ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ ᴠɪɴɢᴛ-ǫᴜᴀᴛʀᴇ

An 3040, 19 novembre – selon le calendrier d'Yggdrasill

          La semaine s'était écoulée rapidement, trop à son goût. Taehyun se réveillait ce matin, comme tous les matins de ces derniers jours, en sursaut et couvert de sueur. Kai le hantait dans ses cauchemars, il n'arrivait pas à s'en débarrasser. Les jours précédents, il passait simplement la matinée à rattraper son sommeil perdu à cause de l'autre skarpo et se levait pour déjeuner et passer l'après-midi à jouer à la console ou sortir avec ses amis. Beomgyu et Soobin étaient de bonne compagnie pour lui faire oublier ce qu'il s'apprêtait à faire.

Demain.

Il avait compté les heures avant ce jour, il avait observé les journées s'écouler jusqu'à cet instant. Demain, il se lèverait, il s'installerait à son bureau – le comptoir de sa cuisine, en l'occurrence – et publierait le fruit de ses recherches numérisé à l'univers entier. Il attaquerait la Fédération de l'intérieur, il se rendrait complice du rebelle Yeonjun, il se rendrait coupable d'avoir violé le secret de certains dossiers. Le Capitaine Kang deviendrait un criminel aux yeux de ses supérieurs et collègues, aux yeux des victimes et de leurs familles, mais un héros pour le reste de la population. Il appréhendait le moment. Taehyun en devenait déjà livide.

Pourtant, le calme régnait autour de lui. Il ne s'était encore rien passé, il était toujours un Capitaine apprécié et admiré, un exemple pour les jeunes recrues de la Fédération. Et, aujourd'hui, il assisterait à la cérémonie de promotion de son voisin. Taehyun n'avait pas oublié l'invitation du Lieutenant Snø et comptait l'honorer. Même s'il risquait d'y croiser le Président Kim Sunoo ou ses supérieurs. Il n'aurait qu'à les éviter dans la mesure du possible et leur donner les réponses qu'ils voulaient entendre si la confrontation était nécessaire. Ils ne devaient en aucun cas se douter de ce qu'il préparait, sans quoi son plan tombait à l'eau et Taehyun condamnerait les peuples colonisés injustement. S'il ne dévoilait pas la vérité, le génocide de Freyr resterait dans l'oubli pour toujours et justice ne sera pas rendue aux victimes ni à Yeonjun et, ça le tuait d'y penser, mais Kai en faisait partie également.

Le blond se leva, s'habilla de son costume de cérémonie et coiffa ses cheveux fraichement coupés. Il avait eu envie de faire une petite folie en promenant son regard sur les différentes colorations que le salon de coiffure proposait mais Soobin, présent à cet instant, l'en avait dissuadé. Il aurait bien aimé voir ce que la couleur de Yeonjun rendrait sur lui mais son Caporal n'était visiblement pas de cet avis. Il avait donc opté pour une simple coupe, sa coupe classique qu'il demandait à chaque fois, et il voyait bien mieux maintenant avec sa frange raccourcie. Taehyun verrouilla la porte de son appartement. Il restait encore presque deux heures avant la cérémonie mais, d'expérience, il savait que les réjouissances commençaient plus tôt. C'est alors que le jeune Lieutenant Snø sortit de son logement en panique.

― J'avais pas entendu mon réveil oh mon sven ça a pas commencé j'espère pourquoi faut que je fasse ça aujourd'hui c'est la cata c'est pas le moment Snø crotte...

― Respirez, Lieutenant, vous avez encore le temps.

Le jeune sursauta brusquement en se retournant. Dans son monologue très rapide et incompréhensible, et pressé de fermer sa porte, iel n'avait pas remarqué la présence du Capitaine. Celui-ci rattrapa la casquette de l'officier qui tombait de sa tête et referma la porte pour ellui. Le brun le regarda faire avec une expression de surprise figée. Ce devait être violent de se ridiculiser ainsi devant son idole. Mais Taehyun ne s'en formalisait pas. Il était ridicule aussi, parfois, mais il n'y avait pas de mal à ça. Il tapota légèrement l'épaule du plus petit que lui – cela lui faisait d'ailleurs tout drôle de se sentir grand, pour une fois – et lui rendit sa casquette.

