Que la partie commence ! (partie 2)

ELENA

Mon cœur s'accélérait à mesure que l'effet du sédatif disparaissait. Je m'étais réveillée quelques minutes plus tôt, encore un peu groggy, dans une pièce sombre, éclairée simplement par une ampoule qui pendait du plafond en pierres rouges qui me surplombait. Une forte odeur d'acier se faisait sentir.

J'avais les mains liées dans le dos par un cordon en plastique. Mes chevilles étaient, elles-aussi, entravées par une lourde chaîne. Je tentai de remuer pour ne plus avoir le visage à même le sol froid de ma prison.

Soudain, la porte qui me faisait face s'ouvrit dans un grincement insupportable. Si j'avais eu le temps de cogiter à ce qu'il pouvait m'arriver, je restais figée devant une silhouette qui m'était plus que familière... Ce nouvel assaut dans mon subconscient faillit me faire à nouveau tomber dans un état comateux.

Mon père se tenait debout face à moi, la mine sévère et fatiguée. Ses cheveux poivre-et-sel lui descendaient sur le front, ce qui cachait quelque peu son regard acéré. Ses yeux gris fixaient le sol devant lui. Ce fût comme s'il avait honte de ce qui était en train de se dérouler. Mais j'étais loin d'être dupe. Il était et resterait un monstre sans scrupule, prêt à tout pour sauver sa peau.

Il s'approcha de moi avec une démarche lente et calculée et s'agenouilla pour m'aider à m'asseoir. Cette fois, son regard n'était plus fuyant, simplement vide, exempt d'amour envers sa fille. Cela faisait plus mal que je n'osais me l'avouer à moi-même. Il avait encore ce pouvoir sur moi : celui de le satisfaire à tout prix pour avoir, de sa part, ne serait-ce qu'un brin de reconnaissance.

- Elena... Je suis désolé de t'entraîner là-dedans... Je sais que je t'avais promis de te laisser tranquille quand tu as décidé de partir, mais il y a une chose importante que je dois récupérer.

Je refusai de gaspiller ma salive pour cet homme. Je ne savais pas ce qu'il désirait tant, mais je m'en fichais éperdument. Il pouvait toujours courir pour que je sois à nouveau complice de ses agissements. Cette époque était révolue et plus jamais je ne lui obéirai comme une âme docile et naïve.

- Ellie... Regarde-moi s'il te plaît.

Malgré mon envie de faire le contraire de ce qu'il me disait, je fixais mon géniteur avec des yeux haineux.

- Est-ce que tu as la moindre idée de ce que tu détiens au moins ?

- Non...

Ma voix était encore enrouée et mes paupières se faisaient lourdes. Tout mon corps me faisait souffrir, témoin de mon combat face à mon ancien fiancé. Pourtant je luttai. Il fallait que je résiste à la fatigue et à la douleur, c'était ma seule chance de garder une maîtrise, même minime, de la situation.

Les mains de mon père étaient jointes comme une sorte de prière et il semblait plus fatigué que la dernière fois que je l'avais vu, il y a deux ans...

- Ellie. Tu sais que je ne te ferais pas de mal à part si j'y suis vraiment contraint. Cette... Cette chose que tu possèdes pourrait faire tomber tout un empire. C'est une véritable arme que l'on a placé entre tes mains. D'ailleurs je trouve cela injuste que l'on t'ait choisi pour tout cela. C'est cruel de mêler une enfant à ce monde. J'ai essayé de te préserver et je voulais vraiment te protéger.

Je ne pus m'empêcher de lâcher un rire nerveux, incapable de me retenir plus longtemps devant cette tirade qui n'avait aucun sens. Si Nicolas David voulait faire carrière dans le théâtre, il n'aurait aucune difficulté à passer les auditions. Me protéger ? Il était sérieux ? Soit cet homme était dingue soit il était simplement stupide. La première option était celle qui était le plus envisageable. Cependant, dans les deux cas, il ne méritait ni mon aide ni mon attention. Je me retournai en un geste vers le mur. Ma réaction l'énerva et je sentis une main puissante me saisir brusquement par les cheveux. Il m'obligea par ce biais à reculer jusqu'à lui, et je me cognais contre son torse puissant. Il n'avait pas perdu de sa force ni de sa folie meurtrière. Je poussai un cri, et je me retrouvai face à l'être le plus immonde qu'il m'ait été donné de rencontrer au cours de mon existence.

