𝐒𝐄𝐈𝐙𝐄
— 𝐂 𝐎 𝐋 𝐋 𝐈 𝐒 𝐈 𝐎 𝐍 —
𝐂𝐨𝐥𝐥𝐢𝐬𝐢𝐨𝐧 : (𝐧.𝐟) - 𝐑𝐞𝐧𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞, 𝐩𝐥𝐮𝐬 𝐨𝐮 𝐦𝐨𝐢𝐧𝐬 𝐫𝐮𝐝𝐞, 𝐝𝐞 𝐝𝐞𝐮𝐱 𝐜𝐨𝐫𝐩𝐬 𝐞𝐧 𝐦𝐨𝐮𝐯𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭, 𝐜𝐡𝐨𝐜 𝐝'𝐮𝐧 𝐜𝐨𝐫𝐩𝐬 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐮𝐧 𝐨𝐛𝐬𝐭𝐚𝐜𝐥𝐞.
𝐕𝐞𝐧𝐝𝐫𝐞𝐝𝐢 𝟏𝟐 𝐀𝐨𝐮𝐭 𝟐𝟎𝟐𝟐
𝐑𝐞𝐬𝐢𝐝𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐒𝐚𝐢𝐧𝐭 𝐀𝐧𝐧𝐞-𝐂𝐲𝐫𝐧𝐨𝐬
𝐋𝐚 𝐕𝐚𝐥𝐞𝐭𝐭𝐞-𝐝𝐮-𝐕𝐚𝐫 – 𝐅𝐫𝐚𝐧𝐜𝐞
- Donc tu l'as embrassé ?
- Oui.
- Et il a pris la fuite ?
- C'est ça.
- Alors c'est qu'il ne te mérite pas.
Hélène esquisse une grimace tout en continuant de découper des tranches de mozzarella qu'elle dépose sur les tomates avant d'assaisonner le tout d'un filet d'huile. N'ayant rien à ajouter, elle se contente de hausser les épaules silencieusement, cherchant mentalement un moyen de changer de sujet.
Derrière elle, Christine Bourgeois s'active auprès des fourneaux, déambulant avec énergie dans le petit pavillon ensoleillé. Cinq jours se sont écoulés depuis que Charles l'a laissé en plan sur le parvis de son immeuble après qu'ils aient échangé le meilleur baisé de sa vie.
Il ne l'a pas recontacté depuis et Hélène n'a pas osé faire le premier pas, trop honteuse de son geste déplacé. Embrasser un homme en couple, bafouer tous ses principes moraux et piétiner toutes ses convictions par pur désir égoïsme. L'attrait de la chair.
- Il est en couple, elle soupire. N'importe qui aurait fait la même chose à sa place.
- Non. S'il était honnête, il aurait dû te repousser à l'instant où tu l'as embrassé et ne pas répondre à ton baiser pour ensuite prendre la fuite.
La brune ferme les yeux tout en essuyant ses mains dans un torchon. Elle a déjà pensé à tout ce que son ancienne nourrice est en train de dire. À vrai dire, elle n'a fait que ça ces derniers jours, tournant et retournant dans son esprit chaque seconde de ce baiser jusqu'au moment où, bouche bée, elle regarde la Ferrari disparaître à toute vitesse au coin de la rue.
Hélène a embrassé Charles Leclerc et c'est à la fois la meilleure et la pire chose qu'elle ait jamais faite. Quelques brèves secondes et délice suivi d'une longue descente aux enfers marquée au fer rouge par l'idée qu'elle a piétiné toutes leurs chances de créer un semblant d'amitié. Hélène a embrassé Charles Leclerc et pourtant, elle n'arrive pas à regretter.
Et c'est l'exacte raison pour laquelle elle se trouve ici aujourd'hui, racontant toute l'histoire à la femme qui l'a presque élevée, cherchant désespérément à entendre qu'elle s'est trompée. Mais, comme toujours, Christine est de son côté et ça ne l'aide absolument pas à faire une croix sur le passé.
