SOURIRE DU PURGATOIRE (LE)

𝕾𝖔𝖚𝖗𝖎𝖗𝖊 𝖉𝖚 𝖕𝖚𝖗𝖌𝖆𝖙𝖔𝖎𝖗𝖊
𝔏𝔢𝔱'𝔰 𝔟𝔲𝔯𝔫, 𝔟𝔲𝔯𝔫, 𝔟𝔲𝔯𝔫)

Les yeux clos, il essuya la suie sur ses lèvres noircies.
Et la cendre... la cendre avait un goût de sang. 

hoseok
(side vhope)
salem witches ! au
phoenix ! hoseok
betrayed & hurt & seeking revenge hoseok
villain hoseok is the best hoseok, fight me 
slight homophobia
religion, god/evil
mention of death, fire, torture & other nasty things 


REPOST DU RECUEIL "ROCKY AESTHETIC SHOW" DE rhsteam
THEME DE L'OS : S'INSPIRER D'UN MV ARSON, J-HOPE



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Le ciel était noir. 

Les nuages grondaient au-dessus de leurs têtes, drap sombre de velours que l'on jetait sur l'empyrée. L'électricité était lourde dans l'air, comme si une seule étincelle aurait suffi à faire tout embraser, mais pour l'heure, la triste peinture était silencieuse, tendue — le moindre mouvement aurait provoqué l'apocalypse, et les hommes ne pouvaient qu'observer d'un regard quelque peu inquiet les monticules là-haut. 

Un corbeau croassa, au loin. 

Quelques hommes portèrent leurs mains en visière, même s'il n'y avait aucune lumière à voir ; le soleil était muselé derrière la camisole ténébreuse, étrange spectacle qu'offraient les éléments.  Il y a quelques minutes encore, les rayons cuprifères embrassaient le petit village de son étreinte chaleureuse, et les fleurs des champs dansaient au gré de la brise légère. Le vent avait tourné soudainement, comme l'annonce d'un mauvais présage — et cette seule pensée fit frissonner la foule, un murmure angoissé parcourant l'assemblée. 

"Silence ! demanda le chef du village en tapant de son petit maillet sur la table. 

Ses yeux d'un gris profond, presque aussi gris que la voûte céleste au-dessus de lui, scrutèrent le cortège de badauds en attendant le calme, avant de reporter son regard translucide sur l'homme au milieu de la place. 

La maison de Kim Seokjin était trop étroite pour le procès qui avait secoué leur petite communauté — et surtout pour l'abondance de curieux qui s'étaient amassés à leurs portes quand la garde à sa solde avait embarqué avec eux l'accusé. Alors, fort de faire de cette décision un exemple implacable, le sage de la tribu avait ordonné à ce qu'on installe des bancs sur la grande place du marché, pour que le monstre qui était jugé aujourd'hui puisse être vu de tous. 

Une table de ferme imposante, où étaient étalées des pseudos preuves, des documents incriminants et autres faits à charge, présidée par Kim Seokjin, somptueux dans ses robes officielles, de cet air auguste, dangereux et imposant qui marquait le respect. De part et d'autre, un panel de juges, des notables et autres intellectuels du village, sondant le public d'un masque fier et arrogant, comme s'ils n'avaient conscience qu'ils avaient la vie d'un être entre leurs mains. 

Et, au centre de tout ce chaos mesuré, enchaîné et à genoux, se tenait celui qu'on accusait à présent de tous les pires maux. 

"Jung Hoseok, tonna Seokjin, d'un ton comparable au tonnerre qui menaçait — vous êtes ici devant nous aujourd'hui pour faits de magie noire et de sorcellerie. 

L'intéressé releva son visage vers son prédicateur. 

Son visage était ensanglanté, son arcade sourcilière tailladée par les pierres que les enfants avaient jetées sur sa silhouette recroquevillée, alors que les soldats censés protéger leur caste l'avaient traîné dans la poussière jusqu'à son destin, ignorants de ses protestations et de ses supplications. Ses mèches sombres retombaient devant ses prunelles au goût de l'enfer, si noires qu'on pouvait y lire tous les secrets des hommes, et l'ensemble fut du plus bel effet, faisant frémir les enfants et les vieilles dames. C'était un démon, regardez sa colère, murmurait-on, et peut-être que ces langues de vipères avaient raison, car la furie difficilement contenue dans ses veines et dans ses poumons n'attendait que d'exploser et de causer le chaos. Tous ne voyaient plus dans ses traits Hoseok, l'homme que tout le monde connaissait, mais plutôt un traître à leur sang, un suppôt de Satan venu sur Terre pour les corrompre et les emmener avec lui dans le Tartare. 

Hoseok, simple guérisseur qui menait une vie tranquille jusqu'ici. Hoseok, orphelin qui avait grandi seul, apprenant à s'occuper de lui-même quand les soit disant matriarches de la communauté avaient refusé de prendre soin de lui. Hoseok, qui ne s'était jamais vraiment fait d'amis au sein du clan de l'Ouest, mis à part quelques passades honteuses et secrètes — et sûrement aurait-il dû faire un effort pour socialiser, se dit-il à cet instant, sans quoi il ne serait pas pointé du doigt comme le marginal silencieux qu'il était. L'Homme était profondément idiot, et face aux malheurs qui s'abattaient sur lui, inculpait le laissé-pour-compte, le vagabond, l'étranger, le mendiant, plutôt que de chercher un coupable au sein de son cercle de proches. 

Hoseok, dont sa propre mère avait été à sa place des années auparavant. Hoseok, dont le visage d'enfant avait observé avec mutisme traumatique le galbe frêle de sa génitrice se bercer au bout d'une corde — simplement parce qu'un bourgeois de la paroisse avait préféré accuser sa maîtresse de pactiser avec Lucifer que d'avouer à sa femme qu'il l'avait trompé. 

Si le noiraud était tout à fait honnête avec lui-même, sûrement avait-il été suffisamment lucide pour deviner que son destin finirait aussi tragiquement que celle qui l'avait mis au monde. 

Beaucoup auraient ressenti une peur panique à sa place. L'envie de prouver à tous ceux qui avaient jamais posé le regard sur lui, l'envie de prouver au monde entier, aux peuples d'ici bas comme ceux d'ailleurs, qu'il était innocent. Que tout cela n'était qu'un simulacre de procès pour divertir les hommes, et pour les calmer de la terreur qui sévissait dans leurs contrées, de ces rumeurs qui courent plus vite que le feu de sorcellerie, que les démons seraient parmi les humains, que le Diable, Belzébuth lui-même, aurait trouvé refuge dans le cœur de leurs compagnons. Que tout cela n'était qu'une piètre pièce pour sevrer le village de toute paranoïa qui grouillait comme un poison mortel le long de leurs veines, teintant leur espoir de toxine morbide et horrifiante. Que tout cela n'était que le parfait prétexte pour Kim Seokjin d'asseoir son autorité, de manipuler les foules, et d'exiler à jamais tous ceux qui ne lui avaient pas prêté allégeance. 

Hoseok mentirait en disant qu'il n'avait pas ressenti cette angoisse implacable lui saisir la poitrine, quand il avait vu les soldats robustes pousser brutalement la porte de sa maison. 

Mais à présent... à présent qu'il était au milieu de tous ces moutons, observant d'un œil placide le loup qu'était Seokjin tourner autour de lui comme la bête féroce qu'il était, gouvernant le bourg d'une inflexible main de maître, il avait envie d'hurler. D'hurler de colère contre cette communauté qui n'avait jamais été la sienne, qui n'avait jamais voulu l'accueillir en son sein, qui attendait sagement le jour où ils pourraient planter enfin définitivement un couteau dans son cœur et lui cracher au visage. D'hurler de désespoir contre ces pauvres brebis, les supplier de se réveiller de leur silence flegmatique, et de leur montrer que Seokjin n'était pas le chef qu'il prétendait être ; qu'il se servait de la psychose méfiante qui secouait le pays pour chasser, non pas les sorcières, mais tous ceux trop érudits, tous ceux qui n'avaient jamais voulu lui jurer fidélité, tous ceux qui ne pourraient lui être de quelconque utilité, un jour ou l'autre. 

Il avait envie d'hurler, d'hurler à s'en arracher les poumons, d'hurler à s'en arracher les chaînes, parce qu'il savait que ses heures étaient comptées, et que Kim devant lui était à la fois le juge, l'avocat et le bourreau, que les pseudos jurys à ses côtés n'étaient en réalité qu'une poignée de partisans à sa solde qui obéiraient aveuglément à ses ordres. 

