⬫⬪⬫ 02 ⬪⬫⬪
Il ne faut qu'une heure pour transbahuter tous les cartons jusqu'à l'appartement, puis les dispatcher dans les pièces. La plupart se retrouvent soit à l'étage, soit dans la chambre de Papa et Maryse, et le reste dans la cuisine, ou encore le salon. J'en suis maintenant sûr, tous mes livres ne vont pas loger dans la bibliothèque de la chambre – parce qu'il faut bien que je laisse un peu de place pour mes futures affaires de cours. Maryse m'a proposé de mettre le surplus dans le salon, alors je vais devoir choisir soigneusement... Certains de mes livres ne sont pas pour tous les yeux.
— Ça y est, c'est fini ? me demande Max quand je passe la porte d'entrée pour la énième fois.
— Oui, chef !
Il a passé sa dernière heure à jouer les chefs de gare, en nous indiquant où emmener les affaires, ce qui m'a beaucoup amusé. Ma réponse le fait sourire, je retiens une exclamation de joie : enfin, il sourit !
Je vais déposer le carton que j'ai dans les bras dans la cuisine et Isabelle nous rejoint.
— Papa et ta mère sont partis ramener le camion, lui dis-je.
— Ils ont besoin d'être deux pour ça ?
Elle fronce légèrement les sourcils, suspicieuse. Non, ils n'ont sans doute pas besoin d'être deux pour ça, mais ils doivent vouloir passer du temps ensemble, tous les deux.
Fatigué, je m'assois sur un des tabourets de la cuisine en soupirant. Mon regard se retrouve vite attiré par l'extérieur, vers la terrasse où je n'ai pas encore eu l'occasion d'aller. L'appartement est un forme de U, à peu près, et tourne autour d'une partie de la terrasse où une table et des chaises sont installées, à l'ombre du balcon de l'étage que je n'avais pas encore vu. Elle me paraissait déjà grande, mais en regardant un peu plus à gauche, je vois qu'elle continue le long du salon et qu'il y a une piscine dans le coin. Une piscine sur la terrasse, j'hallucine...
— Allez, il faut profiter du beau temps, lance Isabelle en s'approchant. On va s'installer sur la terrasse.
Je fais « oui » de la tête et me laisse entraîner jusqu'à l'extérieur. C'est vrai que, non seulement il fait beau, mais en plus il fait vraiment bon. Le genre de temps à passer à lézarder sur une chaise longue. Isabelle m'emmène jusqu'à l'autre coin du balcon, à l'opposé de la piscine et dépose des canettes de soda sur la petite table basse. Elle se laisse tomber sur l'un des canapés avant de tapoter la place à côté pour que je vienne m'asseoir, ce que je fais. Max nous rejoint et s'assoit sur l'un des trois fauteuils, une tablette dans les mains.
J'imagine qu'à force de vivre ici, il n'est plus impressionné par la vue. C'est normal pour lui et puis, à dix ans, on se désintéresse vite. Personnellement, je n'arrive pas à détacher mon regard de Central Park, là, en bas. La vue est à couper le souffle.
Tout cet endroit l'est, d'ailleurs. Je pense que je vais avoir besoin d'un temps d'adaptation avant de ne pas me réveiller en me demandant où je suis.
— Comment un endroit pareil peut exister ? soufflé-je, un peu pour moi.
— C'est chouette, hein ? s'amuse Izzy. Si ça peut te rassurer, tous mes amis réagissent de la même manière.
— Ça me rassure, admets-je.
Elle sourit et me donne l'une des canettes avant d'en prendre une pour elle. Je l'ouvre et bois une gorgée. Le sucre et la fraîcheur me font du bien, je ne m'étais pas rendu compte que j'avais soif à ce point.
— C'était comment chez toi ? me demande Max sans lever le nez de sa tablette.
— Eh bien... Beaucoup plus petit. Et moins bien décoré.
— Maman a été décoratrice d'intérieur pendant quelques années, quand j'étais petite, explique Isabelle.
