Bienvenue, malvenus - Partie 2
Shiganshina, 11 septembre 852
Le réfectoire. Lieu de paix et d'amour, où les soldats échangeaient toutes les dernières nouvelles qu'ils pouvaient bien trouver, entre piliers de bois, murs de pierre, et longues tables. Par exemple, Ymir, Sasha et Historia, postées à coté d'une fenêtre entrebâillée, papotaient autour de leur belle bouillie du matin, et Eren et Mikasa les écoutaient à quelques pas d'elles. Rebecca et Carla mangeaient face à face, non loin de l'escouade de Mike. Sara, Eha et Leonid, eux, étaient toujours regroupés, avec leur plastron aux plaques noires...
« Eha ! » s'écria alors une voix énergique.
Marion leva subitement le menton. Elle était coincée entre Annie, Isaac, Antoine et Livaï. Et tous, tous se figèrent : ce fichu juge tiré au sort, ce gars d'une tête de plus qu'elle à la peau hâlée et aux longs cheveux corbeau, avait fait son apparition. Il posa brièvement ses iris ambre sur l'albinos, et lui fit un clin d'oeil.
L'intéressé se raidit dans la seconde... mais le jeune Chaillot, à la grande surprise de la chercheuse, haussa un sourcil, et laissa cet interminable rictus irritant se dessiner sur sa face triangulaire. Sous le regard noir du semi-géant, il se leva, et se dirigea à grands pas vers le métisse.
Marion s'étouffa avec son eau dès qu'ils échangèrent un high-five énergique.
« Crève pas », jeta abruptement Livaï. Elle se contenta de lever le pouce, les yeux larmoyants. Ces deux cons s'entendaient déjà ? Et Jules drague littéralement Isaac ?! Mais elle devait bien se l'avouer : l'expression dégoûtée que tirait ce dernier était magnifique.
Et Eha se leva de son banc, pour rejoindre le trio dans des cliquetis spéciaux armure. Elle était plutôt petite. Toutefois, le noir de ses courtes boucles, son teint marron, et ses prunelles dorées et pétillantes, ressemblaient en tout point à ceux de Jules. Ils n'étaient pas frère et sœur pour rien.
Toujours était-il que cette bougresse des Divisions mit une violente tape en haut du dos de son frérot, tapota l'épaule d'Antoine, et lui désigna Alma. Cela faisait longtemps que Marion ne l'avait pas aperçue, elle et sa courte frange ; les joues de cette dernière, si semblables à celles de Leah, rougirent derechef. Alma a l'œil sur Antoine, et Jules, sur Isaac. Quel bordel. Comment allait réagir le français ?
Il secoua la tête de droite à gauche, et pointa Marion du doigt. Ce fut tout fier de lui qu'il annonça « eh non, si je dois avoir une amourette, ça sera qu'avec elle ! » À Annie de se retenir de cracher son eau. Jules, lui, éclata de rire, et murmura quelque chose à l'oreille du noiraud... lequel lança un « non » catégorique. Alors, son interlocuteur afficha une mine déçue, et partit rejoindre Sara et Leonid.
La journée commence bien, songea la scientifique avec ennui.
« La journée commence bien, laissa d'ailleurs tomber le caporal-chef. Ça part déjà sur des potins ?
— Je n'ai aucune idée de ce que vient de lui souffler Jules, marmonna Marion.
— Je sais pas non plus, mais je vais pas supporter longtemps ces juges. Et ton Antoine, là, va falloir le tenir en laisse.
— Je peux m'en charger, posèrent froidement Annie et Isaac. »
Marion et Livaï échangèrent un regard blasé. Voici que les deux ex-ennemis étaient en accord : cette scène était bien trop inédite. Cependant, officier comme chercheuse le savaient, le pire était encore à venir. A l'instant où Antoine s'affala de nouveau à la droite de Marion, et lui ébouriffa les cheveux en débitant des « eh, je suis classe, non ? Je suis plus classe que lui, de toute façon ! », la femme fit son apparition.