Mais à quoi cela aurait-il servi ? Personne ici n'était disposé à l'écouter. Pour tous, il était coupable, il les avait empoisonnés par ses décoctions d'herbes, il leur avait arraché une mèche de cheveux pour en créer une potion démoniaque, il leur murmurait des sorts malfaisants lorsqu'ils passaient près de lui. Aucune oreille ne voulait entendre ses remarques, ce qu'il avait à dire — ce procès, c'était simplement pour satisfaire la curiosité morbide des badauds, rien de plus. 

Le ciel continuait de noircir au-dessus de sa tête, chassant le céruléen pour un terne saturnien. Les murmures scandalisés continuaient de parcourir l'assemblée, et, contenant la rage et l'incompréhension qui bouillonnait dans ses intestins, il ne put que recracher un mollard de sang sur la terre battue sous ses pieds, avant de demander d'une voix rauque : 

"Et de quoi suis-je accusé ? 

Un autre chuchotement généralisé. Le village de l'Ouest avait eu son lot de sorcières — ces pauvres femmes aux cheveux roux, ces hommes qui avaient appris à lire dans les étoiles, ces enfants qui différenciaient les champignons à manger et ceux à donner aux porcs, que les mêmes "apôtres" qualifiaient de nécromanciens sibyllins —, mais jamais les pauvres accusés n'avaient osé lever la voix. Terrifiés à l'idée de voir leur sort aggravé parce qu'ils avaient ouvert la bouche — qu'il y avait-il de pire que de monter sur le bûcher ? De se faire tuer avant pour leur indiscipline ? Sûrement cela aurait-il été mieux, plutôt que d'hurler dans ses derniers instants d'une agonie insupportable. 

Seokjin lança un regard mauvais à l'homme agenouillé devant lui. Le zéphyr assombri lui donnait l'air d'un rapace mécontent, ses yeux presque jaunes, voraces et agacés. Un sourire en coin, ses lèvres charnues retroussées, et Astaroth ne se trouvait pas caché sous la peau de Jung, mais dans le rictus mauvais de Kim — mais cela, les habitants de sa bourgade n'étaient pas prêts à l'accepter. 

"Vous êtes accusé d'avoir pratiqué de la magie noire et préparé des potions. Nous avons retrouvé dans votre maison des fioles, des herbes séchées, des poudres — Dieu seul sait ce que vous auriez pu en faire, mis-à-part pour nous tuer tous ! 

Quelques exclamations dans l'assemblée, et Hoseok ne put que soupirer devant leur bêtise. 

"C'est vrai ! s'écria une femme dans la foule. 

Elle se fraya un chemin jusqu'au-devant de la place, tenant contre son cœur un nourrisson endormi ; mais son regard n'avait rien d'une mère aimante et tendre. Hoseok se souvenait d'elle. 

"Mon bébé s'était brûlé en touchant la marmite. Jung m'avait préparé une sorte de pâte de plantes à poser sur son bras... Le lendemain, il n'y avait plus aucune trace du feu ! Il n'y a que la magie noire qui peut faire ça ! C'est un sorcier ! 

C'est bien vrai ! répéta idiotement le cortège. C'est un sorcier, c'est de la magie ! 

"J'ai sauvé ton enfant, cracha Hoseok en tournant le visage vers elle. Sans moi il aurait été mort par la fièvre, et voilà comment tu me remercies ? J'ai utilisé les plantes qu'on trouve dans la forêt, du souci des jardins et du millepertuis, mais vous n'êtes que bons à utiliser des herbes que pour parfumer votre cuisine. Vous êtes ignorants, et bêtes — et vous voulez me tuer parce que je sais tirer profit de la nature alentour ? 

La femme remua la tête, ne voulant écouter les dires de celui qu'elle accusait, et, pointant un doigt calomniateur vers le noiraud enchaîné, répéta : 

"C'est de la magie noire ! 

Il était excédé. Excédé de fournir des explications que personne ne voulait entendre. Excédé de ne pouvoir se défendre. Et l'innocent ne put que laisser sa furie éclater comme des bulles goudronneuses le long de sa poitrine. 

"Si c'était de la magie noire, rugit le jeune homme en tirant sur ses chaînes — si c'était de la magie noire, je t'aurais tué depuis bien longtemps ! Je vous aurais tous tué ! J'aurais écrasé le crâne de ton gamin entre mes mains par pur plaisir sadique, et j'aurais utilisé ses os comme collier ! 

La stupeur et l'effroi secouèrent l'assistance. Cela ne le servait pas, de laisser sa rage prendre le contrôle de son esprit, mais il n'en avait que faire — quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, il allait mourir demain, alors autant vomir sa haine et sa vérité sur tous ceux qui lui avaient tourné le dos depuis qu'il était enfant. Ils allaient à la paroisse tous les dimanches, priaient à genoux, bénissaient leur eau ; mais ils pêchaient, ignoraient les orphelins qui mendiaient à la sortie de l'église, trompaient leur époux avec des concubins d'une nuit, buvaient, blasphémaient. Et voilà qu'ils se posaient en saints, en pieux, et qu'ils se permettaient de juger Hoseok comme s'ils en avaient tous les droits. 

Pourquoi ces femmes qu'il avait aidé à avorter d'une grossesse hors mariage ne venaient-elles pas témoigner ? Pourquoi ces hommes qui demandaient des filtres pour réveiller leur virilité ne faisaient pas un pas en avant ? Pourquoi tous ceux, honteux, qui venaient toquer à sa porte en plein milieu de la nuit ne se dénonçaient pas ? 

Ah, oui, c'est vrai. Ce n'était que des lâches et de peureux. 

Une procession d'habitants vint tour à tour l'accuser de tous les maux, de la sécheresse, des maladies de leur bétail, d'un nourrisson né en fausse couche qu'il n'avait pu sauver. Sa potion m'a fait vomir toute la nuit ! — c'était pour empêcher l'infection de se propager. Il a fait cracher du sang à ma fille ! — ta fille était condamnée bien avant que je ne lui administre quoi que ce soit. Je pissais rouge ! — c'est parce que tu buvais trop et que ton foie était en mauvaise santé, ce n'était en rien ma faute. 

"Bien, tonna Seokjin en tapant du maillet sur la table à la fin de la tirade de chacun. Y a-t-il d'autres citoyens qui souhaitent témoigner ? 

Hoseok était las, il voulait juste dormir et que tout cela s'arrête. Les chaînes lui faisaient horriblement mal dans le dos, et les soldats derrière lui l'empêchaient de bouger pour trouver une position plus confortable.

"Moi, mon oncle ! 

Jung ne put que laisser sa tête retomber sur sa poitrine, fermant les yeux et soupirant à l'entente de cette voix, si claire et si distincte, au milieu de la cohue. Il n'eut besoin de rouvrir les paupières pour deviner l'homme marcher au-devant de la foule, fier — aussi fier que pouvait être Seokjin —, le sourire mesquin et carnassier. 

"J'ai été corrompu. 

Hoseok laissa ses orbes sombres trouver le visage de son prédicateur, et pensa, la mâchoire serrée : c'est donc cela. La véritable raison de mon procès. 

Kim Taehyung était un bel homme. C'était indéniable, incontestable, et même dans le climat grave et sérieux qu'instaurait son pseudo procès, il ne pouvait que remarquer les regards lourds et envieux posés sur son profil. Des yeux fiers, un profil altier, une bouche à damner un saint, les muscles que l'on devinait rouler sous son veston. Kim Taehyung était un bel homme, un très bel homme même, et comme tous les autres, Hoseok était tombé également sous son charme. Il suffisait d'un coup d'œil pour qu'il se rappelle qu'il n'avait pas été un simple soupirant — le souvenir de lèvres rougies, de gorges tendues, de peaux frissonnantes, des claquements de bassins contre ses reins, de gémissements orgasmiques silencieux —, et pour qu'il regrette amèrement ce moment de faiblesse qui allait lui coûter la vie. 

Une acmé délicieuse contre une nuit de plus sur Terre.

"J'ai été corrompu, répéta Taehyung d'une voix grave, jetant un coup d'oeil circulaire à l'assemblée pour s'assurer de leur attention. Je pensais qu'Hoseok était mon ami... jusqu'au jour où il a tenté de m'embrasser, et de m'entraîner avec lui dans les limbes d'une passion interdite. 

