ᴄʜᴀᴘɪᴛʀᴇ ᴛʀᴇɴᴛᴇ
prenez bien une heure pour ce chapitre, il est long à lire. Bonne lecture ~
An 3041, 05 février – selon le calendrier d'Yggdrasill
― Taehyun ?
Soobin tenait son oreillette fermement pour empêcher sa main de trembler. Derrière lui, Beomgyu, Hyunjin, Changbin, Karina et Hyunwoo étaient attentifs à la moindre de ses réactions. Pendant plus d'un mois, trente-cinq jours et six heures, ils avaient cherché Taehyun et Yeonjun. Ils avaient parcouru toute la longueur du Verdenskant dans l'espoir de capter le signal de l'Alfar304. Après toutes ces longues journées, ils étaient enfin parvenus à le trouver. Et c'était une espèce de poulet qui leur répondait.
Soobin refusait d'y croire. Sous le bureau, à l'abri des regards, il s'autorisa à serrer sa main sur le tissu de son pantalon. Il retenait ses larmes de frustration, il tentait de contenir les tremblements de son corps. Les autres ne devaient pas le voir ainsi. C'était lui qui les avait menés ici, c'était lui qui avait fait preuve d'une telle détermination, d'une telle fermeté, lui qui avait réussi à entrainer tout l'équipage à sa suite. Il ne devait pas craquer, pas maintenant. Il n'acceptait déjà pas le fait que Beomgyu l'aie vu au plus bas, même s'il l'avait aidé, s'il l'avait convaincu d'organiser cette opération. Taehyun mettait ses émotions à rude épreuve, il lui ferait payer pour ça.
A l'autre bout du fil, Soobin entendait vaguement une respiration qui se voulait discrète. En tendant bien l'oreille, il parvenait même à en déceler une deuxième. Il y avait bien deux personnes au poste de récepteur. Pas seulement un poulet.
― Taehyun... si tu es là, répond. Je t'en supplie...
Il entendit une inspiration un peu plus forte de l'autre côté, une inspiration un peu instable, sans doute chamboulée par un sanglot montant. Il y eu quelques mots murmurés, inintelligibles pour lui, puis un bruit parasite dans son oreillette. La personne à l'autre bout s'était saisie du micro. Un petit silence survint. Puis une réponse.
― « Soobin ? »
― C'est bien moi...
Une larme s'échappa pour rouler sur sa joue. Il ne l'essuya pas.
― « Non d'un tako, j'te croyais mort ! »
Un petit sourire étira ses lèvres. Lui aussi, il l'avait bien cru un instant. Heureusement que l'Amiral Lee Taemin l'avait sorti d'affaire à temps en intervenant durant le procès. Il se tourna à peine vers Beomgyu, un pouce levé pour lui signifier que c'était bien lui, que Taehyun était bel et bien vivant de l'autre côté du Verdenskant. Un simple geste alors qu'il avait seulement envie de se jeter dans les bras de son camarade. Mais Soobin ne voulait pas lui montrer ses yeux rouges et ses joues humides. Pourtant, Beomgyu devina. Il s'en fichait bien qu'il pleure ou non, il en avait tous les droits. Alors le brun tourna son visage d'un doigt sous son menton. Il chassa ses larmes d'un geste du pouce avant de l'enlacer.
― C'est ok de pleurer, Soobin. On l'a enfin retrouvé.
Soobin plongea son visage dans son épaule et se laissa aller. Il se l'autorisa, cette fois-ci, et peut-être qu'il se l'autoriserait encore quelques fois. Après tout, il avait été impassible, inébranlable pendant tout leur voyage, pour guider du mieux qu'il pouvait l'équipage. Même si le capitaine du vaisseau restait Hyunjin, l'équipage entier, le Lieutenant Hwang compris, le considérait comme leur véritable chef. Dans son oreillette, il entendait les mêmes effusions de joies que celles qui emplissaient le cockpit de leur petit Alfar305 – un modèle plus rapide, mieux armé, et plus pratique que l'Alfar304 – entre Yeonjun et Taehyun. Il s'éloigna de Beomgyu, le remerciant d'un murmure au passage, et se reconcentra sur la communication.
― On est juste de l'autre côté du nuage de matière noire. On peut traverser ?
― « Il n'y a aucun danger, vous pouvez. On vous transmet notre position. »
Ce n'était pas Taehyun qui lui avait répondu, mais une voix plus grave et nasale. Yeonjun. Depuis cette fois sur le vaisseau amiral du rebelle, ils ne s'étaient pas recroisés. Soobin doutait toujours un peu, au fond de son être, de la bonté du skarpo. Aussi préconisa-t-il aux deux pilotes d'être prudents en franchissant l'élément. Il resta près des communications avec Beomgyu alors que les autres officiers reprenaient leurs postes – ils en profiteraient pour informer leurs équipes de la fin des recherches, de la réapparition de Taehyun, ainsi que de la traversée du Verdenskant.
Tout devint noir autour d'eux, les lumières du vaisseau vacillèrent un instant, les mécaniciens serrèrent les dents. Et ils parvinrent de l'autre côté. Dans le poste de commandement, les appareils de mesure et de localisation s'affolèrent aussitôt. Ils étaient dans un environnement totalement inconnu, mais pas si différent du reste de l'univers, en fin de compte. Malgré les quelques soucis techniques, Hyunjin parvint à calibrer le GPS en fonction de la position du Capitaine Kang. Song Mingi l'informa qu'ils avaient assez de carburants pour l'aller et le retour jusqu'à la dernière station-service de l'univers connu. L'Alfar305 avait été amélioré sur ce point-là également par rapport à l'ancien modèle. Alors le Lieutenant Hwang enclencha la poussée supraluminique pour réduire le temps de trajet. Ils allaient tous retrouver leur véritable capitaine. Après tout ce temps.
**
Le jeune homme et le skarpo sortirent de l'épave du vaisseau lorsque Soobin les prévint qu'ils pénétraient l'atmosphère de la nano-planète. La navette se dessinait dans le ciel, à peine à un kilomètre de l'orée de la forêt. Ils se mirent aussitôt en route pour accueillir les visiteurs.
Taehyun marchait d'un pas distrait dans le sable. Bientôt, il reverrait tous ceux qu'il avait laissé derrière lui pour fuir avec Yeonjun. Ceux qu'il avait lâchement abandonnés à leur sort. Comment les retrouvailles se passeraient-elles ? L'équipage lui en voulait-il d'être parti ainsi ? Beomgyu et Soobin lui remonteraient-ils les bretelles ? C'était évident qu'ils le feraient, il les avait laissés sans prévenir, il s'était mis dans une situation critique sans les en informer. Il appréhendait, mais le blond restait heureux de pouvoir prendre des nouvelles de ses amis. Et puis c'était l'occasion de leur présenter Yeonjun dans de bonnes conditions, de changer la vision qu'ils avaient de l'ancien rebelle. Le skarpo n'était pas maléfique, il n'avait rien d'un criminel, ces quelques mois passés en sa compagnie le prouvaient. Il sentit une main se glisser dans la sienne, l'arrachant à ses pensées.
― Ça va ? Tu trembles un peu.
― C'est... c'est juste la hâte de les revoir, ne t'inquiète pas.
― Il est vrai ce mensonge ? lui demanda le rouge avec un sourire en coin.
Il connaissait assez Taehyun pour savoir qu'il n'y avait pas que ça, que le blond avait peur, en réalité. Il l'avait réveillé de beaucoup de cauchemars, ceux dans lesquels Kai revenait le hanter de la plus horrible des manières. Il s'y était fait, au fil des semaines, à la personne qu'avait été son défunt camarade avec son amant. Ça avait rendu son deuil plus difficile, il lui en avait voulu, mais Kai n'était plus là pour entendre ses reproches. Alors il n'avait pu que l'accepter. Et puis le skarpo avait appris à reconnaitre les signes de tensions, d'angoisses du blond grâce aux terreurs nocturnes que son frère lui procurait même depuis l'au-delà. Maintenant, il devina que Taehyun redoutait seulement les réactions de ses coéquipiers. Il craignait qu'ils lui en veuillent, qu'ils trouvent à redire sur sa fuite avec un criminel, et sur ce qu'il se passait désormais avec ledit criminel. Si ses amis n'acceptaient pas leur union, leur couple, il en serait effondré. Yeonjun savait à quel point Taehyun tenait à ses relations amicales, à l'importance qu'il leur accordait.
― Ça va aller, d'accord ? Tu avais de bonnes raisons de faire tout ce qu'on a fait, et je suis sûr qu'ils ne t'en veulent rien qu'un petit peu.
― Un petit peu, c'est déjà trop.
― J'essaie de te rassurer, ne me rends pas la tâche plus compliquée...
Il lui asséna une légère pichenette sur le nez et Taehyun lui répondit d'un petit sourire, suffisant pour lui faire comprendre qu'il n'avait plus si peur. Yeonjun passa un bras autour de sa taille pour l'approcher un peu plus de lui et, ainsi, ils parcoururent la distance qui les séparaient encore du vaisseau venant d'atterrir. L'équipage en sortait déjà petit à petit pour se regrouper sur le sable de la grande plaine équatoriale. Ils n'attendaient plus que leur authentique capitaine.
Taehyun se mit à courir. Il lâcha Yeonjun pour se ruer vers l'attroupement comme si sa vie en dépendait. Et il se jeta dans les bras de Beomgyu et Soobin. Le brun et le noiraud le rattrapèrent du mieux qu'ils purent. Ils finirent par s'étaler dans le sable sous son poids. Le trio se retrouvait enfin, après toutes ces péripéties, après cette longue période de séparation, après les espoirs et désespoirs. Au regard que lui lançait Beomgyu, le blond comprit qu'il ne lui en voulait pas. Mais pour Soobin, c'était différent. Il évitait tout contact visuel, les yeux résolument tournés vers un point au loin. Taehyun se tourna vers ce point. Le Caporal regardait Yeonjun.
Beomgyu l'aida à se relever, seulement pour l'enlacer de nouveau.
― Cap'taine ! Tu nous as horriblement manqué !
― Vous aussi, vous m'avez manqué !
