Chapitre 7 : Mastications et Léo-chou

Les journaux commençaient à publier des articles sur "Léo, le disparu". Pour cause, ça faisait une semaine que plus personne n'avait eu de nouvelle. Mais dans le journal local où Charlotte travaillait, on avait interviewé le flic que la mère de Léo avait contacté. N'ayant aucune piste, mais selon l'expérience, il pourrait s'agir d'un enlèvement. Dès lors que le journal était distribué, les théories s'échauffaient et les questions aussi. Mais qui aurait pu vouloir le mal de ce jeune homme ? Qui était le monstre qui aurait pu faire ça ? Avec sa popularité, l'article était directement allé sur Google Actualité, une fois qu'il a été publié sur Internet.

C'était ce que regardait Charlotte, sur sa deuxième journée de repos. Le pire était probablement les commentaires sous les publications du journal, des différents réseaux sociaux. Sur Facebook, on souhaitait surtout le retour du disparu. Sur Instagram, il n'y avait que des bots pour le moment. Mais Tweeter, c'était encore différent. Il y avait encore peu de commentaires, mais les quelques-uns...

Les insultes fusaient, et les défenseurs de la peine de mort se donnaient à cœur joie, avec des "pdm" et des "mais qui pourrait l'enlever ? Faut être un sacré taré pour ça !".

Charlotte sentait une pointe s'enfoncer dans son cœur. Tous ces mots, c'était contre elle. Contre sa personne. Bien sûr qu'ils la jugeaient, ils ne la connaissaient pas. Ils ne savaient pas ce qu'elle avait traversé, ce qu'il lui avait fait, ce qu'il avait dit. Ils ne connaissaient pas sa douleur, ce qu'elle ressentait actuellement. On était toujours le méchant dans une version. On était toujours un monstre, le monstre de la victime. Ils ne connaissaient qu'une partie de l'histoire, ils ignoraient que c'était Léo, son monstre à elle.

Ce fut avec la gorge serrée qu'elle décida d'éteindre son portable pour sa dernière journée de repos de la semaine.

...

Il fallait croire que les cernes et les insomnies étaient devenues une habitude pour la jeune femme. Elle avait à peine eu le temps de s'asseoir à son bureau qu'elle avait dû repartir pour son rendez-vous. Le ventre noué, elle essayait de se rassurer. C'était le moment de la rencontre avec la copine de Léo. D'après Dorian, c'était quelqu'un de jaloux. Ça promettait.

Elle se gara là où elle trouva de la place, attrapa son appareil photo et son carnet, vérifia qu'elle avait bien fermé à clé la voiture, et prit la route. Charlotte avait déjà dû se rendre quelques fois dans cette ville, et elle ne l'appréciait pas. Les maisons étaient collées, avec des vieilles briques grossières, une rue commerciale bondée de personnes qui parlaient fort et qui ne savaient pas gérer leurs enfants, des commerçants peu accueillants. Elle traversa un passage piéton et faillit se faire renverser par un conducteur, occupé sur son portable. Ce fut avec un cœur battant à tout rompre qu'elle arriva devant l'adresse fournie par la dénommée Marine.

Celle-ci était déjà devant le portail, avec un débardeur et une mini-jupe, tellement mini qu'elle dévoilait à chaque mouvement sa culotte.

S'efforçant de garder les yeux sur le visage de la jeune femme, elle sentit aussitôt qu'elle ne la supportera pas. Tout semblait grossier chez elle, ses traits qui semblaient trop gros pour la forme de sa tête, ses cheveux impeccablement coiffés et volant au vent, sa peau sans imperfection, ses grands yeux en amande... Et elle mâchonnait impoliment un chewing-gum. Elle lui rappelait les vaches qu'elle avait vu pendant la route. Elle toisa Charlotte de haut en bas, et celle-ci se tritura les mains.

« Hum. C'est toi la journaliste ? Je m'attendais à quelqu'un de plus vieux. M'enfin bref, viens.

Le tutoiement. Elle ne la considérait pas comme quelqu'un qui travaillait, qui avait pris de son temps pour aller la voir. Sa pointe d'agacement fut noyée par l'appréhension. Répondrait-elle à ses questions ? Et si Léo lui avait déjà parlé d'elle ?

Elle traversa un petit jardin et entra dans une maison... Un peu trop coloré au goût de la journaliste. Les murs lui piquèrent les yeux, de même que la forte odeur des fleurs posées sur la table au centre de la pièce. À l'image de sa propriétaire. Une femme, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à Marine, le maquillage et les vêtements courts en moins, lui sourit, quoique avec un peu de dédain.

