Chapitre 13 ~ Dawn


« La clinique a appelé. Ta mère a fait une récidive, l'ambulance est en chemin. »

Hébétée, je fixai Joyce alors que ses mots tournaient en boucle dans ma tête, encore et encore. Ta mère a fait un récidive. Je sentais peu à peu mes forces me quitter alors que mon sang se glaçait dans mes veines, et mes jambes semblèrent se dérober sous moi. Je reculai d'un pas maladroit et dus me cramponner au meuble à ma gauche pour ne pas m'écrouler par terre, alors qu'un acouphène m'assourdissait et que la pièce se mettait à tanguer autour de moi. Le temps me semblait ralenti et accéléré à la fois, et chaque battement de cils provoquait une vive douleur qui me coupait le souffle et lacérait ma poitrine. Joyce me parlait, elle s'était rapprochée de moi et avait pris mon visage en coupe entre ses mains, mais je n'entendais rien. Non. Non, ça ne pouvait pas être réel. Mon cerveau me jouait des tours, c'était la seule explication possible. Cela ne pouvait pas être en train d'arriver. C'était exactement pour cette raison que Betty avait été placée en clinique. Elle ne devait plus porter atteinte à sa vie, elle ne devait plus être nocive pour elle-même. On nous avait dit qu'on s'occuperait d'elle là-bas, qu'elle irait mieux. Comment est-ce qu'ils ont pu laisser ça arriver? Je manquais d'air, et mon esprit était étrangement à la fois paniqué et mille fois trop calme.

Joyce me prit la main et m'attira avec elle pour me faire sortir de la chambre. Avant même que je ne réalise ce qu'il m'arrivait, je me trouvais à courir en direction du service des urgences, ne voyant autour de moi qu'à travers un épais brouillard à cause de ma vue troublée. L'infirmière en chef me fit asseoir par terre contre un mur et m'essuya les joues avec un regard désolé et compatissant. Je ne me rendis compte qu'à cet instant des larmes qui dévalaient mon visage silencieusement. Elle me tendit un mouchoir, et je m'essuyai les yeux avec, peinant à contrôler les tremblements violents qui secouaient mes mains.

De nombreuses personnes qui attendaient d'être pris en charge me scrutaient sans retenue alors que je reprenais peu à peu les esprits. Un jeune enfant, assis sur les genoux de sa mère, me fixa quelques secondes avant d'éclater en sanglots. Quelqu'un se laissa glisser à côté de moi, et je tournai la tête pour dévisager Dusk sans comprendre. Il ne prononça pas un mot et resta là, assis à côté de moi sur le sol dur et froid du service des urgences. Joyce le jaugea également l'espace d'une seconde, avant de décider qu'après tout, ça n'avait pas d'importance.

« Restez à côté d'elle, je reviens. »

Elle s'éloigna vers le guichet, et mes yeux se fixèrent sur le mur gris à l'autre bout de la pièce. Je ne savais même plus où j'étais, ni ce qui m'arrivait. Seuls, les mots de l'infirmière continuaient à résonner dans mon crâne comme un écho, comprimant vivement mon cœur à chaque fois. Mes larmes semblaient s'être arrêtées, ou peut-être pas. En tous cas, je ne sanglotais pas. Je n'en avais pas la force. Je pleurais silencieusement, les laissant rouler sur mes joues sans pouvoir les arrêter. Elle ne pouvait pas avoir fait ça. Elle l'avait déjà fait une fois. Pas deux. Je me surpris à prier pour que tout cela ne soit qu'un grand malentendu. Elle n'a pas pu recommencer. Elle a simplement dû se blesser en tombant dans l'escalier, ou en glissant. Ce n'était pas intentionnel. Non, elle n'a pas pu recommencer. Elle ne pouvait pas nous refaire ça. Je m'étais relevée une fois, pas deux. Et Kathleen... Oh, Kathleen. Les souvenirs de la soirée que j'avais passée chez ma tante il y a quelques jours à peine me revinrent en tête, et mes larmes redoublèrent. Il semblait enfin que nous nous étions ouvertes l'une à l'autre. Elle ne pouvait pas nous imposer cela une deuxième fois, nous déchirer à nouveau.

Assaillie par un sentiment de froid et de solitude, je ramenai mes genoux contre ma poitrine et enfouis ma tête au creux de mes bras. Je vais me réveiller. Ça n'a pas pu arriver. C'est impossible. Une main se posa maladroitement sur mon épaule.

« Je suis désolé. » souffla Dusk.

Je restai silencieuse, ne sachant même pas pourquoi il s'excusait. Il s'en moquait, lui, de toutes manières. Il l'avait dit tant de fois. La vie, la mort, lui importait peu. Est-ce que ce sont des condoléances? souffla une voix au fond de ma tête. Non. Sans arriver pour autant à le cerner, j'avais bien compris qu'il savait à quel point cette phrase était futile dans ces cas-là.