Son cœur se gonflait de joie au fur et à mesure des secondes. Il fit le tour de l'équipage, Beomgyu à sa suite, pour enlacer chacun de ses camarades. Il félicita Hyunjin, il ne savait trop pourquoi puisqu'il avait déjà confiance en ses compétences de capitaine, puis s'attarda dans les bras de Jungwon et Jake. Le Caporal Son lui asséna une grande tape sur le dos qui faillit le projeter au sol, plaisantant sur le fait qu'il paraissait avoir grandi depuis le temps. La gravité était la même que sur Yggdrasill, sur Tyr et sur l'Alfar304, Taehyun savait parfaitement que c'était faux. Mais il était trop heureux pour lui reprocher sa blague douteuse sur sa petite taille. Il finit par une poignée de main vigoureuse adressée à Mingi et Seonghwa, les remerciant plus que de raison pour l'effort qu'ils avaient fourni pour maintenir les réserves du vaisseau dans une bonne situation malgré la longueur du trajet. Et puis il fut de retour devant Soobin, que Yeonjun avait rejoint.
Un silence de mort planait entre les deux. Un malaise également, un malaise aisément palpable. Les deux ne se regardaient pas, ils ne se tenaient même pas complètement l'un en face de l'autre, et Yeonjun avait veillé à maintenir une certaine distance entre eux. Le blond devina sans mal qu'ils n'avaient pas échangé un mot, pas même une salutation. Et le regard de reproches de Soobin – reproches qu'il essayait pourtant de cacher – ne lui annonçait rien de bon. Il était encore assez loin des deux, alors Taehyun se permit de se pencher à l'oreille de Beomgyu.
― Il arrive quoi à Soobin ?
― Je pense que vous avez des choses à vous dire...
Et voilà, ce qu'il avait le plus redouté lui revenait en pleine figure. Aucun de ses camarades n'avait exprimé un quelconque blâme contre ses décisions, Beomgyu lui avait fait comprendre qu'il ne lui en voulait pas du tout et qu'il avait d'ailleurs fait ce qu'il fallait en se cachant ici, mais c'était trop beau. Soobin lui en voulait bel et bien, lui. Il remercia le brun qui le laissa pour se réunir avec l'équipage, et s'approcha des deux. Il n'adressa qu'une œillade au rouge, qui comprit aussitôt qu'il ferait mieux de se joindre à la petite réunion, plus loin, et se planta devant le noiraud, le regard baissé.
― Je m'excuse...
― Est-ce que tu as au moins conscience, commença le Caporal d'une voix étrangement posée, de tout le mal que tu m'as fait en fuyant comme ça ? Tu y as réfléchi avant de sauver ce gars ?
La colère de Soobin était froide, à l'image du personnage dont il revêtait le masque quand ses émotions devenaient trop incontrôlables pour lui. Il ne criait pas, il ne crachait pas. Il parlait tout à fait normalement, avec son timbre doux et grave. Si Taehyun n'avait pas vu ses yeux noirs l'instant précédent, il n'aurait pas cru que c'étaient des reproches qu'il recevait là. Il inspira un bon coup. Dire que si, qu'il savait à quel point sa fuite avait blessé son ami, ne serait que mentir. Et il refusait de mentir à Soobin.
― Non...
Il n'avait eu d'yeux que pour Yeonjun, pour le danger qui le menaçait. Il n'avait pas réfléchi aux conséquences, ni même à un quelconque plan. Il avait seulement foncé dans le tas, poussé par la menace de l'assaut surprise du Président, de la tueuse d'étoiles, et par son cœur. Il avait juste voulu le sauver. Il avait fini par faire plus de dégâts que ce qu'il avait souhaité. Taehyun osa relever les yeux. Le regard de Soobin était devenu encore plus noir, encore plus bouillonnant de colère. Leur amitié y survivrait-elle, au moins ?
― Tu sais à quel point tu comptes pour moi, tu sais que notre amitié est ce que j'ai de plus cher à mes yeux. Tu le sais pertinemment. Et tu n'y as même pas pensé...
Taehyun ne trouva rien à répondre. Il y avait pensé, bien sûr, mais peut-être un peu trop tard. Yeonjun croyait que ses cauchemars étaient peuplés de Kai et de son sadisme. En réalité, son défunt tortionnaire n'était pas le seul à le tourmenter. Le blond songeait à la souffrance qu'il causait à Soobin, il le voyait être condamné à mort. Il le regardait, impuissant, quitter ce monde le cœur en miettes par sa faute. Oui, il y avait pensé. Mais seulement une fois l'erreur faite. Être confronté maintenant à tout cela lui faisait ouvrir les yeux sur la gravité de son acte, sur le fait que Soobin avait bien plus souffert qu'il ne le croyait, sur tout ce dont il n'avait pas songé avant de disparaitre derrière le Verdenskant.
― Je suis désolé...
Le blond éclata en sanglots. Soobin ne le méritait pas, il était un ami en carton. Il avait privilégié une histoire d'amour bancale avec un individu qu'il n'aurait jamais dû approcher pour autre chose que le livrer à la justice, à une amitié forte, précieuse, à une relation qui le comblait déjà. Il avait préféré Yeonjun, l'incertitude, à Soobin, son pilier. Il avait cru faire une erreur grave, il en avait fait une monumentale. Sans doute la pire erreur de sa vie.
― Tu peux toujours réparer ce que tu as fait.
Il n'avait même pas remarqué que Soobin l'enlaçait. Le visage plongé dans son épaule, celle qui l'avait soutenu jusque-là, qui avait calmé toutes ses crises, tous ses pleurs, tous ses cauchemars, Taehyun sanglota de plus belle. Comment pouvait-il le soigner des blessures qu'il lui avait assénées ? Comment pouvait-il annuler tout le mal qu'il lui avait fait, rapiécer son cœur qu'il avait brisé ? Comment pouvait-il restaurer leur belle et solide amitié ? Il avait foiré en beauté, les conséquences étaient bien trop lourdes.
― Dis-moi ce que je peux faire...
― Rentrer à la maison.
― Et Yeonjun ?
― Il ne craint plus rien maintenant. Le monde a changé pendant ton absence.
Yeonjun avait tenu à présenter leur petite activité agricole et à faire visiter leur maisonnette à l'équipage de l'Alfar305. Il s'était aussitôt très bien entendu avec Jungwon et Jake, qui l'avaient désigné comme leur vénérable mentor après avoir jeté un œil à son programme sportif. Beomgyu l'appréciait également beaucoup. Certains étaient encore réticents à accepter le personnage qu'il était réellement, surtout Minho et Felix qui n'avaient pas tout suivi, préférant prendre des vacances à un moment clé, sur Ingenanelse. Pourtant, dans l'ensemble, tout le monde marchait dans leur petite maison à la suite du skarpo avec joie. Jimin protesta en voyant la guirlande qu'ils avaient empruntés dans sa chambre pour l'accrocher dans la leur, sous prétexte qu'il y avait laissé la moitié d'un salaire mensuel. Beomgyu vociféra en s'apercevant qu'ils avaient transformé son matériel médical en machine à traire pour les dwaekkis à laine. Et Minho frôla la syncope quand il jeta un œil à leur garde-manger magnifiquement mal rangé. Ils installèrent ensuite des tables à l'extérieur, profitant du soleil de début d'après-midi qui éclaircissait le temps et chassait la fraicheur du mois de février sur la nouvelle Freyr pour fêter leurs retrouvailles autour d'un bon repas bien garni.
― Eh, vous voulez savoir la meilleure ? s'écria Ning Yizhuo en se levant d'un bond de sa chaise.
Elle avait visiblement abusé sur le jus fermenté de sapin et l'alcool lui montait à la tête. Mais, à la réaction générale plutôt enflammée, Taehyun et Yeonjun furent intrigués par ce qu'elle avait à raconter.
― Quand on était au procès, Sunoo a tout fait pour condamner not' Caporal Soobin à mort. Eh bah, le dernier jour, il a complètement pété un câble ! Il criait dans tous les sens des trucs totalement incompréhensibles... et la sécurité a dû appeler les services hospitaliers !
― Oh oui ! surenchérit Jooheon, l'un des lynkrigers. Je l'ai entendu crier quelque chose comme « je ne suis pas mon père » dans le couloir quand ils l'emmenaient. C'était vraiment un spectacle perturbant...
― Il n'a pas dû aimer le fait de baisser en côte auprès de la population. Il est quand même passé de quatre-vingts pourcents à même pas deux pourcents ! exposa Changbin avant de rire à gorge déployée.
Taehyun coula un regard vers Soobin. C'était donc cela qu'il voulait signifier par « le monde a changé » ? Le noiraud lui accorda un petit sourire avant d'entreprendre d'expliquer, à lui et Yeonjun, que Kim Sunoo avait été démit de ses fonctions après cela, au profit de l'ancien Amiral Lee Taemin. Il précisa aussi que la petite révolte qu'ils avaient déclenchée avec la publication des documents relatant le génocide de Freyr s'était enflammée avec l'attaque contre le MOA et que les choses bougeaient pour le mieux sur la question du colonialisme fédéral. Au-delà du Verdenskant, dans l'univers connu, les gens étaient prêts à les accueillir de nouveau. Certains peuples les considéraient déjà comme des héros à part entière, ils pouvaient revenir sans craindre la moindre menace.
― Mais il faudra quand même payer pour quelques petites choses, je préfère vous prévenir.
Cela coulait de source. Même si tout ce que Yeonjun avait réalisé n'était motivé que par le désir de rendre justice à son peuple, et à d'autres peuples qu'il pouvait encore sauver, il n'en restait pas moins un criminel qui avait volé, détruit et tué. Kai n'étant plus là, il prenait l'entière responsabilité de tous les officiers kidnappés, torturés et assassinés dans l'enceinte de son vaisseau, sous ses ordres. Taehyun, lui, avait divulgué des informations classées secret-défense, en plus d'avoir enfreint son assignement à résidence et d'avoir volé un vaisseau de la Fédération. Il n'oubliait pas non plus les six lynkrigers qu'il avait tués sur le MOA, ni le fait qu'il était complice d'une partie des crimes de Yeonjun. Malgré leurs intentions bienveillantes, ils n'étaient pas innocents, ni même victimes. Ils restaient des criminels, et la justice devait les punir.
