C'est quoi, ce bordel... ?

Lorsque Marion ouvrit les yeux, seule une forêt abominablement vide et glaciale se dessina devant elle. Une voix s'éleva, rebondit contre les troncs chétifs, et trouva son chemin jusqu'à elle ; mais elle n'aurait pas su dire ce que signifiaient les mots qu'on prononçait. Ils lui étaient si loin et inaccessibles qu'elle ne put que rester fixée au sol calciné, et tendre la main devant elle.

Mais quel enfoiré ! Elle sursauta à sa propre pensée. Qui venait de s'introduire dans sa tête ? Personne. Elle se tourna et se retourna. Il n'y avait personne. Ses pieds se virent de nouveau enchaînés, mais un choix restait à sa disposition.

Regarder devant, ou regarder en haut ? Quelque chose l'attirait irrésistiblement au-dessus de sa tête. Reviens, bordel... Est-ce qu'elle allait trouver l'intrus ? Elle ne le savait pas vraiment. J'ai jamais connu un fils de pute aussi invétéré ! Elle leva donc les yeux, admira les branches décharnées, et entraperçut le plafond de nuages qui la surplombait.

« Marion ! Enfin ! » Un brusque brouhaha de bruits en tout genre l'assaillit. Son corps tenta de se relever, mais son cerveau pirouettait dans son crâne. La nausée monta immédiatement en elle. Elle aspira de grandes goulées d'air, tenta une nouvelle fois de décoller ses paupières qui s'étaient closes d'elles-mêmes, et y parvint au prix d'un effort colossal.

« Elle est réveillée ? Qui d'autre est à terre ? » Puis vint le froid : il figea ses orteils, envahit ses jambes, prit d'assaut sa taille et dévora son buste. Son souffle se coupa. « Redressez le gamin. Quelle merde... » Quelque chose de chaud et léger la recouvra brutalement. « Rico, est-ce qu'il y a des blessés graves ? »

Ses tremblements, qu'elle venait tout juste de remarquer, s'apaisèrent peu à peu. Des graviers crissèrent alors à sa droite ; elle tenta vainement de tourner sa figure. Une main se posa subitement sur son front, et inspecta ses épaules et ses jambes, en passant par ses bras.

« Marion », l'appela une voix qu'elle reconnut malgré la confusion qui régnait en elle. Sa vision commença à se préciser, et elle put observer le visage encadré de cheveux clairs de la chef d'escouade. « Est-ce que tu m'entends ? »

Elle hocha la tête. « Parfait. Livaï, tout le monde va bien. Ils étaient simplement assommés. » Des pas se rapprochèrent d'elle. Trop accaparée à rassembler ses esprits, la jeune femme ne devina la présence du caporal-chef et l'absence de son ancienne interlocutrice qu'à l'instant où il s'accroupit.

Ah, c'est la cape de Rico, comprit-elle à l'odeur douce qui envahissait ses narines. « Est-ce que tu peux parler ? » La jeune scientifique dut cligner maintes fois des yeux avant de pouvoir le dévisager. Un frisson de peur parcourut son échine, pour remonter dans son crâne. Un autre pic de douleur s'en suivit ; elle grimaça.

« Oui », articula-t-elle en réalisant la nature de la question qu'il lui avait posée. « Je suis par terre... » Elle réussit à bouger son pied ; finalement, elle retrouvait peu à peu l'usage de son corps. « J'ai la cape de Rico. Je me suis fait mal. Il y a d'autres gens blessés... »

La question qui lui vint la frappa comme une balle. « Livaï », souffla-t-elle, à demi paniquée. Attendant la suite, il continua à lui fixer un bandage au poignet. Ses doigts le maniaient si habilement qu'elle avait à peine remarqué la souffrance qui l'irradiait. « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

Il coupa le rouleau de tissus blanc, le remit dans un petit compartiment et inspecta la blessure un court instant. « Reiner s'est enfui. » Elle entrouvrit les lèvres, choquée. « Mais... » balbutia-t-elle. Le petit homme se releva, pour balayer ses yeux clairs autour de lui. « Mais pourquoi ? »

Ils se plantèrent de nouveau sur elle ; elle put alors voir la tache de sang séché sous sa cravate blanche. Ses paupières s'agrandirent de stupeur. Ils se sont battus. Elle se tint le front, et se redressa avec difficulté sur ses fesses. L'horreur la frappa tout aussi sûrement en voyant Eren assis à terre, tout juste conscient, et Armin et Mikasa s'agenouiller autour de lui.

