𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟒𝟕
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𝐂 𝐇 𝐀 𝐏 𝐈 𝐓 𝐑 𝐄 𝟒 𝟕
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IL ME SEMBLE que cela fait des heures que je marche, les trois Harpies me surplombant, dans le Désert des Evilans. Je leur fais anormalement confiance, les laissant me guider. Cependant, je sens que la route va être longue.
Un soupir me prend. Podarge fait planer ses ailes au-dessus de moi, me donnant un peu d’ombre. Ocypète et Aello, elles, ne pipent mot, volant silencieusement à mes côtés.
Je pousse un soupir.
— A quoi penses-tu, jeune sephtis ?
— A bien des choses, je réponds lascivement. Jamais je n’aurais ouvert ma porte à cette femme mourante si j’avais su à quoi tout cela me mènerait.
— Si, tu l’aurais fait.
La voix de Podarge est anormalement douce, compréhensive. Je déglutis péniblement, peu à l’aise avec cette vérité.
Mais je crois qu’en effet, je ne l’aurais pas laissée mourir.
— Elle a massacré mon peuple…, je soupire. Dans l’indifférence générale.
— Générale ? Non. Je ne dirais pas cela.
Mon ombre se déplace sur les plaines sablonneuses. Le ciel est bleu, au-dessus de nous. La peau d’Uranus est bien uniforme, en ce jour.
Je me demande ce que le Titan en dit, de là-haut.
— Les Dieux n’ont rien fait.
— Les Dieux ont leurs règles. Afin de garantir la paix dans l’Olympe, chacun s’est attribué un territoire. Ils ne peuvent agir auprès d’un peuple qui n’est pas le leur.
— Lycus dépendait de la juridiction d’Artémis ainsi que le restant des sisnasas, je soupire. Pourquoi n’a-t-elle rien fait ? Il lui aurait suffi d’éliminer Lycus…
Ma gorge se sèche et j’entends ma voix se faire plus aiguë. Décidément, jamais je n’arriverais à mentionner cette époque sans que les sanglots ne montent.
— N’importe quoi, je chuchote. J’aurais accepté n’importe quoi de la part des Dieux.
Une larme roule sur ma joue.
— Sauf cette indifférence.
Mes mains tremblent au bout de mes bras et, malgré la chaleur étouffante, quelques frissons me traversent. Podarge doit me sentir fébrile car elle déclare soudain :
— Il existe une divinité qui a agis, au contraire. Mes sœurs et moi la gardions, à l’époque.
— La garder ? je demande. Une divinité du Tartare ?
Tournant la tête, je vois la crinière châtain d’Ocypète acquiescer. Les deux autres sœurs ne parlent pas mais écoutent en silence notre conversation.
— Tu le connais bien, d’ailleurs.
Mon estomac se noue.
— Ne me dites pas que…
— Penses-tu réellement qu’Hadès a laissé Toji ramener Lycus sans lui faire payer le moindre prix ? demande-t-elle. Non. Notre Seigneur est bon. Il n’est pas cruel.
Surprise d’entendre de telles créatures parler ainsi d’un Dieu, je la laisse néanmoins poursuivre.
— Lorsque Lycus à fomenter son dessein, Artémis a envoyé une vision à la mère d’Egarca Evilans qui l’a faite exécuter. Il s’agissait-là d’une punition divine. Seulement les sisnasas ont ensuite agis, prenant Toji pour cible.
Ma gorge se serre. Je ne savais pas qu’Artémis avait essayé d’empêcher cela. Alors elle ne nous hait pas autant que ce que je croyais…
— Toji avait la faveur d’Hadès alors elles savaient qu’il pourrait lui demander un service. Le chantage est donc arrivé. Les sisnasas l’ont menacé de massacrer les siens s’il ne faisait pas revenir Lycus. C’était son peuple… Ou le tien…
Je le sais. Il me l’a dit. Mais cette histoire pèse toujours lourd, sur mes épaules.
— Il a d’abord refusé. Mais comprenant le danger qu’encourait son fils, il a cédé. Hadès lui a donné le choix. Repartir libre, seul. Ou échanger sa place avec Lycus.
— Alors Toji, contrairement à ce que l’on raconte, n’est pas revenu sur terre comme Orphée aux côtés d’Eurydice ?
Podarge rit doucement.
— Non. Il a simplement pris place dans le septième étage du Tartare, là où nous torturions Lycus… Pour se faire torturer à sa place.