**
Au soir, Soobin et Beomgyu les aidèrent à faire leurs valises. Ils quittaient cet endroit, non sans un pincement au cœur, pour retrouver l'univers auquel ils appartenaient vraiment. Ce n'était ni la vie qu'ils avaient vécu avant d'atterrir ici, ni celle qu'ils avaient débutée sur la nouvelle Freyr. C'en était une toute nouvelle qui les attendait de l'autre côté du Verdenskant. L'occasion de réparer leurs erreurs et de renouer avec leur véritable place dans ce vaste monde.
Taehyun libéra les dwaekkis et laissa partir les poulets aux plumes fuchsias. Il ouvrit les barrières des champs cultivés dont les graines et les plans profiteraient à la faune locale. Yeonjun récupéra son drapeau sur le toit de leur maisonnette et adressa un dernier adieu à la chambre qui avait accueilli les plus beaux moments de sa vie. Main dans la main, ils quittèrent leur maisonnette sans un regard en arrière.
Sur la porte, ils laissaient une plaque clouée sur laquelle était écrits, à la fois en fédéralais et dans la langue oubliée du peuple des skarpos, les mots « Ici se tient la nouvelle Freyr, où ont habité Kang Taehyun et Yeonjun, un humain et un skarpo. »
Ils adressèrent un dernier adieu à la nouvelle Freyr avec un baiser profondément amoureux, devant la porte de l'épave de l'Alfar304, à l'endroit qui avait accueilli leur premier baiser sur cette nano-planète. Ils abandonnaient une vie qui n'avait duré que deux petits mois selon le calendrier d'Yggdrasill mais qui avait paru demeurer des années pour les deux. Leurs mains liées, ils rejoignirent l'Alfar305 et passèrent la porte du vaisseau, chacun vêtu de son uniforme de bord.
Ils partaient pour ne plus jamais revenir. Car ils n'auraient plus jamais à se cacher.
*
* *
An 3041, 14 février – selon le calendrier d'Yggdrasill
Taehyun posa un pied sur Bilverksted. Il n'aurait jamais cru revenir jusqu'à Yggdrasill aussi vite. En vérité, avant ce matin-là, neuf jours plus tôt, il pensait ne jamais franchir de nouveau le Verdenskant. Il croyait que lui et Yeonjun finiraient tranquillement leurs jours sur la nouvelle Freyr. Mais il semblait que le destin lui réservait un autre sort. Devant lui, le capitaine du vaisseau, le Lieutenant Hwang, les attendaient pour franchir l'allée de journalistes contenus par leur peloton de lynkrigers et quelques autres agents du secteur. Il tira sa valise derrière lui, son autre main fermement liée à celle de Yeonjun, et suivit Soobin et Hyunjin à travers la foule. De part et d'autre, les micros se penchaient, les drones caméras les effleuraient, les questions et les remarques fusaient. Leur garde rapprochée fit son maximum pour repousser tous ces curieux. Un drone percuta le casque de Kihyun, un autre fut violement chassé par Hyungwon. Une journaliste plutôt remontée tenta même de s'en prendre à Minhyuk. Taehyun la reconnut. C'était la même journaliste qui l'avait interrogé lors de la conférence de presse précédant leur départ en mission, celle qui lui avait conseillé de ne pas tomber amoureux du méchant. Et pourtant, il était là, de retour en héros, main dans la main avec ledit méchant. Sur l'instant, il ne lui accorda pas un regard, préférant s'inquiéter pour son camarade qu'elle avait sauvagement agressé.
De l'autre côté de l'allée de bras tendus vers eux, une navette privée les attendait. Taehyun et Yeonjun s'y installèrent avec Hyunjin et Soobin et le Caporal Son les rejoignit, accompagné l'un de ses coéquipiers. Il échangea un mot avec le conducteur. L'instant d'après, un bouclier se déploya autour du transport et Changkyun chargea son arme.
― Pourquoi prendre toutes ces mesures ? ne put s'empêcher de relever Taehyun.
― Les avis sont partagés quant à votre retour, à Yeonjun et toi, l'informa Hyunwoo. On ne veut pas craindre une attaque contre vous. Et puis, avec le procès prévu, les esprits s'échauffent.
Le skarpo et le blond se lancèrent un regard angoissé. Finalement, ils auraient peut-être mieux fait de refuser l'offre de Soobin et rester sur leur petite nano-planète bien calme.
― Mais vous êtes en sécurité avec nous. Vous n'avez pas à vous inquiéter.
Le sourire rassurant de Soobin suffit à détendre légèrement Taehyun. Il espérait cependant fortement que la population se calmerait après la divulgation de l'issue du procès. S'il devait reprendre sa vie ici, il préférait autant que ce soit dans l'ordre et la tranquillité habituelles. Il imaginait sans mal le chaos qui régnait sur Tyr, lieu accueillant le tribunal dans lequel ils allaient passer quelques jours. A l'accoutumée, c'était une terre paisible mais, lors de procès critiques, il arrivait souvent que d'indésirables révoltés s'installent dans les rues pour protester. La semaine où ils s'étaient installés dans le dortoir que l'Académie leur avait assigné, à lui, Beomgyu et Soobin, il y avait eu un événement de ce genre. Une célébrité jugée pour le meurtre de sa femme. Ils avaient eu du mal à quitter leur résidence pendant toute une semaine, arrivant en retard aux cours et subissant les remontrances de leurs professeurs. Si un simple procès comme celui-ci causait l'enflammement de l'opinion générale, il n'osait même pas espérer pouvoir fermer l'œil cette nuit et les suivantes.
Soobin lui tapota soudain l'épaule, un calepin noirci de notes sur les genoux et un stylo dans les mains. Il l'avait sorti de ses pensées pour discuter de certains détails avec lui et Yeonjun. Pendant tout le trajet – qu'ils avaient passés en étant de simples passagers – le Caporal n'avait pas voulu leur en parler. Il lui manquait toujours des informations à cause de la légendairement lente réactivité des services administratifs de la justice fédérale et refusait d'inquiéter ses deux invités avec des détails incomplets ou des questions sans réponses. Ce matin pourtant, il avait reçu, comme par magie, tout ce qui lui faisait défaut pour compléter le dossier, dans un mail du Président lui-même. Il pouvait maintenant leur expliquer le programme des prochains jours.
― Quand on arrivera sur Tyr, Yeonjun sera transféré en garde-à-vue au Tribunal.
― Quoi ?! s'écria Taehyun. Tu m'avais dit qu'il serait libre !
― Je n'ai jamais rien confirmé... C'est ce que je pensais aussi, mais c'est trop dangereux avec les opposants qui courent les rues. Cette mesure est prise dans le but de le protéger lui plutôt que protéger la population, je te rassure. Et tu auras un droit de visite.
La main de Yeonjun sur sa cuisse calma aussitôt le blond. Il précisa tout de même, les yeux plissés vers le noiraud, qu'il userait de ses visites pour veiller personnellement à ce que le skarpo bénéficie du meilleur confort possible et ne manque de rien. Dans un coin, il aperçut le sourire mi amusé, mi attendri de Hyunjin, qui ne put s'empêcher de murmurer une remarque sur la mignonnerie de leur relation.
― Le procès se déroulera sur trois jours. Les victimes des crimes mineurs de Yeonjun témoigneront, puis les familles des officiers assassinés, et ensuite nous prendront le relais avec l'équipage. On peut aussi compter sur quelques représentants des peuples sauvés par vos actions et le seul témoin du génocide de Freyr que nous ayons pu trouver. Plus important encore, Lee Taemin fera partie des juges.
― Le Président ?
Cette fois-ci, c'était Yeonjun qui avait pris la parole. Il s'était montré plutôt timide sur l'Alfar305, surtout face à Soobin, à tel point que Taehyun n'avait pas pu éviter les blagues douteuses de Minho au sujet d'un possible mutisme de l'ancien rebelle. Sur le coup, il n'avait pas trouvé ça drôle et lui avait lancé ses croissants tout chauds à la figure. Yeonjun s'était empressé de s'excuser auprès du cuisinier, et c'est comme cela qu'une nouvelle amitié était née entre deux amateurs de blagues peu qualitatives.
― C'est un élément précieux pour notre victoire. Il parlera surtout à propos des actes de Kim Sunoo et de Kim Seungri, peut-être aura-t-il également trois mots à dire sur les défunts officiers mais... je vous garantis qu'il nous sauvera tous. Il l'a déjà fait pour moi.
Taehyun comprenait l'allusion. La peine de mort à laquelle Soobin avait échappé, c'était grâce à l'Amiral. Il lui en serait à jamais redevable pour son aide, et pour celle qu'il leur fournirait dans ce procès.
― Si on s'en tire bien, Yeonjun n'écopera que d'une dizaine d'années de prison et toi, Taehyun, tu auras au mieux une interdiction temporelle d'exercer au sein de la Fédération.
― Et pour mon grade ?
― Monsieur Lee m'a dit qu'il s'assurerait de te rendre ton titre de Capitaine au plus vite.
Taehyun croisa son propre regard dans la vitre d'en face. Ses yeux brillaient d'autant d'étoiles qu'il en avait vues au cours de sa carrière de pilote de la Fédération. Tout ce temps, même s'il s'était convaincu qu'un simple badge et de ridicules épaulettes étoilées ne lui importaient plus maintenant qu'il avait fui le joug de la Fédération, son Capitaine lui avait manqué. Yeonjun aimait le surnommer ainsi, quand il n'usait pas de l'habituel chaton, et le blond s'avouait désormais que ce titre restait une grande partie de son identité, de son être. Il la récupérerait peut-être, cette part de lui, et il en était déjà heureux. Pourtant, une ombre assombrissait son bonheur. Dans tous les cas, dans tous les scénarios possibles pour le procès que Soobin leur déclamait à l'instant, Yeonjun s'envolait vers l'une des prisons d'Etat. Dans chaque situation, il s'absentait pendant plusieurs longues années.
Taehyun n'avait pas envie de le laisser partir, pas maintenant que tout semblait s'arranger pour eux. Il l'avait sorti du MOA avant son explosion, il l'avait sauvé d'une mort certaine, ils s'étaient avoué leur amour réciproque et avaient vécu une vie paisible sur la nouvelle Freyr. Tout cela pour quoi ? Pour qu'il lui échappe des mains après avoir difficilement construit leur petit monde à eux ? Il avait du mal à l'accepter. Mais Yeonjun, comme lui-même, avait des choses à se reprocher, des crimes à expier. Même si une bonne partie de l'univers les considéraient comme leurs sauveurs, ils avaient fait du mal.