― Vous venez ?

Le jeune officier le suivit sans broncher, encore secoué. Ils s'installèrent tous les deux dans la navette, vide à cette heure de la matinée sur Tyr. Il était déjà midi sur Yggdrasill, la cérémonie commençait dans l'après-midi. A côté de lui, Snø ne pouvait pas contrôler le tremblement de ses jambes. Taehyun aussi avait été nerveux comme cela le jour de sa promotion. Ç'avait été un jour très important, un tournant dans sa vie, et il comprenait parfaitement ce que le petit brun ressentait là. Mais le blond n'avait aucun conseil pour l'aider à contenir son trac, lui-même avait échoué à ce moment et avait fini en larmes dans les bras de Soobin. Il n'avait jamais autant appréhendé une apparition officielle que ce jour-là alors qu'il était déjà habitué à tenir des conférences et des interviews avec la presse devant un public conséquent, en tant que l'un des élèves les plus prometteurs de l'école d'officiers. Alors Taehyun restait là, à jeter des regards furtifs vers son voisin pour au moins s'assurer qu'il ne s'effondrait pas sous le stress, jusqu'à ce que l'atmosphère d'Yggdrasill se distingue à travers les hublots du transport. La navette s'arrêta devant l'abribus de la tour du QG et les deux officiers en descendirent. La cérémonie débutait dans une heure et demi, il lui restait encore un peu de temps avant le début des réjouissances. En revanche, Snø devait y aller tout de suite s'iel ne voulait pas faire attendre les organisateurs. Il le pressa, l'informant qu'ils se retrouveraient là-bas, et Taehyun attendit qu'iel eut disparu au détour du chemin qui menait aux jardins, derrière l'imposant bâtiment, pour s'éloigner.

Il ne devait pas trainer autour du QG s'il voulait éviter de croiser de possibles supérieurs. Moins il se trouvait confronté à des questions sur sa mission, moins il risquait de se trahir. Alors Taehyun reprit la navette et s'installa dans un café à quelques rues d'ici. A cet endroit, personne ne pouvait le trouver.

― Capitaine Kang !

Sa volonté de discrétion tombait à l'eau. Taehyun tenta de se cacher derrière son immense gobelet de café mais c'était peine perdue. L'Amiral Lee l'avait vu, il n'allait pas le lâcher de sitôt. Le blond releva les yeux vers le nouveau venu, mi ennuyé mi inquiet. De tous ceux qu'il risquait de croiser, il avait fallu que ce soit le plus bruyant et le plus bavard. S'il avait le malheur de laisser ne serait-ce qu'un petit détail impromptu lui échapper, il pouvait être sûr que la Fédération toute entière le connaitrait en quelques jours seulement. Heureusement pour lui, le Général Westergaard était resté à sa place depuis leur dernière altercation, mais Taehyun ne doutait pas qu'avec un seul petit indice, il reviendrait à la charge et le ferait condamner. Alors il devait rester prudent avec l'Amiral.

Taemin ne portait pas son uniforme officiel ni même une tenue de la Fédération. Il était habillé d'un pantalon droit gris, d'un pull noir à col roulé sous une chemise blanche ample qui noyait ses mains dans les manches, le tout couvert d'un trenchcoat qui lui allait comme un gant. Il portait des vêtements civils mais, même ainsi, l'Amiral avait du style. On parlait du prestige du costume, Taemin n'en avait pas besoin. Pourtant, un soldat de la Fédération ne s'habillait aussi bien en dehors de son service que pour une seule raison, pour une occasion spéciale particulière : un rendez-vous. Taehyun le dérangeait au milieu d'un après-midi avec son ou sa partenaire... ou c'était plutôt lui qui laissait sa touche pour crier son nom à travers un café bondé au pire moment choisi. L'intru ne se fit pas prier pour s'asseoir sur la chaise haute en face de lui et le blond sut que s'était peine perdue.