Un frisson me parcourt et ma gorge se serre. Les histoires sur ce dont sont capables les Harpies sont bien nombreuses. Je n’ose même pas imaginer les souffrances qu’il a enduré, là-bas.
Mon ventre se secoue, pris de spasmes inconfortables.
— Hadès, après un certain temps, lui a demandé s’il voulait accéder aux Champs-Elysées, jugeant une punition éternelle trop sévère. Mais Toji a refusé. Il estimait avoir mérité une telle punition. Mais le Seigneur des Ténèbres accorde rarement sa faveur… Et il n’abandonne pas ceux qu’il aime. Encore moins quand ils ont été contraints d’agir d’une façon.
— Pourquoi ne pas avoir simplement tué les sisnasas ? je m’insurge. Et laisser Lycus pourrir en Enfers ?
— Parce que les sisnasas sont les protégées d’Artémis.
— Alors pourquoi Artémis n’a pas réagi ? Je veux dire, elle s’en était déjà prise à Lycus ! Pourquoi pas à ses sbires ?
Podarge ne répond pas. Je ne sais pas si elle refuse de me blesser ou si elle n’a simplement pas de réponses à m’apporter. Cependant, elle demeure silencieuse.
Mon cœur se serre.
— Comment Toji est-t-il devenu l’Ange de la Mort ? je demande après un silence.
Un soupire prend la Harpie.
— Un jour, Hadès a dit à Toji que souffrir pour ce qui s’était produit n’aiderait pas les sephtis. Il a affirmé que le meilleur moyen de vous protéger était d’accepter de consacrer son existence à cela.
— Et il a accepté…, je réalise.
Tout cela ne rend que plus amère le plan qu’il avait échafaudé afin de me sacrifier. Un frisson me parcourt. Malgré ses actions, le fait qu’il ait simplement voulu protéger sa famille me poussait à le pardonner.
Cependant, maintenant, un goût amer se répand dans ma bouche.
— Je…
Je ne sais plus quoi dire. Je ne veux plus rien dire. Le soleil m’épuise ainsi que toutes ces histoires. Je veux simplement rentrer chez moi.
— Je ne veux plus jamais le revoir, je siffle.
— Oh, mais tu le feras. Tu as promis devant les Dieux que tu le traquerais jusqu’en Enfers. Alors tu iras aussi loin que possible pour être à ses côtés, crois-moi.
Un rire amer franchit mes lèvres et je secoue la tête.
— Non. Il prétend vouloir se racheter et part dès que la place devient trop inconfortable… Cet homme ne mérite rien. Pas même ma haine.
Les trois Harpies s’esclaffent d’un même bruit. Un caquètement terrible.
— Tu es comme il te décrivait. Très sûre de toi, même dans l’erreur.
— Ah parce que pendant qu’il me mentait sur le fait de ne pas être l’Ange de la Mort, il vous envoyait des lettres ? Que c’est mignon…
— Oh non, nous n’entretenons pas ce genre de relations. Je parle simplement de nos conversations au Tartare.
Je cesse brutalement de marcher. Les Harpies suspendent leur vol, demeurant statiques dans le ciel. Le soleil m’aveugle, Podarge ayant légèrement avancé et ne me faisant plus de l’ombre.
— Au Tartare ? Avant qu’il soit l’Ange de la Mort ? Mais je ne le connaissais pas.
— Tu tends à oublier que la cérémonie de l’Ash a tout effacé de ta vie d’avant… Mais que tu avais une vie, avant.
Mon cœur se fige quelques instants en une brûlure presque froide. M’étranglant dans mon propre souffle, je frissonne.
Toji m’a connue ? Il connait mon prénom ? Il sait quand je suis née ? Il sait quel est mon âge ? Mon signe ? Ma déité ? Qui sont mes parents ? Où je vivais ?
— Pourquoi ne m’a-t-il jamais dit comment je m’appelais…
— Pourquoi était-t-il si furieux, lorsqu’il t’a vue à la cérémonie de l’Ash, à ton avis ? Le Styx n’efface pas ta mémoire, elle t’efface des mémoires. Tes propres parents t’ont oublié, si tu en avais. Tes amis aussi. Ta famille…
Je secoue la tête.
— Justement ! Cela ne fait aucun sens ! Comment être furieux de m’avoir vu à la cérémonie de l’Ash alors qu’il ne se souvient pas de moi ?