Et puis Taehyun n'oubliait pas la Générale Mackenzie, le Commandant Jongseong, la torture de Kai, l'amas de corps de ses collègues dans le hangar du MOA. Yeonjun en était responsable. Peut-être pas directement, puisque ces gens étaient les victimes de Kai, mais il n'avait jamais rien fait – et il le lui avait avoué – pour stopper son camarade skarpo. Le rouge était la victime de cette histoire, il n'en restait pas moins le criminel dangereux qu'il devait à l'origine ramener à la justice.
Soobin mit fin à son monologue en même temps que la navette se posait devant le Tribunal, immense bâtiment à l'architecture épurée, toute de bois, de marbre blanc et de verre. Hyunwoo s'empressa de prendre contact avec les autorités sur place et envoya Changkyun sécuriser la sortie. Ici, encore plus de journalistes les attendaient. Parmi eux, ils y avaient aussi de simples civils, ou des membres de groupes d'opposition, comme l'avaient prévenu ses officiers. Il en remarqua quelques-uns, à travers le hublot, portant des brassards colorés, des vestes floquées de la tête de Yeonjun barrée d'une croix, ou encore des couvre-chefs ornés du logo des rebelles brulant dans les flammes. Toutefois, et heureusement, la plupart des gens présents sur place n'étaient que de simples individus, ou d'autres portant le vert pomme caractéristique de l'ancienne organisation du skarpo. Ici, il voyait plus de soutien que de contestation.
Son Caporal lui tapota l'épaule, lui faisant signe de la tête qu'ils descendaient, et Taehyun suivit sa petite escorte hors du bus-navette. Aussitôt, les cris, autant de joie quant à leur retour que de protestation, l'assaillirent. S'il avait pu, le blond aurait bouché ses oreilles. Le vacarme ici était infernal, il n'aurait jamais cru qu'une assemblée d'êtres-vivants pouvait être si bruyante, surtout après avoir passé une longue période dans un environnement presque silencieux. Il n'était plus habitué à ce chaos, et sentait déjà une angoisse qu'il n'avait plus sentie depuis quelques temps reprendre le pas sur son esprit rationnel. Il y avait trop de monde. Il y avait trop de bruit. De toute part, des sons, des contacts, des odeurs, des images... trop d'informations parvenaient à son cerveau d'un coup. Il ralentit derrière Changkyun, manquant de percuter un agent local, et lança un regard paniqué autour de lui. Il ne voyait plus Yeonjun. Sa chevelure rouge avait été engloutie par la foule.
― Taehyun ?
Soobin. Il était toujours là. Il lui tendit une main pour l'aider à avancer malgré les coups d'épaule. Taehyun s'en saisit fermement.
― Où est Yeonjun ?
Soudain, il sentit une poigne autour de son autre main, puis la voix du Caporal Son qui criait quelque chose à son second. La poigne se raffermit, Taehyun tira dessus. Et les cheveux rouges flamboyant de son skarpo réapparurent. Une autre instruction fut hurlée par-dessus la foule. Un coude s'enfonça dans ses cotes. Les doigts de Yeonjun glissèrent des siens. Et puis il se retrouva à terre, poussé par Soobin.
Une explosion retentit tout près. La foule paniqua. Il rouvrit les yeux, seulement pour voir qu'un écran bleuté les entourait désormais, lui, Yeonjun, Soobin et les deux lynkrigers. Un bouclier. Taehyun voulut se redresser. Il ne comprenait pas, il ne comprenait rien à la situation. D'où venait l'explosion ? Qu'est-ce qui l'avait causée ? Était-ce un attentat contre eux ? Le regard que Soobin lui lança l'en dissuada. Un échange de tir parvint à ses oreilles à travers le bouclier. Il entendit plus qu'il ne vit Changkyun recharger son arme, avant qu'il ne passe l'écran pour se joindre aux autorités du Tribunal.
Une main se posa dans son dos. Yeonjun. Il rampa jusqu'à ce que son visage parvienne au niveau de celui du blond, et lança une remarque acerbe à Soobin.
― Pas très efficace, votre sécurité.
― On fait ce qu'on peut.
Un grésillement titilla ses oreilles. L'instant d'après, Hyunwoo se baissa vers eux. Il leur intima, à travers le micro de son casque et d'une voix basse, comme si l'assaillant pouvait l'entendre malgré les cris de la foule terrorisée :
― « On évacue au plus vite jusqu'au Tribunal. Les fédéralistes ont tenté un attentat et vont apparemment recommencer. »
Taehyun bondit sur ses pieds, il attrapa fermement la main de Yeonjun et tous les quatre se mirent à courir sous le bouclier vacillant du lynkriger. Une autre déflagration retentit, juste à leur droite, et le bouclier flancha pour de bon. Hyunwoo leur fit signe de continuer tout droit avant de faire volte-face et de tirer sur le groupuscule armé qui les suivait. Les fédéralistes, un gang de jeunes lynkrigers radicalisés par la violence, qui voulaient venger à tout prix le meurtre de leurs camarades, supérieurs et idoles, avaient attenté à leur vie aujourd'hui. Taehyun frissonna sous son t-shirt alors que Soobin lui expliquait cela. Il y avait sûrement, dans ce groupe, des gens qu'il avait connu, des anciens camarades de classe ou des supérieurs. Qui voulaient maintenant sa mort. Leur mort.
Une troisième explosion, cette fois-ci déclenchée juste à l'endroit où Yeonjun avait posé son pied la seconde d'avant. Taehyun l'avait ramené tout contre lui en discernant le cliquetis de la grenade, juste à temps. Le souffle les projeta jusqu'à la porte du Tribunal, qu'ils passèrent en volant dans les airs. Taehyun atterrit lourdement sur le marbre, écrasé par le poids du skarpo. Il se cogna la tête contre le sol et perdit connaissance l'espace d'un infime instant.
Quand il rouvrit les yeux, Yeonjun était toujours sur lui, les bras serrés autour de sa taille et le visage plongé dans son torse. Soobin venait à peine de se relever, la manche de son uniforme cramoisie par endroit. De son côté, il sentait un courant d'air sur sa jambe ainsi qu'un picotement assez désagréable. Il avait dû se blesser. Le blond remua pour signifier au rouge qui l'écrasait. Le skarpo se redressa aussitôt.
― Non d'un moa, t'es blessé ? Je t'ai fait mal ? Tu t'es cogné ?
― Ça va, je vais bien. Tout va bien.
Faux. A mesure que Taehyun reprenait conscience de son corps, la sensation de brûlure devenait de plus en plus insupportable. Il n'osait même pas jeter un coup d'œil à sa jambe. Si c'était pour voir que son mollet ressemblait à un morceau de viande carbonisée, il préférait autant s'en passer. De toute façon, ce qui lui importait le plus en cet instant, c'était de savoir Yeonjun sain et sauf au sein du Tribunal. Une équipe venait déjà les récupérer, accueillie par Soobin. Deux d'entre eux saisirent les bras de Yeonjun pour le relever, sans aucune délicatesse ni politesse. Le noiraud eu vite fait de les reprendre, et le skarpo leur adressa un regard noir avant de préciser qu'il savait tenir debout tout seul.
Taehyun ne suivit pas le mouvement. Dehors, au-delà des portes vitrées du hall, il contemplait d'un œil affligé la foule chaotique, réduite à un amas de cris, de projectiles, d'armes à feu et d'armes blanches, à travers un écran de fumée. Les explosions n'avaient pas cessé. Il se demandait bien comment leurs opposants, en si petit nombre parmi les taches vert pomme, pouvaient créer une telle anarchie aussi vite. Ils étaient à peine arrivés que, déjà, le procès prenait une mauvaise tournure. Les juges comptaient beaucoup sur l'avis du peuple lorsqu'ils délibéraient. Et si la population subissait ce genre de dommages à cause de l'opposition, il ne doutait pas un instant que la plupart se rangeraient du côté qui les arrangeait le plus. Ils n'avaient rien à gagner à soutenir Yeonjun et Taehyun, si ce n'était rendre la Fédération meilleure. Ce projet, il prendrait du temps à se mettre en place. Il profiterait aux générations futures, pas à celles actuelles. Alors que se ranger dans le camp de l'opposant calmerait les tensions immédiatement et ces gens pourraient retourner à leur vie paisible, sans changement majeur. Ils n'auraient que participé à la mise à mort d'un criminel et son complice, après tout.
Et pourtant, le blond pouvait voir toutes ces taches vertes, tous ces partisans de leur cause, se battre avec ses deux lynkrigers et les autorités locales afin de repousser ceux qui avaient attenté à leur vie. Ils n'avaient pas lâché l'affaire, malgré le danger.
― Tu veux que j'appelle Beomgyu ?
Soobin s'était agenouillé devant lui, cachant le spectacle sanglant qui se déroulait sous ses yeux. Ce n'était pas plus mal, il sentait déjà son cœur s'affoler d'angoisse face à ce qu'il faisait vivre à certains, involontairement. Taehyun se concentra sur son second. Et sur sa blessure. Beomgyu... devait-il venir maintenant ? C'était trop dangereux. Et puis Yeonjun était déjà parti, il devait lui dire au revoir. Même s'il avait un droit de visite, le blond préférait profiter de chaque instant tant qu'il le pouvait. Il n'avait aucune certitude quant au fait qu'il conserverait ce droit si le procès venait à tourner au vinaigre. Il tiendrait encore un peu. Après tout, ce n'était pas la pire douleur qu'il ait connue.
Le noiraud l'aida à se remettre debout et Taehyun boitilla pour rejoindre Yeonjun. Les deux agents l'avaient menotté, le blond se doutait que ce n'était pas juste pour respecter la procédure. Il risqua un coup d'œil vers Soobin, qui n'avait pas l'air content. Le Caporal tenait à ce que certaines de ses consignes soient prises en compte et, visiblement, ces deux idiots-là n'en voulaient pas. Il en toucherait un mot au Président. Et puis Taehyun comptait sur lui, il ne souhaitait pas décevoir son capitaine.