Je lui crachai à la figure. Il s'arrêta un moment et s'essuya le visage d'un geste étrangement calme, avec une lenteur étudiée. Il sourit puis me flanqua une gifle puissante qui me fit basculer sur le côté. Ma tête heurta le sol et une immense douleur traversa l'ensemble de mon crâne.

- Malheureusement, tu as tout pris de ta mère : une écervelée incapable d'écouter ce qu'on lui dit !

- Je suis surtout quelqu'un que l'on ne dresse pas à coups de poings ! Tu ne m'as jamais aimé avoue-le ! Et tu sais quoi ? Je crois qu'en réalité, je t'ai toujours haï au plus profond de moi...

- Tu dis n'importe quoi !

- Quel père oserait faire une chose pareille ? Explique-moi parce que je ne pige rien à ta manière de fonctionner !

- Je t'ai tout donné ! Une vie de princesse, une adolescence bercée dans mon monde ! Je t'ai inclus dans mes nombreuses opérations ! J'ai tout partagé avec toi ! 

- Tu parles d'un cadeau ! Tu m'as utilisé comme un vulgaire pion, tu es un être infâme et tu le sais ! C'est peut-être pour cela que tu détestes tous les êtres qui t'entourent ! Ils te rappellent à quel point tu es une pourriture !

- Tais-toi !

Il me prit à nouveau par les cheveux et m'obligea à fixer mon regard dans le sien. Il perdait son calme. Je savais qu'il détestait qu'on lui tienne tête, surtout moi. De toute manière, il n'avait jamais été un père ! Je refusais de penser que je partageais les mêmes gènes qu'un taré mental... Bizarrement, cette simple idée germant dans mon esprit, me remplit de bonheur. Il ne lui restait plus qu'à me tuer et je m'en fichais...

- Tu n'es pas ma fille biologique Ellie.

Alors là, c'était le coup de grâce... Pourquoi ce qu'il me disait à cet instant me touchait autant. Un véritable paradoxe s'installait dans mon esprit et je détestais cela. Pourquoi est-ce que des larmes menaçaient de mouiller mes joues écorchées ? Je le détestais, il jouait avec mes nerfs, j'en étais certaine !

- Tu n'as rien trouvé d'autre ?

Mon ton se voulait tranchant mais il était plutôt de l'ordre du petit chaton qui essaye de se défendre en miaulant, face à un tigre du Bengale... J'étais vraiment pitoyable.

- Ta mère a...

Il se pinça l'arrêt du nez entre ses deux doigts fins et respira un grand coup avant de tout déballer.

- Je ne l'ai su que très peu de temps avant que tu partes pour les États-Unis. C'est la raison pour laquelle je t'ai fait signer un accord de confidentialité sur les affaires. Il ne fallait pas qu'il te prenne l'envie de te mettre de son côté...

- Du côté de maman ?

- Agnès s'est mise dans la tête qu'elle pouvait me détruire. Elle pensait que j'étais dangereux pour toi.

- Comment l'en blâmer.

Mon ton était sarcastique mais le regard assassin qu'il me jeta, m'obligea à rester tranquille pour le moment

- J'ai trouvé un test de paternité qu'elle avait effectué sur la personne d'Andreï Arazov...

- Non... C'est...

Mon sang se glaça... Ce vieil homme était mon père et je ne l'avais vu qu'une seule soirée dans ma misérable vie. Cette même nuit, il était mort sous mes yeux, par les mains de ma mère... Mon Dieu ! J'allais devenir complètement folle, pourquoi ? Qu'est-ce que j'avais manqué pour que les pièces du puzzle ne s'emboîtent pas comme il le fallait ?

