𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟑

𖤓

ET DANS LES LARMES DE CEUX QUI
VIVENT, JE LAVE LE SANG DES
MARTYRS

























             La cellule était sombre et poisseuse. Les seules sources de lumières permettant à Emeraude de se repérer dans cette pièce humide étaient les torches accrochées dans le couloir extérieur. Et, celles-ci étant des lumières artificielles, elle n’avait pu compter depuis combien de jours elle se trouvait ici. Mais il lui semblait que cela faisait plusieurs années tant les secondes s’étiraient en ces lieux.

             Malgré la présence de Dan, elle se sentait seule. Des chaines les attachaient solidement au mur derrière eux, les dissuadant de s’approcher même s’ils savaient qu’ils pourraient se toucher s’ils se levaient. De plus, il n’avait murmuré le moindre mot depuis l’arrivée de la jeune femme.

             Assis à l’entrée de la cage, sur le mur de droite, il se taisait. Et elle, cloitrée au fond sur le mur de gauche, ne pipait mot.

             Elle était considérablement affaiblie. Allongée sur ce sol poisseux, sa poitrine se soulevant difficilement, elle réalisait que, malgré ses impressions, il n’avait pas pu se dérouler plusieurs années depuis son arrivée. Non. Sinon elle serait morte.

             Elle savait que le règlement et les lois stipulaient qu’elle devait être nourrie au moins une fois par jour. Mais elle savait aussi que les officiers des brigades spéciales avaient tendance à souvent oublier les textes officiels lorsqu’il s’agissait d’une soldate du bataillon d’exploration.

             Voilà pourquoi il se trouvait à deux pas des portes et elle, loin de celle-ci. L’officier qui devait leur donner les repas en tendait un au noiraud et aucun à la jeune femme, prétextant ne pas avoir le droit de pénétrer dans la cellule. Elle avait bien tenté de s’avancer jusqu’au seuil pour réceptionner elle-même la nourriture mais il l’avait alors braquée de son arme, la défendant de bouger et hurlant qu’elle tentait de l’agresser.

             Alors, allongée sur ce sol poisseux, son ventre gargouillant tandis que ses yeux gonflés fixaient le mur en face d’elle, à côté de Dan, elle patientait. Elle ne savait pas réellement ce qu’elle attendait. La dernière fois que Levi l’avait collée au trou pour insubordination, il avait juré de l’y laisser pour une période d’un mois. Seulement, à ce moment-là, les officiers des bataillons la nourrissaient correctement.

             En revanche, maintenant, si le caporal ne se décidait à revenir qu’après trente jours, il ne trouverait qu’un cadavre décomposé et desséché. Elle ne survivrait pas si longtemps sans nourriture.

             Elle était parvenue à subtiliser la carafe offerte à Dan à chaque fois que celui-ci dormait, ce qui expliquait qu’elle n’était pas déshydratée. Et elle profitait aussi du sommeil de l’homme pour faire ses besoins dans le pot situé à quelques mètres d’elle. Mais la situation n’était tout de même pas des plus confortables.

             Elle était faible, pratiquement incapable de bouger et l’idée de mourir dans une situation aussi ridicule après avoir combattue si vaillamment faillit la faire rire.

— Tiens, prononça une voix grave et ferme à quelques mètres d’elle.

             Le bruit de ferraille crissant contre la pierre attira son attention et elle tourna la tête sans se redresser. Juste à ce moment-là, un plateau contenant un bol de riz sec et une patate cru atterrie devant ses yeux. La soldate ne chercha pas davantage d’explications et se rua sur les aliments, attrapant la pomme de terre qu’elle enfourna dans sa bouche en manquant de s’étouffer.

             Pendant qu’elle mangeait en toute hâte, son codétenu la regardait patiemment. Il était un peu surpris qu’elle ne se soit pas montrée un peu plus réticente à avaler le repas qu’il venait de lui envoyer. Mais, étant donné qu’elle n’avait pas mangé depuis cinq jours, il se doutait que sa fierté était le cadet de ses soucis.

