vouait une rancœur telle envers lui que ce sujet ne devait pas être abordé.
La concernée, quelques mètres plus loin dans les couloirs du palais, déambulait en cherchant le moindre signe du noiraud. Elle ne savait pas pourquoi, face à son absence, elle était allée jusqu’à quitter la cérémonie. Elle n’avait fait que suivre son instinct. Ou son cœur.
Elle le trouva assez vite, l’endroit étant désert. Dans un couloir long dont le plafond n’était que des arcades se succédant, il demeurait face au mur de droite composé de fenêtres donnant sur le jardin.
En arrivant dans le lieu, à quelques mètres du noiraud, elle s’arrêta un instant pour observer son profil. Son nez fin pointait droit devant lui et ses mains étaient jointes dans son dos en une posture fière. Son menton relevé et la longueur de ses cils lui donnaient une allure déterminée telle qu’elle en oublia sa taille. Il semblait immense.
Mais elle n’était pas dupe. Il y avait quelque chose dans ses yeux gris. Un tissu immatériel qui couvrait quelque peu son regard, l’embrumait. Elle alla donc à sa rencontre d’un pas lent, ne voulant le surprendre.
— Qui était Kenny Ackerman pour vous ?
Simple. Directe. Il n’aimait pas quand les gens tournaient autour du pot et si elle lui avait posé une question aussi banale que « tout va bien ? », même si elle souhaitait réellement avoir la réponse et ne voulait pas juste faire la conversation, il ne lui aurait sûrement pas répondu. Elle le connaissait assez pour savoir cela.
Il ne sembla pas surpris d’entendre sa voix. Pour cause, ses sens étaient constamment en alerte et il l’avait entendue venir avant même qu’elle ne pénètre le couloir. Il la laissa arriver jusqu’à lui.
Lorsqu’elle se posa à côté de lui et l’imita, promenant son regard profond sur les jardins derrière la vitre, il lui jeta un coup d’œil furtif. Puis, chose qu’il n’aurait fait avec personne d’autre, il n’opposa aucune forme de résistance à cette intrusion si assumée dans son intimité.
— Mon oncle.
Elle ne se raidit pas, ne sursauta pas ni n’écarquilla les yeux. Soit, cette information la surprenait et, malgré leurs noms de famille similaires, jamais elle n’avait soupçonné un tel lien entre eux mais elle ne jugea pas utile de se perdre en de grandes exclamations.
Surtout qu’il risquait de lui en coller une si elle s’amusait à jouer le personnage lyrique.
Elle se contenta d’hocher faiblement la tête, lui montrant qu’elle avait entendu. Il la regarda faire du coin de l’œil, analysant ses traits et expressions.
— J’ai l’impression que vous ne l’avez appris que récemment.
Il n’y avait aucune forme de réflexion derrière l’hypothèse qu’elle venait de formuler. Il ne s’agissait rien de plus qu’une énième démonstration de son instinct peu banale en lequel elle croyait fermement. Et elle avait d’ailleurs raison de le faire.
Il acquiesça faiblement et elle réalisa alors pourquoi, depuis la veille, il se sentait si troublé. Ou plutôt, qu’il laissait davantage paraitre ses sentiments qu’à l’ordinaire. Il avait assisté aux derniers instants de son oncle et avait découvert leur lien sur le lit de mort de ce dernier.
Il y avait de quoi être de mauvaise humeur.
Elle ne dit plus rien, il lui en fut reconnaissant. Il appréciait la présence de la jeune femme et, en cet instant précis, c’était tout ce dont il avait besoin. Elle. Qu’elle se tienne à ses côtés, sans un mot, se contentant d’être le bouclier rassurant en ce moment si inhabituel de vulnérabilité.
Et cela, elle l’avait compris. Alors, sans se regarder l’un l’autre, préférant se concentrer sur le jardin à l’extérieur, ils passèrent quelques minutes dans un silence rassurant. Observant l’écoulement infinie de l’eau de la fontaine brillant sous le soleil, la pierre ouvragée de cette même construction et la symétrie avec laquelle avait été créé le jardin à partir de ce point, ils ne dirent rien.
L’atmosphère n’était pas tendue. Loin de là. Seulement paisible. Ils étaient là. Là où les autres n’étaient plus. Ensemble. Debout. Forts. Et, le temps d’un instant, ils bénéficiaient d’une trêve. D’un moment fugace de calme.
Oui, malgré leur menton relevé et leur dos droit qui montraient que l’armée les suivaient jusque dans leur posture, ils portaient des vêtements de civiles. De loin, il ne ressemblait ni plus ni moins à deux individus lambda admirant les plantes du dehors. Et c’était précisément ce qu’ils souhaitaient être, le temps d’un instant.
