⇝ Chapitre 72
— C'est demain soir, gémit Mike en repoussant son assiette vide. Et on n'a même pas pu faire nos essais !
— Tu n'as pas confiance en notre matériel ? Tout sera comme aux répétitions, le rassure Caitlin en remplissant les verres d'eau de tout le monde. La seule chose qui va changer, c'est l'endroit où nous serons !
— On a déjà joué là-bas plusieurs fois, ajoute Jay en se levant pour mettre les deux casseroles dans l'évier. Tout s'est toujours bien passé !
L'excitation est là, au creux de mon ventre. Cela fait si longtemps que nous n'avons pas fait de concerts, tant nous avons été accaparés par notre album ! Cette soirée ne peut que nous faire du bien.
— Je n'aime pas trop quand on ne peut pas voir la scène avant, s'entête Mike en s'affalant sur le dossier de sa chaise.
— On a ce luxe seulement depuis qu'on remplit des salles de concert, rappelle Alice en lui jetant un regard perplexe. Jusqu'à il y a quelques mois, on découvrait les choses quelques heures avant voire quelques minutes ! Ça ne t'a jamais posé problème, si ?
J'échange un regard entendu avec elle. Elle marque un bon point. A mon avis, Mike se méprend sur la source de ses inquiétudes.
— Maintenant, si, réplique mon ancien correspondant en fronçant les sourcils. Vous imaginez s'il y a un problème avec les flammes ?
— Mike, le réprimande Luke d'un ton pourtant teinté de gentillesse. On s'est entraîné chaque jour avec ce même matériel, et on a fait deux filages aujourd'hui sans qu'il n'y ait un seul problème. Pourquoi voudrais-tu qu'il y en ait un demain ?
— Surtout que nous serons dans le public et pourrons vous dépanner le cas échéant, s'immisce Kit en fronçant les sourcils, avant que Mike ne puisse rétorquer quoi que ce soit.
Le regard qu'il lance à Mike est incertain.
— Et si on n'a pas de chance ? Et si on rate complètement ? s'entête Mike en se redressant d'un coup sec. Et si tout s'arrête brutalement ? Je ne veux pas retourner à mon ancienne vie !
A mon tour, je me redresse aussi sur ma chaise, la peur au ventre. Pourquoi diable me rappelle-t-il l'existence de cette affreuse possibilité ? Mes muscles se crispent.
— Tu as conscience que ce que tu dis est irrationnel ? intervient calmement Freddie. Tu ne fais pas confiance à tes amis ?
Tout en détaillant le bassiste avec bienveillance, le chanteur pose sa main sur la mienne, ce qui apaise presque aussitôt ma terreur absurde. Bien sûr qu'il a remarqué que je m'étais figée.
Son geste n'échappe à personne.
— Si ! Bien sûr que si ! s'exclame Mike, les joues rouges.
— Tout s'est très bien passé jusqu'à présent et vos répétitions tout autant, rappelle calmement le parolier. Même Mathieu n'a rien trouvé à en redire, ce qui, d'après ce que j'ai compris, relève du miracle tant il est exigeant. Alors, accroche-toi plutôt à cette vérité !
— Ça ne diminue pas mon inquiétude, geint Mike, le visage tordu par une expression douloureuse.
— Est-ce que tu ne serais pas en train de déplacer ton stress là-dessus plutôt que sur la véritable raison ? interrogé-je alors, me rappelant la discussion que Freddie et moi avions eu quelques jours plus tôt, alors que Mike était venu se confier.
En guise de réponse, Mike grimace.
— Je vais y réfléchir, élude-t-il, sous l'air soucieux de Caitlin.
— Tout ira bien, Mike, le rassure Luke en lui tapotant l'épaule.
Et curieusement, je ne sais pas s'il parle du concert de demain, de Sad Joy, de ses problèmes de cœur ou de stress.
Veux-tu savoir ce que je lui ai conté, alors que sa main était sur mon épaule et que je sanglotais ?
J'étais si secret que c'est terminé maintenant.
