Les chasseurs de primes

Sa tête lui faisait atrocement mal, il avait l'impression que son corps était recouvert par des centaines de cadavres. Tous ses membres étaient lourds et il n'arrivait pas à les bouger. Il sentait malgré tout, les rayons du soleil réchauffer son visage et lui apporter un peu de réconfort. Mais il ne put en profiter pleinement, son dos le lancinait presque autant que son crâne. Il réussit tout de même à bouger un doigt, puis deux. Sa respiration se fit de plus en plus rapide et la douleur qu'il ressentait à la tête était de plus en plus présente, si bien qu'il n'arrivait pas à entendre ce qu'il se passait autour de lui.

Une voix murmurait à son oreille, une voix douce et féminine. Mère ? Il voulut ouvrit la bouche pour l'appeler mais ne put rien faire.

« Doucement mon garçon, chuchotait-elle dans sa tête, tout ira mieux bientôt, je dois seulement soigner cette vilaine blessure. Dis-moi donc comme t'es-tu fait cela ?

–C'est Berengar, s'entendait-il répondre mais ses lèvres ne s'ouvraient pas pour autant. Pendant l'entraînement il était en colère, il a dit plein de choses et il m'a fait tomber et a continué à me frapper. Mais ce n'était pas sa faute Mère, il était seulement très énervé.

–Ce n'est pas une raison pour te faire du mal, tu n'as pas mérité ça. Qu'il ait été énervé ne justifie pas ses actes. J'irais parler à la reine.

–Non ! S'exclama-t-il en se redressant vers sa mère. Berengar va le savoir et il sera encore plus en colère. Il dit que je mérite ce qu'il me fait parce que père était un fermier. »

Il vit lady Gweirith serrer les dents en continuant à soigner sa blessure à la joue.

« Cet enfant est le plus ingrat que les Dieux aient amené en ce monde, marmonna-t-elle. Je vais tout faire pour que ça ne se reproduise plus, d'accord ? Tu verras, tout ira mieux bientôt, je te le promets. »

Elle déposa un tendre baiser dans les cheveux de son fils et cette vision s'effaça petit à petit. Durlan faisait tout ce qui était en son pouvoir pour garder sa mère un peu plus longtemps près de lui mais il était trop tard. Ne me pleure pas mon garçon, mon heure est arrivée. Promets-moi de rester le garçon courageux que tu es, peu importe ce qui arrive. Tu es un prince de l'Aube, le soleil finira toujours par se lever. Il voulait pleurer mais n'y arrivait pas. Au lieu de cela, son corps se mit à le lanciner un peu plus.

Puis Durlan se souvint de ce qui l'avait mené à ces douleurs. La perte de son titre, son cousin qui voulait sa tête, sa fuite, la journée de voyage, les soldats puis les trois bandits. Il revit chacune de ces scènes et son cœur se serra. Il avait tout perdu et voilà qu'à présent, il était certainement prisonnier d'une bande de voleurs et de meurtriers. Peut-être pouvait-il essayer de négocier avec eux ? Il se débrouillait en diplomatie. Ce n'est pas de la diplomatie qu'il va me falloir, c'est un miracle.

Il ouvrit lentement les yeux, aveuglé par le soleil, et un gémissement sortit de sa gorge contre son gré. Il mit une main devant son visage et tenta de sa redresser mais son corps tout entier criait de douleur. Il passa sa main dans ses cheveux et y découvrit une bosse assez conséquente, ajoutée à du sang séché.

« Ça y est, la princesse est réveillée ? »

Il leva les yeux vers les trois bandit assis autour d'un feu en train de griller du gibier. Seuls le nain et l'orque le regardaient, le troisième gardait les yeux rivés sur l'épée qu'il était en train d'affuter. Alléché par l'odeur de viande, Durlan s'assit tant bien que mal et se cala contre un arbre, tentant d'ignorer ses douleurs et son ventre qui criait famine.

« Où est-ce qu'on est ? Demanda-t-il d'une voix faible.

–Dans la forêt, ça ne se voit pas assez ? Lança le nain.

–Si mais dans quelle forêt ? Sommes-nous toujours sur les Terres de l'Aube ? »

L'orque et le nain se regardèrent un instant et soufflèrent en même temps. Le nain expédia ses questions d'un revers de la main et s'occupa de la viande.

« Tu nous donnes mal au crâne à poser toutes ces questions, lui répondit l'orque. Mais oui, nous sommes toujours sur les Terres de l'Aube. »

Son cœur se mit à battre la chamade. Il devait absolument partir pour les Terres d'Ambre. Il tenta de se lever, en vain. Le nain se mit à ricaner en le voyant s'épuiser pour rien.