― Je te croyais parti en mission ?

― On avait besoin de repos.

― Et ce rebelle, alors, du nouveau ?

Il devait surveiller ses prochains mots. Si l'Amiral n'entendait pas les paroles que lui et le reste de ses collègues voulaient entendre, il se condamnait.

― Quelques petits contretemps sont survenus mais nous avons récolté assez d'informations pour pouvoir le capturer prochainement.

― Parait que t'as été enlevé, aussi...

― Sauf votre respect, Amiral, j'aimerais éviter ce sujet. C'est encore douloureux.

Ça l'était, mais pas pour les raisons auxquelles l'officier pensait sûrement. Il y avait bien eu Kai et sa manie de le torturer qui avaient réellement laissé des marques sur son corps comme sur son esprit, mais il y avait aussi et surtout Yeonjun, et tout ce qu'il y avait eu entre eux qu'il ne pouvait pas exprimer au grand jour. C'était un criminel, il était tombé amoureux d'un criminel. Une grande tape sur son épaule le bouscula et le ramena à l'instant.

― Décoince-toi, Taehyun. J'suis pas en service, tu peux me tutoyer !

Taehyun acquiesça doucement. Même s'ils avaient passé une partie de leur période d'apprentissage à l'Académie fourrés ensemble, le blond avait toujours du mal à user de familiarités avec son ainé. Il avait quitté l'école avant lui, était monté en grade rapidement, avait été promu Colonel alors que lui n'était encore qu'un petit Sergent avec des rêves de grandeur et, dès cet instant, une distance les avait séparés. Taemin fit signe à une jeune femme assise dans un coin, plus loin, de venir et celle-ci rapporta sa boisson. Taehyun fit donc la connaissance de la petite-amie de son supérieur et s'ensuivit une discussion dans laquelle, fort heureusement, le sujet de sa mission ne survint pas une seule fois.

Une heure plus tard, il quitta les deux tourtereaux avec un dernier sourire attendri pour eux. Ils étaient mignons ensemble, ils s'étaient bien trouvés. Taehyun reprit la navette dans le sens inverse pour retourner à la tour et retrouver le Lieutenant Snø. La cérémonie débutait dans une demi-heure, il espérait que le futur Capitaine avait retrouvé ses collègues et ses amis pour se préparer et effectuer le petit rituel qui se faisait d'habitude pour dire au revoir à son grade précédent. Ce n'était pas quelque chose d'officiel, plutôt une tradition qui se transmettait des anciens aux nouveaux dans les rangs de la Fédération, sans doute aussi vieille que l'empire fédéral lui-même. Pourtant, au fil des décennies, un petit temps avait été aménagé dans l'organisation de la cérémonie de promotion pour laisser les officiers réaliser ce rite de passage officieux. Quand il arriva dans les jardins, quelques minutes plus tard, tout était déjà installé. Il aperçut un petit groupe de jeunes gens en uniforme de cérémonie un peu plus loin, autour d'une table sous un arbre, et préféra les laisser tranquille. Ce rituel restait quelque chose d'intime, partagé seulement entre les proches du promu. Il n'en faisait pas partie même s'il était l'idole du petit brun. Alors Taehyun s'assit sur une des chaises disposées sur l'herbe verte, au quatrième rang, pour se fondre dans le public qui arrivait déjà. Il tentait de passer le plus inaperçu possible pour éviter de croiser le Président. Kim Sunoo prenait soin d'être présent à chaque cérémonie de promotion même s'il n'intervenait qu'aux plus prestigieuses. Il lui fallait à tout prix l'éviter. Si Taemin n'avait rien vu de son trouble quand le sujet de Yeonjun avait été abordé, le Président n'aurait même pas besoin qu'il ouvre la bouche pour le détecter. C'était un homme observateur et avisé, c'en était même effrayant. Il avait bien appris de son prédécesseur et paternel, sans aucun doute.