Dans un soupir, elle s'adosse au plan de travail, tirant nerveusement sur les fils décousus du morceau de tissu qu'elle a toujours entre les mains.
- C'est tellement plus compliqué que ça, Christine. Tous ces sentiments étranges qu'il y a entre nous, j'ai l'impression que personne ne peut les comprendre, même pas nous.
En face d'elle, la soixantenaire aux cheveux grisonnants s'arrête dans la préparation des brochettes pour lui adresser un sourire maternel et lui ouvrir ses bras dans lesquels la jeune femme se glisse sans hésitation.
- Je me doute que tout cela doive être très dur pour toi ma puce, mais n'oublie pas : ce sont souvent les choses qui semblent les plus compliquées qui sont en réalité les plus simples, elle murmure.
- Tout ça, c'est beaucoup trop pour moi. Je ne sais pas quoi faire.
La femme lui caresse doucement les cheveux.
- Alors ne fais rien. Tu as déjà beaucoup donné depuis le début de cette histoire, laisse les choses venir à toi telle qu'elles sont.
- J'ai l'impression que ça n'ira jamais mieux, elle balbutie.
- C'est parce qu'il faut du temps. Toi comme Charles, vous vous précipitez et vous oubliez que tout cela a eu lieu il y a moins d'un mois. Vous ne vous laissez pas le temps de guérir.
- J'aimerais tellement que ça soit aussi facile.
- Ça le sera. Laisse le temps faire son effet et dans quelques semaines tout te semblera plus clair.
La brune se contente de hocher la tête, cachant ses yeux humides dans l'épaule de la femme qu'elle considère être sa deuxième mère.
D'aussi loin qu'elle se rappelle, Christine a toujours été ainsi, douce et attentive aux autres. Réconfortante et juste, c'est à elle qu'Hélène doit son esprit fier et indépendant, du jour de ses premiers pas jusqu'à maintenant, elle a toujours bénéficié du soutien sans faille des Bourgeois qui la considèrent comme leur propre enfant.
Le bruit de la porte qui claque et de pas dans le couloir les forcent à se séparer et le visage sérieux et froid de Pierrot les scrute un instant lorsqu'il pénètre dans la cuisine, le journal roulé sous le coude et une cigarette au coin de la bouche.
- Pierrot ! Je t'ai dit cent fois de ne pas fumer dans la maison ! Houspille Christine.
Pris sur le fait, il se contente d'un grognement avant de reporter son regard sur Hélène dont les yeux, rouges et humides, ne trompent personne.
- Est-ce que ça va ? Il demande.
- Oui, tout va bien, elle sourit.
Le sourire n'est pas exactement joyeux, mais c'est le mieux qu'elle puisse faire et il semble le comprendre également parce qu'il n'argumente pas. Pierrot n'a jamais été un grand parleur de toute manière, il est plutôt le genre à ne parler que lorsque cela est absolument nécessaire et toujours pour aller droit au but.
C'est pour cela que le parallèle entre Christine et Pierrot à toujours profondément amusé la jeune femme, le géant silencieux et la petite pile électrique qu'il est presque impossible de faire taire. Ils sont de parfaits opposés et pourtant, pas une seule fois au cours des vingt dernières années elle les a vus se disputer ou simplement être en désaccord.
Si l'on demandait à Hélène ce qu'est le grand amour, elle répondrait sans hésiter que Christine et Pierrot l'ont trouvé.
- Nous avions une conversation entre filles, rien qui te concerne, ajoute Christine. Va plutôt t'occuper du barbecue si tu veux pouvoir manger à l'heure.
Pierrot n'argumente pas et quitte la cuisine, le plateau dans les mains, grommelant à qui veut l'entendre qu'il est un mari opprimé.
Christine lui glisse un clin d'œil et les deux femmes éclatent d'un rire complice. Hélène se sent déjà mieux, elle est contente d'être rentrée à la maison et elle regrette d'avoir essayé d'écarter ces proches.
