Vers l'inconnu et au-delà - Partie 2

A l'est des Murs, 10 juin 851

Sous les prunelles vertes de Marion s'étendirent des plaines infinies, seulement habitées par quelques arbres et quelques ruines. Le Bataillon était déjà en route pour sa revanche : leur cible n'était ni plus ni moins que la base américaine qu'ils allaient potentiellement rencontrer, et leur objectif, de la réduire en cendres.

Sceller la machine numéro sept. Elle pressura machinalement les flancs de Bartholo pour suivre le rythme de l'escouade de Livaï ; son esprit ne prêta aucune attention aux membres dont elle était constituée. Ne pas retourner à la maison. Au milieu des centaines de soldats qui galopaient autour, ces seules pensées tournoyaient dans son crâne jusqu'à lui flanquer la nausée.

Cela faisait presque trois semaines qu'elle avait retrouvé ses souvenirs. Comme c'était fait, elle ne pouvait qu'admettre que les sentiments qui l'avaient de plus en plus troublée avant cet évènement n'étaient que des symptômes. Les cauchemars, les crises d'angoisses, l'appétit en déclin, n'auraient su être dus à un « coup de blues » ou autre « petite déprime passagère ».

Sceller la machine numéro sept. Désormais, un dégoût tenace l'assaillait de toutes parts, la dévorant de l'intérieur. Elle s'était fait souiller et torturer ; celle qu'elle aimait avait été dévorée sous ses yeux ; mais, plus que tout, elle avait tué.

Combien de personnes cela faisait-il ? Ceux qui lui avaient barrée le passage avant qu'elle ne saute hors du repère de Rhys et leur regard torturant de dernière seconde de vie, ne valaient rien à côté des centaines de victimes des attentats qu'elle avait perpétrés avec Leah. Si le général ennemi était mort, d'innombrables innocents étaient tombés avec.

Les explosions et les pleurs ne se taisaient pas. Ne pas retourner à la maison. Ils la hantaient sans relâche à chaque occasion, se glissaient dans le moindre silence pour mieux la frapper en plein ventre. Sceller la machine numéro sept. Et qui aurait pu la comprendre, ici ? Qui avait les mains tâchées de sang ?

Livaï a déjà massacré des personnes, souffla ce qu'il lui restait de rationnel. Jean, Armin, Mikasa, Eren ; tous ceux-là. Ils te l'ont racontée, leur petite révolution. Elle secoua la tête. Mais ils n'ont pas tué en masse. Son cheval trébucha sur un caillou ; elle reprit son équilibre de justesse. Sauf Annie.

Son souffle se coupa. Annie. Son regard dériva sur les alentours, cherchant la blonde du regard. Elle en a des milliers sur le dos. Elle la trouva enfin, à quelques mètres, suivie de près par une Ymir des plus blasées. C'est un monstre parmi les meurtriers. Et pourtant... Ses yeux se baissèrent d'eux-mêmes, s'arrachant à la vision de ceux, froids et sans émotion, de l'ancienne ennemie.

Je suis de la même espèce.

Ses dents se plantèrent dans sa lèvre inférieure alors qu'elle luttait pour ne pas déguerpir loin des autres. Si son plus grand souhait était de se foutre une balle dans le crâne, elle ne pouvait se le permettre qu'après avoir scellé la machine numéro sept.

Non. Une nouvelle vague de regrets et de haine manqua de la renverser. J'en ai rien à battre, de leur putain de machine. La main de la jeune femme dériva lentement, tremblante et incertaine, vers la lame de son équipement tridimensionnel. Je veux seulement crever. Maintenant. Je veux prendre cette merde et me trancher la gorge.

Lorsque ses doigts rencontrèrent le métal froid de ses épées, un frisson remonta son dos. Le monde dansait autour d'elle, toujours plus infernal. Chaque battement qui secouait son cœur la déchirait ; et ils ne firent qu'accélérer lorsqu'elle assura sa prise.