Les rangs se remplissaient vite et bientôt, le maitre de cérémonie annonça le début de celle-ci. Deux ou trois discours des professeurs qui l'avaient laissé partir en mission longue avant l'obtention de son diplôme à l'Académie, des supérieurs ayant supervisé ladite mission et du concerné lui-même, puis le Général qui présidait la promotion lui remit son nouvel uniforme soigneusement emballé dans une boite aux couleurs de la nation et fixa son insigne tout neuf à sa veste. Taehyun fut étonné de voir qu'aucune larme n'avait échappé au Capitaine durant toute la cérémonie. Tout le contraire de lui à la sienne. Il se demandait bien dans quel roc avait été taillé ce curieux personnage qui habitait en face de chez lui. Il n'aurait jamais imaginé que Snø aurait un tel contrôle sur ses émotions alors qu'iel tremblait comme une feuille sur le chemin pour venir ici. Après des derniers applaudissements, le public se dissipa pour ne laisser que quelques personnes. Il ne s'approcha du tout frais Capitaine qu'après que cellui-ci eut échangé quelques mots avec ce qui semblait être son grand-frère, et le félicita chaleureusement.

― Vous accomplirez de grandes choses, Capitaine Snø !

― Et vous, Capitaine Kang, j'espère que vous avez tenu votre engagement.

Taehyun se figea. Kim Sunoo. Il était là, derrière lui. C'était sa voix qui venait de s'élever dans son dos. Snø sentit sans doute que les choses allaient chauffer par ici et s'éloigna sans demander son reste. Le blond, lui, se retourna lentement, une expression neutre de façade fichée sur son visage. Il ne devait rien laisser paraitre. Mais il était sans doute déjà démasqué. Sunoo n'était pas dupe, il avait dû voir que Taehyun l'évitait.

― Bien sûr, Monsieur le Président. Mon équipage et moi-même repartiront à la poursuite du rebelle Yeonjun après un court repos.

― Vos mots ne trompent que vous, Capitaine.

Et voilà comment son masque de confiance s'effondra. Il était découvert, Kim Sunoo savait que quelque chose n'allait pas et le découvrirait sous peu. Peut-être même que Hans Westergaard l'avait déjà prévenu de ce qu'il s'était passé sur Ingenanelse. Dans ce cas-là, il ne restait plus qu'au Président d'ordonner une perquisition chez lui, et alors il découvrirait ses recherches et son projet pour anéantir le colonialisme de la Fédération. Taehyun était fichu et son équipage entier le serait également bientôt.

― Vous êtes convoqué dans mon bureau demain matin, à la première heure. Et vous êtes priés de venir avec votre second.

Le blond ne put que baisser le regard. Il n'y avait rien à répondre à ce genre d'ordre. Il ne lui restait plus qu'à publier les documents sur le génocide de Freyr au plus vite avant qu'on l'en empêche. Un seul ordre du Président et les communications pouvaient lui être coupées qu'importe le poste qu'il tenterait d'utiliser. Il espérait seulement que l'idée n'avait pas encore traversé l'esprit de Kim Sunoo.

― Ne vous avisez pas de faire une bêtise d'ici-là.

Le Président s'éloigna sur ces dernières paroles pour aller féliciter le nouveau Capitaine en personne. Il ne lui accorda pas un regard de plus. Alors Taehyun déguerpit aussi vite qu'il le put. Il s'engouffra précipitamment dans la navette qui s'apprêtait à quitter l'arrêt de la tour du QG et pria pour que le transport parvienne rapidement sur Tyr. Le temps lui filait entre les doigts, il redoutait à chaque instant de voir une notification apparaitre sur sa montre lui indiquant que les services de communication étaient désactivés. Le blond ne s'assit même pas sur un siège, pas même quand une jeune Adjudant lui laissa sa place. Il préférait rester planté devant les portes, à ronger son frein en pensant au fichier numérisé sur son comptoir de cuisine. Il avait tout préparé la veille : un clic et les recherches seraient publiques. C'était au moins ce temps de gagné.

