ℭ𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟖
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JE N’AI PAS dormi, cette nuit. Assis sur mon siège, je n’ai eu de cesse de regarder le doux visage du Forgeron. La belle s’est endormie après quelques baisers échangés avec moi. Le goût de ses lèvres était singulier mais je me suis efforcé de l’ignorer.
Elle est splendide, allongée dans ce lit. Le drap blanc qu’elle tient entre ses bras dénudés ravi sa silhouette. Et lorsqu’elle remue en dormant, ses sourcils se fronçant au rythme d’un rêve effréné, je me laisserais presque à m’allonger à sa droite, laissant ma main trainer le long de sa hanche.
Le peuple est ravi de me voir sans arrêt aux côtés de celle que j’avais présenté comme étant sa reine. Nul ne se doute que la femme avec qui je marche dans les couloirs du château sans rien dire, un silence morne et stérile entre nous, était autrefois un puissant chevalier à présent gavé de potion de polymorphie.
Voilà trois semaines maintenant que la charrette garnie du corps du véritable Forgeron a passé les remparts de mon château. Des nuits que je m’installe en embrassant la joue de Mikasa, déguisée en mon ancienne conseillère. Puis que je me relève sans parvenir à fermer les paupières, m’installant sur le siège.
Elle lui ressemble vraiment, là. Elle lui ressemble tant que l’envie de m’approcher de sa silhouette et enfouir mon visage dans le creux de son cou en lui demandant de me serrer dans ses bras me prend.
Cependant, sitôt ouvre-t-elle les paupières que tout cela s’évanouit. La façon qu’ont ses yeux de s’agiter dans ses orbites, ses sourcils de se froncer, ses lèvres de s’étirer est différente. Ce n’est plus le Forgeron. Simplement son visage.
Alors quand vient la nuit, je profite de ce rare moment de paix et, m’installant dans mon siège, l’observe.
Je me berne moi-même d’illusions, murmurant au creux de mon oreille qu’elle est réelle, qu’elle est revenue, que rien ne s’est jamais produit.
Parfois, je maudis les prophéties. Mais qu’elles soient dites ou non, elles se réalisent toujours. Le Forgeron aurait mené ce Coup d’Etat et je l’aurais enfermée, quoi qu’il advienne. Peut-être ne l’aurait-t-elle pas fait pour recouvrer sa liberté mais dans une tentative stupide de me sauver de moi-même. Ou peut-être ne l’aurais-je pas fait durant une poignée de minutes, simplement pour honorer le contrat magique que j’ai signé auprès de Livai, mais plusieurs décennies.
Je ne trouve de repos que dans l’idée qu’elle soit libre, à présent.
Mais le soupir de sa voix me manque. Lorsque je prononce certaines paroles, mon cœur se serre toujours quand Mikasa y rit au lieu de se contenter d’un regard noir que l’autre aurait privilégié. Mais je me sens aussi nauséeux de faire endurer cela à la noiraude.
Elle ne m’aime pas. Je le sais, je le vois dans sa façon d’agir. Elle ne m’aime pas et veut juste bien faire. Elle a toujours voulu bien faire. Lorsqu’elle s’est engagée dans l’armée, lorsqu’elle a posé genoux à terre pour se faire adouber, lorsqu’elle a trouvé cette potion de polymorphie.
Le clan Ackerman ne façonne que des guerriers alors elle en est devenue un. La société voulait la voir sous les traits d’une dame de la cour mariée alors elle s’est dégotée quelqu’un qui pourrait faire office de fiancé. Avec le temps, il se peut que nos joues aient pris l’habitude de rougir quand nous nous croisions.
Mais elle ne m’aime pas comme j’aime le Forgeron. Et je ne l’aime pas comme j’aime le Forgeron.
— A quoi tu penses ? murmure sa voix à demi-ensommeillée.
Elle affiche un sourire empli de bonheur. Sa main se tend en direction de la mienne et la saisit avant de l’embrasser. Je frémis à ce contact.
Assurément, elle n’est pas le Forgeron.
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— Je vais lui carrer sa tête tellement profondément dans le fondement qu’il pourra dire de la merde au propre comme au figuré !
— C’EST UNE HONTE, D’ENTENDRE CELA !
Une après-midi, alors que nous marchions dans les couloirs du château, le Forgeron a entreprit de me décrire tout ce que je ferais en ma qualité de roi. Lorsqu’elle a évoqué les doléances du peuple, le devoir de les écouter, j’ai bombé fièrement le torse en assurant que ce serait un honneur pour moi que de les entendre. Elle avait alors levé les yeux au ciel en me traitant de nigaud.
Je me souviens avoir été vexée.
A présent, je me traiterais quinze fois de nigaud si cela pouvait me permettre de couper court à la dispute que j’entends présentement.
— Il a mis ma fille enceinte, c’te bestiau ! J’exige réparation !
— Je vais vous réparer quelque chose, v’la q’vous v’s’assierez plus !
Mes yeux roulent dans mes orbites et je pousse un soupir. A ma droite, Mikasa se montre bien plus courtoise. Contrairement à moi, elle n’est pas avachie sur un trône mais debout. Son dos est droit et ses épaules sont reculées. Le menton levé, elle écoute docilement leurs revendications.
La tête enfoncée dans ma main, laquelle est rattachée à mon coude planté dans l’accoudoir, je n’écoute qu’à moitié, somnolent.
— Il suffit.
Sa voix est ferme. Mais elle n’est pas magistrale. Je ne peux pas lui en vouloir.
Elle n’est que l’usurpatrice.
— Lance, vous demanderez à un mage un examen de l’intérieur de votre fille. Si le mage affirme que Raf est le père, il paiera l’examen et le reste. Sinon, vous récolterez cela comme punition pour avoir diffamer un innocent.
Ils acquiescent tous deux, semblant satisfait. Mais ils n’ont le temps de faire une révérence avant de se retirer.
— Minute.
Ma voix résonne avec force dans le hall. Tous deux ont le réflexe de s’immobiliser avant de se tourner dans ma direction. Mikasa fait de même. Les regards convergent en ma direction. J’ai appris à m’y habituer.
— Les examens internes ne doivent pas être faits contre la volonté de la jeune fille. Demandez-lui d’abord si elle veut garder l’enfant. Sinon, vous deux paierez l’élixir d’avortement. Inutile de protester. La punition est juste. Car quel homme vient discuter de l’avenir d’une femme et de son enfant sans convier celle-ci à la conversation ?
Ils échangent un regard penaud.
— C’est bien ce que je pensais. Retirez-vous.
Ils ne songent même pas à protester et reculent. Quant à moi, je ne peux m’empêcher de lancer un regard lourd de reproche à Mikasa. Celle-ci fuit le mien. En voulant se faire aimer du peuple et satisfaire chaque paysan franchissant ces portes, elle en oublie qu’elle doit administrer ce royaume. S’assurer que Lance et Raf soient satisfaits ne signifie pas qu’elle se montre juste.
En l’occurrence, sa décision aurait été cruelle. Soumettre à une femme qu’elle n’a même pas rencontrée un examen nécessitant qu’on insère différents outils et potion dans l’entrejambe d’une femme ? Sans lui demander son accord ?
Comment peut-elle prétendre gouverner ? Un soupir me prend et je me renfrogne.
Pour sûre, elle est une usurpatrice.
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on attend
impatiemment
son retour...
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