Mais je t'aime encore, je t'aime encore, je t'aime encore !
C'était ce qu'il avait écrit dans La danse de ma vie, et c'était d'ailleurs à peu près tout ce qu'il restait des premiers mots qu'il avait posés dessus.
Mike reporte ses yeux verts sur moi lorsqu'il déclare, en soupirant :
— Il faudra bien.
Je cherche un instant ce que je pourrais répondre à ça, mais suis coupée par l'apparition soudaine de la tarte aux fruits réalisée par Alice. Les yeux de Mike s'éclairent.
— Oh, Alice ! C'est ma préférée ! s'écrie-t-il, avec une joie extrême, presque enfantine.
— Je sais, affirme-t-elle en souriant gaiement, la pelle à tarte dans la main. J'imagine que tu veux le plus gros bout ?
— Bien sûr ! s'offusque aussitôt le bassiste, sous nos rires.
Quelques minutes plus tard, Mike semble ragaillardi et s'il restait le moindre recoin vide dans nos estomacs, il est désormais comblé.
— Désolé les amis, s'excuse-t-il. Je crois que le manque de dessert exacerbe mes émotions.
A côté de moi, Jay s'étrangle en avalant son verre d'eau et Alice est obligé de lui taper dans le dos.
— Seulement le manque de dessert ? le taquiné-je, alors qu'il m'offre un sourire penaud.
Le reste de la soirée s'écoule rapidement : on débarrasse la table, met les assiettes, verres et couverts dans le lave-vaisselle, nettoie les grosses casseroles qui ne rentrent pas dedans, et chacun vaque à ses occupations. Je rejoins Alice et Caitlin dans la piscine, mon livre avec moi, et observe la nuit tomber à leurs côtés.
Le ciel est rose, teinté de mauve et des premières étoiles. Vénus scintille comme si c'était la dernière fois, un instant masquée par le vol de quelques oiseaux. Une clameur monte de la ville, signalant le début de la soirée. Je respire à pleins poumons l'air estival chargé de fleurs et d'oliviers. La soirée a un goût d'éternité.
— En tout cas, lance tout à trac Alice, je trouve que tu n'as pas de chance, Emmy. Tu passes de Charybde en Scylla !
Je m'arrache à ma contemplation. Caitlin et moi lui jetons un regard interloqué.
— Qu'est-ce qu'il se passe, avec Freddie ? questionne alors Alice.
Tout le monde s'était attendu à ce que Freddie et moi nous éloignions l'un de l'autre, à l'issue de la discussion que nous avions eue et de ses multiples demandes, mais force était de constater que c'était tout l'inverse qui s'était produit. Non seulement nous n'avons jamais été aussi proches, mais en plus de ça, je m'endors et me réveille chaque jour à ses côtés. Mais jamais nos lèvres ne se sont ne serait-ce qu'une fois rencontrées.
— Je ne sais pas, finis-je par dire.
Parce que c'était la vérité. Lui et moi avons passé un accord tacite : on ne se pose pas de questions. Et je dois dire que cela me convient.
Alice me fait les gros yeux.
— Tu n'as pas dormi une seule fois sans lui depuis qu'ils sont rentrés. Je crois qu'il faudrait que vous arrêtiez de vous voiler la face.
— Il ne m'a pas embrassée non plus, répliqué-je en fronçant le nez.
— Il en meurt d'envie, argue la batteuse en haussant les épaules. Crois-moi, tu devrais-...
— Alice ! la réprimande Caitlin. Ça ne te regarde pas. Je sais que tu veux simplement donner des conseils, mais je pense que pour une fois, on devrait tous ne pas le faire.
Je jette un regard plein de reconnaissance à Caitlin et entreprends de reprendre ma lecture.
— J'ai promis à Kit que je poserai la question, explique Alice, la mine déconfite, étant donné qu'il n'ose pas demander lui-même à Freddie, de peur que ça brise votre... euh... relation.
J'hausse les épaules.
— Pour le moment, cette situation me convient.