             Tandis qu’elle attrapait des poignées de riz et les enfournait dans sa bouche, des larmes se mirent à couler sur son visage. Après tout ce temps sans utiliser sa gorge, le passage des aliments dedans devait être particulièrement douloureux.

— Ne t’enflammes pas, dit-il d’une voix ferme en l’observant. Je te laisse manger et je t’ai laissé me voler de l’eau juste parce que j’ai pas envie de passer les prochaines semaines à côté d’un cadavre en décomposition.

             A sa grande surprise, il la vit sourire avant qu’elle ne vide la carafe d’eau dans sa bouche, en renversant la moitié sur son cou. Et, en reposant celle-ci au sol dans un claquement sec, elle répondit :

— Dis plutôt que t’as envie de me tuer toi-même et que ce serait la honte de me laisser crever.

             Elle vit le rictus qu’il afficha à cette phrase. Peut-être était-ce le fait d’avoir été forcé à ne voir que le visage de l’autre ces derniers jours ou même le soulagement de pouvoir enfin parler à quelqu’un mais toute trace d’animosité avait aujourd’hui disparue.

             Ils étaient apaisés de se parler. Aussi étrange cela puisse-t-il paraitre, Dan fut même réjoui de voir le plateau à présent vide devant la jeune femme et le sourire rassasié qu’affichait son visage affaibli.

— Mon père se fiche de comment tu meurs, tant que tu meurs, sourit-il.

— Mais toi, qu’est-ce que tu veux ? répondit-elle d’un ton étonnement sérieux.

             Elle vit la surprise qui traversa ses yeux mais n’en dit rien.

— Je veux simplement lui rendre service… Et hommage.

             Volontairement, elle ignora ces deux derniers mots, comprenant que le père adoptif de l’homme avait trouvé la mort mais ne voulant de raisons pour s’attendrir.

— Comment peut-on être autant soumis à la volonté de quelqu’un, soupira-t-elle.

             Elle savait que tous les Ackerman étaient comme cela. A vrai dire, ce soupir, elle le destinait plus à Levi qu’à Dan. Après ce qu’Erwin lui avait fait, la façon dont il l’avait faite se trainer au travers de la base, des chaines aux mains, et terrer dans ce trou, l’idée que le noiraud puisse davantage se vouer au blond qu’à elle faisait naitre un amer sentiment dans son ventre.

             De la jalousie.

— Ce n’est pas de la soumission mais de la reconnaissance, répondit le noiraud à côté d’elle. Il m’a tiré des bas-fonds, m’a donné une éducation et un toit, m’a aimé. Grâce à ses relations avec l’ancien roi, il m’a même permis de devenir le plus jeune chef d’escouade des brigades spéciales.

— Et en échange, il a souhaité que tu assassines une pauvre gamine qui ne le connaissait même pas.

— Une pauvre gamine dont les parents avaient annoncé la chute du mur Maria, répliqua-t-il d’une voix sèche.

             Aussitôt, il se tut, écarquillant les yeux. Mais il en avait trop dit.

             Se redressant de toute sa hauteur, la jeune femme se tourna vers l’homme, abasourdie. Elle l’avait très bien entendu et savait qu’il ne mentait pas. Ses parents avaient annoncé la chute du mur Maria ? Et c’était pour cette raison que Dan avait pour ordre de la tuer, elle ? Mais pourquoi pas Edward, alors ? Et était-ce pour cela que sa mère avait cherché à effacer toute trace de son identité ?

             Elle se raidit. Son frère lui avait confié qu’elle avait hérité d’un don précieux. Que sa mère le lui avait transmis. Et ce même don lui avait permis d’anticiper bien des évènements au cours de sa vie. Alors c’était pour cette raison que Dan et son père voulaient sa mort. Parce qu’elle était capable de voir des choses que d’autres, non.

             Soudain, la phrase que lui avait déclaré son frère, quelques mois avant, lui revint :

« Notre père, pourtant officier de la garnison, est mort avalé par un titan… Ça ne suscite pas ton intérêt ? »

             Ses yeux s’écarquillèrent, laissant couler une larme née suite au choc.