Le jeune homme se planta les ongles dans les paumes de ses mains, encore et toujours enchaînées fermement entre elles, pour s'empêcher une nouvelle crise de fureur et de rage, pour s'empêcher de cracher son venin contre quiconque l'accusait. La mâchoire serrée. Le souffle court. Le regard dur. Il y avait des choses pour lesquelles il était prêt à avouer — d'avoir aimé, même pendant un court  instant, le fait de se perdre dans les bras de Taehyung —, mais d'autres... Kim n'était pas différent des autres, finalement ; car il déformait tous les propos pour se débarrasser de tout soupçon, pour se laver de ses propres péchés et d'expier ses fautes. 

La vérité... La vérité était que c'était Taehyung qui lui avait fait des avances en premier. Taehyung qui avait attendu qu'ils soient seuls dans la hutte d'Hoseok pour presser son corps contre le sien, pour laisser glisser sa bouche le long de sa nuque en lui murmurant quelques paroles obscènes dans un souffle chaud contre son oreille. Taehyung qui l'avait emmené jusqu'à sa couche, qui l'avait déshabillé et qui avait trouvé une place entre ses jambes, Taehyung qui l'avait supplié de continuer de l'embrasser. C'était, au final, le plus jeune qui l'avait corrompu, mais quand on était le neveu de l'homme le plus prisé de tout le village, sûrement qu'il y avait quelques passes droits avec la justice qu'Hoseok, lui, ne bénéficiait pas. 

"Il m'a demandé de garder le silence, après cela, continua le brun d'une voix qui se voulait peinée. Il m'a dit que si je ne tenais pas ma langue, il allait justement me la couper, pour en faire offrande à Belzébuth lui-même. 

Quelques cris percèrent la foule — des "je te crois !", des "comment a-t-il osé menacer le neveu de Kim ?", ou encore des "il a profité de son innocence !". Des murmures de soutien, des regards compatissants, comme si c'était lui la victime, comme si Hoseok, lui, ne méritait même pas une pointe de commisération, ne méritait pas qu'on lui accorde le bénéfice du doute, peu importe ô combien il protestait. 

Sa mère était une sorcière. Alors lui aussi, forcément. 

Et à cela, le jeune homme ne pouvait que ressentir cette colère irascible. 

"Hypocrite ! feula-t-il en tirant sur ses menottes. C'est toi que l'on devrait juger aujourd'hui, pour mentir de la sorte ! Pourquoi tu ne leur dis pas la vérité, hein, Taehyung ? Pourquoi tu ne leur dis pas ce que tu me chuchotais quand tu étais entre mes cuisses ? 

"Silence ! gronda Seokjin en se levant de la table. 

"Pourquoi est-ce que tu ne leur dis pas ce que tu me racontais à propos de ces filles qui n'étaient que des jouets pour toi, qui n'arrivaient à te faire jouir ? C'est l'une d'elles qui m'a dénoncé ? Quoi, tu veux m'éliminer parce que tu as peur qu'on découvre ton petit secret, comme quoi tu préfères les hommes ? 

"Accusé, taisez-vous !  

"Cela ne t'a pas empêché de venir me baiser, encore et encore ! 

L'un des gardes derrière le noiraud lui asséna un coup dans le visage pour stopper le flot de paroles, et Hoseok ne put que gémir de douleur en accusant le poing s'enfonçant dans sa mâchoire. 

"J'ai demandé le silence ! toisa Seokjin, le regard dur. 

Il n'y avait plus un bruit — même le souffle du vent semblait s'être tu, immobile, la respiration coupée, ténu dans l'appréhension. Le ruissellement des feuilles d'automne, les pas lourds des badauds pressés contre la terre, même le bruit de ses entraves... plus rien. Juste l'écho de leurs cris. 

Hoseok cracha un autre mollard de sang. 

"Vous prétendez juger au nom de la vérité, commença bassement le noiraud, les yeux rivés dans les prunelles sombres de son bourreau. Mais la vérité, justement, c'est que vous êtes incapables de regarder de la en face. Vous voulez faire de moi un exemple, parce que votre précieux neveu a peur de subir les conséquences de ce que votre société étriquée a imposé. Quelles sont les preuves que vous avez contre moi ? Avoir pendu ma mère parce qu'elle était l'amante d'un de vos potentats ? Avoir réussi à sauver un enfant de la maladie ? On m'aurait lapidé pour l'avoir laissé mourir dans tous les cas. Vous n'avez rien contre moi. Aucune preuve. Faites-moi traverser une mer de braises incandescentes, faites-moi boire du poison, brûlez ma main, coulez-moi au fond de la rivière — si je survis, alors je suis le suppôt de Satan ; mais si je meurs, au moins vous n'aurez pas à me tuer vous-même, et personne ne m'estime suffisamment ici pour s'assurer que mon nom soit lavé de tout soupçon. Quoi que je fasse, quoi que j'ai pu faire, vous m'avez toujours vu comme un étranger, une anomalie, tout juste toléré au sein de la communauté. 

Il marqua un temps. 

"Vous n'avez rien contre moi. Vous n'avez aucune certitude que je m'emploie à de la sorcellerie. Mais Taehyung voulait se défaire d'un concubin gênant, alors cela vous a suffit pour faire convoquer tous vos maudits fidèles pour pouvoir jouer une pièce de théâtre, pour pouvoir prétendre que j'étais le mal incarné pour pouvoir vous débarrasser de moi une fois pour toutes. 

Seokjin le regarda un instant, de ces mêmes orbes lourdes et profondes qui le laisseraient tremblant s'il n'était pas trop occupé à le défier du regard, avant de claquer sa langue contre son palais. 

"Tu te trompes, Jung, répondit le leader avec un sourire qui ne lui plaisait guère. Il y a une dernière épreuve qui nous permettra de s'assurer de ta culpabilité. 

Il claqua des doigts en direction d'un homme, à la lisière des habitants amassés ; le noiraud retenant son souffle quant à l'ordalie* qu'on allait lui imposer [*dit "jugement de dieu", épreuve physique à caractère religieux, douloureuse et souvent létale, dont l'issue, supposée conduite par Dieu, déterminait la culpabilité ou non d'un suspect]. 

Soudain, fendant la foule, apparût Jeongguk. Et la gorge d'Hoseok se serra. 

Il était évident que Jung n'avait pas grandi avec beaucoup d'amis. Sûrement que le fait de s'occuper tout seul — de la nourriture, de son logis, de ses vêtements et de toutes ces petites autres choses que sa mère gérait — l'avait empêché de se mêler à ces enfants riants et se battant avec des bâtons, insouciants et protégés. Mais Jeongguk... Jeongguk était sûrement celui qui se rapprochait le plus d'un proche. Pas assez pour être un confident, pas assez pour discuter avec lui des ragots qu'il avait entendu sur la place du marché, mais suffisamment pour pouvoir compter sur lui pour lui tenir l'échelle quand il travaillait sur le toit, ou suffisant pour se voir offrir de temps en temps un fromage de chèvre frais pour avoir préparé une tisane réparatrice. 

La maison de Jeongguk était non loin de la sienne, et Hoseok aimait observer avec un petit sourire son voisin poursuivre ses brebis désobéissantes depuis sa cuisine ; le voir ici en revanche, au milieu de cette foule, trop droit et trop pâle, était une toute autre vision dont il aurait préféré ne pas être le témoin. Il était nerveux, cela se voyait, de ses épaules tendues et rigides, de son dos raide et de ses mains aux phalanges blanches qui serraient beaucoup trop fort la corde rêche de son bouc. 

A ses cotés, ses grandes cornes grisâtres capables de percer l'empyrée tout aussi morose, sa longue robe brune et ses onglons piétinant la terre battue sous ses sabots, se tenait un majestueux bouc mâle. C'était le seul bouc du troupeau de Jeongguk, depuis la mort l'hiver dernier d'un jeune mâle — mais ce n'était pas pour parler chèvres et fromage que le jeune homme était là devant lui, de toute évidence. 

Car le bouc avait toujours été un symbole de Satan ; ne surnommait-on pas Belzébuth comme le "Bouc de Mendès" ? Au moment du jugement dernier, les pécheurs étaient des boucs placés à la gauche du seigneur, devenant alors une représentation totémique de l'Antechrist — ou, du moins, c'était ce que prêchait le vieux prêtre dans leur église. C'était un animal vigoureux, robuste, pervers et procréateur, personnifiant la luxure de Lucifer. 