— C'est le principal, commente Caitlin, d'un ton qui suggère de conclure la discussion.
Alice hoche la tête et se mure dans ses pensées. Je me replonge dans ma lecture.
Quand il devient clair qu'il fait trop sombre pour continuer à lire, j'abandonne mes deux amies à la nuit et rentre au frais dans la maison. J'expédie ma douche et enfile ma nuisette en coton, avant de redescendre d'un étage. Mais, quand je frappe à la porte de la chambre de Freddie, le silence me répond. Inquiète, je me faufile dans la pièce obscure et m'aperçois qu'elle est vide. Je pose mon livre sur la table de nuit et descends un étage supplémentaire dans la seule pièce où Freddie peut se trouver à une heure pareille.
Le cœur battant, je frappe délicatement à la porte de la salle de musique, d'où quelques notes au piano s'échappent. La mélodie est douce, teintée d'amour et de tendresse. Il m'invite à entrer et je pousse la porte.
— Je savais que tu viendrais, lance-t-il, sans se retourner. J'ai ça en tête depuis des heures.
Ses doigts courent à nouveau sur le piano et jouent le même assemblage.
— C'est très joli, dis-je en m'approchant.
— Je pensais à toi la première fois que ça m'est venu, explique-t-il d'une voix un peu rauque.
Il se tourne vers moi, les yeux pensivement fixés sur le sol et poursuit :
— Je voudrais bien écrire sur un thème particulier mais je ne suis pas certain de pouvoir le faire sans me-...
Sans me blesser. C'est ce qu'il allait dire. Je lui jette un regard interrogatif, sans trop comprendre pourquoi il s'est interrompu d'un coup. Ses joues sont cramoisies quand ses yeux remontent jusqu'à mon visage.
Je tire sur le bas de ma nuisette, le corps enflammé à l'idée de ce qui vient de lui traverser l'esprit en m'apercevant. Cela fait quelques jours que je la porte, mais je n'avais pas remarqué qu'elle était si moulante et courte, et manifestement, lui non plus, puisqu'à chaque fois j'ai gardé mon déshabillé (ou kimono, je ne sais toujours pas comment je dois qualifier ce type de peignoir léger). Mais ce soir, j'avais trop chaud.
Il toussote légèrement,
— Excuse-moi, je n'avais jamais remarqué que-... Enfin, peu importe.
Pourtant, le regard qu'il me lance est si brûlant que j'en rougis aussitôt.
— Tu voulais écrire sur un thème particulier ? le relancé-je, en m'asseyant à côté de lui, mon pouls cognant si fort qu'il doit l'entendre aussi.
Il se tourne vers le piano et joue encore une fois la mélodie, son épaule contre la mienne. Je me demande pourquoi il a pris la peine de remettre une chemise après sa douche, et surtout, comment il peut porter des manches longues en plein été.
— Mon amour, j'ai vu l'univers s'effondrer à travers tes yeux
Quand je t'ai dit que j'étais mourant
Mais j'ai perdu le droit de t'appeler ainsi, entonne-t-il, avec mélancolie.
— Tu veux une chanson d'amour, observé-je le cœur battant toujours aussi vite.
Il relève la tête et se tourne vers moi.
— Je pense, affirme-t-il d'un assuré, que je n'aurai plus jamais l'occasion d'écrire avec la femme que je-...
Il ne termine pas sa phrase et déglutit, l'air soudainement terrifié par les mots qui ont failli franchir ses lèvres.
— Tu n'as pas besoin de te justifier avec moi, déclaré-je avec douceur, espérant voir disparaître l'étincelle de peur au fond de ses prunelles. Tu n'as pas besoin de le dire.
Il acquiesce et m'offre un sourire désolé. J'attrape une guitare acoustique que j'accorde rapidement. J'imite les notes qu'il a jouées plus tôt et rajoute un air à la suite.
— Les mots que nous ne pouvons pas dire dansent entre nous
Je sais que tu voulais me dire je t'aime
Et que tu m'as souri alors que tu te sentais mourir, chanté-je, les yeux à moitié dans le vague.
