Chapitre 11.2- Ozalée
Moi qui pensais rentrée l'esprit plus libre, c'est tout le contraire. J'observe, encore une fois, mes fiches que j'ai remplies avec Fil en passant mon portail. Bien que le patron m'a assuré être présent demain matin pour l'ouverture, je stress déjà. Qui aurait cru qu'un simple petit café puisse se boire de toutes ces manières ? Sans parler des codes et des mesures d'hygiène à respecter. Tellement de règles que je me perds déjà dans toutes mes notes. Je vais devoir réécrire tout cela au propre. Motivée, je passe le seuil d'entrée et me déchausse. La silhouette de ma grand-mère apparaît rapidement, or je mine de l'ignorer. J'ai trop de choses en tête pour l'ajouter à l'équation. Sans compter sur la colère qui m'anime encore quand mon regard se pose sur elle. Plongée dans mes écritures, je me dirige vers ma chambre. C'est une petite pièce au fond du couloir. Elle ne dispose que d'un bureau en dessous de la fenêtre et d'un lit une place derrière celui-ci. Une grosse armoire en chêne remplie de mes jouets d'enfant réduit un peu plus cet espace au couleur pêche. Sobre, toutefois, c'est mon coin de souris à moi. Idéale pour les moments comme aujourd'hui.
- Ozalée, s'il-te-plaît, il faut qu'on parle.
Sa voix fatiguée me parvient avant que je claque la porte. Je crois simplement que je refuse le dialogue dans l'espoir de repousser ce moment où je serai forcé de voir les choses en face. Réalisée que Rose est la digne mère de mon paternel et qu'elle s'est jouée de moi elle aussi. Franchement, combien de petites filles peuvent témoigner d'être kidnappées par l'organisation de sa mamie ? Faut vraiment avoir une famille de tarés, la mienne en l'occurrence. Je me pince l'arrête du nez en m'asseyant, lasse, sur ma chaise de bureau.
J'ai pourtant pas le temps d'un autre geste que ma porte s'ouvre. J'hallucine. Jamais Rose ne s'était permis un tel laisser passer. Même lors de mes grosses dépressions après un conflit avec mon père. Les choses changent et pas vraiment à mon goût. J'opte pour une attitude de sourde et campe sur ma première décision.
- Tu peux rester silencieuse si tu le souhaites, commence mon aïeule en se posant sur le rebord de mon lit. Toutefois, moi, je vais parler.
Elle laisse planer un léger silence avant de poursuivre.
- Je comprends que ces derniers jours ont pu te choquer et j'en suis terriblement désolée, ma libellule. Jamais j'aurais cru que ces idiots seraient capables de ça, crois moi. Cependant, je ne saisis pas pourquoi tu as voulu vendre un de nos héritage de famille.
Mon cœur s'affole face à cette agression et je perds mon calme. Ma chaise grince sur le parquet pour se placer dans la direction de ma grand-mère.
- Parce que tu insinues que c'est ma faute ! m'étranglé-je.
- Mais non, reprend-t-elle, penaude. C'est juste pour que tu comprennes qu'ils ont cru que tu étais une menace.
- Oui bien sûr! Vis à vis de tes labos pharmaceutiques, c'est ça ?
C'est une manière assez arrogante de m'adresser à elle. Il faut avouer que tout ce qu'elle m'a raconté est légèrement tiré par les cheveux.
- Oui ! soutient-elle. Tu sais, ces hommes nous en ont fait voir de toutes les couleurs. Sorcière, démon ou même assassins ont été nos diminutifs pour nous désignés à la population. Un savoir à exterminer.
- Juste pour des plantes, me moqué-je. Froissé, le visage de Rose change, devient plus dur. Il est rare que ses rides soient autant marquées.
- Le druidisme est un savoir ancestral. Qui a été perdu au fil des siècles. Ce ne sont pas que des plantes, ni de la magie, c'est un langage unique que nous offre la nature.
La voilà repartie, elle a beau le mentionner encore une fois, ça me paraît toujours autant surréaliste. Si la vie m'a appris une chose c'est que nous sommes bien loin d'être dans une BD ou un film fantastique. Nous nous devons d'accepter l'existence et toutes les merdes qui s'enchaînent.
- Je crois, mamie, que tu devrais vraiment aller consulter le médecin.
Elle soupire, puis se relève.
- Tu n'écoutes pas, libellule. Tu fais ton Karl.
Je fronce les sourcils. C'est la pire insulte qu'elle puisse énumérer. Je n'étais pourtant pas comme lui. Moi, je n'empêchais personne de vivre. C'était même tout le contraire, je voulais seulement qu'on me laisse tranquille. Qu'aucune entrave ne me relie à quelqu'un. Que personne ne me contrôle ! Je la vois rejoindre le couloir la tête baissée. Au milieu de tout ce chaos, des bribes de mon enfance remplissent mon esprit. Sa tunique à fleurs a longtemps été un repère de bonheur. L'idée que cela soit différent aujourd'hui me serre la poitrine de façon dangereuse. Je ne voulais pas me briser.