Depuis quelques temps, la paroisse de leur village utilisait Jeongguk et ses bêtes pour qu'elles puissent déterminer le Mal qui sommeillait au fond de tous ceux accusés de sorcellerie, interprétant les moindres signes comme une preuve irréfutable du poison mortel qui coulait dans les veines du prévenu. Une fois, on avait accusé une femme, de passage dans la région et installée dans leur village depuis quelques mois seulement, d'avoir fricoté avec le Malin lors d'un rituel satanique. Le bouc s'était rué sur son ventre, l'empalant presque de ses grandes cornes, et on avait estimé que la malheureuse était enceinte de l'enfant du Diable ; cette seule réaction, qu'on aurait pu interpréter de mille autres manières différentes — parce que la bête avait été castrée, parce que la femme s'était renversé du lait de chevreau sur sa robe ce jour-là — , avait contenté ses détracteurs pour la hisser sur la potence.

Et voilà qu'à présent, c'était Hoseok de l'autre côté de ces yeux froids, noirs et sans expression de la créature. Ces grandes orbes aussi sombres que du charbon, le transperçant de part en part, si grands et si luisants qu'on pouvait presque voir les corbeaux tourner au-dessus d'eux dans le vitreux de ces globes. 

"Jeon, veuillez faire avancer l'animal près de l'accusé, tonna la voix de Seokjin, claire comme les trompettes de la Mort. 

Hoseok se tira de sa contemplation effrayée et mutique de la bête, pour tourner le visage en direction du jeune homme en face de lui. Il était peut-être tout aussi terrifié que lui, bien que les chaînes manquaient à ses poignets, et que son visage aux traits fins n'était pas abîmé par les coups de bottes des soldats qui le surveillaient. Ses pupilles, aussi écarquillées et obscures que son bouc, étaient brillantes de larmes et de dizaines de mots qu'il n'osait dire. Etait-ce "je suis désolé" ? "Pardonne-moi" ? Etait-ce autre chose encore, de plus personnel, brut et vulnérable, que Jeongguk n'aurait pu crier à s'en arracher les poumons au milieu de la foule ? Et puis, pourquoi s'excusait-il, de toute façon — ce n'était pas lui qui l'avait honteusement pointé du doigt, pas lui qui l'avait arraché de son lit au petit matin, et traité comme le bétail dont il s'occupait. 

"Jeon, rappela le chef à l'ordre, le ton impatient face au laxisme dont faisait preuve le berger. 

Hoseok crut voir Jeongguk secouer faiblement la tête, faire un pas en arrière. Mais peut-être imaginait-il, hallucinait-il face au manque de clairvoyance de ce simulacre de procès, car l'instant d'après, un garde vint lui arracher la corde effilochée des mains — le blond ouvrant la bouche dans une protestation de douleur silencieuse, trop tard pour pouvoir empêcher la marche implacable et militaire de cette pseudo justice. Le garde retira le licol autour du cou du mammifère, et, après s'être ébroué dans un entrechoquement assourdissant de cornes, le bouc s'avança.

Hoseok retint son souffle.
Le bouc s'avança encore.

Ses onglons résonnaient comme les pas lourds de la Faucheuse, lents et lourds et puissants. Dans le silence de cathédrale de la place, même les corbeaux avaient cessé de croasser leurs chants mortuaires. Une prière fut murmurée au loin. 

Le bouc s'avança.
Pouvaient-ils entendre les battements frénétiques de son cœur ? 
Le bouc s'avança encore un peu, avant de s'arrêter, à quelques pas d'un Hoseok agenouillé dans la poussière.

Le temps semblait s'être stoppé. 

Le bouc tourna la tête légèrement sur le côté, comme s'il sondait son regard vide dans celui de l'humain, comme s'il le contemplait, pensif. La bête était-elle revêtue d'intelligence ? Pouvait-elle sentir son appréhension, sa peur ? Non, elle était dénuée de pensée, mais les mortels préféraient remettre le sort et le destin de la vie d'un de leur semblable dans une créature qu'ils méprisaient plutôt que d'entendre les supplications d'un homme — qu'ils méprisaient sans doute tout autant. Le bouc bougea de nouveau la tête...

... avant de s'allonger à ses pieds. 

Un hoquet de stupeur ébroua l'assistance, et Hoseok ne put que se figer à la vue diabolique de l'animal à ses côtés. Il crut entendre Jeongguk crier, non loin, appeler sa bête pour qu'elle se redresse, mais son sang battait si fort dans ses veines que Jung crut devenir sourd, l'espace d'un instant. Ouïe qui revint vite à lui, alors que le maillet de magistrat s'abattit dans un gong implacable contre la table des notables du village, marquant la triste sentence qu'était devenue la sienne, et que comparable à mille harpies hurlant, la voix de Kim Seokjin persifla dans l'air : 

"Jung Hoseok, le constat est sans appel. En ce jour, la communauté vous prononce...

Hoseok ferma les yeux. 

"Coupable ! 


---



Il ignorait pourquoi ils ne l'avaient pas tué sur-le-champ. Pourquoi l'une des brebis crédules qui servait de notable n'avait point glissé une lame le long de son cou frêle pour le laisser mollement retomber. Pourquoi ils ne l'avaient pas lapidé de haine à l'idée qu'une supposée sorcière dormait à côté d'eux. Pourquoi ils ne l'avaient pas traîné dans la boue, attaché aux chevaux hystériques et galopants, jusqu'à ce qu'il se rompe le cou. Pourquoi ils n'avaient pas suspendu une corde aux branches du chêne le plus robuste de la forêt, applaudissant devant son corps inerte bercé par le vent. 

La vérité était que les hommes étaient tout aussi malfaisants et cruels que l'Antechrist qu'ils craignaient, et qu'ils avaient préféré qu'il rumine sur sa dernière nuit sur Terre en attendant le petit jour. L'enfermant dans la cave de la maison de Kim, servant de prison — ils auraient pu l'enchaîner dans les catacombes de l'église, aux murs recouverts d'eau bénite, mais le vieux prêtre avait refusé de faire rentrer le Diable dans la maison de Dieu, ou une imbécilité du genre.

Jeongguk, paix à son âme, avait insisté pour qu'il puisse avoir un dernier repas, clamant quelque chose comme la dignité des condamnés, et Seokjin avait accepté que lui soit servi un peu de fromage et du pain. Hoseok avait vu un soldat cracher dans son plat, en revanche, avant de le lui tendre, alors l'assiette était dans un coin de la pièce, étrangement éclairée par les rayons de l'astre nocturne à travers le vasistas. 

Il n'avait pas faim, de toute manière.

Le jeune homme reposa la tête contre la pierre humide en soupirant, fermant les yeux un instant. Et maintenant quoi ? Que pouvait-il faire d'autre que d'attendre, agonisant, que la Lune finisse sa course folle dans le firmament, redoutant l'apparition funeste du Soleil timide ? 

Toute sa vie, il avait appréhendé ce moment — cette pensée qui avait éclos dans son esprit pendant son procès, et qui ne faisait que fleurir de ces pétales sombres et pourris. Craint le jour où ils feraient de lui le même pariât qu'ils avaient fait de sa mère. Le même monstre. Le pointant du doigt pour de la supposée magie qui coulerait dans ses veines, ne lui accordant un peu de sursis uniquement parce qu'il n'était encore un enfant, lorsqu'on avait découvert le Mal qui rampait dans les intestins de sa génitrice. Qu'il était ironique, qu'ils se parent tous dans ces supposés principes et préceptes, refusant de tuer un gamin mais s'autorisant à cracher sur son passage. 

Le seul regret qu'il avait, c'était de ne pas avoir ces supposés pouvoirs. Ce qu'il aurait aimé que les mots acerbes et mensongers qui crachaient comme une pluie d'acide amère soient réels. Pour ne pas mourir en vain, mais surtout... parce qu'il aurait aimé les tuer tous. 

Le bruit de la lourde porte blindée que l'on pousse le fit relever la tête, ses yeux essayant tant bien que mal de s'accommoder de la pénombre alentour — des bruits de pas, des pieds glissant sur le sol humide de la cave, et la lueur crépitante d'une chandelle, au loin. Et puis cette voix.

"Bonsoir, Hoseok. 

Il eut tout le mal du monde de ne pas se précipiter vers la silhouette pour lui arracher la langue, sachant pertinemment que les chaînes le retiendraient douloureusement. 

"Qu'est-ce que tu fais ici ? 

La lanterne se leva dans la noirceur de la pièce, illuminant le visage de Taehyung — bien sûr que c'était Taehyung, ce serpent à la forme humaine qui se complaisait dans le malheur des autres, venu le tourmenter encore un peu avant que les flammes ne l'engloutissent pour de bon. Comme si lui prendre la vie n'avait pas été suffisant, voilà à présent qu'il lui volait les derniers instants de quiétude silencieuse qui menaient au néant. Continuerait-il à le supplicier dans l'au-delà, aussi, le tourmentant comme mille mains diaphanes lacérant la peau de ses joues dans un cri rauque et inhumain ? 

