Chapitre 24 (1/2)

Les souvenirs oubliés ne sont pas perdus.


Point de Vue Violet — 22 octobre 2079

Je me réveillai la tête lourde, les derniers souvenirs qui me venaient étaient des voix d'adolescents que je connaissais, mais dont j'avais oublié le nom. Je ne savais pas où j'étais ni quand j'étais. Mes membres étaient engourdis, mais je sentais le propre. On avait dû s'occuper de moi pendant mon sommeil. J'ouvris les yeux après un long moment, le temps d'apprivoiser la lumière ambiante. Des étoiles dansèrent devant mes yeux et j'entendis le bip bip régulier des battements de mon cœur. Puis, ma main se porta à ma gorge. Je ne respirais pas et un immense tuyau me prenait toute la gorge, j'avais l'impression de mourir en m'étouffant. Qu'est-ce que c'était que ce truc ? Ça me faisait un mal de chien et je ne pouvais pas déglutir. Je voulus tirer dessus, mais une main m'arrêta.

— Enfin réveillée, Violet ? Ne panique pas je vais tout t'expliquer, fit-il en me désintubant.

Tout le contraire de ce qu'il me racontait, je commençai à angoisser. Qui était ce type ? Il était médecin ? Il n'avait même pas de blouse ! Que me voulait-il ? Où étais-je ? Qu'est-ce qu'il s'était passé ? Il triffouilla la poche médicale reliée à mon bras, qui pendait au-dessus de moi. Je me détendis assez rapidement, bizarrement. Il reposa alors sa question et j'acquiesçai pour que le jeune homme assis en face de moi poursuive. Il me disait vaguement quelque chose, mais je ne me souvenais plus de son identité. Je lui offris un faible sourire et il poursuivit.

— Tu te souviens de quelque chose ? me demanda-t-il, d'abord, inquiet.

Je secouais la tête n'ayant pas la force de parler. À vrai dire, mon esprit était un immense trou noir.

— Je vais essayer d'être concis, je n'ai pas beaucoup de temps, j'ai d'autres patients à voir. Tu pourras me poser des questions après. Donc... Je m'appelle Daniel, tu es dans une base résistante. Plus précisément dans un hôpital. Nous nous sommes, mon équipe et moi, occupés de toi. Et de ta reconstruction physique, on ne sait pas ce qui t'es vraiment arrivé, on ne peut que spéculer sur les évènements qui se sont produits, ce jour-là, et sur les dégâts que tu as subis. Nous avons volé des cellules au gouvernement pour pouvoir reconstruire une partie de ton crâne qui avait été endommagé par une explosion. Des débris se sont enfoncés dans ta boîte crânienne et l'ont sectionnée de toutes parts. On a eu de la chance que ton cerveau, lui, n'ait rien eu à part, visiblement, ton amnésie. Nous avons dû aussi reconstruire une partie de ton corps puisque ta peau a brûlé. Et enfin ton visage. Je suis désolée s'il n'est pas le même qu'avant, mais nous avons essayé de te rendre un visage féminin grâce à quelques photos de femme que nous possédions. Tu ne nous en veux pas ?

— N-Non, réussis-je à bégayer d'une voix éteinte.

Enfin, non, je ne savais pas vraiment si c'était une question rhétorique. Il avait l'air de vouloir une réponse à ça, mais je pense que ça n'en valait pas une. J'étais déjà soulagée d'être en vie !

— Je suis content d'entendre cela. Repose-toi en attendant, je reviendrai toutes les heures relever tes constantes. Tu as de l'eau à disposition et si tu veux manger tu peux secouer la clochette, même si on ne te donneras pas tout de suite... Tu es une miraculée Violet, on n'aurait jamais pensé que tu survivrais à ce coma artificiel d'un an et demi... Bon, assez parlé, je te laisse et je vais annoncer la bonne nouvelle... Ça ne te dérange pas d'avoir de la compagnie ?

— Non, mentis-je en essayant d'accuser le coup.

Il partit, me laissant angoisser dans la pénombre. Alors j'vais vraiment survécu à ce coma si long ? On ne décédait pas après si longtemps ? Bon, peu importe, j'étais vivante, c'était le plus important, non ?

— Alors, je m'appelle Violet, me dis-je une fois seule.