« Hansi. » La panique la fit se dresser sur ses pieds ; la faiblesse, chanceler dangereusement sur la gauche. Les maisons autour étaient encore plus en ruine. Les briques et les débris jonchaient impitoyablement le sol. Seul le titan mural était intact, bien protégé derrière sa carapace cristalline.

Son supérieur la rattrapa de justesse. « Ne bouge pas si vite, espèce d'idiote », jeta-t-il. Elle le foudroya du regard, et sentit sa main se crisper sur son avant-bras. « Où est Hansi ? » Il plissa les yeux. « Elle s'occupe des blessés. »

Elle est saine et sauve. Ses jambes manquèrent de se dérober sous elle. Bordel de merde... Un long soupir de soulagement lui échappa, et elle reprit son équilibre. « Les chevaux sont là-bas », dit-il de son ton neutre en désignant la façade d'une habitation encore debout.

Elle hocha la tête, avant de partir vers Bartholo. Malgré la bonne nouvelle que lui avait apprise l'explorateur, son cœur était toujours aussi serré. Après tout, tant de destruction ne pouvait possiblement pas lui remonter le moral.

Naturellement, elle pouvait sentir le regard du supposé traître peser sur sa nuque. Cesse de me fixer. Elle serra le poing, et étouffa un cri de douleur. Il m'a fait un pansement au poignet. Qu'est-ce que j'ai ? Elle se mit à tourner précautionneusement son membre, testant les limites de ses mouvements, pour finalement replonger dans ses pensées.

Les trente minutes qui suivirent lui permirent de réfléchir sur ce qu'elle allait devoir faire. D'après ce qu'elle entendait, Reiner s'était transformé et avait tenté de les reprendre, elle et Eren ; mais Mikasa, Mike et Livaï avaient chargé avant qu'il n'atteigne son but.

Si voir les trois soldats les plus forts de l'humanité s'acharner devait être un spectacle plutôt saisissant, elle ne pouvait mesurer celui de la retraite du cuirassé. Pour échapper à ces élites parmi les élites, il fallait soit énormément de force, soit une stratégie à toute épreuve.

Comment l'ennemi et le petit titan s'étaient-ils retrouvés là ? Isaac n'avait pas pu les guider, puisqu'il était mort. Est-ce que cette attaque surprise avait un lien avec la retraite mystérieuse des géants lors du retour du Bataillon à Shiganshina ?

Ses yeux verts se tournèrent d'eux-mêmes vers le caporal-chef, qui ordonnait infatigablement l'opération. Même après son combat, il ne flanchait pas une seule seconde, et maîtrisait parfaitement chacun de ses gestes et paroles. Je ne l'ai jamais vu une seule fois crevé. Elle baissa la tête. Moi et mes capacités physiques médiocres... Nous nous ferions écraser en moins de deux s'il attaquait.

Elle serra ses bras contre elle ; subitement, elle se sentait plus que vulnérable. Je ne veux pas mourir. Elle serra les dents. Je ne veux pas qu'il me tue. Son regard glissa au sol, et s'immobilisa. Putain de merde... Ce type me fait flipper.

« Marion !

— Non ! »

Elle avait tout juste eu le temps de s'époumoner pendant le bond de trois mètres qu'elle venait de faire. Lorsqu'elle reconnut Hansi, son soulagement fut tel qu'elle lutta pour éviter de tomber. Le visage de l'autre était teinté de surprise ; puis, sous le regard stupéfait des soldats qui s'étaient retournés en un éclair, au beau milieu de la cinquantaine de faces blasées qui les entourait, elle éclata de rire.

« Tout va bien, tout va bien ! » s'esclaffa-t-elle en lui ébouriffant les cheveux. L'intéressée se laissa faire ; son cœur tambourinait encore dans sa poitrine, reste de la terreur qui l'avait saisie. Le départ fut annoncé, et elle enfourcha Bartholo, les lèvres pincées.

Elle se mit à fixer la queue de cheval chaotique de sa supérieure qui se balançait à trois mètres devant elle. La chercheuse était désormais plus que décidée : elle devait absolument lui parler de ce que lui avait révélé Isaac, ou, elle en était persuadée, les Murs couraient un grand danger.

Navrée, Livaï, songea-t-elle en serrant ses rênes entre ses doigts écorchés. Tu n'auras pas le temps de faire quoi que ce soit.

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