Podarge penche la tête sur le côté, me jaugeant.
— Sa fureur est née quand, parmi le public, il t’a vue sur scène. Il a couru vers l’estrade pour arrêter la cérémonie mais tu avais déjà bu le liquide. Alors, au moment où il a atteint cette fameuse estrade, quelques secondes plus tard… Il ne savait plus qui tu étais. Il était en colère, mais ne savait pas pourquoi.
— Alors il en a naturellement conclut que ce qui l’enrageait était la cérémonie en elle-même et non le fait que tu la subisses, ajoute Ocymète.
Mes sourcils se froncent. Pourtant, bien après cette cérémonie, il a fini au Tartare. Et, selon elles, là-bas, alors qu’il ne se souvenait plus de moi, il a décrit ma personnalité.
Pas le visage d’une femme lors de cette cérémonie, non. Il a parlé de ma façon d’être, comme s’il avait encore bonne mémoire d’un passé commun entre nous.
— Alors comment peut-t-il se souvenir de moi ? je proteste. Comment au Tartare, après que j’ai subis la cérémonie de l’Ash, il pouvait vous parler de moi ? de ma personne, ma façon d’être ?
Mon cœur bat à tout rompre. Je ne me suis jamais sentie aussi nauséeuse. Quelque chose ne va pas dans ces révélations.
Tout d’abord, jamais je n’aurais soupçonné l’avoir connu, dans une vie précédente.
— Seule Aphrodite peut expliquer qu’un fleuve titanesque n’ait pu effacer ton visage de sa mémoire ni quelques bribes de celle que tu étais dans une vie qui n’est plus.
Je frissonne, n’appréciant pas son insinuation. Aphrodite étant la déesse de l’amour, il n’est qu’aisé de comprendre ses paroles.
Et, bien que je n’en sache trop rien, mon ton est étonnamment ferme quand je crache presque :
— Dans cette vie ou celle d’avant, Toji et moi n’avons jamais été amants.
Un autre caquètement retentit. La tête coiffée d’ébène d’Aello se secoue tandis qu’elle rigole. Les yeux saphir de la Harpie se plantent dans les miens tandis qu’elle pouffe bruyamment.
Les deux autres la regardent avec amusement, complices.
— Que trouvez-vous si drôles ? je demande.
Mais elles continuent à piailler sans me regarder. Mes sourcils se froncent. Mes mains se font moites et ma gorge, sèche, cette conversation ne me plait pas.
— Arrêtez ! Je sais que nous n’avons pas été amants ! Et même si nous l’avions été, cela n’a plus d’importance…
Leurs rires redoublent d’intensité.
— Tout cela est très ironique, finalement.
— Aphrodite… Pour eux ? Ils seraient les amants maudits !
— Mais la situation est cocasse, en effet !
Je ne comprends plus rien.
— Mais de quoi parlez-vous, à la fin ? je proteste, hébétée.
Finalement, leurs rires finissent par s’apaiser. Aello pousse un dernier piaillement et Ocypète se pose sur le sol pour prendre du repos.
Podarge, elle, haute dans les airs, m’observe simplement quelques instants. Malgré le soleil, l’ombre que m’offre son corps me permet de correctement la voir.
Elle me détaille, puis finit par déclarer :
— Seule Aphrodite peut expliquer qu’un fleuve titanesque n’ait pu effacer sa mémoire, en effet… Car elle est la déesse de l’amour.
J’acquiesce. Je l’avais saisi.
— Mais qui te dit qu’il s’agissait de l’amour qu’il te vouait, à toi ?
Mes sourcils se froncent.
— A ce que je sache, quand il vivait encore sur ses terres et n’en avait pas été banni, il n’y avait qu’un seul amour dans sa vie.
— La mère de son enfant…, je réalise doucement. Celle pour qui il a fait bâtir un temple en l’honneur d’Hadès.
Mes sourcils se froncent.
— Mais quel est son rapport avec moi ? je m’exclame soudain.
— Et bien le rapport est on-ne-peut-plus simple, commente Podarge.
Ocypète caquète à nouveau avant de lancer :
— C’est toi qui l’as tuée.
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quand je vous dis que
vous n'êtes pas au bout
de vos peines pour la
backstory de (t/p) et
tojiiii
j'espère que ce chapitre
vous a plu ! je voulais
vous remercier de lire
encore cette fanfiction !
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