Chapitre 2

— Tu ne m'as pas rappelé hier soir, note Matthieu sur un ton de reproche, à peine suis-je assise dans sa voiture.

Ça commence bien.

— Bonsoir déjà.

Il se penche et m'embrasse, avant de démarrer sans répondre. Je soupire en étendant mes jambes.

— Oui, c'est vrai, désolée. J'allais le faire et Caro est arrivée... j'ai oublié.

— Caro ? Je croyais que tu ne voulais rien faire hier.

— Elle s'est incrustée, je n'ai pas réussi à la mettre dehors.

— Bref. Bon, ça y est, t'es en vacances.

— Oui. Enfin. Une semaine sans clientes, sans caisse, sans fringues à plier, et sans rester debout toute la journée...

— Du coup, ça te dit de venir déjeuner chez Philippe et Daphné samedi ? Ce serait chouette, pour une fois que tu ne bosses pas...

Oh oui, j'en meurs d'envie. Autant que de me tirer une balle dans le pied.

Depuis que les meilleurs amis de Matthieu sont parents, plus question de sortir, ils reçoivent chez eux uniquement pour ne pas perturber le petit être, et encore, seulement le midi parce qu'ils sont crevés.

— Volontiers.

— Super. Tu vas voir, la petite a bien grandi. Elle a eu sa première dent.

Comme si j'en avais quelque chose à foutre.

— Et sinon, t'as prévu quoi de beau ? reprend Matthieu devant mon silence.

— Voir un peu mes parents, on ne fait que se croiser en ce moment. Je vais aussi aller passer une journée chez mon frère et sa copine, elle ne va pas tarder à accoucher. Une après-midi hammam avec Charlotte mardi, un déjeuner chez Capucine, et lire, ranger l'appart...

— Passionnant comme programme, grince-t-il.

— En même temps, si t'avais posé des congés, on aurait pu partir tous les deux.

Mon ton est plus agressif que prévu, mais il m'agace avec ses réflexions. Je me tourne vers la fenêtre et regarde les rues défiler.

Un silence pesant s'installe.

Quand on commence à sortir avec quelqu'un, on ne peut jamais vraiment être sûr de la tournure que prendra la relation. Peut-être que si on pouvait voir l'avenir, on s'économiserait du temps et des sentiments.

Matthieu et moi nous sommes rencontrés dans un bar il y a un peu plus d'un an. Je buvais un café avec mes amies Charlotte, Caroline et Capucine, il prenait une bière avec ses potes à la table d'à côté. Après une heure d'œillades et de sourires en coin il m'a convaincu de lui laisser son numéro. Le lendemain il m'appelait, le surlendemain j'étais dans son lit.

Depuis, je suis célibataire à mi-temps. Entre nous, pas de malentendus. Ni « je t'aime », ni projets à plus d'une semaine. Pas plus de double brosses à dents dans la salle de bain que de culottes à moi dans ses tiroirs. On passe le temps, c'est tout. Ma seule exigence : l'exclusivité. Le jour où il voudra aller voir ailleurs, je lui rendrai sa liberté, mais en attendant, pas d'autres personnes entre nous. Avec le temps, nous nous sommes attachés l'un à l'autre, sans pour autant avoir la moindre envie d'engagement. Deux ou trois nuits par semaine, des soirées de temps en temps avec ses amis ou les miens, et une semaine de vacances à l'occasion, cela nous suffit à l'un comme à l'autre.

Il n'empêche quand même que sans amour comme ciment, c'est parfois compliqué de nous entendre.

— Tu vas faire la gueule toute la soirée ? me demande-t-il en se garant.

Je le regarde avec provocation.

— Tu sais ce que tu as à faire pour me redonner le sourire...

Une lueur d'intérêt s'allume dans ses yeux et il s'exécute dès la porte de son appartement refermée. Il faut bien qu'il y ait quelque chose qui nous fasse rester ensemble.

