18. Celui qui reste

Je m'excuse pour le retard, je n'avais pas du tout d'inspiration pour ce chapitre ces derniers dimanches, et c'est seulement hier que j'ai eu une illumination. Alors ce chapitre est un peu plus court que d'habitude, mais je voulais au moins vous offrir ça ! Et on va tenter de reprendre le rythme de tous les dimanches, je crois en moi!! Le prochain chapitre est déjà à 1500 mots, c'est le périple de Lance aux enfers, qui est un peu parallèle à ce chapitre là. J'avais d'ailleurs l'intention de le poster d'abord, mais j'ai finalement terminé celui-là en premier.

Ps : je ne me suis pas relu, je ferais ça demain, n'hésitez pas à me signaler les coquilles, j'ai écrit assez vite...

Caly 🍀

"Comment aller aux Enfers ?"

Livré à lui-même, Keith avait tourné en rond des heures durant, comme un lion dans une cage, la tête remplie de cette seule question, qui se répétait en boucle. Et elle n'était pas seule : sa sœur l'accompagnait, une demande qu'il n'aurait jamais pensé formuler un jour.

"Comment aller au Paradis ?"

Car plus Keith réfléchissait, et plus cette solution lui paraissait être la meilleure. Bien qu'il ai eu tout d'abord du mal à l'accepter, il devait reconnaître que cette option était la plus évidente compte tenu de la situation. En effet, s'il ignorait presque tout des Enfers, il en savait assez du Paradis pour se rappeler qu'il s'agissait d'un lieu stratégique, peuplé d'anges formés au combat et d'anciens chefs militaire. De plus, son statut d'ancien ange était encore valable, lui permettant sûrement d'être autorisé à y pénétrer. Même s'il était censé être en exil, les informations qu'il détenait sur une possible attaque des Enfers sauraient attirer l'attention de ses supérieurs. C'était donc le meilleur moyen d'aller aux Enfers. Seul, sans ressources, il n'avait aucune idée de comment s'y rendre, encore moins de comment récupérer son protégé sans lancer une armée de démons à ses trousses. Avec l'aide des Archanges, ou même des Anges mineurs ou la Milice, les probabilités de victoire augmentaient considérablement. Il avait donc fini par parvenir à la conclusion qu'il lui fallait entrer en contact avec l'Elysée pour leur faire part de la situation. Bien sûr, cette solution n'était pas pour l'enchanter, et il aurait préféré se débrouiller seul, comme il l'avait toujours fait. Mais même s'il aimait gérer ses affaires en solo, il n'était pas idiot, et savait qu'il n'aurait aucune chance. A contrecœur, il s'était résigné à chercher l'aide de ses anciens maîtres.

Hélas, même si le problème de savoir quoi faire était résolu, cela ne l'éclairait pas plus sur la façon de procéder. En effet, la seule manière qu'il connaissait d'entrer au Paradis était de mourir, et ce n'était plus une possibilité pour lui. Autrement, on ne lui avait laissé ni adresse, ni personne à appeler, et il doutait qu'on puisse trouver ce genre de renseignements dans un banal annuaire. Il avait donc commencé à se rendre dans des églises, des cimetières, n'importe quel endroit qui pouvait avoir un lien quelconque avec le Paradis, même s'il savait qu'il avait peu de chance de trouver des informations : malgré son nom, le Paradis n'était pas destiné aux personnes de conviction religieuse, il s'agissait simplement du "bon endroit" après la mort, qui apparaissait différemment aux défunts selon leurs croyances. Tout était fait pour que les morts soient les plus sereins possible, dans l'environnement qui leur convenait le mieux.