"Me conduire à l'échafaud ne t'a pas rassasié ?

Le jeune homme ne dit rien, malgré le sourire en coin dessiné d'un coup de pinceau sanglant sur son visage, faisant encore quelques pas vers le condamné. Peut-être qu'il s'approcherait suffisamment près pour qu'Hoseok puisse enrouler ses mains autour de sa nuque... Mais Taehyung savait que son aîné ne ferait rien. Découvrir la mort du neveu du chef de la communauté lui vaudrait une balle dans la tête, sans simulacre de procès, sans demande d'explication, rien. La tentation était néanmoins alléchante — se débarrer de l'homme qu'il avait tour à tour aimé et damné, et s'offrir une mort rapide, loin de la torture que serait le bûcher.

Son bourreau ne répondait toujours pas, comme s'il ne méritait aucune réponse, au final, mais le noiraud ne put que poser de nouveau : 

"Pourquoi as-tu fait ça ? 

Ô, ce qu'il détestait le ton vulnérable de sa voix, presque brisée et tremblotante ; par les diables, alors même que la haine, viscérale, celle qui retourne les intestins et qui martèle ses sens, alors même que cette fureur embrasait sa gorge, c'était des mots chevrotants qui quittaient ses lèvres ? 

Taehyung s'accroupit devant lui, la chandelle éclairant ses traits ténébreux.

"Parce que tu m'as corrompu, répondit-il avec un haussement d'épaules, comme si cela était une évidence. 

La mâchoire d'Hoseok ne put que se contracter à ces mots. 

"Toi et moi savons pertinemment que c'est faux. 

Des flashs de souvenirs l'éblouirent derrière ses paupières. 

Les soupirs du jeune homme contre son oreille, son souffle chaud dans le creux de son cou, les gémissements si lascifs et hypnotisants cascadant de ses lippes, sainte prière sortie des Enfers et qui l'avait conduit, à bien des égards, tout droit dans les limbes calcinées de ce même Tartare. La vision de son corps, suave et concupiscent et luxurieux et indécent, sous lui, cette peau caramel à perte de vue sous son corps, ses prunelles irisées de noire passion, si innocentes et pourtant si envoûtantes — et si Dieu avait fait l'Homme à son image, alors Taehyung était l'être le plus céleste qu'il n'ait jamais été donné à Hoseok de contempler, dans ce tableau si paradoxal et si agnostique, que de voir son dos se cambrer sous ses coups de reins, suppliant d'en avoir plus. Ses ongles qui se plantaient dans ses épaules, car douce était la douleur ; ses cheveux glissant le long de son ventre lorsqu'il semait quelques baisers, bas, plus bas encore, la langue mutine gribouillant des runes énigmatique sur son épiderme, quelques liturgies chrétiennes ou psaumes hiératiques. Le parfum de sa peau, comparable à l'encens des églises et d'une vie pieuse qui se brisait aux éclats, la marque indélébile du Royaume d'En-Dessous au goût de benjoin et myrrhe satanique, comme la cire d'un cierge macabre de déraison que l'on coulerait sur son torse, comme si les démons avaient empilé la braise chaude de la Géhenne dans un thuriféraire doré pour embaumer le jeune homme de leurs fumées possessives. 

"C'est vrai, répondit son cadet en le tirant des volutes de ses réminiscences. 

Son sourire en coin était létal et dangereux, impossiblement irritant. Mauvais. 

"Mais qui penses-tu que les autres croiront ? Le neveu du chef de la paroisse, un garçon respecté et respectable, qui va à la messe tous les dimanches et qui sourit aux grands-mères sur le marché ? Ou un paria, un rejeton du Mal abandonné par sa propre mère, qui vit une existence de misère à ramasser des plantes empoisonnées ? 

Son visage était si près du sien qu'Hoseok aurait pu se délecter du sang épais et purpurin le long de son nez d'un coup de tête, mais il voulait d'abord entendre ses mots, aussi blessants soient-ils, avant de laisser la fureur sourde s'emparer de son enveloppe charnelle. 

"Pourquoi as-tu fait ça ? demanda-t-il encore, car depuis ce matin-là, quand on était venu le chercher aux portes de sa maisonnée, personne n'avait réellement répondu à ses questions — Taehyung le premier. 

"Pourquoi ? répéta-t-il. Je t'ai fait jouir pourtant, et tu savais que je n'allais rien dire. Te dénoncer aurait été comme signer mon propre arrêt de mort. Alors pourquoi ? Ton oncle t'a promis à une femme du village, et tu voulais effacer toute trace de ton passé honteux ? Une de tes conquêtes a découvert que tu n'aimais pas que la gente féminine ? 

En face de lui, le sourire du despote s'allongea plus encore. 

"Qu'est-ce que tu avais à prouver ? chuchota le noiraud dans le silence de sa cellule, un frisson désagréable léchant sa colonne vertébrale. 

Un petit rire, sombre, malfaisant, infect, résonna entre les pierres humides, et les prunelles de Taehyung brillèrent d'une étincelle vicieuse et cruelle dans l'halo froid de la bougie. 

"Oh, Hoseok. 

Il glissa un doigt sous son menton pour relever son visage vers le sien, comme pour mieux admirer la façon dont ses traits se décomposeraient une fois sa révélation éclose sous le soleil noir de la petite nuit. 

"J'ai fait tout cela, simplement parce que j'en ai le pouvoir.

Un silence. 

Un silence douloureux où même les battements de son cœur avaient cessé, sa poitrine s'écrasant sur ses poumons et chassant tout air — dans un instant de disgrâce laide et précipitante, laissant simplement ses mots ricocher dans son esprit comme des centaines de rires écœurants et moqueurs. 

Il relâcha le menton du condamné pour se redresser, mais le marginal n'avait toujours pas repris sa respiration. 

Taehyung était, foncièrement et simplement, mauvais. L'incarnation du Mal la plus humaine et la plus magnifique qui soit — et lui, le pauvre fou rejeté du monde qu'il était, se retrouvait enchaîné dans cette cave uliginaire à sa place. 

Ce fut tout juste s'il entendit le grincement de la porte en fer qui se referme, des pas sourds glissants. Il ne sut réellement quand est-ce qu'il cligna enfin des yeux pour reprendre une goulée d'air moisi, suffoquant, la révélation comparable à un pieu planté dans le cœur. Il toussa un peu — peut-être pleura-t-il également face à sa pauvre destinée qui l'attendait, il ne saurait dire. 

Une chose était sûre, néanmoins, alors que les nuages assombrissaient les rayons clairs de la lune sur le sol. 

Il aurait dû étrangler Taehyung, finalement. 


---



Il y avait, dans ces contrées où la communauté s'était installée, des dizaines de façons de mourir. La peste. La syphilis. Le froid. La faim. La bêtise des hommes, aussi. Hoseok était guérisseur — il avait déjà imaginé la façon dont il rendrait son dernier soupir. Fiévreux parce que la viande était avariée. Recrachant du sang alors qu'une épidémie inconnue décimait le Nouveau-Monde. 

Mais jamais il n'aurait imaginé mourir de cette façon. Brûlé vif. 

Au petit matin, il avait été réveillé par les gardes venant le chercher pour le conduire à l'échafaud. Il n'avait pas réellement dormi, observant les joliesses de la Lune dans l'espoir d'avoir l'esprit tranquille, baume au cœur pour apaiser toute cette détresse cinglante et brutale, comme si la membrane de son organe vital avait été arrachée à vif pour battre faiblement quelques dernières gouttes de sang. Mais bien vite, l'astre avait disparu de son champ de vision, continuant sa danse dans le ciel, synonyme du temps qui passe, le laissant là, dans cette cave, pétrifié dans le temps, priant de tout son soûl que les secondes passent plus lentement. Quand la Dame de la nuit avait fini sa ronde pour se glisser derrière les draps du Soleil, matinal, ses paupières s'étaient fermées, l'engloutissant dans un sommeil tout sauf réparateur, tout juste de quoi tenir pour l'adrénaline létale qui l'attendrait dans quelques heures à peine. 

Il avait été traîné le long du sol poussiéreux du village, les soldats sans visage le poussant et le tirant dès que ses pas hésitaient. Derrière lui, le vieux prêtre escortait la procession en murmurant des prières, mais le jeune homme n'y faisait pas trop attention, car, bientôt, il arriva sur la grande place. 