La navette-bus traversa les nuages. La minute suivante, elle se stoppait devant le quartier de Taehyun. Le Capitaine en sauta et détala sans plus attendre jusqu'à son appartement. Il tapa frénétiquement son code – c'était toujours plus rapide que l'empreinte oculaire – et poussa la porte. D'une commande vocale, l'écran holographique illumina la cuisine d'une lumière bleutée. Le soir tombait sur Tyr, plongeant son logement dans la pénombre.

Soudain, une notification le fit sursauter. Son heure était venue...

Mais ce n'était qu'un message de Soobin.

          « J'ai reçu une convocation du Président. Tout va bien ? »

Taehyun l'appela. Il serait plus rapide de tout lui expliquer à l'oral, même s'il savait que le Caporal n'était pas à l'aise avec l'idée des entretiens téléphoniques.

― Soobin ? Je vais faire une grosse bêtise.

― « Ok Taehyun, calme-toi. Explique-moi ce qu'il se passe. »

― Pas le temps, il faut que je publie. Sunoo se doute de quelque chose.

En même temps qu'il prononçait ces mots, Taehyun se jeta sur le clavier holographique du comptoir blanc. Il n'attendait que l'accord de son second. Le blond ne savait pas trop pourquoi, ils n'avaient jamais discuté de la nécessité du consentement du noiraud ou du reste de l'équipage le moment venu. Ils avaient tous montré leur soutien au projet, Taehyun était parti du principe que, même si l'un d'eux prenait peur, il devait accomplir son devoir. Mais sur l'instant, il hésitait. Peut-être que ce n'était pas le feu vert de Soobin qu'il voulait, mais le sien. Peut-être que, soudainement, il prenait peur. Il était au bord du gouffre. Dès qu'il cliquerait sur ce bouton, les problèmes l'accableraient. Taehyun ne pouvait pas même s'offrir un peu de répit. Il n'avait pas le temps pour ça, il devait le faire. C'était maintenant ou jamais. Pourtant, il était là, suspendu au « vas-y » de Soobin de l'autre côté du fil. Le noiraud n'y voyait aucune objection. Alors pourquoi restait-il figé ainsi ?

― « Taehyun ? Tu es toujours là ? Mes communications viennent d'être restreintes. Je vais devoir rac... »

Et voilà. Sunoo avait donné son ordre. Il serait le prochain. Taehyun ne bénéficiait que de quelques secondes encore, tout au plus. Sa montre venait de vibrer. C'était le moment. Il lui fallait cliquer sur ce bouton, quoi qu'il en coûte. Si ce n'était pas pour lui qu'il le faisait, ou pour les peuples colonisés, c'était pour Yeonjun. Pour ses beaux yeux bleus, pour ses magnifiques oreilles pointues. Pour son peuple disparu. Pour sa planète.

Taehyun cliqua.

La seconde suivante, une fenêtre rouge clignotante avait envahi son écran. Il espérait seulement que le fichier avait eu le temps de se charger sur le net avant que les restrictions ne s'abattent sur lui. Il en aurait le cœur net demain, à la réunion.

*
*     *

An 3040, 20 novembre – selon le calendrier d'Yggdrasill

          Le soleil venait à peine de se lever sur le dernier étage de la tour lorsque Taehyun toqua à la porte du bureau présidentiel. Soobin avait loupé sa navette-bus, il n'arriverait que dans quelques minutes. En attendant, le Capitaine se retrouvait seul, seul face à cet homme qui pouvait le faire condamner à mort d'un seul claquement de doigts. La porte en bois qu'il avait l'habitude de franchir le mois dernier était devenue imposante à ses yeux. Beaucoup de choses avaient changées depuis son départ en mission. Maintenant, il était sûrement devenu un criminel d'Etat, tout comme Yeonjun, le rebelle qu'il devait initialement capturer et livrer à la justice. La justice... celle-là même qui était corrompue par le colonialisme de la Fédération, sans doute pouvait-on même parler de tyrannie. Sans le soutien du peuple, Taehyun aurait pu être pendu sans procès. Mais il l'avait vu ce matin, dans les rues. Ses recherches avaient déjà fait le tour de l'univers et les gens ouvraient les yeux sur la réalité des choses.