Ainsi, il avait inconsciemment choisi l'endroit où il désirait habiter, dans une maison posée au milieu d'un paysage désertique. Lance, il en était sûr, se serait trouvé aux abords d'une plage, à Cuba. Il était très attaché à ses racines, et la mer l'apaisait. Il en avait parlé une fois à Keith, lui racontant à quel point les bruits de la mer et la vue de l'océan avaient un effet bénéfique sur lui. La pensée que Lance, ce même Lance qui avait parlé avec un enthousiasme palpable des beautés de son pays, puisse être à l'instant même aux proies d'un démon donnait mal au cœur à Keith. L'ange n'était même pas sûr que Lance pût survivre là-dessous, en enfer, surtout qu'il n'avait aucune idée de ce qu'on pouvait bien lui y faire subir. Mais un être aussi innocent et aussi pur ne pouvait en ressortir indemne. Il n'avait entendu que des bribes d'informations, glanées çà et là au Paradis parmi les objecteurs de conscience, mais c'était suffisant pour qu'il sût qu'il n'était pas préparé.

Keith, bien qu'il n'ait eu affaire pour la première fois aux petits tours des démons que la veille, en connaissait un rayon question tortures mentales et manipulations psychologiques. Était-ce un reste de son existence humaine, où chaque phrase qu'on lui adressait était soigneusement façonnée de manière à le toucher en plein coeur, là où la douleur serait plus grande ? Ou simplement une des conséquences de son séjour au Paradis, de la période où il avait eu les yeux finalement ouverts sur le joli emballage qu'on utilisait pour que les âmes des défunts ne se posent pas de questions ?

Sur Terre, il avait appris à ne s'attacher à rien, à personne, car tout pouvait être utilisé pour lui faire du mal. Au fil des ans, il s'était composé une carapace, qui lui permettait de résister aux moqueries et aux railleries de ses camarades. Effacé, discret, il se fondait dans le décor pour éviter le moindre esclandre qui aurait pu mal tourner. Le moindre regard qu'on lui jetait était devenu suspect, la moindre parole susceptible d'abriter un sous-entendu vexant. Quand on s'en prenait à lui, en lui intimant de réagir, en lui faisant violence parfois, il s'appliquait à ne laisser paraître aucune émotion, à refouler les larmes qui de toute manière avaient déjà bien trop coulé. Il était habitué à décrypter le faux du vrai, à prendre du recul, à remettre en question tout ce qu'on lui présentait.

Mais Lance, Lance n'avait pas cette capacité d'adaptation. Lance n'avait jamais expérimenté la même chose que Keith, et cela le rendait d'autant plus vulnérable aux manipulations des démons. Il risquait de finir brisé psychologiquement, et il était impossible que l'ange se tourne les pouces alors que la personne qu'il considérait la plus importante au monde souffrait en l'appelant à l'aide.

Il y avait longtemps que Keith s'était rendu compte de l'impact que Lance avait dans sa vie. Mais il avait tenté de ne pas trop y prêter attention, jusqu'à ce qu'il le voie disparaître dans les bras de Lotor. L'horreur s'était abattue sur lui comme une vague, et le manque avait déferlé avec la force d'une tempête la seconde d'après. Il était resté seul sous le grand arbre, et la douleur de voir partir un être si cher dans un endroit qu'il ne pouvait pas atteindre l'avait foudroyé. Elle en avait presque été physique, et il aurait juré que son coeur s'était déchiré. Il n'y avait aucun mot assez puissant pour décrire la force du sentiment qu'il avait éprouvé, mais «désespoir» était celui qui s'en rapprochait le plus.

Sans Lance à ses côtés, il avait senti les araignées remonter de ses entrailles et recommencer à tisser leurs toiles autour de sa cage thoracique, l'empêchant de respirer. Il savait que l'humain comptait sur lui, mais ses insécurités de toujours reprenaient le dessus, maintenant que personne n'était là pour les tenir à distance. Les premières heures avaient été les plus difficile. Il avait tenté de s'endormir, mais s'était réveillé au bout d'une heure, et encore dans cet état de demi-sommeil où on ne se rappelle pas de tout, il avait cherché Lance à tâtons sur le matelas auprès de lui. La réalité lui était revenu en pleine face quelques instants après, et pour ne plus revivre ce moment où tout son espoir était retombé lourdement, il avait décidé de ne plus dormir.