Il avait beau s'être préparé mentalement pendant le peu de temps qu'il lui restait, avait beau s'être ordonné de ne pas faiblir pour ne pas donner ce plaisir à Taehyung — mais comment rester de marbre, quand, se découpant dans le ciel bas de ce matin d'automne, se dressait de sa longue silhouette mortelle et mortifère l'échafaud qui serait son dernier tombeau ? 

Le noiraud ne fit pas attention aux badauds qui s'étaient pressés de bonne heure pour voir le spectacle, les chuchotements commentant les cernes sous ses yeux et son teint pâle ; ne fit pas attention aux bottes de paille au pied du bûcher, ni au flambeau rougeoyant que tenait un garde dans ses mains ; ne fit pas attention aux larmes brillantes dans les yeux de Jeongguk. Et surtout, surtout, il ne fit pas attention au masque satisfait que revêtait Taehyung, au côté de son oncle. 

Tout se passa dans un brouillard. Il n'avait plus la force d'être en colère, pas quand le sablier au-dessus de sa tête était presque sec, n'avait plus la force de se battre. Pour quoi faire, au final ? Il aurait beau se débattre et assommer un soldat, des dizaines d'autres et toute la foule furieuse se précipiteraient sur lui. Alors, il se laissa conduire sur les quelques marches jusqu'à la petite estrade, laissa les hommes attacher ses mains autour du long poteau que leurs bûcherons avaient taillé dans un chêne blanc, réputé pour neutraliser les sorcières, et qui l'empêcherait d'utiliser ses soi-disant pouvoirs. Des femmes entassèrent des meules de foin inflammable, des branchages et des bûches contre ses pieds, et Hoseok eut l'envie de vomir en voyant des enfants mettre la main à la pâte. 

Il eut une pensée pour sa mère — son esprit l'accompagnerait-il dans ces derniers instants ? Lui envoyait-elle sa force, de là-haut, l'intimant de rester fort et courageux ? Mais sa mort à elle avait été rapide et implacable, un cou brisé et le cœur qui cesse de battre. Lui hurlerait à s'en arracher les poumons face à la chaleur, les flammes dévorant sa peau et séchant immédiatement les perles salées qui n'auraient pas le temps de couler. Il savait qu'il mourrait d'asphyxie, mais pas sans une longue et amère torture. 

"Jung Hoseok, tonna la voix de Seokjin dans le silence étrange de la foule. 

Le condamné n'eut la force de tourner le regard vers le patriarche. 

"Vos pairs vous ont jugé coupable du crime de sorcellerie et de magie noire. Vous comparaissez devant nous pour répondre de vos actes. Avez-vous une dernière parole ? 

Le noiraud pencha son visage vers le ciel, tout aussi sombre et triste qu'il avait été la veille, humant profondément pour la dernière fois les parfums des sous-bois et de la pluie — mais tout ce qu'il respirait, c'était la haine des mortels et la suffisance de Kim, de l'autre côté de la place. 

Alors, la voix étrangement calme et impassible pour la situation, il murmura : 

"Si vous prétendez que je suis le Mal, alors je vous souhaite tous d'aller au Diable. 

Un soubresaut d'éréthisme secoua l'assistance, et Seokjin fit claquer sa langue contre son palais de dédain. 

"Dans ce cas... Que Dieu vous vienne en aide. 

Un corbeau croassa au loin. 

Et le bourreau mis le feu au bûcher. 


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La chaleur. La douleur. Incommensurable, destructrice, vorace, celle qui ronge la peau et qui engloutit ses sanglots étouffés dans la fumée. Le feu qui éclate avec une fureur sans égale, rapide, implacable, véhémente — le feu, cruel météore de l'aube, du courroux des mortels et de leur souffle pieu. 

Hoseok avait vu l'étincelle au bout de la torche du bourreau dévorer la paille, comme un ruisseau de lumière incandescente qui dévale la colline, qui embrase l'échafaud dans une joyeuse tempête, sourde à ses cris, sourde à ses supplications. Mais il avait beau prier, encore et encore, son dernier tombeau n'était qu'un four rougi à blanc, de ces flammes qui dévorent les âmes damnées — et était-il encore sur Terre, ou d'ores et déjà aux Enfers ? 

Il ne savait plus quand sa voix s'était étranglé dans sa gorge, le panache gris du smog ayant raison de ses derniers oraisons ; mais le brasier s'était chargé d'hurler à sa place, de ces craquements de bûches comparables à la clameur de mille démons, de ces murmures calcinés qui ordonnaient aux autres de fuir, de ces soupirs des braises qui se délectaient par avance de leur nouveau sacrifice. 

Puis la fureur rouge commença à écorcher sa peau, à déchirer sa chair, les dents de centaines de serpents venu d'en bas arrachant son épiderme, son sang bouillant comme dans les grands chaudrons de Salem, ses larmes avalées, ses os jetés au tison ulcéré ; son esprit plongé dans la fournaise de Lucifer, puis dans un lac d'eau glaciaire, puis battu, puis noyé de nouveau dans le charbon, encore et encore, si délirant qu'il en oubliait jusqu'à son nom, jusqu'à son âme. 

Il s'était mis à pleurer, sans doute, ces sanglots brouillant le peu de vision qu'il lui restait, implorant la pitié du Très Saint.

Mais c'était en vain ; plus il demandera grâce, plus il sera torturé car tant que Dieu durera, dureront ses tourments et ses maux.

Il hurla. Il pleura. 

Et puis le noir. 


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Les lueurs de l'aurore n'auraient pu en rien atténuer l'horreur de la scène. 

Le bûcher avait brûlé tout le jour, et toute la nuit. Hoseok était sûrement mort dans la première heure, tout au plus, mais Seokjin avait refusé qu'on éteigne le feu — il voulait faire du paria son exemple, et quel comble n'était-ce pas là que de voir celui qu'il avait méprisé au point de lui prendre la vie servir ses ignobles desseins pour asseoir son pouvoir. 

Le vent avait soufflé longtemps sur les braises, et le corps de la sorcière, inerte, mort, nanti, n'avait pu que subir la noirceur avide et cupide des flammes. Le cadavre n'était plus qu'une momie carbonisée, les traits de son visage fondant pour n'être plus qu'un masque de suie parcheminée, la chair jadis si vivante désormais figée dans une prison de fer et de cendres. Ce n'était plus qu'une statue de cuivre, sans cheveux, sans yeux, sans dents. Sans sourire. Sans vie. Sans espoir. Sans âme. 

La fraîcheur de la nuit avait consolidé la croûte du dépôt noir de la combustion autour de sa peau, et les rayons timides du petit matin n'avaient pu qu'éclairer avec effroi les étranges couleurs de l'incendie qui étaient désormais siennes. Un corbeau s'était posé sur son crâne, et personne n'était venu le chasser pour permettre à Jung le repos qu'il méritait. Aussitôt mort, aussitôt oublié. 

Oui, les lueurs de l'aurore n'auraient pu en rien atténuer l'horreur de la scène. 

Ni n'auraient pu atténuer l'épouvante à la vue du soudain mouvement que fit la poupée de cadmié. Imperceptible, discret, presque un mirage, mais pourtant il était bien là, ce petit tremblement de la main, cette légère et maigre flexion des doigts, comme un endormi qui se réveille enfin du coma et qui reprend conscience peu à peu de ses sens. Un soubresaut dans son poignet. Le craquement des phalanges. Le frémissement de sa paume. 

Quelque chose de fantomatique et d'inhumain. 

Et puis le macchabée bougea. Lentement, le peu des os qui lui restaient et qui ne s'étaient pas liquéfiés craquant, grinçant sous le poids de son corps et de sa douleur. La chaleur avait rongé ses cordes, si bien qu'il ne lui fallut qu'un mouvement sec pour se défaire de sa prise autour du grand tronc de chêne blanc. 

C'était... C'était une vision qui appartenait à la nuit, aux cauchemars et aux visions ésotériques, que de voir l'homme jadis mort revenir d'entre les défunts, comme un pantin désarticulé qui descendait les marches de son bûcher avec peine, les pieds traînant, ses membres se réhabituant à sa silhouette sourde. Là, au petit matin, dans les éclats pastel du ciel, le spectacle n'en était qu'encore plus dangereusement sinistre. 

Bientôt, Hoseok — ou que l'ombre de lui-même, on ne saurait dire — mit pied à terre, quittant la plateforme de la guillotine. 

