CHAPITRE QUARANTE-DEUX
THANE
- Ÿahst äzçe bęakse, lui crache la fille de la foudre.
Le prince de Thumos se fige en quelques secondes.
Cette phrase, ces cris font échos dans son esprit et il se retrouve propulsé plus de quinze ans en arrière, dans sa chambre. La pièce est obscure, quelques jouets sont éparpillés sur le grand tapis noir.
Le lit du garçon est retourné, les draps déchirés, les rideaux encadrant sa fenêtre ont été arrachés. Sa petite chaise a été brisée. Le tonnerre secoue la demeure. La puissante lueur des éclairs inonde la pièce.
Thane est recroquevillé, réfugié contre son lit, au sol. Il tient fermement l'un de ses ours en peluche. L'ourson est imbibé de larmes, trempé de la sueur du garçon.
Les sanglots du prince remuent tout son corps. Son pyjama est lacéré, une coupure traverse son sourcil gauche. Il sait que le sang dégouline sur sa joue. Les gouttes rougeâtres s'écrasent sur la fourrure de l'ours.
Des bleues et des ecchymoses douloureux envahissent ses bras, ses jambes. Ses doigts s'enfoncent un peu plus dans la peluche. Il retient ses cris. Il ne veut pas alerter sa mère. Il ne veut pas qu'elle souffre à son tour, comme à chaque fois qu'elle tente de s'interposer, de sauver son fils des griffes de son père.
L'ombre d'Hippias surplombe son fils, l'enveloppant davantage dans les ténèbres. Le dos courbé, il est à bout de souffle. La colère qui vient de l'envahir a tout dévoré sur son passage, comme un trou noir pourrait engloutir une planète entière.
Ses cheveux retombent sur son front, collés par la transpiration. Il fixe Thane, un éclair illumine son visage déformé par la peur.
- Tu n'es pas mon fils, souffle Hippias.
Il fait un pas vers le petit. Les talons de ses bottes en cuir marron heurtent le sol dans un grand fracas.
- Ÿahst äzçe bęakse, lâche le tyran, les dents serrés.
Sa maîtrise de l'ancien dialecte de Thumos est parfaite. Il a passé, dans son adolescence, des heures et des heures à apprendre cette langue morte. C'était la seule chose qui le rapprochait de son père et de son grand-père. Les seuls moment où ils pouvaient être ensemble.
De son pied, le roi de Thumos frappe violemment son fils dans les côtes. Thane ne peut plus retenir ses hurlements de douleurs. Il est projeté plus loin, son ourson glisse sur le sol.
En un instant, la porte de la chambre s'ouvre dans un grand fracas. Pria se jette sur son fils. Hippias s'éloigne, laissant sa femme retrouver Thane. La reine se retourne vivement vers son époux, le regard chargé de larmes mais surtout de ressentiment.
- Sors de cette chambre, ordonne-t-elle, furieuse. Sors d'ici avant que je ne fasse quelque chose que je pourrais regretter.
Entre les larmes, Thane aperçoit une dague dissimulée sous la longue veste de sa mère. Ses petites mains s'accrochent à Pria qui s'est dressée devant lui. Il se sent en sécurité avec elle.
- Ce sont des menaces ? s'indigne Hippias.
- Elles sont sérieuses. Je n'hésiterai pas.
- Sois prudente avec tes mots Pria, prévient le roi.
- Sois prudent avec tes gestes, renchérît-elle. Tu sais très bien que je n'ai pas peur d'avoir du sang sur les mains.
- Même le sang de ton roi ?
Hippias fait un pas de plus. Il est face à sa reine. Leur regard ne se quittent plus. Pria ne pliera pas, elle n'a pas peur de son mari. Le tyran tente de l'impressionner en se grandissant. Un éclair déchire le ciel et sa lueur aveuglante s'engouffre dans la pièce.
- En particulier celui de mon roi, dit Pria au moment où le tonnerre fait trembler la chambre.
Ils restent un moment à se jauger avant qu'Hippias ne quitte la pièce à reculons. Avant de refermer la porte derrière lui, il jette un dernier regard à sa femme.
- Sois prudente avec tes mots, répète-t-il.
Il a l'impression que tout s'écroule autour de lui. Ce sont les premières visions qu'il a de son enfance, les toutes premières images qui refont surface. Un océan de colère le submerge. Entendre les mots de son père dans la bouche d'Asal lui déchire l'âme. Les mots du tyran résonnent encore et encore dans sa tête. Le visage de sa mère ne le quitte plus.
La fille de la foudre se tient, assise, face à lui. Il aurait envie de saisir son cou, de lui briser la nuque pour ce qu'elle vient d'oser lui dire, de planter cette lame dans son cœur. Pour qu'elle comprenne la douleur qu'il est en train de subir à ce moment même.
- Alors tu refuses d'être appelé « mortel » ? Pourtant c'est bien ce que tu es. Tu sèmes la mort sur chaque planète que tu foules comme ton cher père, dit-elle avec insolence. Même ton propre nom trahi ce que tu es réellement.
Quelques gouttes de sueur glissent sur ses tempes. Les brûlures que provoque sa lumière sur son passage deviennent insupportable. Son regard se charge de colère, d'orgueil, de frustration. Il est furieux.
- Tais-toi avant qu'il ne soit trop tard. J'ai juré de ne pas te tuer, ne me fais pas regretter toutes les choses dont j'ai fait serment, rétorque-t-il d'une voix encore plus grave que la normale.