La porte s'ouvrit soudain, l'arrachant à ses pensées. Kim Sunoo s'était levé de son bureau pour l'accueillir lui-même, il n'y avait pas eu de « entrez ». Et le regard que le Président lui lança en le faisant pénétrer dans la pièce n'annonçait rien de bon. Taehyun avait l'impression d'être de nouveau l'élève dissipé qu'il avait été parfois à l'Académie, convoqué fréquemment dans le bureau de ses professeurs les plus stricts. Il s'assit sur la chaise que lui pointa son supérieur sans broncher, le visage baissé et les mains croisées sur ses genoux. Il espérait que Soobin ne tarderait plus.

― Où est le Caporal Choi ?

― Il arrive, Monsieur.

Sunoo s'installa dans son large fauteuil en cuir noir, les mains croisées et posées sur un bureau en bois clair et en verre équipé de la pointe de la technologie. Un hologramme bleuté s'élevait à sa droite, au-dessus d'une portion en verre du bureau de bois, et Taehyun aperçut d'un coup d'œil que sa publication y était affichée. Il portait de nouveau ce costume qu'il avait abordé le jour de la réunion de départ, avec une chemise blanche cette fois-ci. Ses cheveux étaient de nouveau noirs, en accord avec ses yeux sombres à la forme de ceux d'un dragon. Kim Sunoo était impressionnant aujourd'hui, d'autant plus avec ce léger pli contrarié entre ses deux sourcils. Il le sondait du regard, comme s'il pouvait le convaincre par la force de l'esprit de supprimer ses recherches du web. Pour le reste de la population, il suffisait d'un lavage de cerveau et d'un peu de propagande pour faire oublier à tous ce qu'ils avaient lu. Taehyun savait qu'il en était capable, c'était inscrit dans ses notes rendues publiques. Pour cacher le génocide de Freyr, ils avaient eu recours à la manipulation mentale et à l'usage de certains produits sur les soldats témoins et sur les peuples voisins.

Il se demandait si même les conseillers de l'ancien Président, Kim Seungri, avaient subi ce traitement. Et si son fils, le Président actuel, avait été mis au courant de cet acte. Peut-être venait-il de l'apprendre, comme tout le monde... Mais Taehyun en doutait. S'il avait voulu l'empêcher de dévoiler la vérité, c'est qu'il savait.

On toqua à la porte, brisant le silence oppressant qui s'était installé depuis quelques minutes. Le Président se leva de nouveau, lissa son costume et se dirigea à grandes enjambées vers la porte. Il fit entrer Soobin et Taehyun se détendit un peu, un tout petit peu. Il triturait nerveusement ses doigts sur ses genoux et sentait le dos de sa chemise déjà humide de sueur sous sa veste de costume officiel. Le noiraud s'assit sur la chaise à côté de lui et échangea un rapide coup d'œil avec son camarade avant que le Président ne prenne la parole.

― Le Général Westergaard, du secteur AO3SECTEUR-1911, m'a communiqué que vous aviez violé le secret de plusieurs documents de ses archives. Niez-vous ce fait ?

― Non, Monsieur le Président, répondit Taehyun d'une voix plus aiguë qu'il ne l'aurait voulu.

Il n'avait rien à se reprocher, il n'avait fait que dévoiler la vérité sur un acte criminel d'envergure et cet acte se devait d'être connu de tous. Il refusait de laisser la Fédération, sa nation, mentir à ses citoyens. Et surtout, il refusait de voir le colonialisme fédéral s'étendre encore et encore et détruire des peuples et leurs cultures à petit feu. Tant qu'il réussissait à éloigner une hypothétique influence de Yeonjun sur son action, Taehyun pouvait sauver sa peau, et la sienne.

― Vous vous êtes également enfui après cela.

― C'est exact. Mais ce que j'ai fait, je l'ai fait pour-

― Votre équipage, le coupa Sunoo, est-il complice de votre crime ?

