Chapitre 17 : viens on guérit
Après avoir passé tout le trajet de retour, la joue scotchée contre la vitre du van d'Evy, en regardant Phoenix défiler devant mes yeux, je me rends compte à quel point je suis fatiguée. Depuis Seattle, je n'ai dormi que quelques heures et le moins qu'on puisse dire, c'est que mon énergie a été mise à rude épreuve.
J'aimerais me dire que ce petit moment m'a fait du bien. Que ça m'a permis d'ouvrir les yeux.
Et peut-être que c'est bien le cas...
Mais j'ai encore besoin de dormir. De réfléchir.
Machinalement, nous retournons donc vers l'hôtel. On se souhaite bonne nuit et petit à petit, il n'y a plus que moi et Olivia qui me raccompagne jusqu'à ma chambre.
Mais plus on avance dans le couloir, moins mes pas sont rapides... Ce qui n'est pas le cas des battements de mon cœur.
Je ne pourrais pas faire ça encore cette nuit.
Je me fige brusquement sur place et dans une tentative de gémissement, je me tourne vers Olivia qui, talons en mains, me toise, confuse.
— Qu'est-ce qu'il y a, Saddie ?
— Je peux dormir avec toi ?
— Quoi ?
— C'est juste que... J'ai besoin d'un peu d'espace et je... Ça ne te déranges pas ?
La jeune femme m'adresse un sourire dont seule, elle détient le secret et après avoir secouée la tête, entoure mes épaules d'un bras réconfortant.
— Pas du tout. Viens avec moi.
— Merci. soufflé-je alors que je tourne le dos à ma proximité avec l'homme à qui je viens de demander le divorce.
— J'espère sincèrement pour toi que je vais voir mon nom dans les remerciements de ton prochain livre.
Je renifle, amusée, et me presse dans son étreinte en murmurant doucement :
— Je te ferai une page entièrement avec des éloges, si je réussis à fermer l'œil, cette nuit.
— Vendu ! Est-ce que c'est de la triche si je t'offre un verre d'eau qui aurait étrangement le goût d'un somnifère ?
— Oui !
Olivia roule les yeux au plafond et grogne, non sans un sourire sarcastique.
— Je ne fais que demander, ce n'est pas la fin du monde !
J'essaye de rire avec elle, mais mon sourire s'efface un peu trop rapidement.
J'ai vraiment besoin de dormir.
***
Le lendemain...
Trois destinations différentes. Trois départs de trois amis qui m'ont autant manqué qu'ils me manqueront davantage, une fois repartis.
Voilà où on en est, après une dure soirée de retrouvailles.
Lucas agite son ticket pour Washington devant son visage marqué par la fatigue, tandis que Beau essaye de caler un petit coussin derrière sa nuque, visiblement tout aussi éreinté.
Personne n'a dormi, cette nuit. On n'a pas besoin de se le dire pour le savoir. Et si j'ai passé ces heures de tourmente dans la chambre d'Olivia, je sais pertinemment qu'elle aussi, n'a pas réussi à fermer l'œil.
On était juste allongées, l'une à côté de l'autre, se ressassant sans cesse les mots de la direction de Ceolia, du gouverneur...
Et bien ceux qui nous avons tous osé énoncer, après la fiasco de la cérémonie.
Toujours habillée de la même robe qu'hier, j'essaye de la lisser sur mes cuisses pour la débarrasser de ses plis. Mon reflet dans la vitre du distributeur me donne l'impression d'avoir fait un walk of shame...
Voilà une perspective qui aurait déplu à Holden.
Je me fige, en pensant à lui, sentant un picotement âcre parcourir mon échine au point d'affluer mon cerveau d'encore plus de doutes.
Mais malheureusement, je n'ai pas le choix.
Je ne pourrai pas retourner à Seattle comme ça.
C'est cependant avec un sourire grand comme le monde que je me tourne vers Evy qui, le nez enfoncé dans un café Starbucks, fait tourner autour de son doigt, ses clefs de van.
— Tu vas retourner dans le Colorado, alors ?
— Sûrement. Je n'en sais rien encore.
Entre deux crises hier, nous avons tous pu remarquer que si sa voiture était en bordel, c'est surtout parce qu'il n'y avait bien plus d'affaires qu'aucun d'entre nous aurait pu ramener pour une simple soirée...
Personne n'a rien dit, parce qu'on est de la même souche, peu importe si on s'habille d'un costume Armani, d'une robe Givenchy ou de foutus de Doc Martins.
On est ce qu'on est.
Fantomatiquement inexistants.
Je prends une grande inspiration et noue et ramène ma sacoche à moi pour en sortir un bout de papier et un stylo.