— Vous êtes ?

— M'man, c'est la journaliste qui doit m'interviewer.

— Oh. Et vous souhaitez quelque chose à boire ?

— N-non merci.

— Bon, et bien je vous laisse.

Elle monta des escaliers en bois qui craquèrent sous ses pas. Le bruit de mastication du chewing-gum donnait envie à Charlotte de museler la fille de son âge, mais elle se contenta de sourire, mal à l'aise. Marine l'invita à s'asseoir et fit de même, en s'écrasant presque sur sa chaise. Ça lui rappelait une baleine échouée sur une plage, sans les kilos. Essayant d'oublier ces critiques à son égard, la journaliste riva ses yeux dans son carnet.

— Donc... Vous sortez avec Léo, c'est ça ?

— Ouais.

— Depuis combien de temps ?

— Octobre. Je le connais depuis septembre.

— Oh... D-

— Quoi ?

— R-rien... Donc, euh... Pouvez-vous me parler un peu plus de votre rencontre ?

Pendant près d'un quart d'heure, Marine donna de nombreux détails sur elle et Léo. Ils se seraient rencontrés près du bowling, ça aurait été "le coup de foudre". Elle était avec ses copines et avait pris son courage à deux mains pour lui parler. Ils avaient plaisanté, elle le trouvait coincée mais sympa. Puis elle raconta son premier baiser avec... Et Charlotte cessa de suivre. La jeune femme en face d'elle prenait manifestement plaisir à donner des détails que la journaliste ne voulait pas entendre et dont les lecteurs s'en ficheraient probablement aussi. Aussi, elle se contenta d'attendre qu'elle termine son monologue en partant dans ses pensées. Elle ne ressentait même pas de pincement au cœur, juste du vide. Un vide abyssal qui lui permettait de rester neutre, sans émotions.

Visiblement, Marine n'avait même pas remarqué que Charlotte ne prenait plus de notes. Quand elle finit enfin de parler, la jeune blonde choisit une autre question.

— Comment est Léo habituellement ? Au niveau du caractère ?

— Oh, assez coquin, tu sais. Il aime...

— Hum, je voulais dire en dehors de votre... Relation.

— Un peu coincé, il faut l'avouer. Il aime bien rigoler, mais il est un peu trop timide, à part au lit. Mais j'ai dû lui dire qu'il pouvait me toucher les...

— Euh, et donc, croyez-vous à la théorie de l'enlèvement ?

Agacée de s'être fait coupée la parole, elle claqua la langue contre son palais et mit du temps avant de répondre, laissant le bruit de mastication briser le silence et l'odeur des fleurs donner une légère migraine à l'invitée.

— Mon Léo-chou est fort et courageux. Il survivra et réussira à partir, je le sais. Et puis, au pire, il a qu'à se défendre, j'ai envie de dire. Sinon, je vais rappeler Maxime, au moins lui il sait...

— Maxime ?

— Ouais, mon ex. Un bon coup. Mais euh, tu ne le mets pas dans ton article, hein. J'ai pas envie de passer pour la pute de service. Disons simplement, que de temps en temps, j'aime faire appel à lui.

— S'il est vraiment kidnappé, c'est qu'il ne peut pas s'enfuir. Il est bloqué...

— Personne ne peut toucher à mon Léo-chou. Qui voudrait lui faire du mal ? Il est tellement innocent et discret, personne penserait à l'enlever. Et puis, excuse-moi, mais tu as un mec ?

— Non.

— Ça se voit. Quand on est en couple, on fait confiance à son mec ou sa meuf, c'est la base. 'Fin faut quand même vérifier dans les messages au cas où, hein...

— Vous avez pu parler avec sa mère ?

— Nan, Léo lui a rien dit sur nous. Il avait peur qu'elle le prenne mal. Sa daronne est seule, en même temps. Il serait temps qu'elle se trouve un mari... Tu l'as interviewé aussi ?

— Un de mes collègues doit s'en occuper.

— Hmf.

Son expression de dédain et son chewing-gum lui donnaient envie de l'étrangler. La jeune femme se contenta de faire un sourire de circonstance.

— S'il n'a pas été kidnappé, alors quelle est votre théorie ?

— Ma théorie ?

— Oui, sur l'affaire.

— Oh, bah... Léo-chou doit nous faire une blague.

— Vous pensez vraiment que c'est une blague ?