La cellule, au moins, avait le mérite d'être à l'image de ce qu'il avait demandé. Taehyun s'extasia un instant devant les murs étincelants de blanc, ici et là ornés de détails bleus et rouges, aux couleurs de la Fédération. Un lit deux places trônait au milieu de la grande pièce, couvert de draps qu'il devinait doux et frais. Dans un coin, une kitchenette avec tout le nécessaire pour se préparer à manger, et dans l'autre, une petite porte qui devait mener à une salle de bain. C'était un véritable appartement, seulement la porte en barreaux et la fenêtre battante qu'il ne pouvait pas ouvrir complètement différenciaient la cellule d'une chambre classique. Cependant, il n'eut pas le droit d'y entrer. Il eut à peine l'occasion d'effleurer une dernière fois les lèvres de son amant que, déjà, les gardiens l'avaient poussé dans la pièce. Ils refermèrent la grille d'un geste sec, avec trois tours de clés, et les incitèrent à faire demi-tour. Taehyun lança un dernier coup d'œil à Yeonjun, de quoi lui faire comprendre qu'il revenait vite, avant de passer la porte en fer de la section des cellules de luxe.
En moins de temps qu'il n'en faut pour dire moa, Soobin et Taehyun furent jetés hors du Tribunal, sur une Place de la Justice vidée de toute sa foule. Il n'y avait plus personne. Seuls les deux lynkrigers les attendaient un peu plus loin, adossés à l'arrêt de bus-navette, leur équipement dans un état lamentable. Ils avaient eu du mal à maitriser les terroristes, c'était évident.
Il n'y eu pas un mot échangé sur le trajet jusqu'à son appartement. Les trois avaient tenu à le raccompagner, les rues n'étaient pas sans danger pour lui. Taehyun jouait distraitement avec le bas de son t-shirt, un goût amer de regrets dans la bouche. Il n'avait pas pu s'assurer du confort de Yeonjun. Il n'avait pas même pu l'embrasser une dernière fois, ni même l'enlacer ou lui tenir la main. Et puis il avait un désagréable pressentiment quant au procès à venir. C'était peut-être juste l'angoisse du verdict, ou la peur de voir une accusation trop solide en face d'eux. Ou craignait-il que leur meilleur atout – leur seul atout – se désiste au dernier moment. Après tout, le Président Lee mettait sa position en jeu en exposant ainsi son soutien au rebelle. Il savait Taemin loyal, mais Taehyun le connaissait assez pour aussi savoir qu'il n'était pas du genre à se mettre volontairement dans le pétrin. S'il sentait que le risque était trop grand, l'ex-Amiral abandonnerait le bateau sans discuter. Et sans lui, ils n'avaient que la preuve du génocide de Freyr, ainsi que leur parole. L'une avait été récupérée au prix d'un crime, l'autre ne serait pas prise en compte venant des accusés. Sans Taemin, ils n'avaient aucune chance.
La façade en verre qu'il ne connaissait que trop bien se dessinait au loin, après un bon quart d'heure de trajet. Ils avaient parcouru la moitié de la circonférence de la nano-planète pour qu'enfin Taehyun soit de retour chez lui. Mais était-ce vraiment encore son chez-lui désormais ? Il s'était construit une toute nouvelle maison avec son amant, à l'autre bout de l'univers. Sentimentalement, son logement de Capitaine, généreusement offert en guise de privilège par la Fédération, ne payait pas de mine. Ce n'était pas ici qu'il avait connu les meilleurs instants de sa vie. C'était sur la nouvelle Freyr, au-delà du Verdenskant, que ses plus beaux souvenirs étaient nés.
Il poussa la porte de la résidence seul, ayant insisté pour que son second et ses lynkrigers rentrent se reposer au plus vite chez eux pour le lendemain. Soobin l'avait informé d'une réunion avant le procès, la seule qui leur avait été accordée, que personne ne devait louper, en aucun cas. Le jugement aurait lieu le surlendemain. Ils devaient être frais. Son empreinte oculaire déverrouilla la porte, comme toujours, et Taehyun fut accueilli par une délicieuse odeur de renfermé. Personne n'était venu entretenir son logement pendant son absence, vraisemblablement. A moins que...
Les draps étaient défaits, de la vaisselle sale restait dans l'évier, et un sac avait été laissé dans l'entrée. Il était pourtant sûr et certain d'avoir refait son lit, lancé le lave-vaisselle et rangé son appartement avant de partir, sous le coup du stress. Et ce sac ne lui appartenait pas. Ni même le sweat qu'il retrouva par terre, dans sa salle de bain. Le vêtement était celui de Soobin. Il était pratiquement sûr qu'il en était de même pour le bagage. Le Caporal avait visiblement occupé son appartement, peut-être un jour ou deux.
Ce n'est qu'à cet instant que Taehyun mesura l'ampleur du déchirement que son ainé avait dû vivre lors de son absence. Il avait dû le pleurer, le haïr, le supplier de revenir, au point de ressentir le besoin de venir ici. Soobin, celui qui ne laissait d'ordinaire jamais ses émotions le dominer, s'était noyé dans un atroce chagrin. Beomgyu l'avait pourtant prévenu, il en avait discuté avec le principal concerné. Mais Taehyun ne prenait que maintenant conscience de tout ce qu'il représentait pour le noiraud, de tout l'amour qu'il lui portait.
Soobin le chérissait plus que tout au monde, c'était évident.
Il se laissa tomber sur son lit, sans aucune motivation pour ranger le bazar que son camarade avait mis. Il le lui accordait, ça n'avait pas dû être facile. Il n'avait même pas la force de retirer son pantalon pour désinfecter et soigner sa blessure, ni même d'appeler Beomgyu pour que le médecin s'en occupe. Il voulait seulement revenir en arrière, très loin en arrière, de façon à ce que tous les problèmes qu'il causait n'arrivent jamais. Il voulait remonter loin, très loin, jusqu'à la naissance de Yeonjun. Empêcher la Fédération de coloniser Freyr, empêcher les lynkrigers d'organiser le génocide, empêcher Yeonjun et Kai de devoir assister à la destruction de leur peuple et de leur maison. Empêcher les choses de tourner mal pour eux, pour lui. Refaire toute l'histoire fédérale, tant qu'à faire. Et si Kim Seungri n'avait jamais été président ? Et si la Fédération était transparente sur ses intentions quand elle visitait un peuple ? Et si la nation respectait ses valeurs ? Et si Yeonjun n'était pas devenu un criminel qu'il devait capturer ? Et s'ils n'avaient jamais eu à fuir ? Et s'il n'y avait jamais eu Kai ? Il s'endormit avec le ballet des et si ? glissant sur le parquet de son esprit.
*
* *
An 3041, 16 février – selon le calendrier d'Yggdrasill
Taehyun n'avait pas pu voir Yeonjun la veille, à la réunion. On l'avait empêché de sortir de sa cellule et d'assister à la réunion qui le concernait directement. Soobin fut le seul autorisé à le visiter, afin de lui faire un rapport. Il lui avait assuré, dès son retour, que le rouge allait bien. C'était déjà ça. Ce matin, le blond se réveilla sans grande motivation. Le procès débutait aujourd'hui, pour trois jours, si tout allait bien. Et il en avait déjà marre. Il stressait, il angoissait, et surtout... Yeonjun lui manquait. Sans son skarpo à ses côtés, il se sentait vide, il ne se sentait plus vivant. Il avait tout bonnement l'impression de ne plus être entier, de ne plus avoir aucune once d'énergie. Taehyun remonta sa couette jusqu'à son menton. Elle était encore imprégnée de l'odeur de Soobin, ce qui ne le dérangeait pas tant que ça. La fragrance marine lui rappelait celle de Yeonjun.
La mélodie du digicode, qu'il n'avait pas entendue depuis longtemps, retentit dans l'entrée de son appartement. Le blond s'enfonça un peu plus dans son lit en grognant. Il ne voulait pas se lever. Il préférait rester là, à espérer que le temps avance directement jusqu'à l'issue du procès, sans qu'il n'ait besoin d'y faire acte de présence. De toute façon, avec tout ce qu'il s'était passé le jour de leur arrivée ici, puis la veille, c'était peine perdue. Ils étaient déjà condamnés.
― Allez Cap'taine, lève-toi. Ton copain a besoin de toi.
Il ne se redressa même pas aux mots de Beomgyu. Il ne pouvait rien pour Yeonjun, de toute façon. Ils auraient dû rester sur la nouvelle Freyr, finalement... Beomgyu le secoua sous sa couette, le faisant grogner de plus belle, et Taehyun manqua de lui asséner un coup de pied.
― Debout, furie ! Le monde entier n'attend plus que toi !
Il regretta aussitôt la violence de son geste. La croute qui s'était formée durant la nuit sur sa brûlure à la jambe, il venait de la sentir se décoller. Il n'avait pas pris le temps de la soigner hier, trop préoccupé par la réunion. La couette vola. Beomgyu se jeta sur lui pour plaisanter. Et Taehyun grimaça de douleur.
Ils se présentèrent avec un quart d'heure de retard devant la porte de la salle où avait lieu le procès. Le médecin avait insisté pour soigner sa blessure et, même si leur petite chamaillerie les avaient mis en retard, Taehyun acceptait le fait qu'il n'avait plus mal grâce à cela. Le procureur leur désigna d'un coup d'œil inquisiteur le banc des accusés, leur faisant comprendre qu'il acceptait pour cette fois puisque, de toute façon, la séance n'avait pas encore débuté. Yeonjun n'était toujours pas arrivé...
Le blond promena son regard sur l'assemblée. Il n'y avait là que des journalistes, le public n'avait pas l'autorisation d'être présent durant ce procès, pour éviter tout problème. A sa droite, la table des plaignants était composée de têtes qu'il reconnaissait vaguement. Quelques-uns de ses supérieurs, la famille de la Générale Mackenzie et du Commandant Park Jongseong avec leur cortège d'avocats tirés à quatre épingles. Il y avait, là-bas aussi, un siège vide. De son côté à lui, les officiers de son équipage, habillés de leurs costumes de cérémonie, relisaient leurs notes en attendant leur membre manquant. Leurs deux avocats discutaient avec Soobin. Et puis, devant eux, derrière un imposant comptoir monté sur une haute estrade, les juges et le procureur préparaient leur séance. A la droite du maitre de cérémonie, le Président Lee lui adressa un petit signe de la main, avec un sourire lumineux. Taehyun lui répondit plus timidement, avec moins d'assurance. Beomgyu s'était vu obligé de le trainer hors de son appartement pour qu'il daigne venir jusqu'ici.