Depuis des jours, ils se succèdent auprès d'elle pour la soutenir et l'aider à avancer malgré le fait qu'elle passe son temps à les repousser en soutenant que tout va bien. La Toulonnaise sait qu'elle a de la chance d'être à ce point soutenu par une famille aimante et des amis incroyables, c'est une chance qu'elle a parfois tendance à oublier.
- Tu peux emporter les plats dehors, demande Christine. Pierrot à sûrement besoin d'un coup de main avec le barbecue.
Hélène hausse un sourcil, Pierrot est clairement né avec une pince à saucisse et un sac de charbon dans les mains, il n'y a aucune chance qu'il ait besoin de son aide. Mais la nourrice lui adresse un clin d'œil complice et elle comprend sans mal le sous-entendu caché derrière cette demande.
Depuis sa sortie de l'hôpital, Hélène et Pierrot n'ont pas réellement discuté de l'accident et elle se doute qu'il a préféré marmonner tout seul dans son coin que de venir crever l'abcès. Une petite boule de culpabilité se forme dans la gorge de la brune, l'empêchant de déglutir.
En gardant ses proches volontairement éloignés d'elle, elle pensait les protéger et leur épargner sa tristesse, mais elle a oublié qu'eux aussi étaient présents ce jour-là et qu'ils l'ont vu disparaître dans les flammes.
Avec hésitation, elle vient se placer juste à côté de l'homme silencieux, occupé à retourner les brochettes habillement. Le silence perdure le temps qu'elle cherche un moyen d'aborder le sujet et finalement, à court d'idée, Hélène décide de laisser tomber la subtilité.
- Je suis désolé, elle déclare.
Pierrot reste silencieux, il ne lui adresse même pas un regard, concentré sur la cuisson de la viande et elle se sent de plus en plus mal à l'aise, se balançant nerveusement d'un pied à l'autre.
- Je sais que tu m'en veux d'avoir agi de manière imprudente, mais c'était le seul moyen de sauver Charles et je ne regrette pas ce que j'ai fait.
- Je ne t'en veux pas d'avoir sauvé Leclerc, il soupire.
- Ah bon ? Mais je pensais que...
- Je t'en veux d'avoir agi sans réfléchir. Il y avait d'autres moyens moins dangereux d'arriver jusqu'à lui, mais tu n'as écouté personne et tu t'es jeté dans les flammes seule et sans équipement.
- Mais, il n'y avait pas de temps à perdre !
- Pas à moi, gamine. Tu t'es convaincue que tu étais la seule à pouvoir le sauver et tu ne nous as pas laissé t'aider, voilà pourquoi je suis en colère.
Hélène se renfrogne, c'est bien la première fois qu'on lui reproche d'avoir été trop héroïque, mais en même temps, elle veuille se l'avouer ou pas, un part d'elle sait parfaitement que Pierrot n'a pas tort, même si c'est terriblement vexant à entendre.
- Je suis désolé, finit-elle par marmonner.
- Ce qui est fait, est fait, c'est du passé maintenant. Et puis ce n'est pas comme si j'ignorais le fait que tu es une tête brûlée.
- Tu ne m'en veux pas ?
- Je ne peux pas t'en vouloir Hélène. Mais la prochaine fois que tu fais quelque chose d'aussi stupide et dangereux, tu peux être certaine que je m'assurerais personnellement que tu ne remettes jamais les pieds sur un circuit de ta vie.
Elle esquisse un sourire touché et appuie maladroitement son épaule contre celle de l'homme qu'elle considère comme son père. Ils n'ont jamais vraiment été tactiles depuis qu'elle est enfant, ils ont mis longtemps à s'apprivoiser et à comprendre que l'amour peut se témoigner de bien des manières.
Elle sursaute légèrement en entendant une porte claquée et une série d'exclamations provenant de l'intérieur de la maison.
- Ta mère est là, soupire Pierre. Encore en retard.
