CHAPITRE III - 12 : La tentative

Deux jours avant la fête, et on arrête pas de bouger. J'ai encore aidé aux décorations hier, du coup je suis aujourd'hui en train de m'occuper de les placer autour de la piscine dont l'eau est couverte par une bâche au cas où un de nous ne finirait par tomber dedans par accident, et vu la profondeur de la piscine je remercie quiconque y a pensé...

Monokuma nous a fourni de quoi stocker la nourriture et les boissons de la fête directement sur les lieux, pour nous éviter de faire une quarantaine d'aller-retours dès la première bouteille de soda finie. On a un peu débattu sur la présence d'alcool à la fête, mais on s'est mis d'accord pour dire que du temps que quelqu'un surveille Émile pour qu'il ne boive pas trop, ça devrait le faire.

Mais donc, je m'occupe de noter petit à petit ce qui se trouve dans les mini-frigos labellisés très simplement « bouffe » et « boisson » par ce que je suppose est l'écriture de Văn Kim. Je fais attention à bien marquer tout ce qui pourrait être allergène, on a pas besoin d'une seconde affaire comme celle de Fantôme... Je note également l'alcool et les choses que les autres m'ont dit ne pas pouvoir boire pour une raison ou une autre, que personne ne se trompe sans faire attention.

Je vois que certaines bouteilles ont déjà été ouvertes, sans doute par des personnes espérant pouvoir en prendre une petite gorgée pendant que les autres avaient le dos tourné ici ou dans la cuisine. J'imagine que c'est ce qui a conduit Văn Kim a proposé qu'on ne soit que deux à s'occuper de la piscine en attendant le dernier jour.

Ringo et moi sommes plutôt grands, même s'il me met bien dix centimètres dans la tronche, mais ça nous permet donc de mettre les décorations que les autres auraient plus de mal à installer. Même quelqu'un de ma taille comme Abel aurait du mal, honnêtement, je l'ai déjà vu plusieurs fois manquer de tomber ou devoir prendre le plus de temps possible dans les différents escaliers des ruines.

Chose rare, Ringo n'a pas les cheveux attachés aujourd'hui, ils retombent donc sur son dos libre de tout élastique. Je peux définitivement voir ce que les gens peuvent lui trouver, et comment il a pu être cosplayeur Ultime. Rien qu'au jeu de rôle, sa tenue était absolument incroyable pour quelque chose faite du jour au lendemain...

Je ressors du frais des mini-frigos et vais récupérer quelques banderoles qui ont sans doute été découpées par Eleanor, au vu des formes aléatoires et pourtant toujours harmonieuses. Je me sers des gradins pour prendre un peu plus de hauteur et commencer à poser, jusqu'à me retrouver à court de banderoles colorées.

Le silence devrait être rassurant. Ringo n'a jamais beaucoup parlé, et reste assez isolé, ça ne devrait pas être une surprise qu'il reste sans rien dire aujourd'hui aussi, pas vrai ?

Pourtant quelque chose ne va pas.

Je ne sais pas ce qu'il se passe, pourquoi ça a l'air si... Faux. Est-ce que je peux même juste prétendre savoir ce qui agite cet homme, s'il est si différent de d'habitude que ça ?

Non, sans doute pas.

Je manque de tomber quand la voix d'Ismaïl se fait entendre, un carton de bouteilles de jus de fruits dans ses bras. Il m'aide à rester debout sans la moindre difficulté, faisant passer le carton sur son bras gauche le temps que je retrouve l'équilibre.

Bon, c'était embarrassant, mais on va faire comme si rien n'était, hein ?

Je redescends des tribunes, et aide Ismaïl à me dire ce que contiennent les boissons pour les ranger et trier correctement. Apparemment, Văn Kim a émis l'idée de faire des cocktails et a donc doublé les bouteilles prévues à la base. Pas comme si ça allait se perdre de toute façon, tout le monde ici boit du jus même sans alcool.

Il va vers Ringo après que je lui assure au moins trois fois que je peux ranger tout ça seule. Je n'entends pas vraiment de quoi ils parlent, mais j'ai l'impression qu'ils se sont beaucoup rapprochés, dernièrement. Je n'ai jamais vu Ismaïl se permettre de mettre sa main sur l'épaule de quelqu'un avant, ou Ringo laisser quelqu'un faire ça.

J'entends des bribes qui ne font pas vraiment sens, de là où je suis, et on dirait que les garçons aimeraient même garder ça entre eux seulement alors j'essaie de bloquer les sons dans ma tête. De penser à une chanson à me bloquer dans le crâne, et ne pas faire attention à eux.

Ismaïl me salue en sortant, et je lui réponds, reprenant vite mon travail. Je jette un regard vers Ringo et je remarque enfin ce qui ne va pas.

Il a l'air au bord des larmes. Ses épaules sont tendues, presque trop droites et il regarde vers moi sans me voir.

Je referme le mini-frigo en prenant une bouteille de jus de pomme. On y est depuis quelques heures, on peut bien se permettre une pause, non ? Je vais m'asseoir à côté de lui sur le sol pour une fois pas humide de la piscine. Il semble surpris, mais finit par accepter la bouteille après l'avoir observée quelques instants et prend deux verres pour nous servir.

« Tout va bien ? » il me donne mon verre, l'air presque curieux alors que je hausse simplement les épaules.

« Ça va oui, juste eu envie de me poser un peu. Je sens que je vais bien dormir, moi, les jours à venir.

– Je vois, ça me rassure un peu. » il sourit et boit le jus rapidement comme un homme qui ressort du désert. « Tu as fait exprès ?

– Quoi donc ?

– De prendre du jus de pomme. » je bois à mon tour, l'invitant à développer. « Mon prénom veut dire pomme, en japonais. Un drôle de hasard, pas vrai ?