— Papa m'a dit qu'elle était agent immobilier, m'étonné-je.
— Elle l'est devenue après le divorce, chuchote-t-elle pour que son frère n'entende pas. Mon père ne voulait pas qu'elle ait un travail de ce style.
— Comment ça ?
— La décoration, il pouvait faire passer ça pour un hobby auprès de ses amis.
— D'accord... Je comprends.
Seigneur... Je ne suis pas aveugle, je sais bien qu'il y a encore beaucoup trop de sexisme à notre époque. Mais en arriver au point de contrôler le métier de sa compagne ? Ça me dépasse.
Je remarque le regard de Max, qu'il a enfin levé sur nous. Alors j'attrape mon téléphone pour essayer de trouver des photos de l'appartement, puis je le lui tends.
— C'était ma chambre.
— Mais notre salle de bain est plus grande ! s'exclame-t-il en toute innocence.
— Max ! le reprend sa sœur. Ah... Excuse-le...
— Ce n'est rien, il a sans doute raison.
Je reprends mon téléphone pour regarder. J'avais à peine la place pour un lit simple, un bureau et une armoire. Je lui montre une autre photo, du salon-cuisine cette fois, avec mon père qui dort sur le canapé, une sieste avant de prendre son service du soir.
— Nous n'avons pas beaucoup d'argent, tu sais, dis-je. C'est pour ça que je suis un peu déboussolé, ici.
— Mais ça a l'air d'être joli.
— Tu es gentil. Moi aussi, c'est ma mère qui a décoré. Par contre, c'était il y a longtemps.
Sans que je m'y attende, il fait défiler les photos. Je lui enlève rapidement le téléphone, ne sachant pas trop sur quoi il pourrait tomber.
— C'est qui, lui ?
Pas assez rapide ! Je regarde l'écran et réprime un soupir de soulagement.
— Oh, c'est Ragnor. Mon meilleur ami.
La jeune fille se penche sur mon épaule pour regarder. Je connais Ragnor depuis que j'ai 5 ans, et on a toujours fait notre scolarité ensemble. Mais, ce n'était pas que nous deux. Je cherche une autre photo que je leur montre.
— Et elle, c'est Catarina.
— C'est ta copine ? demande Max.
— Non ! réponds-je en riant. C'est ma meilleure amie. On était toujours fourrés tous les trois, avec Rag.
— Plus maintenant ?
— Ils sont entrés à l'université, cette année.
Je soupire et repose mon téléphone sur la table avant de prendre une autre gorgée de soda. Max se reconcentre sur sa tablette mais Isabelle me regarde.
— Tu ne veux pas faire d'études ?
— Ce n'est pas ça. J'ai pris une année de césure pour travailler et économiser les frais de scolarité.
— Alors tu y vas en septembre ?
— Oui, normalement oui.
En principe, j'ai économisé assez pour compléter ce que mon père avait mis de côté au fil des ans. Reste à voir si je réussirai à travailler et étudier en même temps.
— Et tu vas faire quoi ?
— Je veux passer un diplôme en soins infirmiers.
— Oh ! Je... m'attendais pas à ça !
J'éclate de rire et elle me suit rapidement. J'ai l'habitude que l'on me dise ça. Beaucoup de mes professeurs de lycée s'attendaient à ce que j'entre aux beaux-arts, comme Ragnor. Ou que je veuille faire du stylisme. C'est vrai que ça aurait pu me plaire. Mais depuis des années, maintenant, j'ai envie de devenir infirmier, d'aider les gens à aller mieux. J'imagine que c'est ça, une vocation.
— Et toi, tu sais ce que tu veux faire comme études ? lui demandé-je après quelques instants.
— Je ne suis pas encore certaine. Je crois que j'aimerais être institutrice, alors... Je vais sans doute postuler à l'université de New York. Mais je sais que mon père aimerait que j'entre à Columbia, comme Alec cette année.
— Columbia ? Wow !
