Chapitre 9



Je ne crois pas aux coïncidences.

Un évènement survenant par hasard et simultanément à un autre. Un concours de circonstances. Cela me paraît être impossible. Du moins dans le cas présent.

Sans réfléchir, je me précipite au bout du couloir et tourne à l'angle où le soldat a disparu. J'entends May me rappeler mais je l'ignore. Je ne sais qu'une chose : je dois retrouver cet homme. Car il me paraît évident maintenant qu'il s'agit de ma seule option pour comprendre ce qu'il se passe. C'est sa photo qui est apparût deux fois dans la salle de tests. C'est sa présence qui m'affecte plus qu'aucune autre. Et je dois savoir pourquoi.

Je cours dans tous les sens, ouvre toutes les portes sur mon passage, m'attirant la foudre de certains soldats. Les pas de May se rapprochent derrière moi et je sais que je n'aurais pas le temps suffisant pour le retrouver. Et je vais avoir une explication à donner. Or, je ne peux absolument rien dire sur le juriste. Personne ne doit découvrir ce que je sais.

C'est à ce moment que mon plan se met en place dans ma tête. Je me baisse au sol et fais semblant de ramasser quelque chose, laissant May arriver à ma hauteur.

-On peut savoir ce que tu fais Faustine ? dit-elle sur un ton excédé.

Je me redresse et lui montre le sifflet dans ma main.

-Je l'avais perdu, je lui explique.

Elle plisse les yeux en me foudroyant du regard et tourne les talons. Je la suis, m'excusant au passage aux personnes que j'ai dérangé. Je sais qu'elle sait. Mon excuse ne tient pas la route. Après tout, j'ai ouvert des portes sur mon passage où nous ne sommes pas entrées. Le sifflet n'aurait pas pu s'y trouver. Mais ma chance ne réside pas dans le fait que mon excuse soit bonne. Elle réside dans le fait qu'ils ne peuvent pas savoir ce qu'elle cache.

Nous atteignons la sortie et retournons le parking. Sans m'adresser un regard, May se glisse sur le siège et claque la porte. Je ne lui trouve plus l'air d'un gentil petit lutin tout à coup. A peine entrée dans la voiture, elle démarre en trombe.

-Ne crois pas que tu vas t'en tirer aussi facilement, siffle-t-elle sans même me regarder.

Sa menace me fait l'effet d'un seau d'eau glacé jeté en pleine figure. Mais je ne me démonte pas. Je trouve même sa réaction excessive. Le paysage défile alors que je continue de la scruter. C'est étrange qu'elle ne me pose aucune question. Qu'elle n'essaie pas de savoir ce que je cherchais à faire. Ce qui me fait penser qu'elle a peut-être orchestrée cette rencontre opportune elle-même. Peut-être même que le juriste est dans le coup depuis le début.

Mais je ne le crois pas. Je ne serais pas étonnée que le gouvernement me surveille constamment, jusqu'à étudier mes réactions. Je ne serais même pas étonnée d'être victime d'une énorme machination qui dépasserait l'entendement. Mais lui, ne semble pas faire partie du complot. Je commence même à croire qu'il en est victime, tout autant que moi.

May reste silencieuse le reste du trajet ce qui ne me dit rien qui vaille. Lorsque nous arrivons devant chez moi, je remarque que Rune est là, assise sur le perron. Encore une raison de rappeler à May que nous sommes des menteuses expertes. Mes parents regardent la scène à la fenêtre. Je suis étonnée qu'ils aient décidé de laisser Rune dehors toute seule.

Puisque May ne dit rien, je la salue et presse la poignée pour sortir. Mais elle décide de me retenir en serrant mon poignet avec une force dont je ne la croyais pas capable.

-Comment as-tu trouvé la base militaire aujourd'hui ? chantonne-t-elle comme s'il ne s'était rien passé.

Comme si elle n'était pas en train de broyer ma main en même temps. Étonnée par sa question, je referme la porte et elle me lâche.

-J'ai... J'ai beaucoup apprécié la visite.

-Tu t'engagerais dans la milice ? Si tu étais confirmée Unique ?

Sa question me prend de court. Je dois réfléchir et répondre habilement pour que mon plan puisse fonctionner. Être trop motivée la rendrait suspicieuse mais je dois quand même montrer mon envie d'y retourner. D'autant que, c'est vrai, j'ai quand même passé un bon moment.

-C'est une solution que j'envisage à présent. Mais je ne sais pas si le rythme me conviendrait.