La porte s'ouvrit à l'arrière de la salle, au bout de l'allée. Tous tournèrent la tête. Les juges se levèrent. Et ce fut Jake qui apparut. Que faisait-il ici ? Taehyun le regarda avancer d'un pas hésitant parmi les journalistes. Il n'avait rien à faire là, l'administration judiciaire avait convoqué seulement les gradés de l'AO3FED-040319, lui n'était qu'un technicien. Il leur adressa un regard désolé en passant à côté de leur table, avant de tourner vers l'accusation. Le mécanicien prit place à côté de l'Amiral Park, le paternel de Jongseong, sous le regard perdu du blond.
― C'est son frère.
Taehyun fit volte-face vers sa Sergente, Karina. Son frère ? Sim Jake et Park Jongseong étaient de la même famille ? Jake... son mécanicien, son ami, était depuis tout ce temps le frère du Commandant ? En réalité, sans avoir le même nom, il pouvait très bien être un demi-frère, ou un frère ayant préféré conserver le nom de sa mère plutôt que de son père. Taehyun n'en revenait pas. Jake, le même qui l'avait aidé dans sa mission, qui s'était rendu complice de Yeonjun, avait prêté main forte au meurtrier de son propre frère...
La porte s'ouvrit de nouveau, coupant cours à son questionnement. Cette fois-ci, ce fut la chevelure rouge flamboyante de son amant qui se présenta. Yeonjun, leur principal invité, daignait enfin honorer le monde de sa présence. Les caméras, comme les paires d'yeux, se braquèrent vers lui. Ses deux gardiens, les mêmes qui l'avaient accueilli l'avant-veille, tenaient fermement chacun un de ses bras, comme si cette expression de résignation totale sur le visage de leur prisonnier n'était qu'une façade et que le criminel risquait de s'enfuir à tout moment. Yeonjun acceptait son sort, il savait parfaitement que fuir de nouveau ne servirait à rien. Ils le firent s'asseoir avec violence sur sa chaise, à l'autre bout de la table. Loin de lui. Taehyun serra les dents. Il suivit d'un œil noir les deux agents se reculer contre la barrière séparant l'accusation du public, prêts à réagir au moindre mouvement suspect de leur prisonnier.
― Bien, nous allons débuter la séance.
**
Taehyun s'étira longuement sur sa chaise. Enfin, la séance du jour se terminait. Il était près de vingt heures et son estomac se tordait violement dans son ventre. Ce midi, pendant la demi-heure de pause leur ayant été accordée, le blond n'avait rien avalé. Il était resté dans la salle, avec Yeonjun et ses geôliers, pour leur toucher deux mots sur leur comportement. Soobin l'avait soutenu. Puis il avait tenté de rejoindre Taemin et Jake, au moins l'un des deux, mais le premier s'était éclipsé avec les juges et l'autre avait fui dès qu'il s'était approché. Durant le procès, Taehyun ne s'était empêché de lui jeter quelques coups d'œil de temps en temps, et il semblait que le mécanicien n'était pas enchanté d'être de ce côté du jugement. On l'avait forcé à rejoindre l'accusation, pour son défunt frère, alors même qu'il savait que Yeonjun n'était pas son véritable meurtrier.
Toute la journée, les preuves, les témoignages et les accusations des avocats avaient plu sur eux, autant sur lui que sur Yeonjun, et Taehyun était tout bonnement épuisé. Ils n'avaient pas encore eu le droit de parole, ils ne l'auraient pas demain non plus. L'accusation n'avait pas épuisé tout son stock de preuves contre eux, il leur fallait une séance de plus. Ce n'était que le premier jour et, déjà, le procès prenait du retard.
Avant que Yeonjun ne soit ramené à sa cellule, Taehyun trouva le moyen de l'approcher malgré les geôliers, suffisamment pour sentir ses lèvres contre les siennes l'espace d'un instant. La seconde suivante, le plus grand des deux agents s'interposa, matraque électrique à la main, et lui hurla qu'il n'avait pas ce droit. Heureusement, les juges avaient déjà quitté la salle. S'ils voyaient ça, ils le noteraient et le ressortiraient contre eux le lendemain, à coup sûr. Le blond leva ses deux mains en signe d'innocence, assura d'un regard à Yeonjun qu'ils se retrouvaient demain, dans tous les cas, avant que les gardiens ne saisissent fermement leur prisonnier pour le faire sortir. Ces deux-là avaient décidément un souci.
Il rentra chez lui avec Soobin, trouva la force de ranger un peu son appartement, avec l'aide du noiraud qui se répandit en excuses devant le bazar qu'il avait causé, et se prépara un rapide repas pour le diner. Le Caporal ne resta pas, il avait encore de la paperasse à régler avec les avocats, et le quitta après une rapide étreinte. Taehyun aurait aimé rester dans ses bras un peu plus longtemps. L'assurance, la confiance dont son second faisait preuve lui réchauffait le cœur. Lui avait abandonné d'entrée de jeu, mais Soobin continuait de lui garantir que tout irait bien pour eux. Il admirait cette assurance, cette énergie, et aurait apprécié en puiser un peu pendant un câlin. Mais Soobin ne lui accorda pas.
Il se coucha le cœur lourd dans son lit aux draps propres, la gorge serrée et l'âme incomplète. Taehyun se sentait toujours vide, peut-être même encore plus qu'il ne l'était en se levant. Ne plus pouvoir profiter de la présence de Yeonjun, de son odeur, de son toucher, de ses étreintes, du contact de sa main dans la sienne, ni de la douceur de ses lèvres, tout ça lui crevait le cœur. Il avait seulement besoin de le sentir près de lui, de le savoir en sécurité. Au lieu de cela, on avait donné au skarpo deux monstres pour le surveiller, et le blond imaginait sans mal que ces deux-là profitaient de leur poste pour harceler le rouge. Quoiqu'ils fassent, Soobin et lui ne parvenaient pas à faire changer les gardiens. Ils n'y pouvaient rien. Le blond craignait que la situation ne dégénère, il craignait de retrouver, un matin, Yeonjun dans un sale état. Ou même d'apprendre qu'il était mort dans de dramatiques circonstances. Les geôliers pouvaient le maltraiter, l'humilier, saboter ses équipements, empoisonner son eau ou les aliments de son frigo... Rien n'était sûr avec deux individus de ce genre chargés de tous ses soins.
Taehyun brassa encore et encore ces pensées, jusqu'à divaguer vers de sombres souvenirs. Toute cette situation dont Yeonjun était victime, il la mettait sans mal en parallèle avec ce qu'il avait vécu aux mains de Kai sur le MOA. Sans surprise, le skarpo blond vint le visiter aussitôt eut-il fermé les yeux. Il se redressa d'un coup dans son lit. Il avait seulement aperçu l'éclat de sadisme dans la pupille de son tortionnaire, mais c'était suffisant pour que son corps tremble et que son cœur s'affole. Rien qu'au souvenir de la torture psychologique et physique qu'il avait subie, l'angoisse et la panique reprenaient le dessus sur son esprit. Il ralluma sa lampe de chevet, ne put s'empêcher de contrôler chaque recoin dans lequel le jeune skarpo pouvait se terrer alors même qu'il le savait mort – et pour de bon – et se saisit de sa montre IPAV. Il ne pouvait plus dormir, pas après ça. Kai l'attendait dans ses rêves, il le savait pertinemment.
― « Taehyun ? Tout va bien ? »
― Tu ne dors pas ?
Après tout, il était déjà une heure du matin. Le deuxième jour de procès venait de débuter.
― « Non, non... je suis encore en réunion avec Maitre Hong et Maitre Pasquier. Et toi ? Que t'arrive-t-il ? »
― Je- je n'arrive pas à dormir...
― « Je finis ça et je viens vite. D'accord ? »
― Mmh...
Il l'entendit discuter un instant avec les avocats, leur demandant qu'ils bouclent leur réunion plus tôt que prévu, et les deux acceptèrent avec joie. Eux aussi devaient être épuisés, il était temps qu'ils rentrent se reposer. Soobin rangea ses affaires, sans raccrocher, et reprit bien vite la parole à l'autre bout du fil.
― « Je prends la navette, je suis là d'ici dix minutes. Tu veux en discuter ? »
Taehyun marqua une pause. Devait-il lui dire que ses cauchemars étaient hantés par Kai ? Il se maudit d'avoir pensé, l'espace d'un instant, qu'il aurait préféré que ce soit Yeonjun là, à subir ses terreurs nocturnes. Lui aurait tout de suite compris que son traumatisme revenait le déranger. Mais Yeonjun n'était pas là, au contraire de Soobin qu'il savait toujours dévoué pour lui. Et puis le blond n'avait aucun droit de remettre l'attention et l'amour que le noiraud lui portait, pas alors qu'il connaissait ce qu'il avait vécu à cause de son absence, pas alors qu'il l'avait fait souffrir en l'abandonnant au profit du skarpo. Taehyun laissa son crâne retomber sur son oreiller. Soobin lui proposait son aide, comme toujours, et refuser serait vraiment effronté de sa part.
― C'est Kai. Tout ça : le procès, les geôliers de Yeonjun, les meurtres dont on est accusés... tout ça me fait penser à ce que ce gars m'a fait, à ce qu'il a fait à tous ces gens.
Il y eu un long silence du côté de Soobin avant que celui-ci ne réponde. Sa carte de Caporal ne voulait plus passer à la borne de la navette. Il devait rentrer à pied. Une boule se forma dans la poitrine du blond. Inconsciemment, il avait espéré que son ainé vienne vite pour qu'il puisse se plonger dans ses bras. Son projet venait d'être tué dans l'œuf.
― « C'est normal que tu ressentes ça, Taehyun. Tu as vécu un épisode traumatisant, et tu te rends compte que d'autres en ont aussi été victimes. Et puis, en quelque sorte, ce procès est le sien. Il est jugé pour ses crimes, il est puni pour ce qu'il t'a fait. Ton esprit a juste du mal à intégrer que, quoi que tu fasses maintenant, il n'est plus là pour t'en faire subir les conséquences. Il est mort... »
Taehyun aurait juré entendre la voix de Soobin flancher de l'autre côté de la ligne. Ces trois derniers mots, il les avait prononcés d'un ton plus faible, moins assuré. Et le plus jeune se fit une réflexion : ils n'avaient jamais parlé de ce que le noiraud ressentait à la mort de Kai, Soobin pouvait très bien en être affecté. Après tout, même si le noiraud lui avait exprimé quelques fois le désir de punir le jeune skarpo pour avoir osé toucher à son ami, il n'avait jamais clairement assuré avoir fait le deuil du Kai qu'il avait connu sur Tyr. Leur relation avait été forte – basée sur le mensonge et l'hypocrisie mais le Caporal y avait cru dur comme fer – Soobin avait trouvé en lui une amitié vraiment spéciale. Et tout avait été brisé d'un coup.