« Dawn! »

Je sursautai légèrement à l'entente de mon prénom, mais ne bougeai pas. Laissez-moi tranquille. Tout ce que je voulais, c'était rester là le plus longtemps possible, pour qu'au moment où je relève la tête, on me dise que ce n'était pas réel. Cependant, alors que les cris se rapprochaient, je reconnus cette voix éraillée et déchirée par les sanglots. Redressant la tête, je me levai immédiatement en voyant Kathleen courir vers moi. En moins d'une seconde, le corps de ma petite sœur heurta le mien, s'écroulant contre moi, et je refermai mes bras avec force autour de ses épaules agitées de violents sanglots. Alors, je craquai. En enfouissant mon visage dans ses cheveux blonds, je laissai libre cours à mes larmes, tandis que Dan arrivait derrière elle, les yeux rougis et les mâchoires serrées, pour nous envelopper toutes deux dans ses bras.

Kathleen se cramponnait à mon uniforme avec désespoir, s'accrochant à moi de toutes ses forces comme pour me dire "Ne me laisse pas. Ne m'abandonne pas"  Non, je ne t'abandonnerai pas. Elle s'écarta légèrement de moi, plongeant son regard dans le mien en reniflant. Mon cœur se serra encore plus qu'il ne l'était déjà, en décelant toute la douleur et la détresse que ses yeux luisants de larmes me transmettaient. Ne parvenant pas à les soutenir une seconde de plus, je l'attirai à nouveau à moi, tremblante.

« Ça va aller. » lui soufflai-je d'une voix étranglée.

Je n'y croyais pas moi-même. Parce que oui, les choses s'arrangeaient toujours. Mais à ce moment précis, je n'arrivais plus à y croire. Notre mère, pour la seconde fois, avait décidé de nous laisser seules. Malgré ma relation avec elle qui s'était détériorée depuis longtemps, je ne parvins pas à refouler le ravageant sentiment d'abandon qui me transperça le cœur. Je pouvais être forte, enfiler un masque comme je le voulais, mais ça ne changerait pas le fait que j'étais perdue sans mes parents. J'avais besoin de cette présence, de ce soutien, et ma sœur encore plus. Pourtant, notre propre mère nous refusait cela. Malgré la présence de dizaines de personnes dans la pièce et les bras forts de mon oncle qui nous serraient contre lui, j'eus la sensation que l'étreinte puissante et pourtant fragile et tremblante que j'échangeais avec ma sœur était tout ce à quoi je pouvais me raccrocher en cet instant pour ne pas perdre pied. Nous étions seules, incroyablement seules. Dans le noir, dans le froid, dans la souffrance. Au bord du vide. Même si Evelyn et Dan s'occupaient de Kathleen a merveille. Même si mon entourage faisait de son mieux pour m'épauler. J'étais seule. Parce que les personnes dont j'avais le plus besoin n'étaient plus là. Mon père, qui était décédé il y avait des années, et dont le manque me serrait le cœur tous les jours. Ma mère qui, malgré sa présence encore fragile sur cette Terre, nous avait en réalité quittées en même temps que lui.

Les portes automatiques des urgences s'ouvrirent, me faisant lever la tête, et laissèrent passer un lit à roulettes entouré de quatre personnes qui couraient à son côté. En voyant la personne allongée dessus, je sentis mon cœur s'arrêter de battre, et d'un geste protecteur, posai la main sur le crâne de ma petite sœur pour garder son visage enfoui contre moi. Elle ne devait pas voir ça. Elle ne pouvait pas voir ça. Ma mère était couchée sur la civière, sous une couverture de survie métallique. Un masque à oxygène était collé à son visage et ses yeux étaient grands ouverts, fixant le plafond sans le voir. En voyant le sang qui maculait son cou et ses bras, je me fis violence pour ne pas m'écrouler par terre, et fermai les yeux le plus fort possible pour chasser ces images de ma tête.

Lorsque je les rouvris, je dus cligner plusieurs fois des paupières  pour en chasser les larmes qui me brouillaient la vue. Ils avaient déjà disparu. Elle avait dû être emmenée au bloc opératoire. Mon regard croisa celui de mon oncle. Ses joues étaient maculées de larmes, je ne l'avais jamais vu comme cela. Cependant, il fit l'effort de m'offrir un sourire qui se trouva être une grimace plus qu'autre chose.

« Elle va s'en sortir. » murmura-t-il.

Mon regard se détourna vers l'angle du couloir où ma mère avait disparu, et je hochai doucement la tête. Cependant, la douleur qui pulsait au plus profond de mon être empêcha ses paroles de me réconforter. A quoi bon? A quoi bon lutter à sa place? Ma mère avait décidé d'abandonner, alors pourquoi lutter pour elle? Parce que nous l'aimions? Sans doute. Mais pour ma part, j'étais épuisée. Je devais garder ma propre tête hors de l'eau, et la seule personne que je me devais d'aider, c'était ma sœur. Mais si ma mère décidait elle-même de couler, je n'aurais plus la force de la tirer vers la surface. Mon regard rencontra celui de Dusk qui, à quelques pas de là, observait la scène. Comme toujours, ses traits ne laissaient transparaître aucune émotion. Tous les mots qu'il avait prononcés auparavant me revinrent en tête. Il avait raison. Tout comme lui, ma mère ne pouvait pas être sauvée, si elle ne le voulait pas. Et rien de ce que nous pourrions faire n'allait changer cela.

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