- Dit moi... commencé-je d'une faible voix. Quand j'étais petite et que tu m'apprenais tes remèdes. C'était... c'était en prévision de ta... condition ?
Je mâche mes mots. À vrai dire, l'annoncer à voix haute donne du sens à ce que je craignais le plus. Tout comme mon père a bâti ma route, j'ai peur de découvrir que celle en qui j'ai le plus confiance, m'avait elle aussi tracé une voie à suivre. Cette sensation d'être une souris dans un parcours ne m'est pas étrangère, mais jamais je ne l'ai eue dans cette maison. C'est d'ailleurs pour ça que je suis venue me réfugier ici. Rose a toujours été un havre de paix dans ma vie.
- Ozalée, ronfle-t-elle. Te souviens-tu de ton intérêt quand je t'apporte mes tisanes lorsque tu as un rhume ?
Je n'ai pas beaucoup à cogiter. Les remèdes de ma grand-mère portent bien leur nom. En plus d'être efficaces, ils sont souvent très bons, elle me rajoute toujours une touche de sucré afin que je grimace moins.
- Te rappelles-tu de ce myosotis que tu voulais absolument sauver ?
Lorsque que je devais avoir sept ou huit ans, lors d'un pique nique, une fleur bleu clair avait attiré mon attention. Elle luttait dans la sécheresse de l'été entre deux brins d'herbe déjà jaunis. Rose m'avait alors aidé à la déraciner et nous l'avions mise en pot. J'avais pu lire la fiche qu'elle possédait sur cet inflammatoire puissant.
- Je t'ai appris mes connaissances parce que cela t'intéressait. C'est tout. Pouvoir passer du temps avec toi est mon seul cadeau, ma libellule. Quand j'ai parlé d'entraînement ce n'était que dans le but de te protéger. Imagines-tu ce que j'ai ressenti en te découvrant là-bas ?
Ses pupilles se dilatent et ses iris se voilent comme si elle replongeait aussi dans ce lointain souvenir, puis munie d'un grand sourire, elle m'invite à la rejoindre en m'ouvrant les bras. J'observe avec plus de légèreté les clichés encadrés dans le couloir, même si certains où nous étions tous ensemble, la plupart ne sont que des portraits de moi. Mon regard s'embrume à cette constatation et je m'engouffre contre la poitrine réconfortante de Rose. Je peux sentir mon corps se relâcher, s'abandonner aux bras protecteurs qui l'entourent. Mes muscles lâchent un à un, comme des élastiques détendus, et ma respiration reprend un rythme normal.
- Ma petite, ma douce petite. Je préfère que tu m'en veuilles plutôt que de disparaître encore, chuchote-t-elle à mon oreille.
Je secoue énergiquement la tête pour clôturer notre dispute. Certes d'autres explications viendront, néanmoins je ne lui en veux pas. C'est elle qui m'a sorti de cette cave sordide. Les raisons de cette secte ne remplaceront pas le cauchemar que j'ai vécu. Nous restons ainsi un long moment, à se bercer mutuellement, puis elle alla préparer du thé.
En silence, nous le partageons, face à face dans le salon. Je peux sentir que ma présence l'apaise et la sienne m'offre ce réconfort perdu. Le feu crépite dans l'âtre, laissant le bruit de cheminée suspendre ce bien-être qui nous englobe. Le temps s'écoule lentement, comme si le sablier était posé à l'horizontale pour quelques instants.
- Finalement cette place de serveuse ? Elle te plaît ? Tu te sens à ta place là-bas ?
- Tout se passe à merveille, répond-je même si je n'en suis pas certaine.
Quelques fois peut-être. Des moments fugaces, tels des cadeaux inespérés tombés du ciel dont il faut vite se saisir avant qu'ils ne disparaissent à nouveau. J'ai toujours eu peur de l'avenir, des conséquences, du lendemain. Effrayée d'avoir des rappels du passé. J'essaie de ne songer qu'au présent, de me rassurer, mais ce n'est pas dans ma nature. Aujourd'hui, paradoxalement, j'ai l'impression d'avoir choisi ce destin et même si j'ai peur des prochains jours, il s'impose à moi comme mon seul espoir. La seule existence possible et accessible en restant indépendante. Cependant, la vie aime se jouer de nous et dans cette partie, je ne suis pas souvent vainqueur. Je sais que je dois rester sur mes gardes et mon remplacement lors de cet emploi sera décisif.
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