Je devais à tout prix me souvenir de ma véritable histoire avant que je ne l'oublie définitivement et que d'autres nouveaux souvenirs l'effacent, emportant avec eux mon passé. Qui avais-je pu être ? Une gentille petite fille modèle ou, au contraire, quelqu'un de peu fréquentable ? Étais-je joyeuse et volubile ou terne et timide ? Mon comportement était-il plus tourné vers les autres ou plutôt égoïste ? Étais-je étudiante, travaillais-je déjà ou étais-je sans emploi ? Avais-je eu des passions ? Artistiques, sportives, intellectuelles ? Étais-je plutôt entourée d'amis ou solitaire ? D'ailleurs, il n'y avait eu que Daniel, étais-je sans famille ? Il avait parlé d'une équipe à prévenir, pas de mes proches... N'en n'avais-je pas ? Ou n'étaient-ils pas prévenus ? C'était impossible, ça faisait un an et demi que j'étais dans le coma, ils l'auraient su à un moment donné... Non, c'était juste que j'étais sans famille...

Je portais ma main à mon visage et remarquai que je n'avais pas de cheveux, que mon nez était petit et rond au bout, que mes joues étaient un peu joufflues, mes lèvres fines, et mes yeux légèrement en amande. Tout ça ne m'aidait pas à me souvenir. Je ne savais plus comment j'étais avant. Je ne savais plus quel était mon visage. Avais-je été blonde, brune ou rousse ? De quelle couleur avaient été mes yeux ? Quelle était leur forme ? J'vais beau taté ce nouveau visage, je ne sus pas ce qui avait été modifié et ce qui était les vestiges de mon ancienne identité. Chaque strie, chaque pore était une sorte de preuve vivante de l'expérience du bateau de Thésée. Comment je m'en souvenait ? Aucune foutue idée, mais je savais ce que cela racontait. On se demandait si en prenant un bateau — en l'occurrence celui de Thésée — et si on remplaçait une à une les pièces, est-ce que le bateau serait le même ou différent ? Là, c'était pareil ? Etais-je la même ou une autre ?

Je pris un verre d'eau et le bus à petites gorgées, car ma gorge était irritée. J'intégrai les informations que venait de dire Daniel tandis que je buvais. Alors déjà, j'avais été prise dans quelque chose qui avait troué ma boite crânienne comme du gruyère. Comment était-ce possible ? Avais-je un métier à risque ? Il ne me semblait pas être si vieille et si cela faisait un an et demi que je dormais, étais-je en âge de travailler ? Je ne le savais plus.

Ensuite, où m'avait-il trouvé ? Il ne l'avait pas dit. Il avait juste dit qu'ils avaient dû me reconstruire comme un robot que l'on répare. Étais-je si amochée que ça ? À quoi ressemblais-je vraiment ? À quoi ressemblais-je aujourd'hui ? Il me fallait un... Miroir ! C'était ça ! Il fallait que j'en demande un. Et puis, comment savait-il que je m'appelais Violet ? Je ne leur avais pas dit, si ? Il me connaissait ? Depuis quand ? Était-ce un ami ? Une connaissance ? Quelqu'un de ma famille ? Il semblait trop jeune pour être mon père, mais il pouvait être un oncle s'il avait beaucoup d'écart avec mes parents... Ma tête me lança ardemment. Je reposai donc mon verre au risque de le lâcher et remarquai un bracelet.

Une gourmette portant le nom ''Violet'' gravé dans de l'argent. Voilà un mystère résolu. C'était déjà une progression. Il fallait que j'éclaircisse les autres à présent. Il fallait que je recouvre la mémoire. Je ne souhaitai pas rester dans cet état-là longtemps. Tiens, on frappait, une femme s'avança et je lui demandai alors un miroir.

Violet - Lettre du 25 octobre 2079

Bonjour cher toi,

Je doute que quelqu'un lise cette lettre et y réponde, car c'est un souhait de Daniel que je couche sur papier toutes mes frustrations, mes colères, mes tristesses, et les quelques souvenirs qui me restent.

Tu l'auras deviné je suis amnésique depuis trois jours deux heures et cinq minutes. Je le sais, car c'est le moment où je me suis réveillée d'un an et demi de coma. Je ne sais pas comment j'en suis arrivée là. Daniel parle d'une explosion. Daniel, c'est le médecin qui s'occupe de moi. Et il y a sa maman, Angélique, elle est très gentille avec moi. Avec elle, je réapprends à parler correctement. Je peux écrire, oui, mais parler est difficile pour moi. Il faut que je réapprenne tout : comment se prononce un mot ou comment se lit un autre. Malgré ça, je suis contente, je ne suis pas morte dans cette explosion. Je ne sais pas encore quoi te dire d'autre peut-être que cela viendra.