— Em...
— Ça ne rime pas, marmonné-je, pour moi. Mais ça va avec la musique.
— Em, répète-t-il encore, d'un ton presque suppliant.
Je me lève et me dirige vers la petite table, sur laquelle traînent un paquet de feuilles blanches et un stylo. Je m'assois sur le tapis et écris rapidement les mots que nous venons de prononcer tous deux, annonciateurs d'une tragédie dont je ne préfère pas imaginer l'ampleur.
— Tu ne peux pas rentrer dans mon jeu et écrire de telles choses, déclare-t-il en me rejoignant.
Je lui jette un coup d'œil. Ses cheveux cachent son regard déstabilisant.
— Parce que j'ai dit quelque chose de faux ? le provoqué-je, en reposant le stylo sur la table.
Il secoue la tête, atterré, et ses mèches aile de corbeau s'écartent de ses iris.
— Non, et c'est bien le problème.
Ses yeux descendent vers mes lèvres. Une braise tombe sur mon cœur, suivie d'une autre, et d'encore une autre, tant et si bien que mon corps tout entier s'embrase.
— On ne peut pas écrire une chanson comme ça tous les deux. Ça nous ruinerait.
— Mais tu en as envie, objecté-je à mi-voix.
— Toi aussi, constate-t-il en plongeant son regard dans le mien.
Pendant un instant, il n'y a plus que ses yeux et les miens. Le reste n'existe plus. Pendant un instant, le spectre morbide de l'avenir s'efface et reste en retrait. Je vois clairement le moment où il lâche prise, le moment où il se dit « et puis zut », le moment où son âme bascule dans la mienne.
La seconde suivante, ses mains sont sur ma taille, les miennes autour de sa nuque, mais ses iris n'ont pas bougé d'un iota, toujours liés aux miens.
— Je vais t'embrasser, annonce-t-il, sans préambule. Mais je ne te garantis pas que je pourrai m'arrêter pour finir cette chanson.
Pour toute réponse, j'approche mon visage du sien jusqu'à sentir son souffle sur mes lèvres.
— Je ne t'arrêterai pas, murmuré-je en détaillant les taches de rousseur sur son visage.
Il m'observe un instant à travers une frange de cils noirs, et ses lèvres franchissent les quelques centimètres qui nous séparent. Je laisse échapper un soupir de satisfaction : ces derniers jours passés sans pouvoir le toucher ont été une torture pour moi. Mes doigts s'égarent sur son torse et dans ses cheveux sous la brûlure de la fièvre dans mes veines.
Ses mains me plaquent contre lui, et je crois... je crois que c'est à ce moment-là que la situation a dérapé. Que lui comme moi avons perdu le contrôle. Sa respiration s'accélère quand ma bouche embrasse son cou et que mes mains tremblantes déboutonnent les premiers boutons de sa chemise.
Je perds à mon tour mon souffle quand ses lèvres se perdent sur ma gorge et à la naissance de ma poitrine, et rougis davantage lorsqu'il frôle mon oreille de sa bouche.
— Je peux ? demande-t-il, le souffle court, ses doigts figés sur les bretelles de ma nuisette.
— Tout ce que tu veux, je réponds, en avisant ses lèvres tremblantes.
Avec une douceur inouïe, il fait glisser mes bretelles et l'entièreté de ma tenue jusqu'à ma taille, et je plaque mes lèvres sur les siennes. Je sens à ses gestes moins mesurés qu'il a perdu les pédales, surtout quand la totalité de mes vêtements atterrit à quelques mètres de nous et quand il m'aide à retirer sa chemise.
— Et moi, chuchoté-je en désignant le pantalon qu'il porte encore, je peux ?
— Il n'y a rien que je puisse te refuser, surtout quand tu me le demandes, murmure-t-il d'une voix enrouée par la passion.
Je l'embrasse à nouveau, mais il se fige lorsque mes mains descendent plus bas.
— Qu'y a-t-il ? interrogé-je en suspendant mon geste, le cœur battant.