Sceller la machine numéro sept. Elle ferma les yeux, envahie par une souffrance sans nom. Ne pas retourner à la maison. Sa respiration se saccada encore, ne lui laissant aucun répit. Leah, je suis désolée. Je n'ai pas réussi...

« C'est comme ça que tu règles tes problèmes. » Elle tourna brusquement la tête. La jeune fille qu'elle était en train de fixer s'était glissée juste derrière elle, sous le regard méfiant de sa gardienne. « Mais ce n'est pas comme si ça m'étonnait... » Ses yeux bleus se plissèrent. « C'est marqué sur ton front. Tu es quelqu'un d'aussi lâche que moi. »

La scientifique déglutit, mal à l'aise ; l'autre la scruta un moment, puis retourna à sa place sans un mot de plus. Qu'est-ce qu'elle a voulu dire par là ? Ses dents se serrèrent. Je n'ai parlé qu'à Erwin et Livaï de ce que la R2.0 a fait. Est-ce qu'elle en a entendu parler ? Son cœur se tordit. Combien de personnes sont au courant ?

« On s'arrête », ordonna le caporal-chef alors que la formation atteignait la lisière d'un bois. Décidément, ils aiment les arbres. Elle descendit de cheval en grimaçant. Son arrivée dans les Murs, au beau milieu de la forêt entourant le premier quartier du général du Bataillon, lui revint en tête.

A ce moment, son enlèvement avait été la seule chose plus ou moins traumatisante qui lui était arrivée. Pourquoi avait-elle accepté de les aider ? Elle aurait dû prendre ses jambes à son cou à l'instant où elle avait reconnu les explorateurs.

Non. Elle sortit machinalement une ration de son sac, les épaules basses. On m'a foutue là-dedans pour ça. Et puis... Si je suis venue ici, c'est car, avant d'être transférée et d'avoir la mémoire partiellement effacée, je le voulais.

Lorsque l'escouade de son supérieur se réunit, elle ne put qu'en constater le seul membre qu'elle n'avait pas repéré : Jean. Ses yeux marron regardaient les alentours avec suspicion, et elle ne pouvait que le comprendre. Caser une ex-ennemie et un « espoir de l'humanité » dans la même équipe était un pari très risqué.

« Marion », l'appela Livaï. Elle se leva et le suivit sans attendre. Tandis qu'ils marchaient jusqu'au point de rassemblement des autres officiers, elle croqua dans son déjeuner du jour. « On est encore dans le flou », lâcha le petit homme. Elle se tourna vers lui avec surprise.

« C'était la même chose quand on est venus vous chercher. On sait pas où c'est, et on peut se faire sauter dessus n'importe-quand. Enfin, ce n'était pas censé être facile à la base... » Antoine non plus n'aimait pas tâtonner comme ça. « Mais la situation est indéfiniment merdique. »

Elle baissa le regard en mâchonnant. Sauf que lui, ce n'est pas Antoine. « Comment vous avez fait, pour nous retrouver ? » Il haussa les épaules. « La transformation d'Eren. Sinon, on ne serait jamais arrivés à destination. »

Lorsqu'Erwin fut en vue, la scientifique se tut, et son interlocuteur s'immisça dans leur discussion. Elle repéra alors Eren et Mikasa, postés, comme elle, légèrement en retrait. Elle les rejoignit sans attendre.

« La dernière fois, les titans se faisaient de moins en moins nombreux à mesure qu'on s'éloignait des Murs, puis leur concentration augmentait aux alentours de la base », rapportait déjà Hansi. « On peut utiliser ça pout se repérer. C'est le seul moyen à notre disposition. »

Un silence suivit la fin de son explication, dont l'entièreté échappait à la nouvelle venue ; mais connaissant la chef d'escouade, son discours avait dû être long. Finalement, le major ouvrit la bouche.

« Donc il faudra se confronter aux géants. Je doute que nos effectifs soient suffisants.