En attendant,

bonne journée.

Violet.

Violet - Lettre du 25 octobre 2079

Bonjour toi,

J'ai besoin de parler, je ne me reconnais plus, tu sais ? Je veux dire... dans le miroir, je crois que j'ai le syndrome de l'imposteur, comme dirait le psychologue qui me suit. Oui, je suis une thérapie. Ne me prends pas pour une folle, c'est pour récupérer des fragments de souvenirs. Je ne me souviens de mon prénom que par la gourmette que j'ai autour du poignet. Déjà on a progressé : j'entends une voix dans un souvenir. Je ne sais pas ce qu'elle dit, tu sais comme quand quelqu'un te parle et que tu as la tête sous l'eau. J'entends, mais je ne comprends rien. Je crois qu'elle me rassure. Tu penses que je suis folle hein ? Je n'y peux rien. C'est tout ce à quoi je peux m'accrocher en attendant. Et peut-être à toi, destinataire fictif. Je n'ai pas retrouvé ma lettre de la dernière fois, pourtant je suis sûre de l'avoir rangée !

Sur ce, prends soin de toi,

Violet.

Inconnu - Lettre du 23 novembre 2079

Salut Violet,

Ça va te paraître étrange que je te réponde, mais par je ne sais quel hasard, tes lettres me sont parvenues. Je sais, d'après ce que tu as écrit, qu'elles n'étaient pas censées arriver en ma possession, mais désormais, elles le sont. Ça va te paraître encore plus étrange que j'aie pu mettre autant de temps à te répondre, mais voilà, je passe également une mauvaise période et je ne savais pas s'il était judicieux de te parler, mais j'ai fini par me décider. Tu avais l'air sympa et je me suis dit que ça pourrait peut-être m'aider de parler à quelqu'un qui ne me rappelle pas sans cesse pourquoi je me sens si mal depuis plus d'un an. Par contre, si cela te dérange, dis-le moi et on arrête tout de suite de s'écrire.

Prends également soin de toi,

Joachim.

Point de Vue Violet — 24 novembre 2079

Je marchai à nouveau, même si c'était peu et pas longtemps. C'était déjà une étape que j'avais franchie. J'avais appris à aimer mon nouveau visage, si tant était-il qu'il soit nouveau. Je ne me souvenais pas de celui que j'avais avant l'opération. D'après Daniel, l'explosion venait d'une bataille entre le gouvernement et les résistants, après une grande extinction d'électricité dans tout le pays. Peu de résistants avaient survécu, même si beaucoup avaient fui en Suisse et dans les pays frontaliers. Je faisais donc partie de ces survivants. Il l'était aussi, car il avait fui le gouvernement qui le faisait vomir.

Daniel était, en effet, d'abord aux mains du gouvernement à cause de son père qui l'avait forcé à quitter ses projets linguistiques pour s'adonner à l'entreprise familiale. Puis, à adhérer les rangs de Dpékan, mais il avait voulu ouvrir les yeux de ses collègues et était devenu ennemi public. Il vivait maintenant aux côtés de sa mère, Angélique, qu'il avait trouvée pendant sa cavale.

Je ne cessai de sourire en les voyant. Il y avait tellement de tendresse entre eux qu'il semblait que les années où ils n'avaient été ensemble n'avaient pas existés. De plus, ils œuvraient côte à côte pour une noble cause. Il y avait d'autres malades que moi, ici. C'était une sorte d'hôpital pour résistants, caché dans les catacombes de la ville de Limoges. Il était loin d'être parfait, mais les nombreux vols, faits par d'autres résistants, aidaient à maintenir les stocks. Ici, on nous soignait. Pour moi, cela se résumait en rééducation et en longue séance de psychologie pour tenter de retrouver mes souvenirs, mais pour d'autres cela pouvait être une consultation de routine ou une opération !