― Non, je les y ai forcé.

Soobin lui jeta un coup d'œil paniqué. Il n'était pas censé dire ça. L'équipage l'avait aidé, ils étaient tous dans le même bateau. En faisant croire le contraire, le capitaine s'attirait encore plus de problèmes qu'il en avait déjà. Il lui fallait prendre position pour rectifier ses mots.

― Monsieur ! Le Capitaine Kang ment. Nous l'avons aidé en toute conscience de nos crimes. Nous sommes complices de la violation du secret, de la fuite et de la publication de ces dossiers.

Il n'avait jamais vu le blond lui jeter un regard aussi noir. Mais à quoi s'attendait-il ? Ils en avaient pourtant discuté sur le vaisseau, quelques jours auparavant. Il était hors de question que Taehyun prenne l'entière responsabilité de cela. S'il allait en prison, tous y iraient. C'était aussi simple que ça. Ils étaient une équipe, une famille, et personne ne laisserait l'un d'eux tout seul dans la galère. Sunoo tapa quelque chose sur son clavier holographique, il retranscrivait les résultats de son interrogatoire, avant de se reconcentrer sur eux, le visage grave.

― Bon... Je vais vous avouer quelque chose. Je n'étais pas au courant de ça. Vous me l'avez appris. Même mon propre père n'a pas jugé utile de me mettre au courant. Cependant, vous avez commis un crime en mettant à jour cette vérité, et ce crime ne peut pas rester impuni.

― Mais, Monsieur...

― Et puis, l'interrompit-il de nouveau, mon père devait avoir ses raisons de commanditer un tel acte. Si le peuple de Freyr se montrait hostile à la domination de la Fédération, le génocide était totalement justifié.

― Pardon ?!

Taehyun s'était levé, les poings serrés et la mâchoire contractée. Les skarpos n'avaient jamais rien eu d'hostile. Ils étaient un peuple terrorisé par un envahisseur surarmé et tentant de préserver le peu que la Fédération ne leur avait pas encore enlevé. Ils n'avaient jamais mérité une atrocité pareille, et même s'ils avaient rempli les conditions qu'énonçait le Président, le génocide restait un crime que rien, absolument rien, ne justifiait.

― Vous êtes un monstre, Kim Sunoo.

Soobin se crispa dans son siège. Leur supérieur s'était levé à son tour, plus menaçant que jamais. Un éclat terrifiant brûlait au fond de ses pupilles obscures, sous ses sourcils froncés. Il fulminait, ses oreilles rougissaient à vue d'œil. Et puis, sans crier gare, le Président éclata d'un rire à glacer le sang. Taehyun crut voir Kai un instant. Il eut un mouvement de recul qui n'échappa pas au noiraud et se cogna à l'assise de sa chaise, le faisant retomber sur le séant dans son siège. Sunoo calma son éclat de rire et plaqua ses deux mains sur le bois de son bureau pour darder son regard menaçant sur eux deux.

― Vous avez dépassé les bornes, cette fois-ci. Je ne doute pas que le rebelle Yeonjun soit derrière tout ça, il est un skarpo. Alors nous devons l'éliminer avant qu'il ne fasse plus de mal qu'il n'en a déjà fait. Heureusement pour moi, vous m'avez apporté l'arme qui annihilera votre nouvel ami. Merci beaucoup, Capitaine Kang.

Il contourna son bureau en chassant d'une main les plis de son costume, se dirigeant vers la porte. Le noiraud et le blond, eux, n'osaient plus bouger. Taehyun s'était figé sur son siège, livide, ses doigts aux jointures blanchies tremblant sur les accoudoirs. Il avait mené Yeonjun à la mort sans le vouloir. Cet interrogatoire était un fiasco total. Avant de quitter son bureau, le Président leur adressa un dernier mot, sans même prendre la peine de les regarder.

― Je convoque un conseil de guerre pour cet après-midi. En attendant, vous avez interdiction de quitter la tour.

La porte claqua. Taehyun éclata en sanglots.