A ma grande surprise, un sourire moqueur se dessine sur son visage.
— C'est seulement que mes préservatifs ne sont pas dans cette pièce et que si je te laisse continuer, je ne vais pas pouvoir aller en chercher sans que ça ne soit gênant si je croise quelqu'un.
Ce brusque retour à la réalité me fait éclater de rire et je me recule pour le laisser se lever. Cela me fait aussi subitement réaliser que nous n'avons pas fermé la porte à clés et que la situation aurait été très embarrassante si quelqu'un avait voulu rentrer.
— Je reviens vite, m'indique-t-il, avant de ponctuer sa phrase d'un clin d'œil et de se glisser à l'extérieur.
Quant à moi, je me penche à nouveau vers la feuille à l'origine de ce dérapage, que je choisis consciencieusement d'ignorer. Ce sera un problème pour l'Emmy de demain. Je fredonne à nouveau l'air auquel nous avons abouti et répète les paroles, imaginant une voix seulement accompagnée par un piano et une guitare acoustique.
— Il n'y a personne comme toi,
Mon cœur reconnaît le tien,
Pourquoi ne me le donnes-tu pas ? chanté-je, avant de froncer les sourcils. Non, ça ne va pas.
Au même moment, la porte s'ouvre à nouveau sur Freddie, toujours torse nu, les cheveux en bataille et le regard brillant de fièvre. La mienne grimpe en flèche quand il referme la porte – à clés, cette fois.
— Il n'y a personne comme toi,
Nos âmes s'emmêlent et s'entrelacent,
Serais-je un jour à toi ? Ça ne va toujours pas, grommelé-je alors que le chanteur se rassoit à côté de moi.
— Em, dit-il sans me regarder, si tu veux qu'on termine cette chanson maintenant, par pitié, rhabille-toi.
Je lui jette un regard espiègle. Le texte attendra !
— Je te distrais ? demandé-je en me plaçant entre lui et la table, face à lui et son âme enflammée.
Il pose ses mains sur mes hanches nues, le regard assombri par le désir, le corps brûlant.
— Oui, Émilie.
Je me contente de lui sourire et de l'embrasser avec passion. Le reste de ses vêtements rejoint les autres sur sol, et il n'y a plus que sa peau contre la mienne, son souffle saccadé contre mon oreille, mon âme contre la sienne.
Il finit par glisser une main sous mes genoux et me soulever jusqu'au canapé, qui, je l'admets, est plus confortable que le tapis. Ses lèvres sont à nouveau sur les miennes, nos mains parcourent nos corps comme les étoiles sillonnent le ciel, nos âmes tremblent l'une contre l'autre. Cette nuit-là, les étoiles ont brûlé.
🎶🎶🎶
— Tout va bien ? demandé-je, alors qu'il peine à reprendre son souffle, le visage encore enfoui dans mes cheveux. Tu trembles.
— Tu trembles aussi, observe-t-il en se redressant légèrement.
Des mèches sombres tombent sur son visage, jetant des ombres sur ses pommettes et ses traits délicats. Il me contemple avec dévotion, à travers un rideau de cils noirs.
— Ce n'est rien, objecté-je en laissant échapper un soupir frémissant.
J'écarte les cheveux de son visage et il dépose un tendre baiser sur ma bouche avant de se laisser glisser dans le mince espace entre moi et le dossier du canapé. Je me blottis contre lui et mon cœur entreprend de valser aux côtés du sien quand je m'aperçois qu'il fait de même.
Il murmure alors une phrase, dont je ne comprends pas le sens. Mais il s'est exprimé avec douceur, en gallois, ses doigts effleurant mon dos, les mots m'évoquant la chaleur d'une caresse et l'apaisement que lui seul m'apporte.
— Qu'est-ce que ça veut dire ? demandé-je tout de même.
— Cwtch, répète-t-il. On l'utilise quand on ressent à la fois la chaleur et la sécurité, quand on est dans un endroit où on se sent à l'abri et aimé.
