CHAPITRE 1

Je marche rapidement à travers les couloirs des Phénix. Je suis attendue dans quelques minutes dans le bureau de leur directeur, pour recevoir le prix de ma victoire. Cette dernière m'émerveille toujours autant : jamais je n'aurai imaginé vaincre tant de monde.

Cependant, l'idée de gagner quelque chose m'angoisse. Mes amis m'ont bien dit de ne pas m'en faire, mais après avoir compris que c'est la plupart du temps le droit - ou plutôt l'obligation - de diriger une quête, je n'ai pas pu m'empêcher de me ronger le frein. Et si cela compromet la mission ? J'espère de tout cœur ne pas avoir à abandonner, pas maintenant, alors que nous sommes tous installés et prêts à agir.

Surtout qu'il ne reste plus que Matt et moi ici, nos deux autres compagnons ayant dû fuir pour je ne sais qu'elle raison. En pensant à Alissandre, mon cœur se serre. Si j'en crois les dires d'Elena, elle court un grave danger. À l'heure qu'il est, elle doit être cachée dans les montagnes avec Léo. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle a pu faire, mais ce qui est sur c'est que je n'aurai jamais pensé que nous en arriverions là...

C'est donc le cœur battant que je toque à l'imposante porte qui se trouve devant moi. Le son se répercute dans le couloir silencieux. En effet, l'horaire de la rencontre est très matinal : il n'est que huit heures. Pour la plupart des élèves, c'est tôt, un samedi. Je ne patiente que quelques secondes avant que la porte ne s'ouvre sur un homme, que je reconnais aussitôt : c'est l'orateur qui nous a parlé de la Ligue.

— Entre, Aïsha. Nous t'attendions.

Je pénètre donc dans la vaste pièce où trône un bureau emplit de paperasse. Trois autres adultes s'y trouvent, dont Lorin et Sheela, les experts en combat, qui ont décidément l'air proches des dirigeants des Phénix. La dernière personne, que je n'ai jamais vue, s'approche de moi, en tendant sa main.

— Bienvenue. Je suis Christophe, le directeur, dit le brun d'une voix qui se veut chaleureuse. Je suis heureux de faire ta connaissance.

Ses yeux indiquent le contraire. En réalité, tout ce qu'il espère, c'est que je sois docile et que je ne poserai pas de problème. Il n'a pas à s'inquiéter : je ferai tout pour rester dans ses bonnes grâces.

— Cela en va de même pour moi, réponds-je finalement, aussi sincère que possible. 

Ses lèvres se retroussent en un petit sourire alors qu'il retourne s'asseoir à son bureau. Je reste au milieu de la pièce, préférant attendre les indications des supérieurs, qui ne tardent d'ailleurs pas à venir.

— Très bien. Je suppose que tu sais pourquoi tu es là ? me demande Sheela de sa voix douce.

J'acquiesce en silence.

— Parfait, reprend le directeur. Tu as déjà entendu parler des récompenses, où nous devons te réexpliquer ?

— Je préférerai être sûre d'avoir bien compris.

Mieux vaut avoir l'air un peu pataude que dangereuse, même si la victoire de ce tournoi montre que je ne suis pas qu'une incapable.

— Tu vas pouvoir sortir, intervient l'orateur de sa voix posée. Bien sûr, il faudra que tu fasses une petite tâche, mais tu ne seras pas seule.

Ils présentent cela comme si c'était une chose incroyable que de sortir. Mais, en même temps, depuis que je suis arrivée ici, je n'ai eu l'occasion de sortir que pour le jeu. Cela doit être terriblement attirant pour tous. Si je ressens déjà une certaine oppression, je n'imagine pas ce que doivent vivre les autres. Cependant, ils ne font peut-être pas attention aux petits détails que j'ai remarqué.

— Pouvons-nous te faire confiance, Aisha ? demande soudain Christophe.

Je le regarde sérieusement et mets toute la conviction que je peux dans mes paroles.

— Je ferai tout pour vous aider. Je n'ai plus rien à perdre.

Je comprends avec soulagement que j'ai dit les bons mots lorsque je vois les adultes hocher la tête.

— L'objectif, reprend l'orateur après l'approbation du brun, sera donc d'entreprendre un périple jusqu'aux royaumes voisins et, disons... Convaincre leurs rois de s'allier à nous et de nous envoyer des troupes pour que nous puissions enfin prendre le dessus sur le roi. Car, même si nous sommes nombreux, il semblerait que la Ligue se soit rangée de son côté. Et les Dieux savent qu'elle est puissante.

