🌻 Chapitre 26- La vérité sort de la bouche de Taylor
-Allô Joyce? T'arrives à nous entendre?, me demande Sonia derrière son ordinateur alors que Thiago, à ses côtés, se goinfre de chips.
De mon côté, je fais en sorte que la visibilité de l'écran de mon ordinateur soit le plus net possible.
-Euh, ouais! Attendez deux secondes que je vérifie mon réseau... Okay, c'est bon.
Je m'installe confortablement dans mon siège et Thiago prend la parole.
-Dis donc Joyce, ça fait un bail qu'on s'est plus parlé. Tout va bien?
Face à ça, je ne peux m'empêcher de pincer les lèvres pour cacher ma frustration. Je comptais leur parler de la profonde mélancolie que j'ai ressentie ces derniers temps, et en me posant cette question, Thiago ne m'a pas laissé le temps de m'y préparer comme je le voulais.
Mais au fond de moi, je savais que ce moment arriverait un jour.
Je prends une profonde inspiration.
-Non Thiago. Tout ne va pas bien.
Et là-dessus, je leur raconte tout. Absolument tout. Aussi ce que j'ai appris ainsi que mes impressions là-dessus. J'ai le cœur si lourd que je ne me vois pas cacher quoi que ce soit à mes deux meilleurs amis. Et puis, j'ai le sentiment que ni l'un ni l'autre ne crierait à droite à gauche les problèmes personnels que rencontre l'immense actrice Rosa Jones.
Ça dépend si ça te dérange d'être harcelée de question ou non. Cela dit, tu peux tout aussi bien dire à tes amies de garder ça pour elles.
C'est bien ce que m'a dit Taylor quand je lui ai demandé s'il valait mieux que je fasse connaître ma filiation à Rosa Jones à Summer, Bree et Molly. Cependant, j'ai la conviction que je n'ai pas besoin de faire comprendre à Thiago et Sonia de garder pour eux ce que je leur raconte à son sujet.
Je le sais parce que je leur fais confiance.
Une fois mon récit terminé, j'ajoute:
-Voilà en gros ce qui s'est passé, ces derniers temps. Vous comprenez maintenant pourquoi ça ne va pas fort...
Leur mine grave me fait comprendre qu'ils ont tous deux saisi ce par quoi je suis passée. Il me semble bien que les yeux de Thiago se sont humidifiés.
-Vraiment je sais pas quoi te dire Joyce... Je suis désolé, j'aurais dû le savoir plus tôt...
Je secoue la tête.
-Nan mon vieux, t'as pas à culpabiliser là-dessus. C'est moi qui me suis repliée sur moi-même... Aucun de vous n'auriez pu le savoir.
-Mais... t'en as parlé à ta famille au moins?, me demande Sonia.
Je hoche de nouveau négativement la tête. Penser à ma famille que je n'ai plus contacté depuis un moment fait monter en moi un sentiment de culpabilité.
-Disons que j'étais dans l'optique du "Je dis rien pour pas inquiéter les autres", mais maintenant que je vous en parle, je me rends compte qu'ils doivent s'inquiéter de ouf... Et puis, les appeler voudra dire aussi leur poser des questions dont je ne suis pas sûre de vouloir la réponse.
Les découvertes que j'ai faites récemment ont soulevé pas mal d'interrogations: pourquoi ma famille a-t-elle décidé de m'expédier dans le Wisconsin loin de chez moi? Et chez une tante inconnue mais pas tant que ça, et qui a elle-même beaucoup de soucis personnels? Est-ce que ma famille était au courant de la relation distante qu'entretenaient ma mère et ma tante Rosa? Et d'ailleurs, quel genre de rapports entretiennent-ils avec elle? Après ce qui s'est passé avec l'affaire Letitia, disons que je n'ai plus tellement envie d'entendre des révélations déplaisantes qui me feraient culpabiliser d'être là.
Je n'ai pas besoin de formuler mes pensées à voix haute car je vois dans le visage de mes meilleurs amis qu'ils ont saisi là où je voulais en venir.
-Je peux comprendre, dit Sonia après un moment de silence. Si tu le sens pas, alors poses pas de questions. Mais essaie quand même de les appeler pour leur donner de tes nouvelles.
-Ouais, je vais voir...
-Et s'il y a quoi que ce soit, n'oublie pas que nous sommes là, ajoute Thiago, confiant.
Ces derniers mots me font sourire.
-Oui, bien sûr... j'oublierai pas.
Je regarde rapidement l'heure avant de retourner mon attention vers mes amis.
-Écoutez les gars, cette discussion m'a fait beaucoup de bien... mais je crois que je vais vous quitter. Je voudrais faire un peu de sport et prendre ma douche avant de devoir passer à table.
-Okay pas de souci, me dit Sonia. De toute façon, Thiago devait sortir voir Mary.
-T'étais obligée de balancer ça comme ça, toi?, réplique le concerné, rouge comme une betterave.
Son attitude réussit à me faire rire de bon cœur.