- Je pense que tu as besoin que l'on te dise la vérité Ellie. Une bonne fois pour toute.

- Je...

- J'ai toujours voulu que tu sois la fierté de cette famille. Je te jure que tout ce j'ai fait, c'était dans un seul but : celui de te rendre invincible, inatteignable. Il fallait que les gens te craignent. Dans mon univers, c'est la seule option qui permet de rester en vie.

- Tu es complètement fou...

- Moi ? Ou ta mère ? Elle t'a enlevé à moi ! Elle a tout détruit !

- Tu n'as pas non plus été très loquace...

- Tu as disparu de mes radars pendant des mois ! Quand je t'ai enfin localisée, j'ai envoyé un avertissement à cet Adam. Je reconnais que les choses ne se sont pas passées comme je l'imaginais. Je crois que quelqu'un d'autre lui a monté la tête et je n'ai pas pu évité que...

- Tu as tué ma fille ! La seule chose qui me rendait heureuse : tu l'as assassiné ! Tu répands la mort autour de toi !

J'avais hurlé ces dernières paroles en lâchant quelques larmes. La douleur était encore si vive... Je vis Nicolas David baisser la tête devant quelqu'un pour la première fois de sa vie. Je crus même percevoir une once de tristesse dans son regard, d'habitude si froid et inexpressif.

- Papa... Qu'est-ce qui s'est passé ce fameux soir de décembre ? Dis-moi pourquoi mon véritable géniteur est mort ? Il avait découvert des choses compromettantes ?

J'essayai d'adoucir l'homme que j'avais en face de moi afin d'obtenir des réponses. Il fallait que je sache tout, que j'ai le point de vue de toutes les personnes présentes durant cette soirée.

Il émit un rire sans joie, amer et triste. Il entreprit de m'asseoir correctement face à lui. Sans me regarder, il commença son récit :

- Ta mère a tenté, derrière mon dos, de détruire l'empire qu'avait construit mon père et mes ancêtres avant lui. J'ai été élu à la place de gérant d'une organisation criminelle au niveau européen. Mais tout cela tu le sais déjà... Agnès a voulu... tout quitter. Mais on ne s'enfuit pas d'un tel monde : on en accepte les règles où l'on peut commencer à creuser sa tombe. Mon père a tué sa propre femme pour être sûre de maintenir l'empire à flot. Il jugeait qu'elle pouvait le trahir à tout moment. Il lui a tranché la gorge juste devant mes yeux... J'avais neuf ans. Je me souviens encore de l'odeur caractéristique du sang. Elle te prend au nez et c'est comme si elle n'immisçait dans tous les pores de ta peau...

Son récit me remplissait d'effroi mais je le laissai continuer sans l'interrompre. Après tout, si je voulais des réponses, il fallait que je sois patiente.

- J'ai aimé Agnès... Même quand j'ai appris qu'elle faisait partie de la DGSE. Je ne voulais pas ressembler à mon père mais les cartes étaient déjà jouées bien avant ma naissance. Toi... Tu resteras toujours ma fille quoi qu'il arrive. Je t'aime Ellie et je sais que je ne te l'ai pas assez dit mais... Je ne suis pas fait comme la plupart des hommes. On m'a appris à être comme je suis et je ne sais pas faire autre chose. C'est comme ça.

- C'est trop facile...

Ces mots étaient sortis par inadvertance de ma bouche, mais je ne pus les retenir. Comment mon père pouvait justifier ses multiples homicides ? Sa cruauté ? Le fait qu'il enferme sa propre fille afin de lui tirer les vers du nez ? Rien ne pourrait attendrir mon cœur face à cet homme... Pour rester en vie assez longtemps, il fallait tout de même que je joue le jeu. Cependant en avais-je la force psychologique ? Le regard qu'il me lança jeta un doute en moi, qui me remplit de terreur. 

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