Elle hausse les épaules, ce n'est pas une surprise, Maude Chevalier est toujours en retard. D'aussi loin qu'elle se souvienne, Hélène n'a jamais vu sa mère arrivée à l'heure quelque part. Il est également très difficile de l'ignorer une fois qu'elle a fait son entrée.
Un mètre soixante-quinze de peau halé, une crinière ébène savamment ondulée, un sourire charmeur et des yeux noirs envoûtant, le tout perché sur de vertigineux talons compensés et une courte robe d'été couleur orangée, à tout juste quarante ans, sa mère est à tomber.
- Hélène ! Ma chérie, te voilà !
- Bonjour maman.
- Tu ne répondais pas au téléphone ! Mais où étais-tu passée ?
- J'avais besoin de me reposer, je suis allé voir des amis à Monaco, elle élude.
Machinalement, elle se laisse entraîner dans une étreinte maladroite, principalement parce qu'avec les talons et la différence de taille, elle lui arrive à peine à l'épaule.
- Tu sens l'alcool maman, elle ronchonne en s'écartant.
- Oh, désolé chérie. J'avais une grosse soirée hier soir, je viens à peine de rentrer, je n'ai pas eu le temps de me changer avant de venir.
- Encore une soirée ?
- C'est l'été chérie, l'un de mes collègues à un yacht, il nous a proposé d'aller faire un tour. Tu devrais venir avec moi la prochaine fois, mes amis veulent absolument te rencontrer !
- Peut-être une prochaine fois ?
Maude hausse les épaules avant de se détourner lorsque Christine l'appelle depuis la cuisine. La brune jette un bref regard à Pierrot qui lève les yeux au ciel.
Hélène aime sincèrement sa mère, mais la vérité, c'est qu'elles n'ont jamais vraiment eu une relation mère/fille normale. Maude avait dix-sept ans lorsque sa fille est née, reniée par ses parents, elle a dû mettre sa vie entre parenthèses pour s'occuper d'elle, abandonner ses études, et trouver un travail. Elle a donné son maximum pour assurer à sa fille une enfance heureuse, dans de bonnes écoles et pour qu'elle ne ressente jamais le manque de son père absent.
Cependant, Maude n'a jamais eu la fibre maternelle, elle ne s'est jamais montrée maltraitante, simplement incapable de répondre correctement au besoin d'amour d'un nourrisson. Heureusement pour elle, c'est à cette époque que Christine et Pierrot sont entrés dans leur vie, apportant à la jeune Hélène l'équilibre affectif manquant.
Quelque part, Maude Chevalier n'est jamais vraiment sortie de l'adolescence, elle a simplement aimé sa fille comme elle a pu. Elle ne lui a pas appris à faire du vélo, mais elle lui a appris à rouler sa première cigarette, elle n'est jamais venue à une réunion parents/professeurs, mais elle l'a emmené en boite de nuit le soir de ses seize ans.
Hélène est rapidement devenue une enfant terriblement mature pour convenir au style de vie de sa mère et en contrepartie Maude a toujours su subvenir à leurs besoins, ne manquant jamais une occasion de gâter son unique fille.
Il est toujours étrange de croiser sa propre mère en soirée, souvent au bras d'hommes aussi jeunes qu'elle, mais elle a fini par s'habituer.
Maude a quarante ans cette année, physiquement, elle en paraît aisément dix de moins, elle jouit également d'une assurance à toute épreuve et d'une beauté sauvage qui lui permet de mettre le grappin sur à peu près n'importe qui lorsqu'elle l'a décidé. L'étudiante aurait bien aimé prendre un peu plus de sa mère sur cet aspect-là, elle a l'assurance, mais sur le plan physique, elles ne partagent que leur chevelure foncée et indisciplinée.
Les quatre adultes prennent place à table, profitant du soleil et de la douceur méditerranéenne et Hélène se surprend à contempler cette famille hétéroclite qui est la sienne. Différente et pas toujours fonctionnelle, mais aimante et toujours présente lorsqu'elle en ressent le besoin.
- Alors chérie, qu'est-ce que tu as prévu de faire avant la rentrée ?