-Il faut beaucoup de rigueur en effet, poursuit-elle sur un ton de reproche. Ne pas en faire qu'à sa tête par exemple. Ne pas mentir à ses supérieurs. Ne pas désobéir aux lois.

Maintenant je vois où elle veux en venir. J'accepte les reproches malgré mon envie de lui faire regretter ses paroles. Je dois me montrer sous mon meilleur jour pour que tout marche.

-Je ne crois pas que nous retournerons là-bas, soupire t-elle en étudiant ma réaction.

Je sens mon cœur se serrer tout en essayant de paraitre aussi impassible que possible. Mais je redoute que la déception que je ressens soit trop grande pour afficher un air détaché. Il est d'une important capitale que je reparte là-bas. C'est là que réside tout mon plan. Retourner à la base et le retrouver. Coûte que coûte.

-D'accord, je finis par dire d'un ton dégagé. On est-ce qu'on ira ensuite?

Elle me considère un moment puis me fait signe de sortir de la voiture, sans répondre à ma question. Je vois bien qu'elle est déçue... énervée même.

Tu n'arriveras pas à me contrôler si facilement May.

Je lui souhaite une bonne soirée et rouvre la portière. A peine sortie, elle démarre à nouveau en trombe et disparait.

-Faustine, ça va? demande Rune en s'approchant. Ça fait une heure que je t'attends. Tu n'as pas reçu mes messages ?

Mon portable. J'avais presque oublié que j'ai toujours un téléphone.

-Non désolée, je m'excuse en soupirant. Longue journée. Pourquoi est-ce que tu n'attends pas à l'intérieur ?

Elle hésite à me répondre, en jetant un regard rapide à mes parents. Ces derniers disparaissent presque aussitôt de la fenêtre.

-Je préférais attendre ici. Je ne sais pas ce que les autorités ont dit à tes parent,s mais ils ne m'ont pas franchement accueilli à bras ouvert. Alors.. je trouvais ça déplacé de rester chez toi.

-Ils ont probablement donné ta version des faits.

Je dis ça sur un ton sarcastique. Je sens monter en moi une colère tout à fait injustifiée. Ce matin, j'étais morte de peur à l'idée qu'ils aient pu lui faire du mal et la punir pour notre sortie nocturne. Mais la fatigue et les élans émotionnels que je subis depuis quarante-huit heures ne me donne pas le recul nécessaire pour réfléchir avant de parler.

-Je t'ai protégé, se justifie-t-elle, étonnée par ma réaction. Il n'y aura aucune conséquence grâce à moi.

-J'ai aussi failli mourir, grâce à toi.

C'est comme si, maintenant que je suis certaine qu'elle va bien, je peux libérer ma colère contre elle. Ce que je n'aurais pas fait si elle avait eu des ennuis.Je suis terriblement injuste avec elle.

-Je t'ai sauvé la vie.

-Question de point de vue, je réplique sèchement.

-Et qu'est-ce qui se serait passé à ton avis, s'ils t'avaient capturée avec cette photo de lui ?

Je ressens un soudain choc électrique. La photo ! Je fouille mes poches mais je me souviens d'avoir changé de vêtements ce matin en repassant par la maison. J'espère que l'eau ne l'aura pas trop abîmé.

-On aurait simplement pu jeter la photo dans la cascade, je réplique avec moins d'assurance. Et non moi avec.

Un sourire relève le coin de ses lèvres et je vois bien qu'elle tente de réprimer un rire.

-Ça aurait été moins drôle, dit-elle en me poussant gentiment par l'épaule.

Et étonnamment, j'arrive aussi à en rire. Mais pas trop.

-Tu es fatiguée, me dit-elle. Je repasserais demain pour te voir. Peut-être que tes parents se souviendront que je suis quelqu'un de bien.

J'acquiesce tout en me sentant coupable de ne pas lui demander des nouvelles de Jérémie. Mais je n'ai pas envie d'entendre son récit pour le moment, elle doit le sentir. Nous nous quittons rapidement et je rejoins enfin ma maison.

Même dans l'entrée, la bonne odeur de viande parvient à mes narines et je réalise soudain que je suis affamée. Nous n'avons pas mangé de la journée. D'ailleurs, je ne me souviens même pas quand j'ai pris un vrai repas pour la dernière fois.

J'hésite à entrer dans la cuisine. Je n'ai pas envie d'affronter mes parents. Mais l'odeur est si alléchante que, tel un loup affamé, j'entre dans la cuisine et m'approche dangereusement du four où cuit un bon poulet entouré de pommes de terre recouvertes de fromage dégoulinant. Je salive devant le plat avant de réaliser que mes parents me fixent.