Kwamboka, avec son mètre soixante-dix de muscles et de froideur pesante. Les nouvelles recrues baissèrent le ton, Jules ne lui prêta aucune attention, Marion observa de pied en cap cette membre des Divisions de l'Himalaya, l'autre fit de même. Nul besoin de mot pour qu'elles ne communiquent leurs divergences. La veille au soir, la balafrée avait avalé leur Charte dans son intégralité...
Et elle ne comptait pas laisser cette juge suprême balancer des sentences de mort ou d'emprisonnement sur Hansi et compagnie.
« I'm about to end this man's whole career », murmura soudain Annie. La châtaine sursauta : la figure en coeur de la semi-géante oscillait entre l'ennuyé et le glacial. Face à cela, Marion bloqua un moment... puis éclata de rire. « J'ai mal à ma cicatrice, bon sang ! » hoqueta-t-elle. « Je vais avoir ce meme en tête à chaque fois que je vais lui parler, maintenant... Tu veux me tuer, Annie ? »
Lourd silence. Elle n'en comprit la portée que lorsqu'elle réalisa qu'elle venait de se gausser sur place. Pour la première fois depuis bien, bien trop de semaines. Isaac en laissa tomber sa cuillère. Livaï se figea, Antoine béa, Annie cacha sa face de sa seule mèche échappant à son chignon... et quelqu'un arriva derrière elle.
Elle reconnut Ymir dès qu'elle posa sa main sur son épaule. « Eh, la touriste », railla-t-elle. « A ce stade, tu vas guérir avant moi. Je compte pas me faire doubler, tu sais. » L'intéressée fronça le sourcil, mais dut bien le hausser lorsque l'albinos se raidit une seconde fois. Ymir également ne cacha pas sa surprise.
« Quoi, t'as vu un fantôme ? J'ai repris des couleurs, pourtant.
— ... Non. »
Simple murmure. Tous s'enfoncèrent un peu plus dans leur confusion à l'instant où Rebecca se ramena. Ses longues boucles noires dégageaient exceptionnellement son visage élégant et ses deux prunelles sombres. Une telle assurance, une telle précipitation, étaient encore une première. « Caporal Livaï », les coupa-t-elle tous, « quand se tiendra la première réunion ? »
Il plissa les yeux, suspicieux. Marion ne rata pas son regard furtif vers un Isaac étrangement soulagé.
« Vous n'en ferez pas partie, lâcha-t-il. A quoi ça vous sert ?
— J'ai fait des études de droit, avant la biologie. Si vous le voulez bien... Je peux vous aider... »
Et son hésitation de tous les jours refit surface. Il retourna donc à sa plâtrée. « À voir avec Hansi », dit-il simplement. Néanmoins, Marion décelait bien que quelque chose le piquait. C'était imperceptible, mais tout de même là. Elle était peut-être la seule, avec Hansi et Antoine, à pouvoir remarquer une chose pareille. Quoique, Annie...
Non, elle mangeait en silence.
La châtaine se tourna vers son ami, qui remettait distraitement ses longues mèches en place. « Toi aussi, tu as vu un truc bizarre ? » demanda-t-elle en français. Il posa ses iris clairs sur elle, et acquiesça. « Ce ne sont pas nos oignons, mais bon. Ah, et j'ai entendu qu'on comptait me tenir en laisse. Isaac », railla-t-il dans la langue de Molière, « avant de clamer ça, souviens-toi de la façon dont je t'ai mis par terre hier. »
L'américain serra les dents avec rage, sans pour autant bondir sur le stratège.
« Nickel ! On va enfin pouvoir faire la paix. Je t'aime bien, moi, tu sais ?
— Rends pas les choses pires que ça, le scanda Marion. »
Alors, il se renfrogna. Elle regarda de nouveau Kwamboka... qui n'avait pas cessé de la fixer, quand bien même elle se servait d'elle-même face à un Connie ne sachant plus où se mettre. Elle a ses yeux sur moi. J'ai mon œil sur elle aussi. Voyons voir qui aura la main mise sur la situation...
