Chapitre 27
Absolument tout mon corps était contracté. Je ne sentais plus mes jambes à force d'en tendre les muscles. Si un jour Sirius se décidait à arrêter de rouler, je serais incapable de descendre de cette moto. Chacun de mes membres étaient trop engourdis pour espérer un jour pouvoir se relâcher. J'étais condamnée à rester dans cette position pour le restant de ma vie. L'avantage, c'était que j'étais trop paniquée pour réussir à penser à cette rencontre chez Fleury et Bott.
Nous avions quitté Londres depuis plus d'une heure. Pendant la première demi-heure, mon cœur avait tambouriné dans ma poitrine comme un prisonnier cherchant à arracher les barreaux de sa cellule. Il ne faisait toujours pas le fier, mais avait néanmoins réussi à suffisamment se calmer pour m'épargner un arrêt cardiaque. J'avais passé le reste du trajet à broyer le blouson de Sirius entre mes doigts en me répétant que cette situation n'avait rien de normal. Comment les moldus pouvaient-ils aimer ce moyen de transport ? Comment, par Merlin, mon ami avait-il pu se prendre de passion pour une chose pareille ?
– Lève les yeux ! me criait le Maraudeur.
Je m'étais également appliquée à ne pas regarder le paysage défiler autour de nous. Cela aurait été une trop grande épreuve pour mon estomac. C'était déjà un miracle que j'ai réussi à ne pas fermer les paupières. J'en avais donc été réduite à compter les accrocs sur les épaules de sa veste.
Je me forçais toutefois à suivre ses directives. Nous déambulions dans des rues cernées de bâtiments en pierre à l'architecture époustouflante. J'étais soudainement trop subjuguée pour me concentrer sur ma peur. Nous étions arrivés à Oxford. Sirius ralentissait tandis que nous remontions la ville jusqu'au centre historique. Je ne l'avais encore jamais visité et c'était bien au-delà de ce que j'avais pu imaginer. Chaque coin de rue offrait son lot de merveilles. J'en venais presque à regretter de n'avoir pas admiré le panorama plus tôt.
Sans crier gare, Sirius stoppait sa moto, me faisant à nouveau empoigner vivement son vêtement en grinçant des dents. J'étais certaine de l'avoir entendu ricaner. D'un coup de pied leste, il dépliait une tige de métal destiné à supporter son véhicule, puis il descendait comme si de rien n'était. N'ayant certainement pas la même élégance, je glissais de la moto en me faisant l'effet d'un gnome arthritique. Mes mollets protestaient une fois debout et mes mains tremblaient pendant que j'essayais de me débarrasser du casque. Je lisais de l'amusement sur le visage de Sirius, mais il ne faisait aucun commentaire pendant qu'il m'offrait son aide.
– Alors ? questionnait-il en arrangeant une de mes mèches blondes.
Je haussais un sourcil, l'air de dire "tu te fous de moi ?" ce qui le faisait éclater de rire.
– Je t'ai trouvé relativement à l'aise. James était accroché à moi comme un botruc à son arbre et n'arrêtait pas de jurer la première fois.
– J'ai ma fierté.
Il souriait de plus belle.
– Par contre, ton blouson a moyennement apprécié.
Je lui montrais les traces de mes doigts imprimés sur sa taille. Il avait un mouvement d'épaules désinvolte. Je remarquais que ses traits s'étaient détendus, comme apaisés après cette escapade. Moi-même -mais je ne l'aurais jamais admis devant lui- je me sentais étonnement plus légère. Plus libre.
– Heureusement que je ne l'ai pas fait voler... me lançait-il avec un clin d'œil.
– Que tu quoi ? m'étranglais-je en blêmissant.
Un nouvel éclat de rire franchissait ses lèvres et alors que je m'apprêtais à grommeler quelque chose du genre « qu'est-ce qu'ils ont les frères Black à vouloir voler », il attrapait ma main pour me tracter.
– Allez, viens.
À nouveau, je me laissais entraîner dans son sillage. Ce n'était visiblement pas la première fois qu'il venait, et je me demandais encore tout ce que j'ignorais sur Sirius Black.