― Dis... on n'a jamais vraiment discuté de sa mort...
― « Je ne suis pas sûr d'être capable de poursuivre cette conversation... »
Là, sa voix s'était brisée sur la fin de la phrase. Soobin ressentait vraiment de la peine pour le skarpo décédé. Taehyun sentait aussi des remords, de la culpabilité et surtout de la haine dans cette émotion.
― Ok ok... Je veux juste te confier une chose, Soobin. Avant qu'il ne meure, Kai m'a parlé. Il s'est excusé pour tout. Il s'est excusé de m'avoir fait tout ça. Et surtout, il était désolé pour toi. Je te l'ai jamais dit mais... voilà. Ses dernières paroles, elles étaient pour toi.
― « Je- je suis devant chez toi... »
Taehyun se redressa. Soobin pleurait. Mais, plus important, Soobin était juste derrière sa porte. Il bondit hors de son lit pour se ruer dans l'entrée. Comment avait-il fait ? Le blond mit fin à l'appel. Il ouvrit le battant. Le noiraud, les yeux larmoyants, lui fit un petit sourire.
― Surprise...
Il ne le laissa pas faire un pas de plus. Taehyun attrapa son bras et le tira contre lui. Il l'appelait à l'origine pour réclamer sa présence, mais finalement, c'était son ami qui avait le plus besoin d'une étreinte à l'heure actuelle. Dans le courant d'air frais du couloir, il se laissa aller contre l'épaule de son cadet. Il pleura tout son chagrin, il laissa ses émotions s'exprimer malgré lui. C'était rare de voir le Caporal Choi se noyer dans ses sentiments, lui qui veillait toujours à se montrer le plus impassible possible. Mais depuis qu'il avait bien cru perdre Taehyun, beaucoup de choses avaient changées.
Le blond le tira jusqu'à son lit, Soobin se lova contre lui. Ce soir, les rôles étaient inversés.
*
* *
An 3041, 20 février – selon le calendrier d'Yggdrasill
Le procès avait pris beaucoup de retard. Une quatrième séance, puis une cinquième avaient été ajoutées au planning originel. Pour cause, les plaignants qui étalaient leurs discours, trouvaient toujours de quoi répondre aux déclarations des accusés, et la population qui se révoltait toujours un peu plus à chaque apparition des accusés en dehors du Tribunal. Taehyun se rassit après être passé à la barre. Cette fois-ci, il attendait la réplique de l'avocat ennemi avec joie, impatient de voir ce qu'il trouverait à redire de sa déclaration héroïque et patriote. Aujourd'hui, il s'était levé de son banc près de dix fois pour conter ce qu'il avait expérimenté sur le MOA, pour parler de ses découvertes sur le génocide de Freyr, pour présenter le véritable meurtrier : Kai. A contrario, on n'avait appelé Yeonjun seulement pour l'écouter à propos de la destruction de son peuple.
Jake aussi avait témoigné, malgré la visible réticence de son père. Le procureur lui avait accordé le droit de parole avec joie. Et Jake confirmait que Kai était le véritable criminel, celui que sa famille accusait réellement, sans le savoir.
Le procureur asséna un coup de marteau sur son socle en même temps que les chiffres de l'horloge holographique annonçaient les dix-huit heures. Il se leva et pris la parole.
― Nous avons tout ce qu'il nous faut pour faire un choix. La sentence tombera ce soir, à vingt heures. Veuillez ne pas quitter le Tribunal en attendant.
Il salua l'assemblée puis quitta la salle, suivi de ses juges. Taemin accorda un clin d'œil encourageant à Taehyun, le rassurant sur la délibération. Ils étaient en plutôt bonne posture, contrairement à ce que le blond imaginait, et le Président ne faisait que le lui confirmer. Le jeune homme rangea ses affaires qu'il laissa sur son bureau. Il se leva, fit le tour de la table et rejoint Yeonjun. Les menottes à ses poignets semblaient être plus serrées que d'habitude, peut-être même trop. Et puis on l'avait forcé à revêtir la combinaison orange des prisonniers pour se présenter à la séance du jour. Le gardien – le seul présent aujourd'hui, étonnamment – lui adressa un regard noir quand il prit place sur la chaise à côté de son prisonnier. Taehyun l'ignora royalement.
Le rouge lui fit un petit sourire, tendre et chaleureux, qui lui réchauffa immédiatement le cœur. Il posa sa main sur les siennes entravées, avant de plonger ses yeux boisés dans l'océan de ses iris. Le brun de la forêt et le bleu de la glace se retrouvaient enfin, après n'avoir pu profiter que de quelques œillades. Il aperçut le garde approcher du coin de l'œil, aussitôt intercepté par Soobin, son sauveur. Depuis ce soir-là, où lui et Taehyun avaient longuement discuté des dernières paroles de Kai, le Caporal mettait un point d'honneur à lui rendre hommage du mieux qu'il pouvait, notamment en se portant garant de la relation que le jeune homme et le skarpo partageaient.
Les deux profitèrent de cette accalmie pour s'embrasser. Les conditions n'étaient pas idéales, les caméras de la presse restaient braquées sur eux, les menottes empêchaient le rouge de passer sa main dans la nuque du blond alors qu'il en mourrait d'envie, et Taehyun n'osait pas approfondir ce baiser. Peut-être était-ce le dernier avant longtemps, pourtant ils ne pouvaient pas en profiter pleinement. Toutefois, retrouver la douceur des lippes de son amant lui procurait une délicieuse sensation. Ce genre d'acte amoureux lui avait manqué, terriblement.
Ils ne se séparèrent que lorsque Soobin les interrompit bien malgré lui. Il avait réussi à négocier avec le gardien – pour ne pas dire qu'il l'avait menacé – une autorisation de sortie pour Yeonjun. Un dernier instant de liberté pour le skarpo. Taehyun avait déjà une idée d'où il allait l'emmener.
Ils sortirent main dans la main du Tribunal malgré les recommandations du procureur, un bracelet électronique à la cheville de Yeonjun et le garde à leur suite, pour rejoindre directement la navette privée qui les attendait juste devant les portes du hall. Le bus les mena à la résidence du plus petit. Il tenait à lui montrer son lieu de vie, ne serait-ce seulement pour qu'une part de Yeonjun y soit associée en prévision de leur longue séparation. Et puis ça pouvait toujours être intéressant de faire visiter son ancienne maison à son amant, pourquoi pas pour faire la comparaison avec celle qu'ils s'étaient construite sur leur nano-planète.
Taehyun poussa la porte après l'avoir déverrouillée et il invita le skarpo à passer en premier. Il fit signe au gardien de les attendre dehors et celui-ci obéit sur le champ. Soobin devait avoir sorti la voix grave et le regard intimidant pour le rendre aussi docile. Il referma le battant sur le geôlier avant de se tourner vers Yeonjun, un petit sourire au coin des lèvres.
― Nous voilà seuls...
― Tu t'enflammes, Capitaine. Laisse-moi au moins visiter.
Le skarpo avait compris le sous-entendu. Et ce surnom, qu'il avait prononcé avec une lueur au fond de sa pupille, Taehyun en frissonnait déjà sur place. C'était la dernière fois, sans doute, qu'ils pouvaient se permettre d'avoir ce genre de proximité, qu'ils pouvaient se retrouver dans l'intimité. Leur couple ne se basait pas sur ce genre de preuve d'amour, ils n'avaient tenté l'expérience qu'une seule fois. Mais Taehyun le sentait parfaitement. Cette fois-ci, ils étaient sur la même longueur d'onde.
Alors qu'il s'imaginait déjà des choses, Yeonjun s'était éclipsé dans la salle de bain. D'ici, il pouvait l'entendre s'extasier sur sa douche connectée, qui offrait différents programmes selon l'humeur de l'utilisateur, de la douche fraiche pour le réveil au jet massant pour les dures journées. Sa chambre, sur le MOA, était équipée d'une salle de bain des plus classiques, il n'était pas habitué à voir tant de technologie dans une pièce d'eau. Même les toilettes et leur panneau de boutons l'émerveillèrent. Il en ressortit bien vite, la salle de bain n'était tout de même pas si grande.
Taehyun l'attendait, assis au bord du lit. Yeonjun le rejoint. Il le laissa s'allonger, s'installa délicatement au-dessus de lui, et fit une remarque sur sa couette.
― Les petites fusées, ça te ressemble étonnamment beaucoup.
Le blond rit. Il n'avait jamais pensé que les motifs sur ses draps de lit pouvaient en dire si long sur sa personnalité. Après tout, Yeonjun le connaissait bien, maintenant. Peut-être plus qu'il ne se connaissait lui-même. Il lui frappa le torse, avant de le saisir par le col de sa tenue orange et d'attirer ses lèvres aux siennes.
Le skarpo et le jeune homme s'embrassèrent comme s'il n'y avait pas de lendemain pour eux. Ils mirent leur instant de liberté à profit. Ils se retrouvèrent convenablement, dans une explosion d'amour. Et puis ils se disaient au revoir, aussi. Taehyun et Yeonjun veillaient à se quitter passionnellement. Ils tenaient à partager un dernier moment d'amour, de tendresse et d'intimité, un dernier avant de se séparer pour de longues années. La sentence n'était pas encore tombée, ils ne savaient toujours pas si ces années se comptaient individuellement ou par dizaines. Mais le fait était qu'ils ne pouvaient décemment pas s'empêcher de s'aimer physiquement l'un l'autre tant qu'ils le pouvaient encore. L'avenir était trop incertain. Le blond et le rouge devaient profiter de ce qui leur était donné maintenant.
Dans cet appartement sans véritable valeur émotionnelle pour eux, Taehyun et Yeonjun imprimaient leur amour. Une dernière fois, peut-être. De quoi donner une nouvelle énergie à ce logement. Et à leur relation. Une énergie, une force, qui leur permettrait d'avancer et d'affronter tous les obstacles.