- Je ne sais pas vraiment, je ne reprends que le 3 octobre, j'ai encore du temps devant moi.
Il y a encore quelques semaines, elle aurait sans mal dérouler un programme millimétré de toutes les choses qu'elle avait prévu de faire durant les deux mois à venir. Voyager avec des amis, profiter de la plage, passer ses journées au circuit Paul Ricard.
Mais aujourd'hui, tout lui semble fade, et même sortir de son lit est un combat contre cette morosité qui a progressivement pris possession d'elle. Hélène avance pas à pas, elle n'a plus l'optimisme nécessaire pour se projeter alors elle se contente de vivre au jour le jour, une bataille après l'autre.
- L'un de mes amis recherche toujours du personnel pour embarquer sur la croisière de luxe du Club Med qui partira le 5 septembre, tu devrais y penser.
- C'est une bonne idée, Pierrot et moi économisons depuis un moment pour nous payer une croisière de ce genre, commente Christine.
- Vingt jours tous frais payés par la compagnie, départ de Nice puis une escale tous les jours dans une nouvelle ville de la mer Méditerranée. C'est une aubaine.
- Je vais y réfléchir, marmonne Hélène.
- Donne-moi vite une réponse, insiste Maude. Il n'y a pas beaucoup de place et je ne sais pas jusqu'à quand il pourra t'en garder une.
Hélène se crispe légèrement, elle n'a pas envie d'argumenter à ce sujet.
- Laisse la tranquille Maude. Tu ne vois pas que la petite est mal à l'aise.
La brune relève les yeux vers Pierrot dont la moustache frémit légèrement alors qu'il lui adresse un bref sourire encourageant, la poussant à clore le sujet définitivement.
- Ça ne va pas chérie ?
- Si maman, je vais bien. C'est juste qu'avec l'accident et tout le reste, je ne suis pas sûr d'être prête à faire un aussi gros voyage maintenant, elle explique.
Hélène voit bien à son air d'incompréhension que sa mère ne comprend pas, ce n'est pas très grave, elle ne lui en veut pas.
- D'ailleurs, en parlant de l'accident...
Sa mère semble presque gênée, elle marche sur des œufs et la brune sert les dents. Maude qui fait preuve de délicatesse, ce n'est pas bon signe du tout.
- J'ai vu des photos dans la presse te montrant, toi et ce garçon, Charles Leclerc vraiment très proches... Alors, je me demandais si ce qu'ils disent est vrai, tu vois ?
Touché coulé.
- Maude ! S'insurge Christine.
- Mais quoi ?! Je ne fais que poser la question. Tout le monde ne parle plus que de ça en ce moment.
- C'est sa vie privée !
- Avec une star, rien n'est jamais privé. Hélène, tu me dirais s'il se passait quelque chose avec ce garçon ?
Hélène soupire, évidemment, elle aurait dû s'y attendre, tout était beaucoup trop calme depuis le début du repas. Qui plus est, sa mère est beaucoup trop connectée pour son propre bien, elle est presque étonnée qu'elle n'ait pas posé la question plus tôt. Sentant poindre le mal de tête, elle se pince l'arête du nez avant de répondre.
- Il ne se passe rien avec Charles maman.
- Pourtant, tu l'appelles par son prénom...
- Et alors, comment voudrais-tu que je l'appelle ? Je te dis qu'il n'y a rien entre lui et moi.
- Je ne sais pas si tu as vu les photos qu'ils publient dans la presse, elles sont assez parlantes pourtant.
- Oui ! Je sais ! J'ai vu les photos, le monde entier a vu ces photos, mais elles ne veulent rien dire, rien du tout !
- Ne t'énerve pas, je ne fais que poser la question.
- Oui, tu poses la question, le voisin aussi et la boulangère et la caissière du supermarché, tout le monde me pose cette question en ce moment !
Ça a au moins le mérite de lui clouer le bec, mais le mal est fait et Hélène n'arrive plus à profiter de l'ambiance relaxante d'il y a quelques minutes.
