Attaque - Partie 4
Shiganshina, Mur Maria, 11 novembre 850
Le quartier général baignait dans la lumière chaude du couchant. C'est l'heure, songea Hansi en se levant de son siège. Elle se trouvait dans son bureau désordonné, entourée de piles de dossiers monstrueuses et recouvertes d'une épaisse poussière.
Elle bailla un long moment et sortit de la salle. Elle bifurqua dans un couloir, sortit dehors, se glissa derrière les écuries. Contre le mur était adossée Sasha, un air profondément sérieux peint sur le visage.
Depuis l'épisode du ménage raté, la chef d'escouade avait tout tenté pour améliorer l'humeur de Livaï. Jour de permission, augmentation de salaire, et paquet de thé noir pour lequel Mike et Erwin eux-mêmes avaient cotisé ; cela n'avait fait qu'empirer les choses, ils ne savaient comment.
Ils s'étaient pourtant démenés, ce tout en continuant à restaurer Shiganshina et à négocier avec Zackley. Elle ne désespérait toutefois pas ; il restait encore une seule et unique chose qui pouvait améliorer, un tant soit peu, la situation. Ce soir, c'est notre dernière chance. Si ça ne fonctionne pas... On aura tout essayé, et on ne pourra plus rien faire pour lui.
« Tout est prêt ? » lui souffla-t-elle. Sa subalterne acquiesça. « Bien. Commencez l'opération. » Elle inspira longuement et imita le bruit d'une chouette ; quelqu'un bougea dans le débarras.
Bientôt, la voix d'Erwin leur vint de la cour.
« ... vraiment étrange. Je ne sais pas ce que ça signifie...
— Pourquoi ne pas avoir demandé à Hansi ? demanda sèchement le caporal-chef.
— C'est déjà fait, mais elle n'a rien trouvé.
— J'espère que c'est pas encore l'une de vos merdes. J'en ai assez bouffé. »
La femme fit un signe de tête à la soldate, grimpa jusqu'à une fenêtre haute du bâtiment et se faufila dedans. Il faisait sombre, et seule une silhouette était visible entre les boîtes empilées de nourriture et les rondins de bois secs.
« Eren », chuchota-t-elle. « Prépare tout. » Des bruits de pas se firent entendre face à la porte. Elle serra les dents, prête à surgir. A l'instant où les battants s'ouvrirent, elle, le jeune homme et le major se jetèrent sur le plus petit.
Une nouvelle fois, rien ne se passa comme prévu. Le combattant se prit un coup de pied dans l'estomac, le blond, un violent uppercut, et la supérieure se vit immobilisée au sol, un couteau sous la gorge.
« Bordel », rugit le petit homme, sérieusement irrité. « Je le savais, que ça allait encore être l'une de tes conneries ! C'est quoi, ton problème, à la fin ? » Elle ouvrit la bouche ; il appuya encore un peu plus la lame, le regard menaçant. « Non, en fait, je m'en fous. Tu... »
Un violent claquement se fit entendre. La pièce était scellée, et seuls restaient eux deux. Il se releva et se démena sur la poignée, qui ne bougea pas.
« C'était ton plan, ça aussi ? articula-t-il, effrayant. Je te jure que je vais t'exploser la tr...
— Non, c'était le mien, coupa Erwin, qui se tenait derrière. J'aurais bien aimé prendre Hansi avec moi, mais tu venais de la menacer de mort. Tu vas donc la supporter jusqu'à ce que je te permette de sortir de là.
— Putain, Erwin, cracha-t-il. Pourquoi ?
— Tu as un sérieux problème. »
Il se raidit, la main serrée sur le manche de son poignard.
« Quel problème ? finit-il par lâcher.
— Tu le sais mieux que moi. En fait, ce n'est pas la question. Je me fiche bien de ce qu'il t'arrive, tant que ça ne déborde pas sur ton comportement.
— Mon comportement est tout à fait normal.
— Tu terrorises les soldats, Livaï.
— Ils ont toujours eu peur de moi.
— Tu les terrorises vraiment. Tu as menacé Historia de pendre Ymir ; je l'ai reçue dans mon bureau en larmes. Tu as manqué de tabasser Conny car il avait brûlé les haricots, et tu l'aurais fait si Mike n'était pas intervenu. Tu as toujours été bourru, mais là, tu dépasses les limites. Leur efficacité a drastiquement baissé, et on met un temps fou à s'occuper de Shiganshina car tous font des maladresses par peur de se faire frapper. »
Le petit homme parut serrer les dents. « Je ne sais pas pourquoi tu es sur les nerfs ; seulement que ça dure depuis l'interrogatoire avec Samuel. Mais même sans t'y renvoyer, tu empires les choses. Il va falloir que tu agisses, ou je vais devoir te sanctionner, ce qui ne me fait pas plaisir du tout et serait même mal venu. »
Elle le vit alors baisser la tête.
« Tout ça ne serait pas arrivé si tu ne m'avais pas traîné dans cette merde, Erwin, jeta-t-il.
— Que veux-tu dire ?
— Le jour où tu es venu nous chercher dans les Bas-fonds. Si je savais ce que j'allais devoir endosser, j'aurais redoublé d'efforts pour te trancher en deux.