— Il y a ça, intervint Rico, mais aussi le fait que, pour l'instant et contrairement à ce que tu avançais, nous n'avons croisé aucun ennemi. L'Est ne fonctionne peut-être pas de la même façon que le Sud.

— Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement, contra l'intéressée. Si...

— Il y a beaucoup plus simple. »

C'était la voix tranchante de Livaï qui s'était élevée. On le gratifia d'un air interrogateur. « On a juste à demander à Annie. On ne la trimballe pas pour rien. » Quelques « oh » s'échappèrent de la bouche des autres supérieurs. Ils ont tous perdu leur cerveau, pensa Marion, stupéfaite. Ils ne l'ont même pas interrogée là-dessus ?

Ce fut ainsi que la blonde se retrouva avec eux, et leur exposa le plus brièvement possible la répartition des bases américaines autour de Maria, Rose et Sina. Quatre en tout étaient actives ; une à chaque point cardinal. « Celle que vous visez se trouve plus au nord de trente-sept degrés par rapport à la ville d'où on est partis. »

Et elle ne pouvait pas le dire plus tôt ? La brune hocha la tête, déplia une carte et l'observa, nez froncé. « Pour résumer... » Moblit, en bon adjoint, lui tendit un compas et un outil en ferraille ressemblant diablement à un rapporteur. Un point fut placé ; une droite, tracée. « Il faut continuer vers là. Correct ? »

Simple acquiescement. « Tu peux disposer », dit le blond. « Nous allons faire comme tel. Mike, si tu sens des titans, envoie un signal vert dans la direction qui convient. On se remet en selle. »

La chercheuse eut tout juste le temps de remarquer qu'Armin se trouvait dans l'équipe du major avant de rejoindre Bartholo. Tandis que le caporal-chef rapportait les instructions, son cœur s'emballa pour la énième fois de la journée.

Elle ne voulait pas revoir les américains. Elle les avait en horreur ; ses souvenirs, ses cicatrices, la nausée qui la prenait dès son premier pas chaque matin étaient tout autant de conséquences de la guerre qu'ils menaient. Du pouvoir, toujours plus de pouvoir. Et les vies sacrifiées, vous dites ? Rien de plus que des dommages collatéraux, alors qu'elles pèsent si lourd...

Elle n'avait qu'une hâte : régler son compte à la machine numéro sept. Sa destruction était symbole de rédemption. Une fois cela accompli, elle n'aurait plus aucune dette envers ce monde, et pourrait se foutre en l'air sans remords.

Comme si j'allais en avoir si je me crevais maintenant. Toujours plus de terre défila sous les sabots de sa monture alezane. Les heures lui tombèrent dessus comme autant de rocs, et cette seule pensée prononcée dans un élan de franchise résonna sans fin dans son crâne.

Un signal rouge s'éleva sur leur droite. Pourquoi est-ce que je me retiens ? Ymir le relaya sur un simple signe. Je pourrais abréger mes souffrances maintenant. Leur route subit, encore une fois, un détour qui leur coûta une demi-heure.

« Marion, tu peux faire de très grandes choses ; mais tu ne pourras pas rentrer chez toi. » « De ce que j'ai compris de votre bordel, tu peux toujours essayer d'y retourner. » Mettez-vous d'accord, putain de merde. La situation est assez chiante comme ça. Elle ferma les yeux un court instant ; sous ses paupières, les souvenirs de son adolescence refirent surface, pour s'échapper de nouveau dans les limbes de sa mémoire. Tant pis.

Le soir eut tôt fait de tomber sur leur tête. Après de longs instants à chercher des ruines, laissant une belle occasion à la nuit de s'installer, ils dénichèrent un village à peine détruit. « On dirait presque que les titans ne sont jamais passés ici », grommela Jean tandis qu'ils mettaient pied à terre.

On fouilla les maisons ; aucune trace d'un quelconque danger ne fut décelée par Gelgar et Rico. Seules les torches à la lumière tremblotante éclairèrent Marion alors qu'elle s'endormait, l'esprit embrumé.

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