⇝ Chapitre 54

Le poids sur ma poitrine s'est envolé. C'est amusant que la musique, que ce soit la mienne ou celle d'un autre, m'aide toujours à surmonter mes difficultés. Je n'ai pas menti, lorsque j'ai dit à Freddie que sa voix m'apaisait. L'échange que nous avons eu, il y a à peine quelques minutes, me paraît bien loin. A présent, le chanteur m'observe d'un air sonné.

— Je... j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? m'alarmé-je.

Il secoue la tête.

— Non. Non, ne t'inquiète pas. C'est juste que je ne pensais pas avoir autant d'impact sur toi.

Comme d'habitude, sa franchise me désarme. N'importe qui aurait trouvé n'importe quelle excuse ou l'aurait dit avec plus d'égard, mais pas lui. C'est à mon tour d'être honnête avec lui :

— Je sais que tu ne me considères pas comme une amie mais plutôt comme une collègue, mais ce n'est pas mon cas. Pour moi, tu es quelqu'un d'important.

Le parolier me jette un regard incrédule.

— Mais enfin, Emmy, évidemment que tu es mon amie ! s'exclame-t-il, en secouant la tête.

Un petit rire franchit ses lèvres avant qu'il n'ajoute, un sourire amusé aux lèvres :

— Avec tout ça, je pensais que c'était clair.

Je me balance d'un pied à l'autre.

— Tout ça... tu veux dire que le fait que tu nous aies invités chez toi clairement parce que j'ai craqué ?

— Entre autres, confirme le chanteur. Je l'aurais fait pour n'importe lequel d'entre vous.

J'acquiesce, même si l'idée qu'il ait agi juste pour moi me plaisait un peu plus. Il se rassoit à côté de moi. J'étire mes bras douloureux (l'escalade en a trop demandé à mes pauvres muscles).

— Je t'avoue que si tu n'avais pas été là, je serais partie me promener. Ou plutôt, je serais partie en courant dans la forêt.

Je grimace, songeant que Luke n'aurait sans doute pas aimé découvrir que j'étais partie toute seule au beau milieu de la nuit, et à raison.

— Tu n'avais vraiment pas l'air d'aller bien, quand tu es arrivée toute à l'heure. Je connais bien le coin, je peux t'indiquer quels itinéraires tu peux suivre, si tu veux toujours prendre l'air.

Je secoue la tête.

— Je ne pense pas que c'était une bonne idée. Je voulais juste m'enfuir loin de tout... ça. Je n'aurais probablement pas su comment rentrer et aurais passé la nuit dehors à errer de chemin en chemin.

— Je vois.

Il n'y a pas de jugement dans sa voix, si bien que je me surprends à poursuivre :

— Tu n'as pas vu le dernier message, mais quelqu'un a sous-entendu que j'ai-... que j'ai-...

Je soupire sous le silence éloquent du chanteur, qui m'a déjà conseillé plusieurs fois de ne pas ressasser et de ne pas lire tout ça.

— Quelqu'un a dit que la mort de Solange n'était peut-être pas un accident et que j'avais pu faire partie des instigateurs, ou pire...

L'horreur est telle que je ne parviens pas à terminer ma phrase. Peu importe, je n'en ai pas besoin : Freddie a très bien compris ce que j'omets. Il se crispe, je le sens à la tension qui émane soudainement de lui.

— Emmy, dit-il pourtant d'un ton très doux, tu sais que ce n'est basé sur rien du tout, n'est-ce pas ?

— Jamais je n'aurais pu... Enfin on parle d'une des personnes qui m'était le plus chère !

— Je sais, affirme-t-il. Nous le savons tous. Cependant, ce que tu me dis là, ça frôle l'illégal.

— Ça n'était qu'un commentaire... Tu es en colère, observé-je, en remarquant ses mâchoires crispées et et ses poings serrés.

— Oui, car c'est de l'acharnement. Je ne t'en ai pas encore parlé, mais si tu souhaites porter plainte, c'est aussi possible. Ça ne devrait pas rester impuni.

Je grimace.

— Il y a tellement de pseudonymes, tellement de gens... Ce n'est pas possible.

— Ils ont l'habitude, objecte le chanteur.

Un instant, je m'imagine me rendre au commissariat. La peur me broie aussitôt les entrailles. Et si l'on ne me croyait pas ? Et si l'on me répétait que je n'avais qu'à être plus forte, aussi blindée qu'un char ? Que je n'avais qu'à choisir une autre profession et assumer ?

— Je ne peux pas, soufflé-je. Je ne peux pas.

— Ce n'est pas grave. Il faut simplement que tu saches que c'est possible et que tu n'es pas seule pour gérer ça. Pourquoi n'en parles-tu pas à Alice, Luke, Caitlin et Mike ? Je suis sûr qu'ils préfèreraient le savoir. Même Mathieu aimerait être au courant, même si ça ne fait pas plaisir à entendre.

— Tu ne crois pas que je risque de les blesser en leur confiant tout ça ?