Tel un marin qui venait d'échouer sur le rivage, il se redressa, son dos craquant, la tête tournée vers le soleil timide, pour respirer à plein poumons — ses poumons couverts de fumée et de toxines et aussi charbonneux que sa peau — l'air frais du premier jour du reste de sa vie. 

Mais revenir d'entre les cendres n'était pas la seule curiosité la plus terrifiante : car, s'étirant, la croûte solidifiée de cramoisie autour de son épiderme commença à craqueler, coquille de scorie poussiéreuse qui s'effrite soudain. Comme la lave durcie qui se brise pour laisser apparaître le magma en fusion sous sa couche secrète — puisque sous le manteau de fraisil, sa peau était... illuminée. Radieuse. D'une teinte orangée, tel le fer battu à chaud dans la forge du Mal, voilà que les veines de son visage étaient irradiées de ce liquide volcanique, puissant et captivant, ensoleillant son teint jadis si blafard. 

Parce qu'Hoseok... Hoseok était un phœnix. 

Sa carcasse secondaire tomba à ses pieds, et Hoseok put de nouveau respirer l'air au goût de vengeance, de ses poumons neufs cette fois-ci, nu dans sa glorieuse nudité. Le pouvoir coulait lentement dans ses mains comme le plus épais des sangs, de ce goût métallique et savoureux sur sa langue. 

Il venait de se réveiller, et il avait faim — faim de justice, de cette vendetta implacable qui ne finirait qu'une fois qu'il aurait fini de tous les tuer. Qu'une fois que leurs cadavres tomberaient mollement dans la poussière dans un dernier cri ; parce que pour l'avoir accusé à tort, pour l'avoir emmené tout droit vers la mort, pour avoir tué sa mère et pour avoir cherché à le nuire à son tour, pour avoir aveuglément suivi les ordres des Kim sans hésiter un seul instant.... ils allaient payer. 

Peut-être que les habitants avaient raison de le craindre, au final. 

A sa droite, une femme cria, laissant tomber le panier d'osier qu'elle avait entre les mains, tremblante, paniquée. Le noiraud la reconnaissait ; elle lui avait craché dessus lorsqu'ils l'avaient emmené de force dans sa prison de fortune, ses yeux mauvais et rancuniers. A présent, ses orbes bleu clair étaient distillés de peur, de cet affolement panique qui la poussait à secouer la tête, comme si elle ne croyait pas à la vision d'outre-tombe qu'Hoseok offrait en ce petit matin. 

Il haussa les épaules plus pour lui-même. Il n'avait pas encore décidé qui il tuerait en premier, mais celle-ci ferait l'affaire pour marquer le début de sa série sanglante, histoire de voir de quoi ses mains étaient capables. 

Alors, lentement, son pas lourd et félin, il s'approcha de la pauvre femme sans défense — figée dans sa crainte appréhensive, elle commença à reculer doucement, portant ses mains devant son visage comme pour se protéger, comme pour implorer pardon, comme pour implorer sa miséricorde. La colère de son cœur, qui s'était dissipé un temps en découvrant qu'il était de nouveau vivant, revint tel mille chevaux au galop — et lui, quand il avait demandé de l'épargner, quand il avait imploré leur raison et leur jugement, l'avaient-ils gracié pour autant ? Non ; alors pourquoi ferait-il de même envers le peuple qui lui avait tout pris ? 

La femme trébucha sur l'une des pommes qui s'était renversé ; et, dans un petit cri, chuta par terre. 

"Pitié... 

"La pitié est pour les faibles d'esprit, grogna Hoseok en se penchant au-dessus d'elle. 

Elle tenta de balbutier quelques autres prières, avant que le jeune homme ne plaque ses grandes mains de part et d'autre de son visage... et que tout ne redevint que cendres. Des cendres au goût de sang. La femme hurla, hurla à s'en arracher les poumons, mais le phœnix était sourd à toutes ses lamentations ; car la source de vie de sa victime était directement injectée dans ses veines, tirant son pouvoir de sa mort, et Hoseok pouvait presque goûter sur sa langue le parfum de cette toute nouvelle puissance. Il était mort, il était revenu à la vie ; et voilà que maintenant il devenait encore plus fort en arrachant aux hommes de sa paroisse ce qu'ils avaient voulu lui prendre. Ce n'était là que juste compensation. 

La femme tenta de griffer ses avant-bras, dans l'espoir de le faire lâcher, mais aspirer toute son énergie vitale était comme un shot d'adrénaline pure, comme ces nouvelles drogues qu'on murmurait qui se propageait dans le nouveau monde — l'opium, la cocaïne, la marijuana — et rien, rien, ne pourrait l'empêcher de continuer. 

Bientôt, les cris s'éteignirent, et la sorcière ne put que relâcher sans cérémonie le corps sans vie. Il ne restait que l'enveloppe charnelle, la peau grisâtre comparable à la cendre qui virevoltait encore dans les airs, les veines noires de poussière. Elle qui avait les cheveux si blonds, les joues si roses, les lèvres si fraîches, voilà qu'elle ressemblait à présent à une momie rêche, vieille, abîmée. 

Et le noiraud ne put que se redresser de toute sa grandeur, l'œil pétillant à la découverte de cette nouvelle source intarissable de pouvoir qui bouillonnait en lui, le rictus invincible. Il n'avait eu le temps de s'émerveiller sur sa survie que déjà ses capacités d'outre-tombe lui apparaissaient, nourrissant le désir brut et grège de son désir de châtiment. 

Les cris de douleur de la jeune femme avaient attiré quelques villageois hors de leurs maisonnées, la paroisse se réveillant dans cette épouvante saisissante, et les premières silhouettes des badauds curieux se pressaient à la lisière de la grande place, découvrant dans un étranglement de stupéfaction le triste tableau qu'il peignait là. 

Hoseok eut un autre sourire mauvais : ils venaient tout juste de tomber dans la gueule du loup, se présentant à lui comme des agneaux qui n'avaient aucune chance. 

Personne, il s'en faisait la promesse, personne ne serait épargné.


---



Il n'y avait eu aucune goutte de sang. 

Aucun corps éventré, aucune larme d'hémoglobine tombant sur la terre, aucun éclat de vermeil sur les murs de chaux. Même les têtes des nouveaux-nés n'avaient pas explosé quand il avait posé un seul doigt sur leur front pour arrêter leurs petits cœurs. 

Le paysage était fait de teintes de noir et de blanc, mais cela en était encore plus effrayant : pas une nuance de purpurin dans ce tableau triste et sans vie. Les dépouilles gisaient, grises et mornes, et leur vision était si saisissante lorsqu'on se remémorait les grandes couleurs chatoyantes du bûcher. Pas un éclat, pas un mouvement, pas un bruit. Hoseok avait tué ceux qui étaient éveillés avant même qu'ils ne puissent s'enfuir, et il avait fait taire les jeunes enfants avant que leurs pleurs ne donnent l'alerte ; puis, tel le Croque-Mitaine, il avait rendu visite aux autres villageois dans leurs sommeils, sortant tout juste de leurs rêves pour laisser leurs consciences les remonter à la surface — pour n'être que violemment noyés alors que le phœnix aspirait leur âme la seconde suivante.

Il avait brisé sa promesse, en revanche. Une seule fois. Celle de ne faire preuve d'aucune pitié, parce qu'aucun de ceux ici ne méritaient sa clémence ; aucun, sauf Jeongguk. Il était passé devant sa maison silencieusement, sans un regard — le jeune homme découvrirait avec un haut-le-coeur abject le résultat de ses représailles lorsqu'il se réveillerait, mais au moins le noiraud l'avait-il épargné du spectacle atroce et cruel du carnage auquel il s'adonnait avec un sourire sadique. 

Le pouvoir était à présent extraordinaire dans ses veines. Grandiose. Il se sentait invincible, immortel, illimité, et il suffirait sûrement d'un claquement de doigts pour que quiconque autour de lui ne s'écroule soudainement, sans aucun souffle. Sa mère aussi, avait-elle été une créature comme lui ? Etait-ce parce que les habitants le savaient qu'ils avaient refusé de la tuer par le feu, par peur de réveiller en elle une bête inarrêtable ? C'était là une erreur que cette nouvelle génération de bourreaux ne pouvait que regretter — bien que leurs remords et soif de repentance n'avaient été que de courte durée. 

Remontant vers l'église, il ne put qu'observer avec une certaine délectation les macchabées tristes et froids étendus sur le chemin, vulgaires feuilles mortes qui crissaient sous ses pas. Mais sa contemplation assouvie et rassasiée serait pour plus tard : il lui restait encore une dernière mission à effectuer, avant qu'il ne se sente pleinement vengé. 