Une force qui les aiderait à se retrouver.
**
C'était le moment, enfin. Celui tant attendu par l'univers entier. La sentence allait tomber.
La presse retenait son souffle.
Le peuple était attentif devant les écrans.
Taehyun serrait fort la main de Yeonjun dans la sienne.
Le procureur se leva sur l'estrade, s'éclaircit la gorge. Puis il déclara :
― Le criminel Yeonjun, pour avoir été complice de meurtres de civils comme d'officiers de la Fédération, pour vols, piraterie, cyber vols, destructions, dégradations et autres infractions, est condamné à vingt années de prison ferme. Sa peine est allégée par des circonstances atténuantes, notamment le génocide de son peuple par la Fédération, l'influence de feu Kai et sa récente volonté de modérer ses crimes. Après délibération, il est donc condamné à dix ans de prison ferme.
Sous la pulpe de ses doigts, le blond sentit le pouls erratique du rouge se calmer légèrement. Il n'était pas condamné à mort, ni à perpétuité. C'était un plus. Mais dix ans de prison restaient long. Un relent de sentiment d'injustice serrait toujours le cœur du skarpo. Il n'avait pas mérité tout ça. Toutefois, les choses étaient ainsi, il pouvait s'estimer heureux avec une si petite peine malgré tous ces crimes. Il acceptait la sentence. Et puis Yeonjun craignait plus pour Taehyun. Il était pleinement responsable des crimes que le jeune homme avait effectués, lui n'avait été que son complice. S'ils ne s'étaient pas rencontrés, si le rebelle ne lui avait pas parlé du génocide de Freyr, tout cela ne serait jamais arrivé. S'il écopait d'une peine lourde, il s'en voudrait.
― Pour le Capitaine Kang Taehyun et les crimes suivants : meurtre d'une escouade de lynkrigers, violation du Secret-Défense, délit de fuite et vol d'un vaisseau, nous avons décidé de seulement lui retirer le droit d'exercer en tant qu'officier au sein de la Fédération pendant deux ans, ainsi que quelques privilèges dont le détail est listé dans notre rapport. Il conserve son grade, son vaisseau et son équipage.
Yeonjun se détendit pour de bon, de même pour le blond. Il était sorti d'affaire, il n'allait pas connaitre l'enfer de la prison comme lui le ferait.
― Malgré les sentences que nous appliquons, nous tenons à remercier Yeonjun et Kang Taehyun pour leurs services apportés à la Fédération. Grâce à eux, c'est une nouvelle ère qui débute. La Fédération veillera à s'améliorer, à l'avenir.
Le procureur s'inclina avant de laisser la place à Taemin. Le Président réajusta le micro à sa taille, replaça une mèche de ses cheveux qui tombait sur son front, et pris à son tour la parole :
― Ce sera pour moi un honneur de mener notre grande nation sur le droit chemin, avec l'influence du poste qui m'est donné. Yeonjun, je tiens à m'excuser, au nom de tous mes semblables et auprès de tous les défunts skarpos, pour les actes impardonnables que nos prédécesseurs ont perpétrés contre vous. Notre peuple sera à jamais redevable au votre. Et Taehyun, en tant que supérieur hiérarchique, mais aussi en tant qu'ami et ancien mentor à l'Académie, je tiens à dire que je suis fier de tout ce que tu as accompli. J'ai hâte de travailler avec toi, mon cher Capitaine Kang.
Un tonnerre d'applaudissements retentit quand le Président s'inclina. Même du côté de l'accusation, les plaignants félicitaient le discours du Président et le travail des juges. Ils n'avaient pas vraiment gagné ce procès, la sentence était bien insuffisante pour les crimes dont ils les avaient affublés en premier lieu. Et pourtant, quand Taehyun se leva, la femme de la Générale Mackenzie vint lui serrer vigoureusement la main. Il la remercia, sans trop savoir pourquoi puisqu'elle avait voulu la mort de son amant, et la laissa pour fuir la foule de journalistes qui tentaient de l'interviewer. Il ne tenait pas à répondre aux questions intrusives de ces gens, sur sa relation avec Yeonjun, sur ce qu'il prévoyait de faire en attendant de reprendre du service en tant qu'officier de la Fédération, sur ses projets à propos de la décolonisation de l'empire Fédéral, ou encore sur ce qu'il pensait de la sentence.
Lui-même ne savait pas ce qu'il en pensait.
Yeonjun partait pour dix ans. Selon le rapport, il serait transféré dès le lendemain dans une prison à huit galaxies d'ici, dans un coin reculé de l'univers. Il n'avait pas de droit de visite, même pas pour Taehyun. Et puis cette prison n'était pas réputée pour être la plus paisible. Ni la plus horrible, ceci-dit. Pourtant, même s'il n'allait pas trop mal vivre là-bas, son skarpo serait loin de lui pour dix longues années. Il pouvait s'en passer des choses, en dix ans. Il avait peur.
Taehyun ne se joignit pas à la petite fête que son équipage organisait ce soir-là. Ils faisaient une ovation aux deux avocats qui les avaient défendus corps et âmes dans ce procès. Le blond les en remerciant grandement, mais il n'avait pas le cœur à boire du whisky en se trémoussant sur la mixtape de Hyungwon. Il ne pouvait pas voir Yeonjun. Le skarpo devait préparer ses affaires pour son transfert, le lendemain matin. Et puis l'autre gardien était revenu après la petite pause de liberté que l'un leur avait accordés, bien décidé à faire respecter les règles qu'eux – et eux seuls – imposaient. Soobin aurait beau menacer ce grand gaillard, il n'arriverait à rien. Alors Taehyun se contentait de laisser ses larmes couler, la tête plongée dans la couette qui portait encore l'odeur du rouge. Ce souvenir-là lui paraissait déjà lointain. En l'espace d'une heure à peine, Yeonjun et sa chevelure flamboyante avaient illuminé cet appartement. Désormais, son logement paraissait terne, vide, il avait perdu toute l'énergie dont il avait rayonné dans l'après-midi.
Dix ans.
Il n'allait pas le revoir pendant dix ans.
Son cœur saignait, sa poitrine le serrait, sa gorge retenait les cris de douleur et de chagrin qu'il ne pouvait pas se permettre d'exprimer. Des gens dormaient à côté. Et même s'il se sentait effroyablement seul en cet instant, Taehyun tenait toujours à ne pas déranger ses voisins. Alors il se déchirait en silence.
Soobin l'appela, il ne décrocha pas. Beomgyu passa, il l'entendit toquer à la porte, mais Taehyun le supplia de le laisser seul. Il ne voulait pas de visite. La seule personne qu'il voulait près de lui, c'était Yeonjun. Et c'était impossible.
Cette nuit-là, il s'endormit difficilement.
*
* *
An 3041, 21 février – selon le calendrier d'Yggdrasill
Le convoi pénitentiaire était là, prêt à décoller, sur le grand tarmac à l'arrière du bâtiment du Tribunal. Il attendait son dernier passager.
Yeonjun partait. Pour longtemps. Pour dix ans. Il le quittait. Mais c'était pour mieux revenir. Pourtant, Taehyun avait du mal à l'accepter. Il ne voyait pas pourquoi. Le skarpo reconnaissait et accueillait sa peine sans broncher. La justice en avait décidé ainsi, ils ne pouvaient rien y faire. Alors pourquoi lui ne s'y faisait pas ? Il le regardait, lui et ses cheveux rasés, devenus ébènes en l'espace d'une nuit. Lui et ses chaines autour des bras et des chevilles. Il le regardait s'éloigner, de l'autre côté de la baie vitrée, à travers un rideau de larmes. Des larmes qui lui brûlaient les joues, des sanglots qui secouaient sa cage thoracique et saccadaient sa respiration. Yeonjun partait. Il ne sentait même plus la main de Soobin serrée sur son épaule. Il y avait seulement Yeonjun, Yeonjun qui s'éloignait. Et ce bus terne dans lequel il s'apprêtait à s'engouffrer.
Taehyun n'y tint plus.
Il repoussa la poigne de Soobin, il rejeta son geste de réconfort, bouscula les gardes du corps qui veillaient à ce que le départ du skarpo se fasse dans l'ordre et la sécurité et franchit les portes vitrées qui le séparaient du tarmac. Il en avait assez de cette vitre sale qui le séparait de son amant, de son skarpo. Il héla son nom. Yeonjun se stoppa.
Taehyun se précipita dans ses bras pour l'enlacer fermement.
― Je refuse que tu partes !
― Il le faut, Capitaine...
Encore ce surnom... son cœur se serra. Le blond releva le regard vers ces deux yeux hypnotisants, ces deux iris dont il était tombé amoureux au premier regard, ce jour-là où il le considérait encore comme un ennemi à capturer. Ces deux éclats de glace qui lui manqueraient terriblement. Il y lut que Yeonjun non plus ne souhaitait pas le quitter. Mais les choses étaient ainsi faites, il l'acceptait. Le skarpo lui adressa un faible sourire. Puis il glissa sa main derrière sa nuque, malgré les menottes, et le fit doucement s'approcher pour poser leurs fronts l'un contre l'autre. Ainsi, il était le plus proche possible des prunelles de son Capitaine, son regard pouvait se plonger pleinement en lui.
― Tyun, on se revoit dans dix ans... Attends-moi.
Une forte poigne tira le plus petit en arrière. Deux gardes, les deux geôliers de Yeonjun, suivis de Soobin qui tentait de les retenir. Mais, malgré tous ses efforts, les gardes ne l'écoutaient pas. Taehyun fut forcé de se séparer du skarpo. Il essaya de se libérer, criant et se débattant, cependant les gardiens l'emmenaient déjà loin. Il vit avec horreur Yeonjun passer la porte de la navette. Taehyun hurla. L'instant d'après, le convoi avait déjà décollé.
Yeonjun était parti.
― ✩ ―
Eh bien nous y voilà, le dernier chapitre du Vengeur de Freyr. J'espère que la longueur ne vous a pas dérangé.e.s, je voulais pas couper ce chapitre parce que tout s'enchaîne (et ça me fait un chiffre rond de chapitres huhu)
On se retrouve ce soir pour l'épilogue, pour les trois lettres fatidiques, et pour le mot de la fin
Bisous <3
5/07/2022
Au bord des larmes :D
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