-Tu me raconteras tout, hein, mon cher T.H.O.N.?
-Commence pas avec ça, Miranda!
-C'est pas moi qui ai commencé! C'est Raiponce!
-Tiens, ça faisait longtemps, les petits surnoms débiles, remarque Sonia.
Ça fait longtemps que je n'avais plus ri comme une idiote, c'est clair...
-On se tient au jus, alors?, je demande ensuite.
-Ça marche, répond Sonia.
-Okay... Je vous aime, les gars.
-Nous aussi, espèce de folle, rétorque ensuite Thiago.
***
Cette séance à la salle de sport m'a permis de me défouler comme il le fallait. J'ai eu beau être seule cette fois, ça ne m'a pas empêchée de profiter de cette solitude à bon escient. J'ai pu me concentrer sur rien d'autre que sur mon propre effort physique. En revanche, après une séance de sport productive et un bonne douche, la dernière chose dont j'ai besoin, dans l'immédiat, c'est d'une perturbation intempestive.
Et comme par un curieux hasard, à peine sortie de la salle de bains, j'entends des éclats de voix provenant du hall d'entrée. Ces voix en question étant celles de Taylor et de ma tante Rosa, ça m'intrigue davantage.
Je m'approche doucement des escaliers dans l'espoir de pouvoir entendre ce qui se passe sans être repérée.
-Je t'ai déjà dit de ne pas rentrer aussi tard, gronde Rosa.
-Ah parce que tu te soucies de moi, maintenant?, rétorque Taylor. Grande nouvelle!
-Et je peux savoir où est-ce que tu vas traîner à une heure aussi tardive?
-Qu'est-ce que ça pourrait te faire de toute façon? Tu t'es jamais préoccupée de moi, et ça date pas d'hier! Même avant que... que Letitia...
La voix de Taylor se brise.
-Tu t'es jamais préoccupée de nous, et c'est ce qui l'a perdue.
-C'est faux!
On aurait cru que Rosa se retenait également de pleurer.
-Ah oui?, reprend ma cousine. Tu veux dire que c'est pour ça que tu t'absentes toujours? Et que tu as divorcé de papa? Parce que si mes souvenirs sont bons, lui aussi te disait que tu te focalisais trop sur ton boulot, et t'as même pas été fichue de l'écouter!
-Taylor, je t'interdis...
-Je ne fais que dire la vérité! En réalité, tu ne penses qu'à toi-même. C'est tout ce que tu sais faire. Et la seule raison pour laquelle tu as accepté que Joyce vienne vivre avec nous, c'est pour qu'elle remplace Letitia. Tu n'as pas su être là ni pour elle, ni pour moi, tes propres filles... Et t'imagines que tu pourrais mieux faire avec la fille de ta sœur?!
-Taylor, ça suffit!, rugit ma tante.
Mais ma cousine est à présent lancée, et rien ne semble pouvoir l'arrêter.
-Oh non, je vais continuer, qu'est-ce que tu crois? Tu sais parfaitement que j'ai raison. Tu as été là pour Joyce quand elle allait mal, et encore! C'est moi qui t'ai appelé pour te dire qu'elle ne se sentait pas bien. Et tu sais pourquoi elle ne se sentait pas bien? Justement parce qu'elle a senti qu'elle faisait office de remplaçante à Letitia. Tu crois qu'elle est stupide? On l'a tous compris, nous, Joseph y compris. La seule personne à se voiler la face ici, c'est toi, maman. Si je ne t'avais rien dit à ce propos, tu serais encore en train de faire je-ne-sais-quoi dehors alors que ta propre nièce broierait du noir, et dans ta propre maison! Faire des interviews, jouer dans des films à gros budgets, remplir les salles de cinéma... ça, tu sais faire. Mais par contre, juste te soucier de ce qui se passe chez toi, dans ta famille, ça par contre c'est trop demandé! Tu veux être celle qui a le contrôle sur sa vie et sur celle des autres au point de m'empêcher de voir papa, hein, pas vrai? Et tu veux tellement avoir le contrôle que tu tiens aussi à avoir la garde exclusive de Joyce, je me trompe? En fait, tu es seulement...
Le son d'une gifle me parvient alors et me fait sursauter. J'étais tellement absorbée par la dispute que j'ai l'impression de me réveiller d'un coup. C'est ensuite le cœur battant que je dévale les escaliers, et la scène à laquelle j'assiste me fait l'effet d'une douche froide. Ma tante, vêtue d'une tenue chic, respire bruyamment, comme si elle venait de taper le sprint de sa vie. Son regard traduit une colère et une douleur intérieure que j'arrive sans peine à deviner. Taylor, elle, masse sa joue endolorie. Elle a le visage qui exprime le ressentiment et ses yeux brillent de larmes.
Toutes deux ne semblent pas remarquer ma présence, jusqu'à ce que Rosa me dise d'une voix éraillée:
-T'as tout écouté depuis tout à l'heure, Joyce, hein?