— Tu… Tu as tué mon père ? demanda-t-elle d’une voix étranglée.

             Il tourna les yeux vers elle, visiblement agacé. Il s’en voulait à lui-même d’avoir parlé.

— Non, répondit-il après quelques instants. Mon père s’est fait passer pour un officier de la garnison et l’a poussé de l’autre côté du mur Maria. Tout comme il s’est fait passer pour un officier de la garnison lorsqu’il t’a tiré dessus.

             Emeraude se raidit. La balle qui l’avait frôlée à l’épaule. C’était lui.

— Comment sais-tu qu’il est mort ? Je n’ai pas eu d’informations là-dessus.

             Elle vit les larmes embuer les yeux de Dan. Mais il ne se débattit pas contre l’idée de lui révéler plus de détails. Avec un certain soulagement, elle se dit que le fait d’avoir été séparé de son père pendant plus de deux mois et enfermé dans ce trou l’avait peut-être aidé à fragiliser le lien le soumettant à l’homme.

— Une gamine a été témoin de la scène…, dit-il d’une voix rauque avec un ton trahissant sa honte. Il a essayé de la faire taire sauf qu’elle avait grandi dans les bas-fonds…

             La soldate détourna les yeux. Ce monstre avait essayé de tuer une enfant ? Et, maintenant, celle-ci avait son sang sur les mains ?

— Nous sommes les seuls à savoir ce qu’il s’est passé. Mes collègues qui connaissent le visage de mon père ont tenu à m’annoncer la nouvelle et m’ont donné la déposition de la gosse. Il disait ne pas croire un mot de ce qu’elle avait raconté sur le fit qu’il avait essayé de te tuer mais je sais que c’est vrai, dit-il d’une voix éteinte. Parce que je le connaissais.

             Là, une pensée traversa l’esprit de la jeune femme. Assise contre le mur de roche, ses jambes étendues devant elle, elle ne regarda pas l’homme quand elle demanda d’une voix rauque :

— Est-ce que tu vas la tuer ? En guise de représailles ?

             Il y eut un bref silence. Il semblait hésiter. Se battre avec lui-même. Une partie de lui se révulsait à l’idée de s’en prendre à une enfant. L’autre avait la sensation que ne pas venger son père serait aller contre sa nature même.

             Mais, après les dernières années passées à s’éloigner l’un de l’autre, à ne pas utiliser le poison qu’il avait emmagasiné, il lui semblait que la facette la plus sombre de lui pourrait peut-être finir par s’émanciper. Soit, il voulait encore tuer Emeraude, simplement parce que son père l’avait voulu.

             Seulement venger sa mémoire en assassinant une fillette ne lui avait jamais semblé être le bon choix.

— Elle me rappelle moi…

             Emeraude fronça les sourcils.

— Cette gamine a grandit dans les bas-fonds sous le nom d’André. Elle est parvenue à s’échapper à assumer qui elle était pleinement… Même si le genre qu’on m’a attribué à la naissance me correspondait, il me semble que je n’ai, d’une certaine façon, pas non plus été capable d’être moi-même jusqu’à un point, déclara-t-il faiblement. Alors je la comprends.

             Le cœur de la jeune femme rata un battement. C’était égoïste de sa part mais, voir l’homme comprendre son asservissement et s’émanciper lui donnait de l’espoir face à la situation dans laquelle était Levi. Peut-être, avec un peu de force, parviendrait-elle à le faire se détourner d’Erwin pour la voir, elle ?

             Seulement l’image du regard dégoûté qu’avait posé le caporal sur elle à la mort de Mike lui revint. Non. Il ne tournerait jamais le dos au major. Du moins, pas pour elle. Et elle ne devrait même pas espérer qu’il le fasse alors qu’il l’avait abandonnée dans cette cellule durant la pire épreuve de sa vie.

             Le souvenir de la vie quittant les yeux de Mike la frappa mais elle s’en détourna immédiatement, se concentrant sur Dan qui poursuivit :

— Je vais la trouver mais je ne compte pas la tuer. Si je sors d’ici vivant, je crois qu’après t’avoir assassinée, j’irais l’aider.