Il y avait d'ailleurs des mères qui venaient accoucher ici, car elles ne voulaient pas aller dans les hôpitaux publics, de peur qu'on s'attaque à elles ou qu'on leur vole leur bébé, monnaie courante aujourd'hui. Je trouvais ça aberrant, mais c'était ainsi, aujourd'hui, l'humain était perverti, encore plus qu'avant ! Cela n'irait pas en s'arrangeant malheureusement. De plus, j'avais l'impression que ce Dpékan avait l'air complètement taré et que, par conséquent, ses mesures l'étaient tout autant.

Mais, bref, pour l'instant, je me concentrais sur mon rétablissement. D'abord, sur les instructions du kiné qui faisait des séances de remise en forme musculaire. Ensuite sur le psy avec qui j'avais de longues conversations pour essayer de faire remonter des souvenirs. Ça avait l'air de fonctionner un peu, car ils arrivaient par flash depuis quelques jours. Seulement, le bémol, c'était que je ne voyais jamais rien. J'entendais juste la voix, pas ce qu'elle disait, mais l'intonation et le timbre.

Deux dénotaient, cependant. Une voix féminine, elle était clairement en colère et, d'autres fois, plutôt calme. L'autre, elle, était teintée de chagrin. Je ne parvenais jamais à les identifier, mais je savais, qu'un jour, j'y arriverai. Il le fallait, d'après le psy. Selon lui, si on creusait ce que je savais déjà, le reste reviendrait de lui-même. Il fallait le déclic. Cependant, le déclic, c'était dur de l'avoir quand on finissait avec une migraine. Les efforts de concentration me faisaient mal au crâne. Pourtant, je persistais dans cette voie parce qu'il le fallait.

En revanche, un événement s'était produit hier, j'avais reçu une réponse à mes deux précédentes lettres. Lettres qui auraient dû rester confidentielles, bien entendu, car thérapeutiques. Néanmoins, Joachim, un garçon dont je ne connaissais rien du tout, les avait reçues et y avait répondu... Je ne savais pas si je devais en parler à Daniel, sous peine de ne plus pouvoir converser avec cet inconnu, ou de taire mon secret. Je n'avais qu'une peur : qu'on intercepte notre courrier. Il faudrait que je sois attentive sur ce que j'écrivais, sinon je mettrai en péril l'organisation de cet hôpital, et ne pas me laisser emporter par la fougue que me procurait ce correspondant.

Violet - Lettre du 24 décembre 2079

Bonjour Joachim,

Tout d'abord, joyeux Noël, si tant est-il que cette fête ait encore un sens positif aujourd'hui. Ici, on a tenté de garder certaines traditions dont je dois taire les termes, car j'ai bien peur qu'un jour notre courrier soit intercepté. Pour notre bien à tous les deux, je souhaite que nous n'abordions rien qui soit illégal si nous venions à faire quelque chose dans ce genre là. Daniel m'a un peu raconté ce qui se faisait ou non en France, et ce qui s'était passé avant. Je dois dire que je n'ai vraiment envie de finir en prison ou pire. Je ne veux pas non plus que mes amis aussi.

Pour répondre à ta question, je souhaite en effet poursuivre notre correspondance car cela me donne envie d'avancer dans ma guérison si je peux nommer mon amnésie comme une maladie. Daniel me trouve d'ailleurs mieux qu'à mon réveil. Peut-être parce que penser à toi me rend un peu heureuse. Me dire que, quelque part, quelqu'un attend ma lettre et mes nouvelles, me fait du bien. Je me dis que je compte.

Certes, Daniel et sa maman sont très gentils, de même que les autres pensionnaires, mais j'ai l'impression d'être une autre avec toi. Il n'y a plus cet aspect médical qu'on doit soigner, je suis peut-être plus moi avec toi. Pourrions-nous être amis, un jour ? Je le souhaite de tout mon coeur, tu sais ? Tu m'as l'air d'être quelqu'un de doux et j'aimerais pouvoir te rencontrer, même si je pense que ce ne sera pas dans l'immédiateté, du moins pas tant que les lois sont ce qu'elles sont.

En attendant, parle-moi un peu de toi, dans mes premières lettres je me suis un peu mise à nue, j'aimerais aussi apprendre à te connaître. Ce serait mon cadeau de Noël, tu vois ? Si tu veux, tu peux aborder pourquoi tu es si mal si ça peut te faire du bien ou bien ce que tu veux. En tout cas, j'attends ta lettre avec impatience,

Amicalement tienne,

Violet.


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