Je ne peux m'empêcher de montrer mon étonnement. Alors, comme ça ils ont décidé de passer à l'étape supérieure ! Je comprends avec effroi quel désastre ce serait pour nous. Heureusement que je fais partie de cette mission ! Je vais pouvoir essayer de tout arranger, même si cela sera compliqué. Très compliqué.

— T'en penses-tu capable ? s'enquit Lorin, dédaigneux.

— Oui, martelé-je. Je peux me montrer très persuasive lorsque je le veux. Mais il faudra que je sois avec d'autres personnes, pour que mes paroles aient plus de poids. Aussi bien peuvent être mes arguments, les monarques n'écouteront pas une jeune fille de quinze ans, qui débarque seule dans leur château.

— Bien évidemment. Nous avons quelques petites idées quant aux personnes à qui il incombera de t'aider et de te protéger. Nous allons voir tout cela ensemble. Cependant, les règles stipulent que tu as le droit de choisir l'un de tes trois coéquipiers.

Je hoche la tête, mon cerveau tournant et retournant déjà le problème. Il serait hors de question d'entraîner Elena ou Matt dans ce voyage, même si leur aide me serait précieuse : il ne resterait alors presque personne chez les Phénix et nous ne pouvons pas nous le permettre. Il me reste donc mes nouveaux amis. Mais je n'ai pas envie de les entraîner dans tous ces mensonges et dangers...

— Et à qui avez-vous pensé pour les deux autres ?

— Et bien, intervient Lorin, je vois bien Gama effectuer ce genre de mission. Il nous est éternellement dévoué, et n'hésitera pas à tout faire pour que cette quête réussisse.

Y compris tuer sa coéquipière qu'il trouve suspecte. Super sympa, ça.

Lorin me demande clairement de rester à ma place et de ne pas dépasser les bornes. Il aurait pu être un peu plus subtil et mieux camoufler sa menace...

— Il m'a tout l'air d'être la personne qu'il nous faut, alors, acquiescé-je.

Ou pas du tout. D'après ce que j'ai vu lors de son combat contre Alissandre, ce gars a un sérieux problème. Mais je ne peux rien dire, sous peine d'attirer des soupçons.

— Je ne suis pas d'accord, objecte Sheela, que je remercie intérieurement. Gama ne sait pas se contrôler et cela pourrait vite tourner en carnage.

— Tu es dure envers lui, contredit Lorin. Il a juste besoin d'être calmé, ce qu'Aïsha pourra, je suppose, faire sans trop de problème ?

— Je ferai de mon mieux, assuré-je déçue que Sheela n'insiste pas plus.

— Je n'en doute pas. Gama t'accompagnera donc. Pour la deuxième personne, j'ai ma petite idée. Vois-tu, la fille du roi nous a contacté, il y a quelques jours, pour nous aider. Elle aussi pense que Naamen n'arrive plus à gérer le pays et pense qu'il est temps pour lui de passer la relève.

Mais bien sûr. Et moi, je suis la défunte reine. J'ai déjà entendu parler de la princesse. D'après les dires, il n'y a pas plus dévoué au royaume et au roi qu'elle. Jamais elle ne le trahirait pour des gens qui retiennent ses frères et sœurs. Car elle doit sûrement être au courant de tout ce qui s'y passe. À mon avis, les Phénix ont encore fait pression, pour qu'elle vienne avec moi et argumente en faveur de l'organisation. Après tout, elle connaît la royauté mieux que personne.

Ce que les dirigeants ne savent pas, à l'inverse, c'est que cela va bien m'arranger. Il suffit que j'arrive à faire comprendre mes intentions à Lizenn et nous pourrons nous allier. Enfin, si elle me fait confiance, ce qui n'est pas gagné. Mais c'est toujours mieux qu'un deuxième Gama.

— C'est super pour nous, ça ! soufflé-je en toute innocence.

— Effectivement, sourit Christophe.

Ses paroles sonnent aussi fausses que son expression. Soit il ne sait pas mentir, soit je suis plus douée pour analyser les tics du visages que je ne le pensais. Je partirai plus sur la seconde option, le mensonge était l'outil préféré des Phénix.

— J'approuve totalement, soutient l'orateur. Mais Aisha, il faudra bien que tu la surveilles. Il ne faut pas qu'elle fasse de coups en douce. Ne la laissez faire que ce que vous voulez qu'elle fasse.

Je hoche la tête.

— C'est compris.

— As-tu déjà une idée de la personne que tu voudrais emmener ? me demande alors Sheela.

— J'aimerai bien en parler à mes amis avant, si c'est possible, demandé-je.

— C'est d'accord. Mais il me faut ta réponse avant trois jours. L'idéal serait que vous partiez d'ici le début de l'automne, sinon vous vous prendrez la neige quand vous serez dans les montagnes et je doute que ce soit avantageux pour vous.