Lorsqu'il entrait dans une boutique de prêt-à-porter proposant des vêtements moldus à la dernière mode, je le regardais sans comprendre. Il m'offrait un sourire énigmatique en retour. Il saluait la vendeuse avant de marcher d'un pas décidé vers le fond du magasin où se trouvait une porte dérobée. Une fois le pas franchi, un tout autre monde s'offrait à nous. Nous nous trouvions dans une immense pièce indétectable de l'extérieur, au décor plus feutré, plus ancien, qui tranchait complètement avec la boutique que nous venions de traverser. Une seule immense fenêtre, qui prenait presque toute la largeur du mur, couverte de toiles d'araignée, perçait le fond de la salle. Le long des murs étaient disposés d'innombrables bureaux en acajou ouvragé, supportant de lourdes balances en cuivre et des tas de parchemins. Des gobelins travaillaient minutieusement derrière chacun d'eux, certains en entretien avec des sorciers. J'en voyais même un en vive discussion avec ce que je reconnaissais être une harpie. L'ambiance n'était pas sans rappeler Gringotts.
L'un des gobelins nous repérait et nous faisait signe d'approcher.
– Nous aimerions faire du change, annonçait Sirius.
D'un naturel peu bavard, la créature se contentait d'un hochement de tête. Le jeune Black sortait sa bourse pour déposer onze Gallions et neuf Mornilles, auxquels j'ajoutais neuf pièces d'or et vingt-cinq pièces d'argent. Après avoir pesé notre argent, le gobelin nous rendait cent cinquante livres sterling moldu.
– À nous Oxford ! s'exclamait Sirius une fois dehors.
– Tu es sûr que c'est le bon moment pour disparaître ?
– Je pense que c'est le meilleur moment pour disparaître. Tu n'as pas de patrouille cette nuit, moi non plus, et au moindre problème, on peut rentrer à Londres en transplanant.
Un certain sérieux se dégageait de sa voix. En lisant dans ses yeux, je comprenais que nous avions tous les deux besoins de cela : nous échapper.
Notre premier arrêt était The Old Bookbinders. Le Maraudeur m'expliquait que c'était le premier pub dans lequel il était allé la première fois qu'il était venu à Oxford. Ce n'était pas le seul qu'il avait fréquenté mais il avait pris ses petites habitudes en y retournant à chaque nouvelle visite. J'observais la décoration, de son comptoir en bois flanqué de tabourets hauts, derrière duquel s'alignaient des dizaines de bouteilles, aux murs couverts de stickers colorés. Il se dégageait de l'endroit une impression de chaleur. On sentait que bien des personnes s'étaient succédé entre ses murs, qu'elles avaient ri en se juchant sur les tabourets, qu'elles avaient trinqué avec bonheur. Je m'y sentais aussitôt à l'aise.
Sirius demandait deux pintes d'une boisson que les moldus désignaient comme de la bière. Je n'en avais encore jamais bu. Je manquais m'étouffer en avalant une gorgée, trompée par son aspect approchant celui de la bièraubeurre. Le goût amer me piquait la gorge et me faisait monter les larmes aux yeux, ce qui ne manquait pas de déclencher notre hilarité. Puis, requinqués par la boisson après ce trajet, nos pas nous menaient jusqu'à la célèbre université. Encore une fois, j'avais le souffle coupé par la beauté de l'architecture. Sirius agrémentait notre balade en s'improvisant guide pour m'indiquer ci et là des détails dans la pierre. Je me surprenais à le regarder avec le sourire aux lèvres, buvant ses paroles empreintes de révérence pour la ville.
– Viens, il y a un autre endroit qui devrait te plaire.
Il se saisissait à nouveau de mes doigts pour m'emmener. Son enthousiasme était contagieux. Je me laissais faire sans réfléchir et suivais son exemple en profitant simplement de l'instant. La rencontre avec Regulus et Walburga m'était momentanément sortie de l'esprit. Bientôt, nous arrivions devant The Bodleian Library. Si j'étais déjà impressionnée par le bâtiment vu de l'extérieur, ce n'était rien en comparaison de ce qui m'attendait à l'intérieur.
– C'est... magnifique, parvenais-je tout juste à souffler.
J'étais ébahie. Devant moi s'étalait à perte de vue un dédale de livres à la reliure ancienne. Un réseau de balcons se tissait à l'étage, où il y avait toujours plus d'ouvrages. Des manuscrits enluminés, des couvertures colorés en un superbe arc-en-ciel, tout me ravissait les yeux. Les plafonds eux-mêmes étaient des œuvres d'art. Après avoir ratissé la bibliothèque de Poudlard puis la British Library et enfin avec mon travail à la librairie, on aurait pu croire que je serais incapable de m'extasier encore devant une telle exposition de manuscrits. C'était cependant loin d'être le cas. Une puissante émotion m'envahissait, me submergeait presque. Je sentais mes yeux s'humidifier, les doigts portés à mes lèvres.