Elle avait enfin réussi à le chasser de ses pensées, à ne plus penser à Charles toutes les cinq minutes et voilà que les questions indiscrètes de sa mère lui retournent de nouveau l'estomac. Tous ses efforts sont balayés comme un fétu de paille.
- Je crois que je vais rentrer, elle souffle.
- Non chérie, reste, s'il te plaît.
Elle tourne un regard triste vers Christine, elle n'a pas envie de lui faire de la peine, mais c'est au-dessus de ses forces, elle n'a plus envie d'être ici. Elle tourne son regard vers Pierrot qui fusil littéralement du regard Maude, recroquevillée sur sa chaise, avant de sortir de table, laissant derrière elle son assiette à peine entamée.
- Je suis désolé tout le monde, on se revoit bientôt.
Mais, sur le pas de la porte, elle se rend compte qu'elle n'a pas envie de rentrer chez elle, dans la solitude de son appartement. Le soleil est encore haut dans le ciel et elle n'a pas envie de se laisser abattre par ses sombres pensées, encore.
Déterminée, elle extirpe son téléphone de sa poche arrière et compose un numéro qu'elle connaît par cœur. Elle n'a à attendre que le temps de deux faibles tonalités avant que son interlocuteur ne décroche, elle ne lui laisse pas le temps de parler.
- J'ai besoin d'un verre, ça te tente ?
Quelques heures plus tard, Hélène a totalement perdu la notion du temps, elle se déhanche sur la piste de danse, totalement désinhibée, sans doute aidée par tout l'alcool qu'elle a ingurgité.
Les bras en l'air, tendus vers le ciel étoilé, elle n'a aucune idée de l'heure qu'il est, elle danse depuis des heures sans penser à rien, l'esprit vide de tout tracas. C'est juste, boire, danser, oublier, s'abrutir suffisamment pour arrêter de penser.
Quelques hommes l'approchent de temps à autre, sans doute attirés par son regard où brille la froide lueur de l'abandon. Mais à chaque fois qu'un inconnu vient l'importuner, il se heurte à un mur d'insensibilité, à vrai dire, elle ne les voit même pas. Puis l'aura meurtrière de Bruno, qui ne la quitte pas d'une semelle, finie de les dissuader.
Il n'a pas été très difficile de le convaincre de l'accompagner, Bruno a toujours été un grand fêtard et lui aussi a besoin d'oublier le fait qu'Anne n'a pas du tout l'air réceptive à ses maladroites tentatives de drague.
Hélène à de la peine pour lui qui, depuis plus d'un an maintenant, est secrètement épris de la belle infirmière sans oser lui avouer. Elle aimerait l'aider, mais elle ne veut pas s'immiscer entre ses deux amis et prendre le risque d'envenimer la situation si jamais les sentiments de Bruno n'étaient pas réciproques.
Aussi, ils se contentent de danser comme deux âmes en peine, noyant leurs cœurs douloureux sur des airs de chansons des années quatre-vingt.
La brune à la tête qui tourne et la bouche pâteuse, un peu maladroitement, elle fait signe à Bruno avant de se diriger vers le bar où elle croise le regard amusé du barman qui la serre depuis le début de la soirée. Ce n'est pas la première fois qu'elle vient, ils ont déjà discuté et il est plutôt beau garçon, mais elle n'est pas intéressée, pas quand le souvenir brûlant des lèvres de Charles la réveille encore au milieu de la nuit, le souffle court et les cuisses serrées d'envie. Elle n'est définitivement pas intéressée.
Une petite voix pernicieuse lui souffle à l'oreille que de toute manière, il sera difficile de trouver mieux que Charles Leclerc.
Elle secoue la tête pour la faire taire et demande un verre d'eau, refusant au passage le shooter qu'il lui offre avec un clin d'œil. Elle s'empare distraitement de son gobelet quand la vibration de son téléphone attire son attention. Quelqu'un est en train de l'appeler.