La juge suprême avait les autres Juges – Fang, Okabe, Oskar, Astrid, Jules. Cependant, les Murs, eux, pouvaient compter sur Hansi, Gustav, Antoine, et peut-être Marion et Rebecca en second plan. Mais que vont-ils faire, face à Zackley ? Kwamboka, j'ai hâte de voir si ton aura est aussi puissante que la sienne. Et...
Elle plaqua sa main contre la partie intacte de son front. Et ce n'est pas une compétition, bon sang. Mais elle se comporte tout comme ! Elle nous défie, même muette ! On va devoir calmer le jeu de nous-mêmes. Enfin...
Elle jeta un coup d'oeil à Antoine, un léger sourire aux lèvres. Il dévorait presque son petit-déjeuner, et ses deux longues mèches manquaient de glisser dans son bol. « Je suis de bonne humeur, aujourd'hui », grogna-t-elle. Elle lui arracha sa cuillère, défit son chignon, et plaqua son élastique sous son nez. « Refais ta coiffure. Tu vas finir par bouffer tes cheveux. »
De longues secondes coulèrent. Les pupilles du français reflétèrent tout de sa confusion... laquelle laissa vite place à mille étoiles artificielles. Il se mordit le pouce dans un embarras faussé, et détourna le regard, les joues rouges. « Dans... Dans ce cas... », souffla-t-il. « Est-ce que tu peux la faire pour m... »
Marion lui ficha un violent coup de poing dans l'épaule. « Démerde-toi », articula-t-elle. Suivit un énième mutisme : elle eut tout juste le temps de voir qu'Antoine avait dû se tenir à la table pour ne pas tomber. Il la prit par les épaules, bien loin de se soucier de sa chevelure sombre et désormais en bazar.
« Eh ! s'écria-t-il en français. Tu l'as refait ! Refait ! Ce coup de poing de malade ! C'est quoi, ça ?!
— Je ne...
— Kwamboka, énonça lentement Isaac. Le regard de Kwamboka. »
Tous deux se tournèrent vers lui avec stupeur. L'albinos tourna ses iris sang vers la juge, assise non loin. Elle fixait la scientifique sans ciller. Sa profonde réflexion amplifiait encore son aura, et... Et elle en est menaçante, réalisa Marion, les lèvres entrouvertes. Mes réflexes de... d'Instinct ?! « Was passiert ? » demanda alors abruptement Livaï.
Elle en sursauta, sans pour autant le frapper. Après, tout, elle n'avait aucune raison de le faire, envers lui.
« J'ai failli faire tomber Antoine de son banc, expliqua-t-elle, la gorge nouée.
— J'ai vu, ça. Et ne le refais plus, ça me fait mal à l'épaule. Ce que je veux savoir, c'est comment ?
— C'était aussi arrivé lorsqu'il a attrapé mon bras entaillé, au retour de l'hôpital... Je l'ai repoussé par réflexe, et il est tombé de son cheval.
— T'as un équilibre de bambin ? lâcha-t-il à son alter-ego.
— Oh ! Jolie auto-dérision ! railla ce dernier. »
Livaï amorça une frappe, mais se retint au dernier moment. Sa face tourna un peu, juste un peu, au sombre. « Erwin l'avait dit, après la tentative d'assassinat de ton futur toi... que ça risquait de dégénérer. J'ai bien assuré que je serais là pour te contenir... » Il posa ses prunelles bleues sur sa main droite un instant, pour les planter dans celle de la chercheuse.
« Il va falloir te tester. Y a juste à demander à la sale gosse assise là-bas qu'elle ramène ses fesses, et voir comment tu réagirais à mes attaques.