— Ouais, je sais, vu comment je l'ai décrit, on dirait pas qu'il aime en faire. Mais je le vois bien quand même le faire, quoi. Genre disparaître quelques jours, bon ça fait une semaine mais voilà, je le vois bien réapparaître après en faisant "surprise !". Même s'il m'énerve, d'ailleurs.

Elle ne connaissait que peu "Léo-chou". Même Charlotte, qui, en soit ne lui avait jamais reparlé amicalement disons, savait que c'était très peu probable de sa part. Le dernier regard de supériorité que lui lança Marine la décida à se venger. Enfin, une petite vengeance à la Charlotte.

— Saviez-vous que Léo regardait les autres filles ?

— De quoi tu parles ? Léo-chou...

— J'ai pu interviewer Dorian, il m'a affirmé qu'il aimait les regarder. Il le fait souvent quand vous avez le dos tourné.

Marine se leva d'un bond, faisant sursauter Charlotte.

— Alors lui, il va m'entendre ! Léo, regarder d'autres meufs ? Il n'a aucun droit ! Dès qu'il reviendra, il me suppliera à genou de revenir !

— Je dois y aller, merci pour le temps accordé.

— ... Je me mettrai en valeur et il regrettera... ! »

Elle vociférait encore quand la jeune femme referma la porte derrière elle. Ce fut avec un petit sourire victorieux qu'elle quitta la maison. Au moins une petite lumière dans ces ténèbres. Une petite vengeance comme elle les aimait. Pendant le trajet du retour, elle repensa à tout ça... Et plongea dans ses souvenirs.

...

Sept ans plus tôt...

Plusieurs semaines s'étaient écoulées, depuis la discussion entre Léo et Charlotte. Elle avait plus ou moins intégré le groupe de Léo, même si elle avait encore du mal à se sentir à sa place. Le jeune homme ne parlait pas beaucoup, pour ne dire pas du tout, au milieu de ce groupe joyeux et vivant. Charlotte avait donc fait la connaissance de Robin, l'ami le plus proche de Léo, Mathieu, un blond silencieux sauf quand Robin parlait, et Lou, une grande pipelette qui aimait visiblement plaisanter et rigoler. Ils avaient été très gentils envers la jeune femme, mais ils semblaient bizarres avec Léo. Il se tenait à l'écart, et personne n'essayait de l'inclure dans la conversation, contrairement à Charlotte où tous les sujets lui étaient expliqués.

En revanche, elle devenait inséparable du jeune homme silencieux. Léo ne semblait s'ouvrir qu'à elle, ce qui lui faisait plaisir. Il se confiait de plus en plus, et quand ils n'étaient pas en train de discuter pendant les intercours et les récréations, ils échangeaient à travers les réseaux sociaux ou en SMS.

Elle était vraiment heureuse à ses côtés. Elle qui était très souvent pessimiste, elle arrivait à trouver un côté rassurant dans leur relation, une bulle face au monde. Elle l'appréciait pour de nombreuses raisons ; déjà, il semblait lui faire confiance pour lui confier des choses, il avait un vrai sens de l'humour, il semblait vouloir apprendre à la connaître en lui posant des questions sur elle et sa famille.

Il lui arrivait de se coucher bien plus tard que prévu ou de rater un film juste pour lui parler et apprendre à le connaître davantage.

Jusqu'à ce qu'elle découvre une chose qu'elle ignorait chez lui, qui va changer sa vision définitivement.

Lors d'une des nombreuses conversations nocturnes avec le jeune homme, ils commencèrent à parler de sujets plus sérieux que d'habitude.

Je suis refait, ma mère m'a dit que j'allais avoir un chien !

Oh, trop bien ! Il y a une raison particulière ?

Oui, ma psy m'a dit que ça pourrait m'aider

Un chien aide à redonner confiance aux personnes et autres

Je suis refait

Trop cool ! Tu as réfléchi à un nom ?

Pas encore, j'attends de voir

Mais je suis quand même content

Tu m'étonnes !

Bon, ma psy m'a dit qu'un chien pourrait m'aider mais pas non plus me guérir totalement

Genre, ça aide, mais ça me sortira pas de là si je fais rien, comme je me sens souvent déprimé

Oh, je savais pas... Enfin, je m'en doutais un peu, mais... Je suis désolée.

Tu pouvais pas le savoir, hein

Je te l'ai jamais dit

Oui, mais quand même... Ça fait longtemps ?

Je vois une psy depuis presque 2 ans, et on m'a diagnostiqué il y a 1 an

Diagnostiqué... De dépression ?

Oui

Je suis dépressif.

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