Il se mord la lèvre. Il sait que je dis vrai. Il sait aussi pourquoi j'ai préféré le lui dévoiler à lui.

— Pense à toi avant de penser à eux, rétorque-t-il pourtant. Tes amis sont solides, et vos liens seront renforcés, si vous faites front ensemble. Pour le moment, il n'y a que toi, mais ça ne durera pas. Jay, Kit et moi, on est tous passés par là. Malheureusement, vous ne ferez pas exception.

Face à mon air dubitatif, il ajoute :

— S'il-te-plaît. C'est important. Parles-en demain. Promets-le moi.

Il s'est exprimé d'un ton sérieux, le visage teinté d'une légère inquiétude et les yeux empreints d'un éclat que je n'arrive pas à identifier.

— D'accord, finis-je par accepter. Mais il faudra peut-être que tu prennes le relais, si je n'arrive pas à finir mes phrases.

— Je suis certain que tu t'en sortiras très bien.

— Je ne veux pas qu'ils aient pitié de moi.

— Tu ne peux pas contrôler ce que ressentent les gens, argue le jeune homme. De plus, ne pas leur dire n'y changera rien et déplacera simplement le problème. Crois-moi, ajoute-t-il avec un léger sourire. J'ai déjà testé et Jay et Kit n'ont pas été très contents.

— Tu as sûrement raison, soupiré-je.

Alors qu'il prend un air moqueur et semble sur le point de clamer qu'évidemment, il a raison, je lui coupe l'herbe sous le pied en remblayant :

— D'ailleurs, je voudrais te faire écouter quelque chose. Je l'ai écrite ce soir. Ça s'appelle Un pas après l'autre.

— L'escalade t'a visiblement inspirée, commente-t-il alors que je reprends mon téléphone et cherche l'enregistrement que j'ai réalisé il y a peine une petite heure.

Je me sentais si bien ! Comment cela a-t-il pu se détériorer si vite ? Je retiens un profond soupir et lance la chanson, laquelle évoque bien sûr mon avancée à l'aveugle vers l'inspiration et le contournement de mon blocage. Il y a probablement beaucoup de gens devant faire face à ce genre de situation et peut-être que la méthode qui a fonctionné pour moi marchera pour eux. De même, les quelques leçons que j'ai apprises au détriment de ma personne leur profiteront peut-être.

— Le texte est différent de ce que tu écris d'habitude, observe le chanteur, à nouveau caché derrière son masque de professionnel. Le changement d'air a du bon. J'imagine que tu veux que les autres ajoutent leur style ?

J'hoche la tête.

— Oui, je pense que les paroles vont encore changer. Cependant, l'essentiel du message est là.

— Alors tu sais quoi faire demain après leur avoir parlé, conclut Freddie en se levant, un sourire encourageant sur le visage. Il est tard, ou tôt, cela dépend du point du vue, on devrait dormir.

— Tu as sans doute raison, j'admets en jetant un coup d'œil à l'heure.

Il m'offre un dernier sourire avant de me demander :

— Ça ira ?

J'acquiesce.

— De toute façon, la chambre d'Alice n'est pas très loin de la tienne, si ça ne va pas.

Il me faut quelques secondes pour réaliser que si j'en ressens le besoin, ce n'est pas dans la chambre d'Alice que j'irai chercher du réconfort. Le prénom auquel je pense me noue les entrailles.

— Bonne nuit, Emmy, poursuit le chanteur sans se départir de son sourire amical, avant de s'éclipser.

— Bonne nuit, murmuré-je, le ventre crispé.

Mais il est déjà loin.

Quand est-ce que cela s'est produit ? Comment ai-je pu être aussi aveugle ? Je soupire et me laisse à nouveau tomber sur le canapé. Cette fois, ma situation est réellement désespérée. Néanmoins, la perspective de continuer à faire l'autruche me remonte le moral et me donne la force de retourner dans ma chambre sans faire un détour par celle de quelqu'un d'autre. La nuit, sujette aux confidences et au laisser-aller est parfois pleines de fausses vérités et recouvre souvent d'un voile brumeux des sentiments qu'on ne ressent pas d'habitude.

🎶🎶🎶

— Pourquoi dit-on de telles horreurs ? Comme si elle prenait trop de place et que tu avais voulu prendre la sienne ! s'exclame Alice, les larmes aux yeux. A ce moment-là, on pourrait aussi m'accuser de la même faute !

Voilà déjà une bonne heure que le petit-déjeuner est terminé et que Mathieu est arrivé pour que nous puissions avoir notre débriefing sur nos volontés concernant l'album, lequel n'avance pas très bien, si l'on reste réaliste. Pour le moment, aucun thème majeur ne nous est apparu et nous nous sentons tous un peu démunis à notre façon face à la montagne de travail à abattre. Par où commencer ?

Mais aujourd'hui, je n'ai pas vraiment laissé le temps aux autres de s'exprimer et ai tout de suite monopolisé la parole, sous le regard encourageant du chanteur de Dark Fate, qui, comme il me l'a promis, est resté avec moi, même s'il s'est plutôt assis à côté d'Alice, laquelle m'observe à présent avec effroi.