— Non. »
En entendant le grognement d'Isaac, il serra les dents. « Tu réalises l'enjeu d'une telle merde ? Si elle dérape, c'est foutu pour nous. Il faut voir jusqu'où ça peut aller, et qui peut la stopper. » Mais les traits androgynes de l'albinos tournèrent à l'effrayant.
« On peut la stopper, siffla-t-il.
— Tu ne l'as pas vue combattre dans la forêt des Arbres Géants, toi. Elle a failli me tuer, et a abattu une petite poignée d'américains.
— Quoi... ? chuchota Antoine. »
Marion se contenta d'observer ses genoux. Elle n'aurait pu être plus mal à l'aise. Elle se souvenait trop bien de la folie de son alter-ego, et de la soif de meurtre ayant brûlé dans ses pupilles. Même si elle n'avait eu envie de tuer que la chercheuse, elle avait tout de même planté un couteau dans le ventre d'Annie, blessé Mike, et tranché l'oreille de Sasha. L'officier avait raison : elle pouvait être dangereuse. Je pourrais être un monstre... encore.
« On en parlera avec Hansi », conclut son supérieur. « Isaac, je ne compte pas la blesser. Ne tire pas cette tronche. » L'intéressé le fusilla encore du regard ; cependant, il ne protesta pas. Les secondes qui suivirent furent peut-être bien les plus longues de sa vie. Puis, Antoine posa sa main sur son épaule.
Le con n'avait toujours pas attaché ses cheveux. « Mon chignon, du coup ? » demanda-t-il, tout joyeux. Merci de sauver l'ambiance. Elle avait fini sa plâtrée, et lui devait bien de l'avoir sortie de cette situation délicate. Ce fut avec un air grognon sur le visage qu'elle tira ses mèches en arrière. Il eut beau couiner, elle lui fit sa queue-de-cheval sans concession.
« Tu es cruelle, Marion », grommela-t-il. Il tapota sa coiffure, et soupira longuement. Elle se rassit d'emblée... pour voir une Annie avec les cheveux détachés. Ils glissaient sur les épaules de sa veste du bataillon, toujours aussi platine, toujours aussi fins. Je peux les attacher ?! Mais la semi-géante détourna ses prunelles ciel dans l'instant, et se fit un chignon plus correct.
Oh. Des mèches ont dû s'échapper.
Alors qu'elle voyait Isaac considérer sa chevelure neige qui dépassait légèrement sa nuque, Livaï se leva de table. « Assez de vos conneries. On doit rejoindre Hansi. » Sur ce, il prit son plateau, et partit le débarrasser. Marion suivit, Antoine également, les deux titans se montrèrent d'autant moins d'enthousiasme.
Ils croisèrent cette jeune femme hâlée sur le chemin : elle avait dû remercier Conny pour son service au moins cinq fois, tant et si bien qu'il ne savait plus où se mettre. « Astrid », l'appela ce jeune asiatique transpirant la rigueur. Sa face légèrement allongée ne laissait paraître aucune émotion ; l'interpellée, elle, baissa ses iris émeraude. « Oui », souffla-t-elle.
Ainsi explorateurs et juges sortirent-ils du réfectoire. Hier, nous avons seulement fait connaissance, pensa Marion. Cet Okabe n'a pas décroché un mot, et Astrid non plus... Toutefois, leur caractère diverge complètement. Il n'y a qu'elle et Kwamboka que j'ai pu lire convenablement. Qu'en est-il, du côté d'Antoine ? Il a bien sympathisé avec Jules... Est-ce qu'il avait un motif, derrière ?
Elle lui jeta un coup d'oeil, qu'il lui rendit dans la seconde. « On ne les laissera pas nous guillotiner », clamaient ses prunelles égéennes. Elle ne put qu'acquiescer. Ils débarquèrent épaule contre épaule, dans le rez-de-chaussée sombre aux murs de vieilles pierres : quelques portes plus loin allait se dérouler la première partie du jugement.
D'ailleurs..., pensa la chercheuse, le sourcil froncé. Qui va nous servir d'avocat ?
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