– Oooh, je vois... Non, c'était pas fait exprès, j'ai pris du jus de pomme car j'en buvais souvent, avant, lors de mes jeux de rôles. J'imagine que c'est un peu un moyen de me donner du réconfort...

– Je vois... C'est vrai que même la dernière fois il y en avait sur la table.

– Faut remercier Achroma, je suppose ? » il pouffe et hoche la tête. « J'm'en doutais. Thal a dû tellement la bassiner de son amour des pommes aussi.

– Thal ? Un de tes compagnons de jeu ?

– Ah, erm, on peut dire ça, oui. C'est ma copine. » je sens le rouge monter à mes joues. « ... Ringo, ça va ?

– Huh ? » il essaie de le cacher, mais j'ai senti comment ses épaules se sont encore raidies suite à mes mots. Il évite de regarder vers moi. « Oui, oui, bien sûr.

– ... T'as un copain, c'est ça ? Désolée, je voulais pas te faire mal en parlant de ma copine, je...

– Ce n'est rien, Héloïse. » Il sourit, un sourire qui tremble légèrement. « J'ai un copain, oui. Nous sommes arrivés ensemble à Hope's Peak, mais nous nous connaissions déjà.

– Comment vous vous êtes rencontrés ?

– J'ai travaillé avec sa grand-mère quelque temps. C'est une costumière assez connue, si on s'intéresse de près au théâtre, et elle a accepté de m'apprendre ce qu'elle faisait. » il sourit un peu et se ressert un verre « Ce n'était pas donné, d'accepter comme ça un jeune de seize ans alors qu'elle vivait à Madagascar.

– Tu es parti aussi loin si jeune ?!

– J'ai beaucoup voyagé. » il me sourit, comme si rien n'était. « J'ai hérité de beaucoup et j'ai pu me concentrer sur ce qui me plaisait très tôt. Je pense qu'elle voulait que son petit-fils ait un peu de compagnie aussi.

– Je vois... Donc vous vous êtes rencontrés grâce à ta passion.

– On peut le voir comme ça. » il finit son verre et soupire un peu. De longues minutes s'écoulent sans que l'un de nous deux ne parle, le jus de fruit restant entre nous deux. Il pose son verre par terre, prenant son visage entre ses mains et cachant complètement ses yeux à mon regard « Je peux te poser une question qui peut paraître étrange ? Non, pas étrange, plutôt... Effrayante ?

– ... Vas-y ?

– Si tu devais... Si tu tuais quelqu'un. Tu penses que ta copine te pardonnerait ? »

Je ne vois toujours pas ses yeux.

Comment suis-je censée répondre ? Qu'est ce que j'en sais, vraiment, de ce qu'elle en penserait ?

J'avale ma salive, le jus de pomme a soudainement un goût de métal.

« Je ne pense pas. » Mes mains tremblent. « Elle... Je. M'en voudrais. Plus que tout. »

Car j'ai vu, à quoi ils ressemblent, ceux qui vont jusque là. Ils ne sont plus jamais les mêmes. Ils sont remplis de choses contraires. Et ça n'est pas moi. Peut-être que Thal me pardonnerait, je n'en sais rien. Mais moi... Moi je ne pourrai jamais.

Ringo hoche simplement la tête et je vois sa lèvre trembler. Je devine ses dents se planter dans la chair de sa joue.

Les larmes s'écrasent en silence sur le sol autrefois sec de la piscine.

Je n'arrive pas à lui dire quoi que ce soit. Je lui offre ma main. Il la prend. Il tremble, tellement.

Il cache toujours ses yeux.

Il parle enfin, sa voix devenue presque inaudible. A sa demande, je me lève et récupère une bouteille de whisky dont l'opercule est violet. La seule bouteille avec cette couleur.

« Jettes la. S'il te plaît.

– Ringo. Qu'est ce qu'il y a dedans... ?

– ... Du poison. » l'alcool pèse soudainement une tonne dans mes mains et je dois conjurer toute mon énergie pour ne pas la laisser tomber. « Je... Je suis désolé.

– Comment tu as trouvé du poison.. ?

– Ce n'est pas très dur. Certaines des plantes dans le jardin sont toxiques, si en trop grandes quantités. » il rigole, un rire sans joie et aussi humide que ses joues. « L'avantage de sortir avec un botaniste, pas vrai ?

– Pourquoi tu me l'as dit ?

– Je ne sais pas. Je... J'avais besoin de le dire, je crois. Qu'on me donne juste une raison d'abandonner. Merci. »

J'avale ma salive et m'assoie de nouveau à côté de lui. Je lui redonne ma main.

Il est revenu en arrière. Est-ce qu'il ne mérite pas un peu de compassion ?

« Je garderai le secret. Je... Je suis contente que tu ais osé abandonner. »

Il ne répond pas et tremble simplement un peu plus. Il serre ma main, fort mais pas assez pour me faire mal.

Est-ce que je fais la bonne chose, en le laissant ainsi ? Je ne sais pas. Mais je ne veux pas être la raison pour laquelle il se retrouve être la cible de quelqu'un.

Encore et toujours une peureuse, Héloïse, pas vrai ?

« J'ai eu la cassette d'Ife. Elle parlait de Văn Kim dedans. » Il parle sans espérer que je l'écoute. Une justification, une excuse, un pourquoi destiné à lui seul. « Elle... Elle était tellement passionnée à le défendre, je... Je me suis mis à penser à Atshi. A quel point il me manque. Je sais pas pourquoi j'ai voulu tuer quelqu'un.

– Tu l'as dis toi-même. Il te manquait. D'autres ont tué pour moins que ça. »

Il pleure un peu plus, sans me répondre.

Je viderai le whisky dans un lavabo plus tard.


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