Hélène fronce les sourcils, prête à raccrocher quand le numéro l'arrête. C'est le même numéro avec lequel Charles l'avait appelé pour lui demander de venir le rejoindre au Grand Prix, il y a plusieurs semaines de ça. Dans ses veines, son sang ne fait qu'un tour à l'idée que Charles est peut-être en train de l'appeler.
Sans réfléchir, elle dépose le verre à peine entamé sur le comptoir et fonce vers les portes-fenêtres qui donnent sur la plage, passant devant Bruno qui la regarde sans comprendre. Dès qu'elle parvient à entendre autre chose que le bruit assourdissant des basses, elle décroche et plaque le téléphone contre son oreille.
- Allô ? Charles ?
De l'autre côté du fil, son interlocuteur met quelques secondes à répondre dans un Anglais aux accents chantants.
- Salut Hélène, c'est Carlos. J'en déduis que Charles n'est pas avec toi ?
Dire qu'elle est déçue est un euphémisme, évidemment Hélène aurait préféré entendre la voix du Monégasque, mais quelque chose dans l'intonation de Carlos lui fait froncer les sourcils d'inquiétude.
- Non ? Pourquoi il serait avec moi ?
- Où est-ce que tu es ? Je t'entends mal !
La brune se détourne du bâtiment et descend jusque sur la plage dans l'espoir de mieux entendre les paroles de l'espagnol.
- Je suis au Macumba. Carlos, pourquoi est-ce que Charles devrait être avec moi ?
L'urgence pointe dans sa voix à mesure qu'elle comprend que le pilote hésite à lui répondre.
- Écoute ma Carlita, c'était une mauvaise idée, je n'aurais pas dû te déranger...
- Carlos ! Réponds-moi !
De l'autre côté du téléphone, elle entend une autre voix, féminine, sans doute Isabel et Carlos soupire avant de reprendre d'une voix où perce clairement l'inquiétude.
- On n'a plus de nouvelles de Charles depuis trois jours. Il ne répond pas aux appels, ni aux messages, rien.
Hélène se fige, glacée jusqu'à l'os. Trois jours, c'est après qu'ils se soient embrassés... Des dizaines de scénarios explosent dans sa tête, tous plus inquiétants les uns que les autres.
- Et Charlotte ? Charlotte doit savoir où il est.
- Charlotte est rentrée dans sa famille dimanche dernier, elle n'a pas de nouvelles non plus, il explique.
- Sa mère ? Ses frères ?
Sa voix se brise sur la fin à mesure que la peur prend possession de son corps.
- Je n'ai pas voulu inquiéter sa mère, il n'a peut-être juste plus de batterie où alors il ne veut pas nous répondre, mais ses frères ne l'ont pas vu depuis la soirée au restaurant avec toi, il n'est pas venu à leur rendez-vous.
Sciée en deux par la panique, Hélène se laisse tomber dans le sable, sa gorge si comprimée qu'elle en a du mal à respirer.
- Oh, mon Dieu, Carlos, balbutie-t-elle. Et s'il lui était arrivé quelque chose ?
- Respire Hélène, calme-toi, ce n'est sûrement rien du tout.
Elle essaie désespérément de se calmer, en vain, sa main bandée agrippe sa poitrine, juste au niveau de son cœur douloureux.
- Dis-moi, elle halète. Dis-moi ce que je peux faire pour aider.
- Je suis en train de réserver un avion pour rentrer de Madrid. Je serais à Monaco dans trois heures environ, j'irais voir chez lui et...
- Je peux y être avant toi, elle souffle.
La brune fait rapidement le calcul dans sa tête, sans tenir compte des limitations de vitesse, elle peut faire le trajet en moins d'une heure et demie. Pourtant, Carlos semble hésiter.
- Hélène, je ne pense pas que ça soit...
- Si tu ne voulais pas que je m'inquiète Carlos, il ne fallait pas m'appeler, elle rage. Je te dis que je peux y être avant toi, tu me rejoindras là-bas, on ne sera pas trop de deux.