Le directeur s'arrête quelques instants pour reprendre son souffle, puis me regarde, une lueur de confiance dans le regard.

— Il serait préférable que tu ne répandes pas ces informations à tout va, surtout concernant la princesse. Elle préfère œuvrer dans l'ombre. On peut compter sur toi ?

— Bien sûr. Seulement, est-ce que je peux en parler à mes amis, pour voir qui est-ce qui va m'accompagner ? Histoire qu'ils ne s'engagent pas dans quelque chose qu'ils ne veulent pas.

Le regard de mon interlocuteur vacille un instant puis reprend sa lueur confiante.

— Bien évidemment. Et pour finir, nous avons pour l'instant fixé la date de départ au premier jour de mars, dans une semaine. Cela te convient-il ?

Je sais déjà que mon avis ne changera rien, mais je répond tout de même poliment :

— C'est parfait, merci.

— Bien, alors dans ce cas, tu peux disposer. Merci d'être venue à cette heure matinale, conclut le directeur.

— Il n'y a pas de quoi. Au revoir, réponds-je avant de quitter la salle.

Je m'éloigne lentement, sans me presser : j'ai besoin de réfléchir à tout ce que je viens d'apprendre. Finalement, c'est donc une grande chance que j'ai remporté l'épreuve : si aucun d'entre nous ne pouvait être présent lors des négociations avec les autres royaumes, cela aurait été catastrophique. Notre cause aurait été perdue.

C'est aussi une bonne chose que Lizenn soit de la mission. Je comprends l'intérêt que le Phénix peuvent en tirer, mais pour moi, il est encore plus conséquent. Ainsi, si j'arrive à la convaincre que je suis avec elle, nous pourrons agir de concert et avoir plus de poids dans notre persuasion.

Alors que j'atteins le hall d'entrée, je ressens une présence derrière moi. Après m'être retournée, je me rends compte qu'elle n'est autre que Sheela. Je m'arrête et lui laisse le loisir de me rattraper.

— Je voulais te dire deux mots, si cela ne te dérange pas, commence-t-elle.

Je penche la tête, l'invitant à continuer.

— Je voulais juste te prévenir : fais attention à Gama, m'enjoint-elle. Il se laisse facilement aveugler par ses émotions et commet parfois des actes regrettables.

J'acquiesce. J'ai déjà pu voir ça lors de ses affrontements : il se montre fort, mais n'est au final pas si dur que ça.

— Si jamais tu vois qu'il s'apprête à dépasser les bornes n'hésite pas à lui mettre un petit coup de pression, me conseille finalement la professeur. Il n'aime pas qu'on soit meilleur que lui, mais n'ira pas tenter quelque chose qui puisse lui nuire.

Je la remercie chaleureusement et elle s'en va. Je digère ses paroles tandis que je remonte dans ma chambre. Les couloirs commencent à se remplir peu à peu, mais je sais que mes camarades dorment encore. Elles se sont toujours levées tard.

Une question trotte néanmoins toujours dans ma tête. Pourquoi les dirigeants ne mènent-ils pas cette mission eux-mêmes, vu son importance ? Parce qu'ils ont besoin de toutes leurs forces ici, au cas où ça dégénèrerait, pensé-je. Ils ont peur du pouvoir de la Ligue.

C'est alors qu'une idée me traverse l'esprit. Comment vais-je informer la Ligue de mon départ ? Savent-ils qu'Alissandre et Léo se sont enfuis ? Soudain, la réponse m'apparaît, claire comme de l'eau de source. Elena. Cela fait longtemps qu'elle est là, et doit bien avoir un moyen de rapporter ses faits à la Ligue, et à Matt !

Je change alors de direction, décidée à lui parler. Je sais déjà où la trouver : au terrain d'entraînement. Cette fille est une vraie bosseuse.

Je me dirige donc en vitesse vers la grande salle, et ne tarde pas y arriver. Comme je m'y attendais, la jeune fille aux étranges yeux violets se trouve au fond de celle-ci. Elle tape violemment contre les sacs de frappe, sans discontinuer. Ses coups produisent des claquements secs et je peux sentir la rage qui émane d'elle d'ici.

Je sens que quelque chose ne va pas. Elle n'est pas comme d'habitude. Je cours vers elle, inquiète. Elle doit sentir ma présence, car elle se retourne vers moi. Je ne peux retenir un hoquet de stupéfaction : je ne l'ai jamais vu dans cet état. Ses yeux luisent d'un éclat vengeur, presque atteints de folie. Une unique larme coule le long de sa joue, signe de son profond mal-être.

— Aïsha... souffle-t-elle, sa voix d'habitude si dure parsemée de tremblements.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top