Bah ouais, vu qu'on vous entendait depuis l'étage, et il est fort probable que tout le monde dans cette baraque vous ait entendues vous hurler dessus, ai-je envie de répondre. Mais ne voulant pas ajouter de l'huile sur le feu, je dis simplement:
-Ouais, je sortais de la douche.
Rosa et Taylor se fixent en chien de faïence, ce qui n'est pas sans rappeler la dispute lors de mon premier dîner ici. Rien qu'en y repensant, j'ai l'impression que ça fait une éternité.
-Pour répondre à ta question, maman, fait ma cousine d'une voix grave, j'étais partie voir Austin.
Rosa la fusille du regard.
-Un garçon de la classe populaire, je suppose? Je t'ai pourtant interdit de fréquenter ce genre de personne.
-Ah? Eh bien figure-toi qu'on sort ensemble, lui et moi. Depuis deux ans, très exactement. Encore la preuve que tu ne vois pas ce qui se passe juste sous son nez.
Dire que l'audace de ma cousine me surprend est un très gros euphémisme. Il y a quelques semaines encore, je ne la pensais pas capable de se révolter de la sorte contre sa mère. Je me demande vraiment d'où lui vient cette soudaine assurance. Elle a dû se contenir pendant trop de temps et a dû considérer que c'était la goutte de trop.
Face à ces paroles, le visage de Rosa se déforme d'une rage à faire fuir n'importe qui, mais pas Taylor. Ni moi par la même occasion.
Peut-être que c'est à force de me fréquenter que ma cousine commence à se sentir pousser des ailes. Je n'en sais franchement rien.
-Et toi? Tu ne dis rien?, vocifère ma tante en me regardant d'un air mauvais. T'étais au courant de ça aussi, j'imagine?
Normalement, un tel regard forcerait n'importe qui à baisser les yeux. Au lieu de ça, je fronce les sourcils.
-Ouais, j'étais au courant de ça. Taylor m'a suffisamment fait confiance pour m'en parler alors qu'elle craignait de te mettre au courant. Bon, on a eu un passif, Austin et moi, mais il n'empêche que j'ai été forcée de constater qu'il rendait Taylor heureuse. Alors avec tout le respect que je te dois, tante Rosa, tu devrais arrêter de juger les gens en fonction de là où ils viennent. Ça t'ouvrirait les yeux sur certaines choses.
En disant tout ça, je sens qu'une partie de mon énergie combative refait peu à peu surface. Une énergie qui a été enfouie par les sombres révélations découvertes récemment. D'autant plus que c'est un sujet qui résonne particulièrement en moi. C'est d'ailleurs même pour ça que j'ai fini par bien m'entendre avec Austin, mais également avec son frère Dylan, Yong, Enrique et la plupart des gens qui se rendent au street workout. Tous sont des personnes que l'on mettrait plus facilement en marge pour toutes sortes de raisons, mais c'est justement ça qui nous rapproche. Le fait de ne pas forcément se sentir à sa place crée une certaine solidarité.
Et ce sentiment n'a rien de nouveau. C'est même exactement comme ça que mes parents se sont mis à se fréquenter. Mais dans tout ça, je reste persuadée que si on réussit à aller au-delà des apparences physiques, au-delà de l'arrière-plan de chacun et au-delà des clichés et des stéréotypes, on sera tous en mesure d'apprécier la compagnie des autres. Et je pense que toutes mes expériences amicales, à savoir Sonia, Thiago, Joseph, Bree, Molly, Summer, Enrique, Yong, Dylan, Austin et les habitués du street workout en témoignent parfaitement.
Suite à ma tirade osée, Rosa me regarde à présent avec un air... assez curieux. Elle n'a plus l'air furax, mais on aurait dit que ce que je viens d'affirmer a réveillé un souvenir chez elle.
-C'est fou, j'ai vraiment l'impression d'entendre ta mère.
Je me fige aussitôt. C'est bien la première fois depuis que je suis arrivée ici qu'elle me parle aussi directement de ma mère. Le regard que je lui lance semble le lui faire comprendre car elle me dit:
-Faudra qu'on parle, toi et moi. Dans la semaine, ce serait mieux. Mangez sans moi. Je repars tout à l'heure.
Après avoir dit cela, elle monte en direction l'étage, nous laissant pantoises, Taylor et moi.
Bon... on dirait que l'orage a éclaté entre Taylor et sa mère.
Ça va ? Pas trop secoué ?
Et la discussion entre Joyce et ses deux meilleurs amis ? Qu'en avez-vous pensé ?
J'ai trouvé important le fait que Joyce puisse se confier à eux sans difficulté. Bien qu'elles se soient liée d'amitié avec Bree, Summer et compagnie, je voulais aussi montrer à quel point Thiago et Sonia sont toujours aussi importants pour elle, et pour cause : ils sont amis depuis l'enfance ! Raison de plus pour laquelle Joyce sait qu'elle peut tout leur raconter sans arrière-pensée.
Voilà. C'était l'explication du jour.
Mais rassurez-vous, il y aura encore d'autres explications dans les prochains chapitres...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top