Plus de poids de culpabilité sur leurs épaules, de goût amer de la rancœur dans la bouche, du parfum écœurant de la mort dans le nez, des murmures incessants des défunts dans les oreilles et de portrait, par leur absence, de ceux qui n’étaient plus sous les yeux. Non. Aujourd’hui, ils étaient en paix.
Soudain, alors qu’elle profitait un peu plus du paysage, la jeune femme surprit un objet dans son champ de vision. En baissant les yeux, elle constata qu’il s’agissait de la main de Levi. Et son sang se figea dans ses veines lorsqu’elle comprit ce qu’il tenait entre ses cinq doigts.
Son cœur rata un battement avant d’en produire une multitude d’autres à toute allure. Une vague de chaleur la frappa mais un frisson délicieux s’éleva en elle. Pourtant, malgré ce qu’elle sentait être de la sérotonine se répandant dans ses membres, des larmes vinrent mouiller ses yeux.
Sa vision était à présent brouillée mais elle savait ce qu’il se trouvait devant elle et c’était amplement suffisant. A présent affuté et nettoyé, le canif de son frère qu’elle croyait perdu était. De toute évidence, Levi y avait pris soin. Sans doute savait-il qu’il s’agissait de la seule trace que le blond avait laissé à sa sœur.
Par conséquent, en retrouvant cet héritage qu’elle croyait perdu, elle eut bien du mal à contenir son émotion. A plusieurs reprises, elle battit des paupières pour y chasser ses larmes. Vainement.
— Prend-le, murmura-t-il simplement. C’est à toi qu’il l’a donné.
Elle acquiesça en toute hâte, sentant son cœur battre d’autant plus fort. Lorsqu’elle tendit sa main vers celle du noiraud, elle constata à quel point celle-ci tremblait mais aucun des deux n’en fit la remarque. L’émotion parlait, elle ne se contrôlait pas. Il ne servait donc à rien de le souligner.
Lorsque sa peau entra en contact avec celle du caporal, tous deux eurent un très faible tressaillement. Une vague de chaleur s’abattit sur eux tandis qu’une vapeur chaude et agréable se répandait dans leur ventre. Ils s’immobilisèrent durant quelques instants sans oser se regarder.
L’atmosphère s’était nettement alourdie et la tension dans l’air avait monté d’un cran. Debout à une cinquantaine de centimètres l’un de l’autre mais les mains liées par ce contact physique qu’il n’avait pas rompu, ils ne faisaient le moindre mouvement. Comme si au premier souffle, cette construction précaire qu’était leur union s’effondrerait.
Soudain, quelques mètres plus loin, des éclats de voix se firent entendre. Aussitôt, cette intervention extérieure les ramena à la réalité et ils s’écartèrent l’un de l’autre en toute hâte. Prenant le canif, elle regarda par-dessus l’épaule de noiraud pour tenter de camoufler sa gêne.
Il fit de même, souhaitant connaitre l’identité de ceux qui les avait interrompus. Il ne s’agissait de nul autre que son escouade, menée par Historia d’un pas décidé. Ils semblaient tenter de freiner la nouvelle reine dans son action que les deux autres n’avaient pas identifié.
Emeraude se contenta de regarder Bosuard qui, un sourire aux lèvres, tapait dans ses mains en courant à côté d’eux. Elle déglutit péniblement en la voyant faire. Si la fillette était excitée, cela ne présageait rien de bon.
Soudain, elle reporta son attention sur la blonde qui s’était isolée du groupe pour fondre sur Levi d’un pas décidé. Puis, sans préambule et sans doute car elle ne voulait pas se laisser le temps de revenir sur sa décision, celle-ci abattit son poing sur l’épaule du noiraud.
En voyant cela, tous se raidirent en jetant un œil effaré à la reine. Malgré sa couronne, seule la démence pouvait expliquer un tel geste envers le caporal. Ou une pulsion suicidaire.
Seule Emeraude ne sembla pas s’inquiéter. Elle ne savait comment mais elle arrivait maintenant à, non pas anticiper les gestes du caporal, mais isoler ce qui le mettait en colère de ce qui le laissait indifférent. Aussi, elle n’avait plus autant peur de lui qu’auparavant.
Seulement, lorsqu’il éclata d’un rire grave, court et franc, elle tressaillit. Même si elle s’était doutée qu’il ne se mettrait pas en colère, pas une seule seconde elle n’avait anticipé une telle réaction. Jamais elle ne l’avait entendu rire. Mais elle se dit qu’elle appréciait ce son.
Lorsqu’elle se tourna vers lui, tombant sur ses yeux plissés et ses traits détendus, son cœur se mit à battre avec ardeur et ses entrailles se tordirent. Elle ne comprenait rien à la réaction de son corps mais savait que ce qu’elle avait sous les yeux était un paysage aussi rare que beau.
Elle sourit faiblement, tout de même un peu surprise par ses pulsations cardiaques. Mais qu’est-ce qu’il se passe ?
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