***

— Ça va mieux ? me demande-t-il avec un sourire en embrassant mon dos nu.

— Oui, je suis calmée, je réponds en m'étirant.

— C'est toujours un plaisir...

J'écarte les draps et me lève pour aller me doucher tandis qu'il paresse encore au lit, son téléphone à la main.

Je passe dans l'entrée récupérer ma trousse de toilette et des vêtements de rechange. Il est presque vingt-et-une heure trente, à cette heure-ci, je peux enfiler l'une des nuisettes sexy que je réserve à mes nuits avec lui.

— Canon, apprécie-t-il avec une moue approbatrice en passant près de moi pour rejoindre à son tour la salle de bain.

J'imagine que c'est censé être un compliment.

Je profite de sa douche pour chercher de quoi dîner dans la cuisine mais à part quelques yaourts et du gruyère râpé, il n'y a rien dans le frigo. Les placards sont plus ou moins dans le même état. C'est un de nos points communs. Je laisse vite tomber et m'installe sur son canapé avec un livre. J'ai beau avoir abandonné mes rêves, je n'en reste pas moins une lectrice assidue.

— Lou, t'es où ?

— Dans le salon, je lis.

— Tu veux sortir manger ? demande-t-il en me rejoignant, une serviette nouée autour de la taille.

Je dois me concentrer sur ses pectoraux humides pour ne pas m'énerver.

— On n'avait pas parlé d'aller dîner dehors, je me suis démaquillée là.

— Et t'as pas ta trousse de maquillage sur toi ?

— Si, mais il est déjà tard et je suis crevée Mat. J'ai pas envie de me préparer à nouveau. Fallait me prévenir avant si tu voulais sortir. En plus ça va être galère pour trouver un resto qui ne sert à cette heure-ci.

— T'excite pas bébé, c'est bon, on reste ici, c'était juste une proposition, fait-il en allumant la télévision sur la première chaîne, sans même prendre la peine d'enfiler un caleçon.

— On sort demain soir si tu veux.

— Nan, je mange chez mes parents, je te ramène demain aprèm, murmure-t-il, hypnotisé par l'écran. Du coup, Sushis ou pizza ?

— Hein ?

— Pour ce soir, je commande quoi ? Qu'est-ce que tu préfères ?

Je préfèrerais que tu t'habilles et que tu me regardes quand tu me parles. Je préfèrerais que tu m'emmènes directement dîner au lieu de me prendre la tête et que tu n'aies pas envie de sortir uniquement après ma douche. Je préfèrerais ne pas passer mon samedi soir à regarder des imbécilités à la télé qui me font perdre un point de QI à chaque minute. Je préfèrerais que tu ne parles pas de me redéposer chez moi le dimanche comme si j'étais un ballot de linge sale. Je voudrais juste un peu de considération.

— Des sushis c'est bien.

✨✨✨✨✨

Je suis heureuse de retrouver mon appartement le lendemain en fin de journée. Mon petit cocon avec ses poutres et ses mansardes, mon canapé et mon immense bibliothèque.

Matthieu habite un grand loft en banlieue de Metz où il est plus facile de garer sa voiture. Son mètre quatre-vingt-dix se sent vite à l'étroit dans mon deux pièces sous les toits où les bruits du centre-ville m'accompagnent dans mes insomnies. Il préfère qu'on passe nos moments ensemble chez lui et même si je déteste son appartement, je n'aimerais pas le voir évoluer dans mon espace privé, alors chacun trouve son compte dans notre arrangement.

Je quitte mes bas et ma robe noire pour un jogging et des chaussettes fourrées en soupirant d'aise et j'appelle Charlotte, ma dernière copine célibataire.

— Chacha ! Ça te dit de venir manger chez moi ce soir ?

— Ben, t'es pas avec Matt ?

— Non, il mange chez ses parents. Bon, tu viens ? J'ai des lasagnes au congel.

— Des lasagnes de ta mère ?

— Non, des lasagnes de Picard.