— Tu as accepté de me suivre.
— Qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ? dit-il sèchement. C'était ça, ou la prison.
— Au final, tu as quand même choisi le Bataillon. »
Livaï secoua la tête. « Je ne suis pas fait pour ça », articula-t-il après un silence. « Le soldat le plus fort de l'humanité... Quelle merde. On ne peut rien faire contre eux. Ils l'ont dit ; on a besoin de Marion. Elle a disparu, et ne reviendra pas. Comme beaucoup d'autres, en fait. Combien sont morts sous mes yeux sans que je ne puisse bouger le petit doigt ? Même en étant le plus fort de l'humanité, je ne peux pas les ramener. »
Hansi ouvrit grand la bouche, interloquée. L'autre s'apprêta à continuer, mais elle se leva et le tourna vers elle, une expression sombre sur la figure.
« Livaï, tu te fous de moi ? » lâcha-t-elle. Il plissa les paupières. « Je sais ce que c'est, ton problème, en fait. Tu ne supportes pas de ne pas pouvoir donner un sens à la mort des gens. » Les yeux clairs de son interlocuteur s'écarquillèrent. « Tu étais tellement sûr de pouvoir y arriver, rien qu'avec celle de tes deux amis... Mais tu as découvert que tu y étais totalement impuissant. »
Elle posa brutalement ses mains sur ses épaules. « Livaï, regarde la vérité en face : les gens crèvent, on y peut rien, c'est comme ça, il faut leur dire au revoir et passer à autre chose. Tu te mens à toi-même, mon pauvre. Donner un sens à la mort des gens... Ça veut rien dire. Donne un sens à la vie des gens, si tu veux, mais les morts sont morts, fous-leur la paix ! »
Elle le vit serrer le poing, mais l'ignora. « Ils s'en foutent, ils ne respirent plus, ne chient plus, n'existent plus ! Même moi, je fais l'effort, bordel de merde ! » s'exclama-t-elle, au bord des larmes. « On est entourés de titans, c'est vrai ; on est dans une merde pas possible, je suis tout à fait d'accord ; mais si les décédés t'alourdissent, t'es fini ! »
Il ferma les yeux. « Tourne-toi vers les vivants, à la fin... Erwin, Mike, moi, Eren, tous les autres, on est devant toi, on bouge... Et tu le sais, en plus ! Ça ne te ressemble pas, un défaitisme pareil... » murmura-t-elle d'un ton brisé. Après quelques secondes, elle contracta la mâchoire, et le secoua plus fort. « Bouge-toi le cul ! »
Il lui saisit brusquement le poignet, lui fit une clef de bras et la plaqua contre le mur. La pierre lui érafla le menton ; elle grimaça. « Les vivants crèvent aussi », énonça-t-il. Pour la première fois en sept ans, de la douleur pontait dans sa voix. « Quelle est la différence ? »
Je vois. Tu as peur que les gens meurent avant toi... Donc tu nous évites. « Tu pars du principe que tu ne peux pas accepter qu'ils clamsent. » Elle le sentit se crisper. « Pourtant, ça arrive à tout le monde. Tu ne peux pas y couper. C'est même ce que tu disais à Marion. Tu lui as menti, au final ? »
Il resta immobile un long moment, puis la lâcha. Elle se frotta le bras.
« Tu me fais chier, Hansi, lâcha-t-il en s'adossant contre un mur. D'où tu sors un truc pareil ?
— C'est elle qui me l'a dit.
— Quelle imbécile. C'était la pire. Se volatiliser... J'en ai vu, des morts, mais celle-là... »
Il secoua la tête. « Laissez-moi sortir. J'arrêterai de traumatiser des gamins. » Personne ne bougea derrière le battant de bois. « Erwin », appela-t-il plus fort. Toujours rien. « Bordel, tu veux quoi de plus ? J'admets que j'y ai été un poil fort avec vous, c'est bon, j'aimerais bien aller boire un thé, là. »
Seul le silence lui répondit. « Putain, il est parti lâcher une merde, ou quoi ? » jeta-t-il. La chef d'escouade le vit serrer les poings. « Puisque c'est ainsi... » Il recula, prit de l'élan et brisa la porte avec son pied. Là, il dégagea le passage d'un coup de coude et enjamba les débris.
Un miaulement l'arrêta net. Il se retourna et regarda avec surprise le chat de Marion sortir d'une boîte, en furie. « Marcel », souffla-t-il. « Qu'est-ce que tu fous là ? Hansi, tu m'expliques ce bordel ? » L'intéressée déglutit.
« En fait... On voulait te l'offrir... Car il paraît que les ronronnements améliorent l'humeur... » Il plaqua une main sur son front. « Erwin a bien fait d'intervenir, au final. » Il prit l'animal par la peau du cou et sortit du bâtiment.
Elle le suivit sur quelques mètres, silencieuse ; lorsqu'il fut de nouveau dans son champ de vision, dos à elle, elle le vit lui grattouiller le menton. « T'es un connard, toi, hein », murmura Livaï en prenant la boule de poils dans ses bras. Il soupira imperceptiblement et reprit sa marche vers les bâtiments.
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