— C'est répugnant ! s'exclame Mike avec dégoût.

A côté de moi, Caitlin me prend mon téléphone des mains et pianote dessus sans que je ne puisse rien y faire.

— Voilà, dit-elle en me le rendant. Tu ne recevras plus rien, maintenant que j'ai supprimé les applications de ton téléphone. Tu les remettras dans quelques mois ! On aurait dû faire ça bien plus tôt !

— On ne peut vraiment pas réagir ? demande Luke, les yeux rivés sur Mathieu. Pas même un post public ou quelque chose ?

Notre manager se gratte le menton, l'air embêté.

— Je crains que tu n'envenimes les choses. Gemma dit que comme toutes les vagues, celle-ci finira par passer.

— Ça commence quand même à durer, là, insiste Mike. Et c'est violent.

Alice se tourne vers son voisin, lequel m'observe avec compassion.

— Freddie, qu'est-ce que tu ferais, toi ?

Sans me lâcher du regard, il répond :

— Je disparaîtrais quelques mois pour écrire mon album et je supprimerais tous les réseaux sociaux de mon téléphone.

— Parfait, alors !

— Je n'ai pas la science infuse, commence le chanteur en reportant cette fois son attention sur Alice, et-...

— Peu importe, coupe notre manageur. Ça me semble déjà être un bon point de départ. Il faut que tu te protèges, Émilie.

Je grimace. L'impuissance prend le pas sur la peur. S'il n'y a rien que je puisse faire, autant ignorer ce qui se passe, non ?

— Vous avez raison, capitulé-je. J'ai cependant une bonne nouvelle : j'ai écrit quelque chose hier soir et j'aimerais que vous l'écoutiez. Si ça vous plait, on pourra peut-être travailler dessus les prochains jours et voir ce qu'on peut en faire !

— Très bien ! s'écrie Mathieu. Concentre-toi là-dessus, je suis sûr que ça t'aidera à prendre de la distance et à oublier tout ça. (Il se tourne alors vers Freddie :) Tu voulais me demander quelque chose ?

— Oui, confirme le parolier, je pourrais te demander un service ? C'est lié à tes compétences en tant que coach vocal.

— Tout ce que tu voudras ! se réjouit notre manager, alors que Kit et Jay reviennent de la ville, les bras chargés de victuailles, puisque nous sommes censés accueillir Ludovic demain.

— Il faudrait que j'arrive à chanter du Céline Dion, indique le chanteur, d'un ton très sérieux.

— Tu te payes la formation que tu n'as pas pu avoir ? se moque Jay, en référence au refus de Sainte-Charlotte.

— Et il a bien raison, appuie Mike, en inspectant les courses d'un œil avide.

— Pour quand ? demande notre manager.

Freddie hausse les épaules.

— C'est pour une chanson que je n'arrive pas à chanter. En l'état, ma voix ne me permet pas d'atteindre les notes que je veux sans que ça ne sonne atrocement faux.

— Une de vos nouvelles chansons ? s'immisce Alice, les yeux brillants.

— Non tu ne l'écouteras pas de sitôt, répond aussitôt le chanteur, devinant sans doute les intentions de cette dernière.

— Ce n'est même pas drôle ! râle-t-elle.

— Peut-être que tu auras droit à une avant-première, poursuit pourtant le parolier, qui semble regretter ses mots dès l'instant où ils atteignent les oreilles d'Alice, qui pousse un cri de joie.

J'imagine qu'elle ne cessera jamais de s'extasier sur eux ! Et au final, c'est une bonne chose, car je pense qu'elle est l'une des seules à ne pas avoir perdu sa joie de vivre.

Elle pointe un index accusateur dans ma direction.

— Tu as souri ! (Elle se tourne vers Freddie) Je vais t'embêter plus souvent.

Celui-ci se contente de secouer la tête d'un air blasé, tandis que je songe à la venue de Ludovic, qui va sans doute me faire beaucoup de bien et me permettre d'oublier le prénom que mon cœur m'a murmuré cette nuit.

🎶🎶🎶🎤🎸🎤🎶🎶🎶

Hello ! Comment allez-vous ?

Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ? Emmy n'a volontairement pas divulgué le prénom qui la hante, mais j'imagine que vous avez votre petite idée, n'est-ce pas ? 🤭

Dans ce chapitre, on apprend également que Ludovic est en chemin pour rejoindre nos protagonistes ! A votre avis, que va occasionner ce moment tous ensemble ?
J'ai vraiment hâte que vous lisiez les chapitres suivants ! Je vous préviens, ils sont... riches en émotions (du moins pour certains... 👀)

Bref, vous en saurez plus vendredi prochain ! 😊

(PS : j'ai changé la couverture car je n'étais pas satisfaite de l'autre... et je ne suis toujours pas satisfaite de celle-ci 😅)

Prenez soin de vous ! ❤️

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