— Je veux que tu prennes ça.
— C'est quoi ? questionne-t-elle en se dressant sur la pointe des pieds pour jeter une œil à ce que j'écris.
— Mon numéro et mon adresse à Seattle. Si jamais t'es dans le coin, si jamais tu as besoin... Tu as envie, me reprends-je, de venir discuter, ce serait avec plaisir. Tu m'avais vraiment manqué, tu sais ?
Evy souffle sur l'une de ses mèches rousses et j'aperçois enfin un sourire se frayer sur son visage moucheté de petites taches de rousseur.
— T'es quelqu'un de bien, Saddie.
— Tu es quelqu'un de meilleur, Evy.
Elle saisit doucement le petit bout de papier et éclate d'un rire sincère.
— Fallait que tu vives sur la côte ouest, hein ? L'humidité, la pluie...
— Tu sais que j'ai toujours adoré la pluie.
La vérité, c'est que j'ai aimé la pluie, le premier jour où je me suis réveillée à l'hôpital et que des gouttes, grandes comme le monde, s'effondraient suffisamment fort sur les vitres de notre chambre d'hôpital pour faire taire les cris dans le couloir.
Mais ça, personne n'a besoin de le savoir.
— Il y a un truc qui tourne pas rond, chez-toi. grince-t-elle en fronçant les sourcils.
— Chez nous tous.
Elle s'apprête à répondre, mais Lucas s'interpose en frappant le cadran de sa montre avec son doigt.
— Bon. Ce n'est pas que je n'ai pas envie de rester, mais je vais être en retard pour mon vol. Alors...
Il ouvre en grand les bras et, presque aimantée, je me retrouve à le serrer plus fort que quoi que ce soit dans le monde.
— Tu continueras à courir ?
— Je te dédie mon prochain marathon. À condition que tu te bouges et tu fasses quelque chose du fémur que je t'ai laissé.
Je ris, même si ça n'a jamais été drôle.
Il en fait autant.
On est vraiment qui on est, hein ?
Morbidement incorrect.
Quand on se sépare, il passe sa main dans la coupe garçonne d'Evy, avant de se prendre une mini-claque, ce qui nous fait tous bien sourire.
— Vas bien te faire foutre, Lucas Vear.
— Toi aussi, Evy personne-n'a-jamais-su-mon-nom-de-famille.
Elle lui tend son plus beau majeur, mais il l'ignore magistralement avant de se tourner vers Beau et Olivia, eux aussi prêts à partir.
Cette dernière lâche néanmoins sa valise pour me serrer une dernière fois dans ses bras.
— Prends soin de toi.
— Toi aussi. Et... Merci pour tout.
Son sourire légendaire étire à nouveau ses lèvres pulpeuses et arque un sourcil.
— J'ai fait beaucoup de choses pour mériter mon nom dans les remerciements spéciaux de ton livre, n'est-ce pas ?
— Olivia...
— Je pouvais bien essayer !
Je me range aux côtés d'Evy et après leur avoir souhaité à tous un bon retour, je les regarde s'éloigner avant de disparaître.
Et pendant un instant, ça me ramène en arrière.
À une époque où on avait trop peur de se regarder dans les yeux.
Quand le gouverneur lui-même était venu nous donner nos diplômes et que la cérémonie s'était déroulée en silence, hormis bien sûr quelques applaudissements cordiaux.
On ne s'était jamais reparlés. Pas depuis qu'on avait quitté les quatre murs de l'hôpital.
Pas depuis qu'on s'était menti, en regardant dans les yeux de l'autre, jurant qu'on avait la belle vie, puisqu'on avait survécu.
On n'avait pas survécu.
On est toujours là, en train de se séparer...
Morts comme des tombes, ensevelis sous une tonne de lierre et de mousse.
Amère, je me tourne vers Evy qui se dirige déjà vers la sortie de l'aéroport et s'écrie :
— Faut que je me dépêche ! Je refuse d'avoir un PV avec le nom de "police de Phoenix" dessus.
— Pourquoi ? Est-ce qu'il y a une ville en que tu affectionnes particulièrement pour tes prunes ? ironisé-je en me frayant un passage à travers la foule.
— Je préfère Détroit encore, que Phoenix.
— Tu y vas fort, là, non ?
On rit toutes les deux, jusqu'à atteindre son van, garée en double file. Et heureusement, parce qu'en effet, plusieurs contrôleurs se tournaient déjà vers le véhicule, intéressés par l'occasion qui se présentait.
Mais alors qu'Evy a à peine le temps de s'asseoir sur le siège conducteur...