             Un maigre sourire étira les lèvres de la soldate.

— C’était presque parfait comme déclaration, commenta-t-elle.

             Il pouffa de rire, glissant un regard presque doux en sa direction. Elle avait beau être sa cible, il ne pouvait pas nier qu’en d’autres circonstances, il aurait sûrement apprécié passer du temps avec elle.

— Et comment s’appelle-t-elle ?

— Elle déclare s’appeler Bosuard, répondit-il avec un faible sourire en repensant au rapport pourtant triste qu’il avait lu.

             Les sourcils de la soldate se froncèrent.

— Bosuard ? Comme le trou du cul qui me sert de collègue ? demanda-t-elle.

— Elle dit qu’elle l’admire, expliqua-t-il.

— Attend mais c’est une déposition ou une biographie qu’elle a fait écrire ? s’interrogea Emeraude, étonnée par la quantité de détails donnés.

— Le greffier a noté absolument tout ce qu’elle disait. Vraiment tout, ne put-t-il s’empêcher de dire avec un sourire. Y compris le moment où elle a annoncé à Nail Dork que, je cite « il ressemble tellement à un cul, on sait jamais quand il est de dos ».

             En entendant cela, la jeune femme éclata d’un rire franc, prise de court. Nail Dork était le plus haut placé parmi les membres des brigades spéciales. Alors, évidemment, à l’écoute d’une telle chose, elle ne pouvait s’empêcher de se dire que cette gamine avait l’air incroyable.

             Et ce fut ainsi qu’après une semaine passée dans un silence complet, deux prisonniers pensant n’avoir rien en commun se mirent à rire de diverses choses, emportés par la sensation grisante d’être extirpés de leur solitude.

             Les répliques s’enchainèrent, parfois ponctuées de pouffements, puis de sourires. Quelques anecdotes furent échangées. Emeraude appris que la dénommée Bosuard avait tellement critiqué le chef de division des brigades spéciales qu’elle avait été enfermée vingt-quatre heures pour outrage à soldat et Dan écouta dans un rire sonore l’anecdote des laboratoires que son frère avait fait exploser.

             Après plusieurs dizaines de minutes, leurs phrases se firent un peu plus rares, le temps qu’ils reprennent leur respiration. Mais l’expression sur leur visage avait changé. Malgré tout ce qui les opposait, dans cette situation si compliquée, ils trouvaient réconfort dans le fait qu’ils n’étaient pas seuls.

— Et donc tu t’es mise à poil ? répondit Dan suite à sa longue explication quant à son rapport pour exhibitionnisme.

— J’avais des chaussures.

             Il leva les yeux au ciel, faussement exaspéré.

— Mais t’étais nue, à part ça, insista-t-il.

— On l’était tous, répondit-elle dans un rire.

— Tout ça pour un défi ?

— Nous sommes courageux, expliqua-t-elle en posant son poing fermé sur son cœur, effectuant un magnifique salut militaire, et adoptant une voix solennelle.

             Un rire franchit les lèvres de l’homme.

— Je pense à Keith qui est tombé à trois heures du matin sur sept imbéciles nus comme des vers au milieu d’un lac gelé à compter qui resterait dedans le plus longtemps.

— Quand je pense que Jean m’a battue de trois maudites secondes, soupira-t-elle, ayant visiblement très mal digéré la défaite. On a dû faire toutes ses corvées durant notre dernière année.

             Ils s’esclaffèrent de nouveau, oubliant les chaines à leurs poignées et les idées les opposant. L’atmosphère était paisible, ils semblaient aller bien.

             Alors, peut-être poussée par le sourire sur le visage de Dan ou l’animosité qui avait déserté ses traits ou même le fait qu’il l’avait aidée à en savoir plus sur elle-même, quelques heures plus tôt, elle déclara soudain :















— Tu es un Ackerman.

 
























bon chapitre pas très intéressant mais nécessaire.

vous inquiétez pas, les choses sérieuses arrivent bientôt.

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