J'avais presque oublié cette université, tellement elle est hors de ma portée, d'un point de vue financier et – j'en suis certain – intellectuel. Je n'ai pas du tout le niveau et je suis assez impressionné par son frère, du coup.
— Il va étudier quoi ? continué-je, curieux.
— Il va entrer au Columbia College. Il a déjà fait un an d'arts libéraux à Austin, mais j'imagine que mon père a fini par préférer le prestige de sa chère université au fait de le garder loin de nous.
Du coin de l'œil, je vois Max s'enfoncer dans son siège alors que la voix d'Isabelle s'est voilée de rancœur. Je pose ma main sur l'épaule de la jeune fille et elle essuie presque discrètement une larme.
— Désolée, souffle-t-elle. Mon père a le chic pour faire ressortir le pire de moi.
— Si c'est ça le pire, Princesse, je prends.
Elle relève enfin les yeux vers moi avec un sourire timide et je ne peux pas m'empêcher de la prendre dans mes bras pour la réconforter. Elle se laisse aller contre mon torse en soupirant. Son grand frère doit sûrement lui manquer. Alors je préfère l'interroger sur lui, plutôt que sur ses études.
— Donc il revient à New York ?
— Oui, dans un mois. J'ai tellement hâte de le revoir... Heureusement que vous êtes arrivés, tu vas m'aider à passer le temps !
— Content de t'être utile !
Isabelle se met à rire puis elle se redresse. Elle se lève et va s'asseoir sur le fauteuil de Max pour s'excuser.
Après une demi-heure à prendre le soleil, je décide de monter dans la chambre où je vais dormir – il va me falloir du temps pour dire « ma chambre ». Je commence par sortir des draps pour faire le lit tant que j'en ai encore l'énergie et, après ça, je me laisse tomber à plat ventre sur la couverture. J'attrape mon portable pour envoyer un message à Catarina.
« Voilà. Je suis officiellement
un habitant de Manhattan 😎 »
J'ai envie de voir sa tête quand je lui dirai que je vis dans l'Upper East Side, alors je vais attendre de voir si elle me répond et je l'appellerai en visio. Je repose mon téléphone et ma tête sur l'oreiller. Brasser tous ces cartons, deux fois dans la journée, m'a fatigué, mais je sais que je ne m'endormirai pas. Je profite de ce moment de calme.
Par moment, je rouvre les yeux pour regarder par la fenêtre en face de moi. Quelque part, je suis content de n'avoir jamais eu le vertige, parce qu'on est au vingt-quatrième étage. Compte tenu des immeubles que j'arrive à apercevoir plus loin, ce n'est pas encore si haut, mais quand même.
Mon téléphone vibre, à côté de moi, et je lis la réponse de Cat.
« Oh ! 🥳 À quel point t'es-tu
rapproché de moi ? 🤩 »
Je souris. Elle vit dans une résidence étudiante à Turtle Bay, puisqu'elle fait ses études à Hunter pour être infirmière, elle aussi.
Je l'appelle en visio et ne tarde pas à voir son magnifique visage apparaître sur mon écran. Elle me fait un grand sourire, déjà excitée comme une puce. On s'est vraiment peu vu ces derniers mois, entre ses cours et mon travail, c'était compliqué. Avec Rag aussi.
— Salut toi ! me lance-t-elle. Pas trop difficile le déménagement ?
— Eh bien... Il y a un ascenseur dans le nouvel immeuble donc ça nous a un peu facilité les choses.
— Tant mieux ! Bon dis-moi, tu es où dans Manhattan ? Plutôt au Nord ou au Sud ? Tu m'as rien dit du tout !
Elle fait une moue boudeuse et je me redresse sur mon lit.
— Je t'en aurais dit plus, si j'avais su moi-même ! Mais je n'ai découvert mon adresse qu'il y a... deux heures, à peu près !
— Oh allez ! Je veux savoir, Mags !
— D'accord, d'accord ! réponds-je en me mettant à rire. Je vais te montrer la vue, tu es prête ?