L'après-midi passait à une vitesse folle. Nous avions déambulé dans tout Oxford, par ses grandes artères comme par ses petites rues. Le soleil avait entamé sa descente à l'horizon, teintant la pierre de couleurs crépusculaires qui ajoutaient encore à son charme.
Nous étions dans le centre-ville, attablés à la terrasse d'un énième pub. Encore une adresse secrète de la longue liste de Sirius. Comme à The Old Bookbinders, l'atmosphère était agréable et détendue. Je ne m'étais plus laissée surprendre par le goût de cette fameuse bière et j'allais même jusqu'à en apprécier les saveurs. Comme depuis que nous avions quitté Fleury et Bott, j'avais fait confiance à mon ami en le laissant commander la spécialité de l'établissement pour nous deux. Et comme depuis que nous avions quitté Fleury et Bott, je n'avais pas été déçue.
À présent repue, les jambes délicieusement étirées devant moi après notre longue marche, je me laissais bercer par la musique qui s'échappait du tourne-disque.
– Excusez-moi ? Qui est le chanteur de la musique qu'on entend ? interrogeais-je le serveur qui venait récupérer nos assiettes vides.
– Il s'appelle Tom Waits. Si vous voulez mon avis, il mériterait à être plus connu, me répondait-il avec un clin d'œil.
Je le remerciais tandis que les premières notes de piano de la chanson suivante résonnaient. J'inspirais profondément l'air nocturne. La voix du moldu caressait voluptueusement mes oreilles, m'apaisait jusqu'au tréfonds de mon être. Je tournais la tête vers Sirius. Je détaillais ses cheveux noirs qui venaient effleurer ses épaules, cette mèche qui avait tendance à tomber devant ses yeux gris, l'ombre de sa barbe naissante qui grignotait ses joues, la courbe de ses lèvres. Une chaleur que je ne m'expliquais pas s'épanouissait dans ma poitrine.
Il surprenait mon regard sur lui. Je me sentais soudainement prise au dépourvu. Me penchant vers ma besace pour me donner une contenance, j'attrapais l'étole que m'avait offerte Remus à l'occasion de mon dix-septième anniversaire. Sirius étudiait l'étoffe caramel tandis que je la drapais sur mes épaules.
– C'est Lunard qui me l'a offert, révélais-je.
Son sourire en coin réapparaissait.
– Je sais. C'est moi qui lui ai dit de prendre celle-là.
– Pourquoi venir ici ? Pourquoi Oxford ?
Nous étions rapidement tombés d'accord pour y passer la nuit. Ni l'un ni l'autre ne voulions mettre un terme à cette parenthèse. Nous avions conclu de reprendre la route tôt le lendemain matin pour me laisser le temps de repasser à Godric's Hollow avant d'aller travailler.
Nous étions à présent dans une petite chambre d'hôtel, simple mais coquette, chacun à une extrémité de l'unique lit. La réceptionniste avait indiqué qu'en cette période estivale, c'était la seule qu'il lui restait. Le Maraudeur s'était contenté de dire qu'il pouvait dormir par terre.
Il esquissait un petit sourire à ma question, presque empreint de nostalgie, tout en suivant des yeux mes mèches que j'étais en train de relever en queue de cheval.
– Aucune idée. Quand je suis parti de chez mes parents, avant d'aller chez James, j'ai juste pris la route sans réfléchir et j'ai fini par échouer ici. J'ai erré au hasard. Et je suis tombé amoureux de cette ville.
Je l'écoutais attentivement, la tête légèrement penchée sur le côté.
– Depuis je viens régulièrement. Quand j'ai besoin de changer d'air.
Oxford était devenu son havre de paix, comme avait pu l'être pour moi la tour d'astronomie pendant mes études. J'étais profondément touchée qu'il le partage avec moi.
– Merci beaucoup de m'avoir emmenée, murmurais-je.
Le temps se suspendait l'espace d'un regard. Sirius n'avait pas remplacé Regulus, il n'était pas un substitut et encore moins une pâle copie, comme l'avait sous-entendu leur mère et Rabastan avant elle. Il s'était définitivement forgé sa propre place dans mon cœur et dans ma vie, et ce, d'une façon tellement limpide.
Tellement naturelle.
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