Il hésite une seconde.
- D'accord, on se retrouve là-bas. Tu as son adresse ?
- Je me rappelle, elle affirme. Donne-moi son numéro, j'essaierai de l'appeler sur la route.
Carlos récite le numéro de tête et elle l'enregistre immédiatement.
- Fais attention à toi, Hélène, souffle l'espagnol.
- On se retrouve tout à l'heure.
Et elle conclut l'appel, pressé de retourner à sa voiture pour se mettre en route. Malheureusement, l'alcool et le stress aigu ne font pas bon ménage et, à peine relevé, ses jambes cèdent sous son poids, l'obligeant à rester assise sur le sable.
La panique ne fait que s'accentuer et elle a de plus en plus de mal à respirer, le sentiment gravé au fer rouge que s'il arrivait quelque chose à Charles, elle ne pourrait jamais s'en remettre, elle ne pourrait jamais se le pardonner.
Sans qu'elle ne puisse les retenir, de violents sanglots lui broient la gorge alors qu'elle essaie désespérément de se relever, raclant le sol de ses ongles, le sable s'incrustant dans son bandage et brûlant sa main.
- Hélène ?
Elle sursaute violemment et relève la tête, reconnaissant sans mal Bruno à travers les larmes. Doucement, il s'agenouille près d'elle, repoussant délicatement les cheveux retombés devant ses yeux.
- Respire petite, respire, il ordonne. Tu fais une crise de panique, il faut que tu te calmes. Explique-moi ce qu'il se passe.
- C'est Charles...elle balbutie. Carlos a appelé...Charles il...il a disparu...
- Hélène regarde-moi, il force. Tu n'iras nulle part dans cet état et tu n'aideras personne, respires et calmes toi.
Essayant tant bien que mal de suivre les conseils de son ami, Hélène prend plusieurs grandes inspirations laborieuses essayant tant bien que mal de retrouver une respiration normale. Ce n'est pas le moment de s'effondrer, Charles a besoin d'elle. À la seconde où elle peut aligner deux mots sans fondre en larmes, elle ne retient plus les mots qui fusent violemment.
- Charles a disparu, on doit le retrouver. Je dois le retrouver, elle insiste. Il faut que j'aille à Monaco.
La compréhension passe dans les yeux de Bruno qui hoche la tête pour montrer qu'il a compris et il se redresse souplement avant de lui tendre une main salvatrice et d'ajouter.
- On prend ma voiture, je t'emmène.
Et Hélène saisit sa main.
════════
Ayons tous un Bruno dans nos vies <3
Dans ce chapitre, c'est le calme avant la tempête, on en apprend un peu plus sur la famille d'Hélène et sur son enfance, différente mais harmonieuse. Je trouvais intéressant de prendre le temps de créer un cercle familial concret avec des défauts et des qualités afin de mieux cerner le personnage et certaines de ses réactions.
J'espère que vous comprendrez le personnage de Maude qui n'était pas faite pour devenir mère, mais qui a toujours fait de son mieux pour élever correctement sa fille et que vous adorerez comme moi Christine et Pierrot qui sont deux personnes rayonnantes et des piliers pour Hélène.
Je crois que j'ai un problème avec les figures maternelles d'ailleurs, Pascale et Christine sont beaucoup trop incroyables.
Dans la deuxième partie du chapitre, nous apprenons la disparition de Charles qui ne donne plus signe de vie depuis plusieurs jours. Est-ce qu'il a simplement besoin de prendre un peu de recul, est-ce qu'il y a plus que ça ? Charge à Hélène de le découvrir et autant vous dire que le chapitre 17 risque de ne pas être le plus joyeux de cette histoire...
Alors venez retrouver Charles et Hélène mardi prochain dans « Il Faut Sauver Le Soldat Charles »
Et pour toutes celles et ceux qui ne pensent pas pouvoir attendre jusque-là, venez découvrir un Charles plus touchant que jamais, vendredi à 12h dans ma toute nouvelle histoire... Afterlife ! <3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top