Le bruit d'une voiture de luxe nous attire toutes les deux.
Le logo du trident parle de lui-même.
Et avec la Maserati vient le cauchemar aussi noir que sa carrosserie matte...
Cole.
Je ne suis pas surprise.
Malgré le fait que je me retrouve paralysée, je sais et accepte le poison envahissant qui embrase mes veines comme une injection létale.
Mais dans cette miséricorde, intervient Evy qui me tend la main et qui m'assure le plus impétueux des défis, d'un seul et unique regard.
— Viens avec moi. Lâche tout et viens retrouver ce qu'on a perdu. Une période où l'on se disait qu'on avait escaladé la plus grande montagne sur Terre, simplement parce qu'on avait réussi à franchir à vélo la colline qui donnait sur toute la ville. On vivra sans passé et sans lendemain, sans avoir peur de ce qui avait jadis été et de ce qui se produira. On leur dira merde à tous et on hurlera sur ceux qui diront qu'on est folles. On verra le Grand Canyon. On fera suffisamment d'aventures pour qu'on puisse dormir sans avoir peur des cauchemars. Parce qu'on aura pas le choix... À la fin de la journée, on sera si épuisées qu'on n'aura pas l'énergie d'y penser. Viens, on guérit.
Il y a du désespoir dans ce qu'elle dit.
Un mal-être suffisamment profond pour que son œil aveugle étincelle autant qu'un ciel étoilé lors d'un solstice d'hiver.
Cette partie-là voit peut-être plus que ce que l'autre peut apporter.
— "Viens, on guérit". répété-je doucement en lui serrant la main avec tendresse.
— Oui. J'irai embrasser Ozzy Osbourne et tu danseras sous la pluie.
Un plan à la Thelma et Louise.
Viens, on saute d'une falaise.
Je secoue la tête, soudainement consciente que, malgré la tentation de sa proposition et ma violente envie de la rejoindre dans un road trip thérapeutique, j'ai assez fui.
Viens, on arrête de se mentir.
— Tu as toujours été la plus dingue de toutes, Evy et... Ne change jamais. Mais je l'ai fait, ça, déjà. Je crois qu'il est temps pour moi de... D'accepter que je ne peux pas toujours tout rejeter.
L'œil valide de la rouquine se pointe sur Cole et elle se détache de moi pour se cramponner à son volant.
— Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais quelque chose me dit que tu t'apprêtes à te faire très mal.
J'hausse les épaules et lui ferme sa porte.
— J'ai un jour lu dans un livre que les cœurs ne peuvent pas se briser, puisqu'ils ne sont pas faits d'os. Alors... Ne t'inquiète pas. Ça va aller pour moi.
Dubitative, elle plisse du nez et marmonne en enclenchant le moteur de son van :
— Un conseil, Saddie. Arrête de lire. Le monde réel ne te donne pas l'occasion de simplement fermer le livre, quand il devient trop effrayant. Tu le subis et tu as intérêt à le supporter.
Et sur un crachat de fumée noire, Evy disparaît aussi finement que les autres en me laissant toute seule sur le trottoir de l'aéroport.
Je devrais la rattraper.
Je ne veux pas qu'on se quitte comme ça.
Mais alors que je soupire, désemparée, je sais que j'ai raison.
J'en ai marre de fuir en pensant que c'est plus facile. Ce n'est pas vrai.
La preuve est actuellement séparée de moi d'une seule et unique route.
Ce chapitre aurait dû venir mercredi comme convenu, mais j'étais persuadée qu'on était mardi, ce jour-là ! Bref, aujourd'hui (enfin, jeudi pour vous 😂) a été chaotique donc je n'ai pas pu vous poster ce chapitre... L'essentiel, c'est qu'il est là et que, ne vous inquiétez pas, il y en aura bien un tout à l'heure (je peux dire ça car il est actuellement vendredi 😂) donc vous n'aurez pas à attendre longtemps la fameuse conversation tant attendue entre une Saddie déterminée à se reprendre en main et un Cole jusqu'à présent trop mystérieux...
À votre avis, comment ça va se passer ? 😏
En attendant, dans ce chapitre, on assiste aux au-revoirs, dirais-je même adieux, de la petite clique et... Perso, Evy me touche en plein cœur 🥺 pas vous ?
Que pensez-vous de la décision de Saddie quant à son refus de fuir encore ? S'appliquera-t-il aussi à Holden, toujours à l'hôtel ?
N'hésitez pas à lâcher un vote, ça fait tjr plaisir et à me dire en commentaires ce que vous en avez pensé ! 😘
Et à 21h, la suite de Saddie 😎
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