**

          Le midi, le blond avait été incapable de manger quoi que ce soit, tout le contraire de son ami qui avait englouti un repas pour quatre. Ils avaient essayé de contacter Beomgyu pour le prévenir de l'énorme bêtise qu'ils venaient de faire mais les communications leur avaient été totalement coupées et les employés leur refusaient l'accès au téléphone. Dans le restaurant, dans les couloirs, dans les ascenseurs et jusque dans les toilettes, les visiteurs et travailleurs prenaient soin de glisser sur eux des regards mauvais, méfiants voire glaciaux, et de chuchoter des insultes à leur passage. Ils étaient devenus, en un clic, les ennemis de la Fédération.

Vers quatorze heures, Taehyun reçut une notification sur sa montre. Ils étaient convoqués dans la salle de réunion du dernier étage pour assister au conseil de guerre. Le blond n'avait rien à y faire, le Caporal encore moins, mais Sunoo devait avoir à cœur de le voir souffrir un peu plus qu'il ne souffrait déjà. Il n'y avait aucun doute, le Président avait décelé la sympathie qu'il éprouvait pour l'ennemi numéro un de la Fédération et tenait à le lui faire payer. Il n'avait pas eu le temps de s'expliquer sur la réelle nature de Yeonjun, ni sur le bon fond de son action, et en aurait encore moins l'occasion pendant cette réunion. Ils resteraient sûrement assis dans un coin, entre les conseillers du Président et les hauts-gradés ayant préparé leur mission, à observer, impuissants, tout ce qu'ils avaient construit ces derniers temps être réduit en cendres. Le blond n'avait aucune hâte de se retrouver dans cette pièce, autour de cette table ovale, à entendre des gens ignorant la réalité de la situation discuter tranquillement d'un meurtre alors qu'ils avaient appris l'existence d'un génocide – perpétré par leurs prédécesseurs voire eux-mêmes – la veille. C'était tout bonnement répugnant.

Pourtant, en quelques minutes, ils étaient déjà de retour à cet étage que le Capitaine redoutait. Soobin n'avait pas pu s'empêcher de poser une main encourageante sur son épaule avant qu'il ne toque à la porte. Cette fois-ci, un « entrez » leur donna l'autorisation d'ouvrir le battant. En traversant la pièce vers les sièges que le Président leur avait montré après leur salut militaire, Taehyun prit soin d'éviter les œillades de ses supérieurs. Il reconnut, un peu à l'écart, l'Amiral Kim Namjoon et son compagnon le Général Kim Seokjin. Ils furent les seuls à leur adresser un petit signe de salutation, contrairement à tous les autres qui les ignoraient royalement. Quand le Lieutenant-Colonel Min Yoongi s'assit à côté de lui dans un soupir d'ennui absolu et lui demanda de lui passer le bac à fruits à l'autre bout de la table en l'appelant « petit », ce fut l'élément de trop. Il eut envie de lui faire manger ses clémentines par les narines et Soobin dut poser une main sur la sienne pour le calmer. La réunion débuta après cela.

Comme il s'en était douté, à aucun moment le Président ne leur accorda le droit de parole et ce fut le pire moment de sa vie. Entre le silence du Général et de l'Amiral, l'enthousiasme de certains à l'idée d'utiliser l'arme suprême et les soupirs d'ennui exagérés de son ancien professeur, Taehyun eut du mal à contenir sa rage justicière. L'attaque serait lancée le lendemain, à l'aide de la tueuse d'étoiles, et le Capitaine ne pouvait rien faire pour sauver Yeonjun.

Mais une idée germa dans son esprit, le soir, en se couchant.

**

BONSOIR J'ESPÈRE QUE VOUS PASSEZ UNE MEILLEURE JOURNÉE QUE MOI HAHA
Bref, voici un chapitre trèèèès intéressant, et les prochains le seront d'autant plus oui je vous tease ~ en tout cas, c'était un plaisir pour moi de le relire (j'adore Sunoo c'est malsain mdr)

Je vous dis à mardi prochain pour la suite ~

Et bon courage à vous si vous avez des épreuves !

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