Il avait tué Seokjin —  par mégarde, il fallait bien l'avouer —  un peu plus tôt dans la matinée, lorsqu'un troupeau d'habitants avaient tenté de lui échapper, Kim se cachant tel un lâche derrière un vieillard dans l'espoir d'être épargné. Déloyal un jour, déloyal toujours ; il n'en attendait pas moins venant d'un homme aussi vil et fuyard que lui. Il aurait voulu prendre davantage son temps avec lui, le faire payer pour tous les cris qui étaient sortis de sa chair ; tant pis, peut-être ne méritait-il pas non plus de traitement de faveur, méritait de finir comme tous les autres, dans la poussière et dans la boue et dans l'ignorance. 

Mais à présent, le cœur de la créature criait pour une dernière vengeance. 

Kim putain de Taehyung. 

Telle une bête sauvage, un prédateur tout en haut de la chaîne alimentaire, il commença à errer dans le village, son regard scrutant les horizons à la recherche de la silhouette frêle de la personne qu'il détestait le plus sur Terre à présent — bien que cette fureur son nom ne serait bientôt qu'un lointain souvenir, une fois qu'il enroulerait ses mains autour de son cou. Etait-il en train de se cacher ? S'était-il enfui ? Se camouflait-il derrière un cadavre sans vie, tremblant comme son oncle, les yeux fermement clos, dans l'espoir d'être presque invisible aux yeux de la divinité démoniaque et spectrale qui rôdait entre leurs maisons ? 

Ses pas étaient lourds. Lourds de pouvoir, lourds de toute cette puissance qu'ils avaient accumulés, laissant des traces calcinées sur le sol, sa peau en perpétuelle combustion, lente et hypnotisante ; et—

Un mouvement. 

Du coin de son œil, un mouvement, imperceptible, mais qui retint tout de même son attention. Et lorsqu'il tourna brusquement la tête, quelle ne fut pas la délectation de sa découverte...

Car là, entre deux corps, d'une mère de famille qui tenait fermement son fils contre sa poitrine morte et asséchée, se trouvait Kim Taehyung — tentant, lentement et discrètement, de se faufiler un chemin loin de la colère du phœnix. Les champs se trouvaient à quelques mètres seulement, s'étendant à perte de vue, et sûrement pensait-il que cela opérait comme une bonne porte de sortie, la clé de sa liberté et de sa survie. Un instant, le noiraud l'observa, les bras croisés et le sourire en coin mauvais, diverti par la longue et tortueuse progression de son ancien amant. 

"Où penses-tu aller ? 

Sa voix avait grondé dans le silence sinistre et sépulcral de la scène de crime, et le jeune homme s'était figé, l'horreur liquéfiée sur les traits de son visage. Pas un bruit, pas un souffle de vent, mis à part sa voix, claire et menaçante, perçant l'atmosphère tragique. Tressaillant, le brun déglutit difficilement, pris au piège et les yeux écarquillés, avant de se tourner vers l'objet de toutes ses craintes et ses cauchemars. Pensait-il vraiment pouvoir le vaincre ? 

"Ne crois pas que j'ai tué toute ta paroisse pour t'épargner, susurra la harpie d'un rictus immoral et vilain. 

D'un pas toujours aussi lent, toujours aussi lourd, mais qui laissait imaginer les pires abjections monstrueuses, Hoseok se tourna vers lui. Le loup qui se dirige vers le lapin acculé, le requin qui encercle le poisson sans défense, l'aigle qui fond sur l'oiseau faible. Il n'y avait aucun doute sur l'issue du combat — si tenté Taehyung allait se débattre — mais le goût de la peur de l'autre sur sa langue était si délicieux, plus doux que tout le miel et le vin du monde, que la créature ne pouvait s'empêcher de faire durer le moment. 

"Hoseok... 

L'humain tenta de bouger, mais ce n'était qu'une proie de plus prise au piège ; ses pieds glissaient sur la terre battue, et il avait beau reculer, traîner son corps dans la boue, les ongles se plantant dans le sol poussiéreux pour tenter de lui échapper, que, bien vite, il se retrouva adossé au mur d'une chaumière. Il n'avait nulle part où aller, et quand bien même trouverait-il l'énergie et le courage pour se redresser et courir aussi vite qu'il le pouvait, loin d'ici, Hoseok le rattraperait en un rien de temps, fort des âmes qu'il avait goulûment aspiré. 

"Hoseok, par pitié... 

La seule réponse fut un rire maniaque et lunatique, douce mélodie tout droit venu des Enfers, rappelant les sabbats des sorcières et les hurlements des vents les soirs de pleine lune. L'étincelle dans les yeux d'Hoseok était dangereuse, perfide et agressive même, quelque chose de carnassier, et si Taehyung pensait avoir connu la peur jusque-là, alors  rien n'était comparable à cette nouvelle sensation qui s'éveillait au creux de sa poitrine, craintive et si, si terrifiée. Il savait qu'il allait mourir. La question était de quelle façon. 

"De la pitié ? 

Sa voix s'était aggravée de quelques octaves, procurant un énième frisson le long de la colonne vertébrale de Kim. 

"De la pitié, répéta-t-il en passant sa langue mutine le long de ses canines acérées. Pourquoi devrais-je éprouver de la pitié envers toi, quand tout ce que tu as fait était de te servir de moi à ton bon vouloir ? 

Il n'était plus qu'à quelques pas de l'humain à présent, et Taehyung avait beau essayer de reculer davantage, c'était là peine perdue. 

"Je sais que tu n'es pas un meurtrier, tenta-t-il, la voix hachée. Je sais que tu ne me tueras pas. 

"Vraiment ? 

Il écarta les bras, montrant ses frères, ses soeurs et ses amis, qui n'étaient à présent que des carcasses vides, enveloppes charnelles sans aucun intérêt. 

"Que dis-tu de tout cela, alors ? Penses-tu réellement que je ne serais pas capable de t'achever d'un claquement de doigts ? Est-ce que c'était ce que ton oncle disait, quand je lui ai arraché la tête ? 

Hoseok était si proche, à présent, qu'il s'accroupit devant lui avec un énième rictus diabolique. D'un doigt, il redressa son menton pour plonger ses yeux dans les siens, tout comme Taehyung l'avait fait dans cette prison moisie. Il voulait voir la lumière qui s'éteint au fond de ses prunelles lorsqu'il en aurait fini avec lui.

"Et si je ne suis pas un meurtrier, alors qu'est-ce que tout cela veut dire de toi, hm ? Tu m'as humilié, tu m'as craché dessus, tu m'as conduit tout droit à l'échafaud, et tout cela pour quoi ? Parce que tu voulais prouver au monde entier que tu étais comme ce dieu que tu chéris tant, que tu pouvais décider de qui vivait, de qui mourrait, parmi tes sujets ? 

"Hoseok.. murmura-t-il de nouveau — en vain. 

"Qu'est-ce que tu disais, déjà, dans la cellule ? 

Ses mains se posèrent de part et d'autre du visage de Kim — une larme qu'il n'avait pas conscience de pleurer coula sur son beau visage pétrifié, et ce tableau n'en était que plus délectable encore. 

"Ah oui. 

Son sourire s'assombrit. 

"Je peux te tuer parce que j'en ai le pouvoir. 




Et Taehyung hurla, comme Hoseok avait hurlé sur le bûcher. 





nous revoici pour un nouvel os ! "nouveau" peut-être pas pour tout le monde, car c'est un repost du recueil "rocky aesthetic show" de la rhsteam (foncez lire toutes les autres merveilles qui s'y trouvent, il y en a vraiment pour tous les goûts !!!) .. beaucoup avaient deviné que j'étais celle qui avait choisi "arson", jE mE dEmAnDE biEn poUrQuOi ptdrrrr

aucune volonté de blesser les croyants, juste pointer du doigt les justifications de l'époque lors des procès salem, qui venait légitimer des féminicides et des croyances sexistes, racistes, misogynes, conservatrices et j'en passe... (merci les cours d'histoire du droit d'ailleurs mdr) 

n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, ça me fait toujours super plaisir ! merci à tous ceux qui voteront, partagerons et commenterons ! 

j'ai un autre os sur le feu, je ne veux pas m'avancer mais il est possible que vous ayez une petite surprise tresss prochainement, alors en attendant, prenez bien soin de vous ! 

love you lots, 

champomy 

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