Le flux d'Asal l'appelle désespérément. Pour un court instant, ces sensations lui donnent envie de vomir, le dégoûtent. La fille de la foudre s'est relevée et ils se font face. La même tension s'empare d'eux encore et encore.
Le cœur du prince s'emballe, son sang bouillonne. Il la voit entre ses mains, le suppliant de la laisser vivre, de la laisser respirer. Il voit ses mains de resserrer autour du cou d'Asal. Il voit SA fille de la foudre mourir entre ses doigts et pendant quelques secondes, il se délecte de cette vision.
Le regard du prince glisse délicatement sur le visage d'Asal, sur ses lèvres. Son rythme cardiaque augmente encore, sa respiration devient presque douloureuse. Quelques vertiges brouillent l'environnement autour de lui. Le flux de la Kerausienne le presse un peu plus.
Le dégoût l'emporte. Thane fait volte face et se dirige vers le vaisseau. Sa main glisse vers son arme et la saisit fermement. Toutes les images de son père traversent son esprit.
Ÿahst äzçe bęakse.
Son poing se resserre davantage autour du manche de son couteau.
Ÿahst äzçe bęakse.
Une vague de haine s'empare de lui.
Ÿahst äzçe bęakse.
Il ne cesse d'entendre la voix de son père dans ses oreilles. Il a l'impression de sentir les coups, les griffures. Il revit cette scène. Ses prothèses se mettent à vibrer sous la tension qui s'est emparée de son corps. Thane revoit son père le frapper, le jeter au sol, dévaster sa chambre, s'acharner sur sa mère. Un flot d'émotions lui donne l'impression de perdre pieds, d'étouffer.
Du ressentiment, de la colère, de la haine, du dégoût. Une soif de vengeance se faufile dans son esprit, prenant le contrôle de son être.
Ses douleurs sont redevenues insupportable à l'instant où il a prit la décision de se détourner d'Asal.
Thane a l'impression d'écraser le couteau dans ses mains.
Ÿahst äzçe bęakse.
Le prince en a assez. Il est épuisé, lassé de souffrir depuis maintenant trop longtemps, d'être maintenu dans un mensonge permanent.
**
Le prince se faufile dans les couloirs, aussi silencieux qu'une ombre. Le couteau toujours coincé dans sa main gauche. Ses pas le mènent jusqu'à l'entrée des quartiers de son père.
Les images ne cessent de se propager dans son esprit, dévorant toutes ses autres pensées.
Face à la porte, la rage gonfle sa poitrine dans une profonde inspiration. La mâchoire serrée, sa main droite se pose sur la poignée.
Mais avant qu'il puisse la tourner, il entend Asal crier son nom. D'un mouvement rapide il s'éloigne des portes et se précipite à l'extérieur. Ses douleurs le consument. Chaque foulée est une torture. Il sort du vaisseau par le pont arrière, celui qu'il a utilisé quelques minutes avant avec la Kerausienne.
Il n'a pas le temps de poser pied à terre, la foudre s'écrase sur Asal. Les nombreux éclairs et les faisceaux lumineux aveuglent le prince, forcé de cacher ses yeux pour ne pas être désorienté.
- Asal ! s'époumone-t-il, espérant que sa voix surpasse le bruit fracassant du tonnerre.
La colère et la rage le quittent immédiatement. L'adrénaline prend les commandes de son corps. Sa course est rapide et, quand il voit le corps de la Kerausienne s'affaler contre les débris, manque de trébucher. Ses muscles se figent dans un spasm de douleur. Il ne peut éviter la chute.
Ses genoux heurtent le sol. Le choc résonne dans toutes ses prothèses. Il se rattrape sur les mains, elles sont éraflés par les restes de verre, de ciment, de briques et de cailloux. Thane ne parvient pas à réprimer un cri gorgé de fureur.
L'orage gronde au-dessus de sa tête. Il entend sa combinaison se déchirer quand une crampe le cloue au sol, il perd son arme. L'énergie d'Asal dégage trop de puissance, il ne supporte pas l'activité électrique qui menace de le consumer.
Les brûlures provoquées par sa lumières sont plus vives. Il rampe alors sur le sol, à travers les décombres. Des morceaux de verre, des échardes, des clous rouillés viennent attaquer ses membres mais il ne veut pas s'arrêter.
- Asal ! crie-t-il encore une fois.
Il serre les dents et se relève avec difficultés quand il arrive aux côtés d'Asal. Ses mouvements sont saccadés, semblables à ceux d'une marionnette que l'on s'amuserait à tordre dans tous les sens. Après tout, c'est ce qu'il est depuis le début de son existence, un vulgaire pantin, un pion que l'on déplace à sa guise.
Thane saisit la main de la Kerausienne et une longue décharge glisse sur sa peau. Il se fige, ses prothèses vibrent plus fort. Sa vision est obstruée par des dizaines de points noirs, l'horizon se tord dans tous les sens.
- Ne me laisse pas, souffle-t-il, pas maintenant.
Son autre main s'empare du bras d'Asal. Il est secoué par le flux.
- Pas maintenant, répète-t-il.
Il laisse aller un long gémissement de douleur quand il soulève la Kerausienne pour la hisser sur son dos. Thane a alors l'impression d'être projeté sur Voìst avec Kraśt. Cette vision le paralyse.
- Pas maintenant. Pas maintenant. Pas maintenant, ne cesse-t-il de murmurer.
Le prince ne lâchera pas Asal. Il la tient fermement contre son dos. Ses jambes flagellent. Il ne veut pas la laisser, il ne veut pas refaire les mêmes erreurs que sur Voìst.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top