Cela faisait maintenant six heures, vingt-cinq minutes et trente-deux secondes qu'il avait pris cette décision, et presque autant de temps passé à chercher vainement une solution. Certes, il avait plus ou moins validé l'option d'appeler le Paradis à la rescousse, mais comment faire ? Il en revenait toujours au même point. Alors, pour ne pas se laisser envahir par les sentiments négatifs, il pensait à Lance. Il visualisait les traits de son visage, ses yeux bleus, si atypiques pour un cubain, ses cheveux caramel qui bouclaient aux extrémités quand il les laissait un peu pousser, son nez franc et droit, son sourire enthousiasme dès qu'il se lançait dans un nouveau projet.

Ce n'était pas la première fois que Keith pensait à Lance pour s'apaiser. Au fur et à mesure que leur relation devenait celle d'amis proches, il s'était habitué à faire appel à lui mentalement pour calmer ses pulsions. Il l'imaginait lui dire de respirer, de ne pas se laisser submerger. Il le voyait rire, se tourner vers lui pour lui expliquer à quel point telle ou telle chose était passionnante. Parfois, dans certaines visions, il l'embrassait. Il lui caressait le dos, la nuque, la joue, avant de poser ses lèvres contre les siennes. Celles-là étaient les préférées de Keith. Il éprouvait un curieux sentiment à l'idée de Lance en train de l'embrasser. Une sensation ni tout à fait désagréable ni tout à fait agréable.

Ces rêveries, il ne les partageait pas avec l'intéressé. Il avait bien trop peur qu'il le prenne mal, ou le regarde différemment. Mais ça, c'était avant qu'il avoue être attiré par les hommes. Il n'avait pas eu bien le temps d'analyser la réaction de Lance à cette annonce, mais elle n'aurait sûrement pas été celle qu'il aurait aimé qu'il ait. Et maintenant, il ne parvenait plus à aller plus loin dans ses rencontres imaginaires. Il voyait Lance lui sourire, lui dire que tout allait bien aller, mais dès qu'il s'approchait pour l'embrasser, la rêverie s'évaporait. Il se freinait lui-même, ne s'autorisait pas à continuer ce qu'il considérait comme un abus, même dans sa tête. Il était persuadé que Lance aurait été dégoûté s'il avait appris les pensées que le brun nourrissait à son égard. Alors par respect, il n'allait pas jusqu'au bout de ses fantasmes.

Mais même si penser à lui calmait momentanément les frémissements de son esprit, les mêmes images revenaient à la surface, comme des poissons morts que le courant ne parvient pas à emporter. Rien n'y faisait. Il fallait qu'il retrouve Lance, qu'il retrouve cet être sans qui il ne pouvait pas vivre. Même s'il n'était plus vivant, biologiquement parlant. Lance était son garde-fou, la rambarde qui l'empêchait de tomber dans le vide malgré les secousses. Son sauveur. Il ne pouvait pas le laisser seul, aux Enfers. Lance méritait plus que les Enfers. Lance méritait tout le bonheur du monde ! Lance méritait de l'amour à n'en plus finir. Et Keith avait beau se sentir incapable de donner cet amour, il était persuadé qu'un autre y arriverait. Mais pour ça, il fallait que Lance revienne sur Terre. Alors, puisque personne ne venait à son aide, il devait aller jusqu'à l'aide. Et c'est en formulant cette volonté dans sa tête qu'une idée folle, démesurée lui vint.

Pris d'une soudaine volonté, Keith sortit à l'air libre. Il regarda le ciel bleu, seulement obscurci de quelques nuages à la texture de coton. Il n'y avait jamais réfléchi avant, mais l'endroit d'où il venait était supposé se trouver au ciel. Le Paradis n'avait sûrement pas ses quartiers installés dans un cumulonimbus, mais il était pourtant bien tombé d'en haut pour arriver ici. Alors peut-être que le moyen le plus sûr d'y accéder était de voler jusqu'à trouver l'Élysée, ou bien de tomber d'épuisement. Il n'avait pas d'autre choix que d'essayer pour savoir.

Il prit une grande inspiration. Il pouvait le faire. Il devait le faire. Il ouvrit ses ailes, doucement. Il perçut le vent qui bruissait contre les plumes, et il étendit les mains pour mieux ressentir les courants d'air qui lui permettraient de voler le mieux possible. Puis il battit des ailes et décolla.

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