— C'est aussi ce que je ressens, chuchoté-je en enfouissant mon visage dans son cou.
Il resserre son étreinte, mais ne dit pas que nous sommes tous deux une maison éphémère, sans doute parce que comme moi, il ne le sait que trop et veut éterniser l'instant.
Pendant un moment, seule la musique de nos respirations emmêlées remplit la pièce. Je songe alors au texte inachevé sur la table. Il ne nous aura fallu qu'une chanson pour succomber. Qu'un poème incomplet.
Au loin, une chouette ulule dans la nuit, tandis que de nouvelles étoiles s'allument déjà. Les autres ont brûlé trop vite, trop fort. L'âme mélancolique, je comprends que la vie m'a accordé ce moment seulement pour que je ne regrette rien, qu'on ne me donnera pas plus qu'un vif chemin scintillant à travers le ciel noir de la vie, qu'il ne sera qu'une étoile filante un peu trop brillante dans ma vie à moi, dont je n'aurai de cesse de chercher l'écho et la lumière aveuglante.
Tu es une étoile filante, et moi je suis forcée d'être vivante.
Je me relève et me défais de son étreinte, le cœur tremblant face à ce constat effrayant. Je ne veux pas que le temps continue, je ne veux pas vieillir si ça signifie vivre sans lui.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demande-t-il avec douceur.
J'avale péniblement ma salive tandis qu'il se relève aussi et rassemble mes cheveux dans ma nuque. Ses lèvres déposent un chaste baiser sur mon épaule. Je ferme les yeux un bref instant avant de répondre.
— Je ne veux pas rejoindre Solange sans t'avoir à mes côtés, je ne veux pas que tu sois déjà là-bas, à m'attendre avec elle.
Il retient son souffle une seconde de trop avant de murmurer :
— Nous sommes impuissants face à l'ordre naturel des choses.
Je me tourne vers lui, les yeux brillants.
— Et tu ne voudrais pas le bouleverser ? Forcer le destin ?
Le regard qu'il me lance est si compatissant que mon cœur se serre.
— Je l'ai déjà trop forcé, me rappelle-t-il, un sourire triste aux lèvres. Le jour où je t'ai invitée à venir composer avec moi, je t'ai planté un poignard dans le coeur. Le jour où je suis allé aux auditions de Kit et Jay, je leur ai jeté une bombe qu'ils ne peuvent pas désamorcer. Le jour où je vous ai invités ici, je nous ai condamnés. J'ai déjà un peu trop essayé, tu ne crois pas ?
Je baisse les yeux vers sa main posée à quelques centimètres de la mienne et songe à la façon dont mon âme l'a patiemment attendu, sans même que j'en ai conscience. Pourquoi ? Pourquoi mon cœur a-t-il choisi celui qui disparaîtra un jour dans mes bras ? C'était injuste, il ne devrait pas être malade, il ne devrait pas souffrir autant, il ne devrait pas mettre tant d'efforts à éviter l'amour.
— Et tu ne veux pas insister ? interrogé-je encore, avec espoir.
Pendant un instant, il me paraît évident qu'il va me rabrouer, comme les autres fois. Pendant un instant, j'imagine qu'il va me répondre que si, il brûle de faire changer d'avis le destin, qu'il déplacera des montagnes s'il le faut, mais que quoiqu'il arrive il bouleversera la façon sombre dont la fatalité a tracé son chemin dans le ciel. J'imagine que nous ne sommes pas nés sous deux étoiles opposées, que nous ne sommes pas les amants maudits d'une pièce tristement connues, qu'il me reviendra toujours, d'une façon ou d'une autre.
— Je crois que c'est ce qu'on est en train de faire, déclare-t-il à ma plus grande surprise.
Je ne réfléchis pas quand je plante un baiser sur sa bouche. Et contrairement aux précédents, il n'est pas teinté de passion, désir et urgence, seulement empreint d'une profonde et violente tristesse.
Il essuie délicatement une larme sur mon visage.
— Pourquoi pleures-tu ?