Elle hoche la tête, curieuse mais soupçonneuse. Une part d'elle doit s'attendre à une bêtise... J'avoue, ce serait un peu mon genre. Je m'approche de la fenêtre puis me tourne de sorte qu'elle puisse voir un peu le parc. Aussitôt, elle disparaît, me laissant admirer le plafond de sa chambre, dans un bruit de chute assez désagréable. Je l'entends jurer, sans trop savoir si c'est à cause de la vue ou parce qu'elle vient de faire tomber son téléphone, et mes rires redoublent.
— Cat ? Tout va bien ?
Elle reprend son téléphone et regarde attentivement.
— C'est Central Park que je vois ?
— Oui, c'est Central Park.
— Et c'est la vue de ta chambre, ça ?
J'acquiesce et lui montre le reste de ma chambre avant de lui dire que l'appartement est un appartement-terrasse. Je ne l'avais jamais vu écarquiller autant les yeux.
Je retourne m'allonger sur le lit pour continuer de discuter. Je lui parle un peu de ma nouvelle belle-famille et son sourire s'agrandit.
— Quoi ? demandé-je après quelques instants.
— Je suis contente de voir que tu sembles déjà les apprécier.
— E-eh bien... Pourquoi ce ne serait pas le cas ? Je suis sociable, moi, pas comme Ragnor !
Et pourtant, elle m'a fait rougir avec sa remarque, la bourrique. Je hausse finalement les épaules.
— Isabelle est gentille et Max, je pense qu'il est un peu timide, mais il m'a posé des questions.
— J'ai commencé à avoir peur quand tu m'as dit que tu vivais dans un penthouse, m'avoue-t-elle en perdant un peu son sourire.
— Pourquoi ?
— Parce que la seule famille riche que l'on a connue à, dans ses rangs, la personne la plus détestable qu'on a connue !
J'acquiesce encore. Dire le contraire me serait très difficile vu ce que cette ordure a réussi à me faire subir pendant des années, même après avoir quitté le Bronx. Mais je m'en suis remis, après tout, je ne le reverrai sans doute plus jamais. Dans mes souvenirs, il a été en maison de correction et, aux dernières nouvelles, a fini dans un centre psychiatrique.
— D'accord, il a un grain, mais sa famille n'y est pour rien.
Je connaissais cette famille mieux que Cat, mais le peu qu'elle a su sur lui a suffi à la braquer. C'est son côté protecteur, une vraie grande sœur.
— Et je te rassure, les Lightwood ont l'air très différent.
— Lightwood... Alors, ça fait Lightwood-Bane ?
— Oh Seigneur ! pouffé-je. C'est trop bizarre ! Et je crois pas que mon père ait prévu de se remarier un jour.
En tout cas, il ne m'a pas dit que c'était dans leurs intentions.
Des petits coups sur la porte attire mon attention. Je dis à la personne d'entrer et vois Isabelle passer la porte.
— Je te dérange pas ? s'enquit-elle.
— Non. Je parlais avec Catarina.
Elle se précipite près de moi pour voir ma meilleure amie et elles s'exclament en même temps.
— Ce que t'es belle ! lance ma nouvelle sœur.
— Merci, tu es un ange ! fond aussitôt ma meilleure amie. Toi aussi, tu es très jolie !
— Cat, je te présente Isabelle.
— Izzy ! corrige la brunette.
— Enchantée, Izzy ! Moi, c'est Catarina !
Leur manège ne peut pas faire autrement que de m'amuser, alors je ris en les regardant discuter comme si elles se connaissaient depuis toujours. Ce qui est la spécialité de Cat.
— Izzy ! Magnus !
Elle se redresse en entendant la voix de sa mère et je me tourne vers la porte laissée ouverte. Maryse doit être en bas des escaliers. Tiens, quand est-ce qu'ils sont revenus ?
— Oh, c'est vrai ! Je devais te prévenir qu'ils étaient rentrés et voulaient que l'on descende.
En riant à nouveau, je dis au revoir à Catarina, et je suis Isabelle jusqu'à la cuisine.
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