— Lou, t'abuses. Je viens si tu me promets de laisser tes lasagnes où elles sont. J'ai un reste de blanquette, je l'apporte. Tu peux faire cuire du riz, c'est dans tes cordes ?

— Ça devrait aller ! A tout de suite !

***

— Il parait que t'as remballé Caro vendredi soir... fait Charlotte en repoussant son assiette vide.

— Commence pas Cha, tu sais que je déteste quand vous faites ça.

— Quoi ça ?

— Tu le sais très bien. J'ai pas envie d'en parler.

— Parce que tu n'y avais pas pensé peut-être ?

— Et alors ? Vous avez peur que je m'ouvre les veines parce que je suis seule un dix février ? Ça fait sept ans Charlotte ! Sept putain d'années alors lâchez-moi avec cette histoire ! Vous n'allez pas me couver jusqu'à la fin de ma vie !

Elle me dévisage en silence, sans répondre à ma colère. Je m'en veux de m'être emportée, autant parce que je lui donne du grain à moudre que parce qu'elle est mon amie et que, pour le coup, elle n'y est pour rien.

Je me lève et vais chercher deux clémentines dans le frigo, lui en lance une.

— Et sinon, tu fais quoi mardi soir ?

— Mardi soir ? Rien pourquoi ?

— Oh comme ça, juste c'est la saint Valentin... lance-t-elle négligemment.

Je lève les yeux au ciel.

— On s'en fout de la saint Valentin !

— Ben oui, comme Matthieu et toi n'êtes pas amoureux...

— Non, on ne l'est pas.

— Comme c'est commode.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Je veux dire que c'est bien pratique ces relations sans engagement quand on est incapable de s'engager à nouveau.

— On est d'accord tous les deux, il n'en a pas plus envie que moi.

— C'est bien ce que je dis, c'est pratique.

— Fous moi la paix Cha, t'es relou là.

Mon amie hausse les épaules.

— C'est toi qui m'as demandé de passer.

— Pour manger, pas pour une psychanalyse.

— Ouais. Bon, on va au ciné ?

— Je suis en jogging.

— Ben mets tes baskets ou va te changer.

— Mais pourquoi tout le monde veut me faire sortir quand je suis tranquille ?

— Arrête de te plaindre. Tu bosses pas demain alors bouge-toi avant de rester incrustée dans ton canapé. C'est pas comme ça que tu vas te trouver un Jules.

— Je ne veux pas d'un Jules.

— C'est bien ce que je disais.

Elle me force à m'assoir à côté d'elle et prends ma main.

— Lou, c'était il y a longtemps maintenant. Il faut que tu passes à autre chose, murmure-t-elle avec douceur.

La douceur n'a jamais été le truc de Charlotte. Elle est vive, spontanée, drôle et manque souvent de tact. L'entendre me parler avec autant de précaution me fait montrer les larmes aux yeux. Je retire nerveusement ma main de la sienne, me referme.

— Laisse-moi tranquille, tu sais que je ne veux pas en parler. Et je suis passée à autre chose, comme tu dis

— Ce n'est pas l'impression que j'ai. C'est normal après tout. Tu es montée très haut, tu es tombée de toute cette hauteur. Il faut du temps pour s'en remettre. Mais ça fait sept ans.

— Tu me les brises à répéter ça depuis tout à l'heure. Je n'ai pas demandé d'épaule sur laquelle pleurer, que je sache. Je n'ai rien fait, rien dit. C'est vous qui pensez que je vais mal.

Charlotte reste silencieuse un moment, je pense qu'elle va laisser tomber, que j'ai gagné le droit d'avoir la paix mais elle reprend.

— Ecoute, nous sommes inquiètes pour toi. Tu deviens de plus en plus dure et amère... Caro pense que...

— Je ne veux pas savoir ce que pense Caro. Tu as gagné je vais me changer. Ok pour le ciné.

— Tu fuis les discussions.

— Il n'y a pas de discussion. Je vais très bien. Point.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top