— Je pleure ce que nous n'aurons pas, expliqué-je en me détournant vite, trop vite, de son regard.
Il n'ajoute rien quand je récupère nos sous-vêtements et me rhabille à moitié, et se contente d'en faire autant. Je jette un regard hésitant au tas que forme ma nuisette sur le sol, et j'attrape sa chemise, abandonnée à quelques mètres de nous, l'enfile et entreprends de boutonner quelques boutons.
— Pour ne pas te déconcentrer, précisé-je avec un sourire narquois.
Il n'ajoute rien en avisant mes yeux rouges. Il fait semblant, comme moi. Parce que c'est plus facile de prétendre que nous sommes simplement deux musiciens amoureux. Parce que c'est plus facile d'ignorer l'ombre de l'ange de la mort qui s'étire déjà derrière lui, parce que c'est plus facile de faire comme s'il pouvait simplement m'aimer.
Alors, il hausse un sourcil moqueur.
— Elle est à moitié transparente, rappelle-t-il en parcourant mon corps d'un regard teinté d'admiration. Mais je te taquinais, je suis tout à fait capable d'écrire dans ces conditions.
A ces mots, il s'assoit sur sol, face aux feuilles sur la table et entreprend de les relire.
Tu es une étoile filante, et moi je suis forcée d'être vivante.
Je veux juste être ton amante pour une dernière nuit rougeoyante,
Que tu me murmures les mots que tu gardes précieusement dans ton âme éclatante,
Ceux qui brillent entre nous et que je n'ose pas hurler ailleurs que dans une chanson.
Mon amour, tu es bien plus qu'une amante.
J'appartiens déjà à la nuit, et toi tu es l'ange de l'aube grandissante.
Un abysse profond nous sépare et t'embrasser ne fait qu'enfler cette plaie béante,
Et montrer à la vie que je n'ose pas t'aimer ailleurs que dans mes chansons.
Animés d'une énergie nouvelle, la chanson prend un autre tournant et finit par évoquer autant notre nuit que notre relation impossible. Mais à chaque phrase amoureuse, nos lèvres finissent scellées, comme une promesse silencieuse que chaque baiser ne sera pas le dernier. Et quand, après avoir enregistré avec nos téléphones une version de la chanson, nous quittons la pièce, je n'ai pas à lui demander de dormir avec moi, il m'entraîne dans sa chambre sans dire un mot. Là-bas, au creux de la nuit, nos vêtements s'éparpillent à nouveau dans la pièce et seuls des soupirs et mots d'amour brisent le silence sépulcral de la mort tapie dans l'ombre.
🎶🎶🎶🎶🎤❤️❤️❤️🎤🎶🎶🎶🎶
Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Merci d'avoir lu ce chapitre !
Est-ce qu'il vous a plu ? 😏 Pensez-vous que ce soit de bonne augure pour la suite, que Freddie changera d'avis ?
Que pensez-vous de la chanson que lui et Emmy ont écrit au cours de ce chapitre ?
A nouveau, j'ai choisi de le faire un peu plus léger (sinon, avec ce qui va arriver dans les parties 9 et 10, vous allez vraiment me haïr haha 😬)
En tout cas, les prochains chapitres sont concentrés sur le concert de Sad Joy ! J'espère que vous êtes prêts ! 🤭😏
J'en profite aussi pour vous dire que si vous le souhaitez, vous pouvez retrouver la playlist de Le temps d'une chanson sur Spotify ! Il vous suffit de taper le titre dans la barre de recherche 🥰
(Les chansons ne sont pas vraiment classées, car j'ajoute au fur et à mesure celles qui m'inspirent et m'aident à écrire aha)
En tout cas, je vous souhaite une bonne fin de vacances, et une bonne rentrée, si comme moi vous reprenez lundi ! (Oui, quand on est prof, on reprend un peu avant 😅)
Je vous souhaite plein de réussite, en tout cas ! ❤️
Prenez bien soin de vous et profitez du soleil ! 💜
A samedi prochain ! ❤️🥰
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