-Pardon, leur dis-je. Je n'ai pas mangé aujourd'hui...

-Je m'en doutais, me dit ma mère en souriant. Et tu dois beaucoup te dépenser en journée alors je m'applique à faire tes plats favoris.

Je me sens soudain pleine de gratitude envers elle, même si ça n'efface pas entièrement le fait qu'elle a voulu me livrer aux autorités la veille.

-Tu veux prendre une douche avant de manger ?

Je repense à la photo et, malgré ma faim, je ne tiendrais pas une heure de plus sans savoir si je l'ai perdu. J'ai besoin de cette preuve. Quelqu'un, si ce n'est mon père qui ne l'avouera jamais, a mis cette photo dans mon dossier pour une raison.

-Oui d'accord, je n'en ai pas pour longtemps.

Je jette un coup d'œil à mon père qui semble plonger dans la contemplation de sa montre. Je l'ignore à mon tour et monte dans ma chambre.

Sans perdre une seconde, je file dans ma salle de bains retrouver les vêtements que j'ai dû laisser par terre. Ils ne sont plus là. Je cherche partout ailleurs et même dans ma chambre avant d'aller à la buanderie. Je trouve mon débardeur dans le linge sale mais pas mon pantalon. Entre la cascade et la machine à laver, la photo n'a pas dû résister.

Aussi je me laisse tomber sur le sol, désespérée. Je voulais vraiment conserver cette photo. J'aurais pu m'en servir pour prouver que ma Révélation était probablement trafiquée. Et avec ma dernière conversation avec May, il est clair que je ne retournerais pas au centre d'entrainement de si tôt. Voir jamais.

Tout est fichu.

Je prends rapidement ma douche, sans vraiment en avoir conscience. Lorsque je descends dans la cuisine où ma mère est en train de servir les assiettes, mon appétit n'est plus aussi aiguisé que tout à l'heure. Pourtant, je réussis à me resservir deux fois au cours du dîner, comme pour compenser ma peine par la nourriture.

Mon père monte le son de la télévision pour nous éviter de parler. A la fin du repas, ma mère propose de nous faire des tisanes et mon père et moi passons au salon. Je ne sais pas pourquoi je reste car j'ai l'habitude de remonter dans ma chambre après manger. Peut-être parce que je n'ai pas envie de me retrouver seule avec mes pensées déprimantes.

Elle distribue les tasses fumantes et s'assoit entre mon père et moi. Nous regardons la télévision sans vraiment la regarder. Les publicités défilent, vantant les différents corps de métier, montrant les constructions importantes en cours, des innovations créées par le Système, exposant les plus beaux endroits pour nos deux voyages autorisés par an.  Finalement, je préfère regarder par la fenêtre, bercée par les bruits continus du petit écran.

Une heure plus tard, je suis exténuée. Je me suis assoupie quelques minutes sur le canapé et décide d'aller me coucher. Mais au moment où je me penche pour saluer ma mère, je vois des larmes couler sur ses joues. Je me tourne vers la télévision et vois le fameux spot publicitaire destiné à vanter le Système. On y voit des adolescents sortir d'un Centre, et confier avec joie et ravissement leur Orientation à leurs parents, montrant les photos de leur Partenaire avec excitation. Je ne comprends que trop bien la réaction de ma mère. C'est ce qu'elle aurait voulu pour moi. C'est ce que j'aurais voulu pour moi aussi. Et il n'existait pas de publicités sur les Uniques pour la consoler.

J'essaie de réconforter ma mère mais celle-ci se lève et quitte la pièce en trombe. Mon père éteint la télévision. Il se lève aussi et s'apprête à quitter la pièce.

-C'est pour ça qu'elle fait tout ça. Qu'elle cuisine et le reste. Elle est persuadée de ne plus te voir dans un an. Elle veut que tu gardes un bon souvenir d'elle.

Étonnée que mon père daigne enfin m'adresser la parole, si ce n'est me regarder, je ne peux pas décrire ce que je ressens en ce moment tant je suis inondée de sentiments contradictoires. Mais mon instinct prend immédiatement le dessus et je me dépêche d'atteindre la porte avant mon père. Là je me retourne et le force à me regarder.

-Ce n'est pas ton cas, visiblement.

Mon ton est dur, sec et mon regard carnassier. Je le plante sur le pas de la porte et regagne ma chambre en trombe.


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