« Tu comptes aller où comme ça ? L'interrogea-t-il. Tu restes avec nous.

–Pourquoi est-ce que vous voudriez de moi ? Demanda Durlan en fronçant les sourcils.

–Pour l'argent bien sûr ! Répondit l'orque comme s'il s'agissait là d'une évidence. Ta tête est mise à prix mon garçon. »

Des chasseurs de primes.

« C'est pour ça que vous m'avez sorti d'affaire ? Pour empocher la rançon ?

–Tu poses trop de question, grommela le nain. La viande est prête, à table. »

Le nain découpa de grosses tranches dans le sanglier rôti et les distribua à chacun, même à Durlan dont le regard n'arrivait pas à quitter le mystérieux homme encapuchonné.

« Merci, souffla-t-il lorsque le petit homme lui apporta à manger. »

Il avait si faim qu'il aurait pu manger l'animal en entier, et même davantage.

« Au fait, je m'appelle Durlan, fit-il pour lancer une discussion.

–Mouais, le Bâtard de l'Aube sonne mieux, rétorqua l'orque.

–Comment ça, le Bâtard de l'Aube ?

–C'est comme ça qu'ils t'ont appelé sur les affiches de mise à prix. »

Berengar ne s'était même pas donné la peine de donner son vrai nom. À présent, tout le monde allait l'appeler par ce nouveau titre. Il m'en a pris un pour m'en donner un autre, c'est si attentionné.

« Moi c'est Murzol, fils de Murzol, continua l'orque avant de pointer le nain. Et lui c'est Torestrin Silvermaul, fils de Bommurum.

–Silvermaul ? S'étonna le jeune homme. Vous avez une ascendance royale ?

–Très lointaine, marmonna le nain. »

Mais de sang royal tout de même. Son cœur se serra davantage. Son sang à lui avait perdu toute sa royauté.

« Et ce gars là-bas ? Demanda Durlan. Qui est-ce ? »

Murzol et Torestrin se regardèrent un instant avant d'éclater de rire, l'un allant même jusqu'à recracher son eau par le nez.

« Tu vas voir si c'est un homme lorsqu'elle aura enlevé ses chausses ! S'exclama l'orque. »

Durlan se sentit immédiatement rougir.

« Veuillez m'excuser madame, je ne savais pas. »

Alors que les deux autres se mirent à rire encore plus fort, la femme s'arrêta dans son ouvrage et tourna la tête vers lui. Il distingua ses traits fins, ses yeux magnifiquement bleus et ses lèvres pulpeuses. Comment ai-je pu la confondre avec un homme ?

« Vas-y, lança Torestrin, appelle-la madame encore une fois et c'est de toi qu'elle va faire une dame !

–Tu vas vite apprendre qu'Elecia n'est pas le genre de femme à qui on met des jupes, renchérit Murzol en séchant ses larmes de joie. Madame Elecia, j'aurais tout entendu.

–T'es plus dans ton château mon gars, termina le nain. »

Il regarda de nouveau Elecia qui lui lança un regard noir avant de reporter son attention sur son épée.

« Il y a quelque chose qui me taraude l'esprit depuis que je vous ai vu pour la première fois, fit Durlan pour changer de sujet. Qu'est-ce qu'un orque, un nain et une... humaine ? font ensemble. »

Les deux hommes se tournèrent vers Elecia qui ne fit même pas attention à eux.

« Tu vois, fit l'orque à son attention, lui aussi pense que t'es une humaine. Tu ne veux juste pas avouer que t'es de ces pucerons.

–Je ne fais pas parti de son peuple, répondit-elle sèchement.

–Mouais, je ne suis toujours pas convaincu, lui dit Murzol avant de se tourner de nouveau vers Durlan. Pour te répondre, qu'est-ce que nous faisons ensemble ? Disons qu'on se supporte.

–Les chasseurs de primes voyagent généralement seuls, affirma le jeune homme.

–Crois-moi, tu préfèrerais être avec Elecia plutôt qu'en concurrence avec elle. C'est une vraie machine de guerre. »

L'intéressée ne releva même pas les yeux vers eux. Son comportement le déroutait, elle semblait être en colère contre le monde entier et en même temps, pas mal s'en ficher. Et pourquoi persiste-t-elle à se cacher ? Ils finirent de manger en silence et Durlan ne cessait de se poser des questions. Ils ont dit qu'ils me voulaient pour de l'argent, mais pourquoi me traitent-ils aussi bien ? Puis les chasseurs de primes éteignirent le feu et commencèrent à remballer leurs affaires. Mais lorsque Murzol s'approcha de lui avec une corde, il effectua un mouvement de recul.

« Qu'est-ce que vous faîtes ? S'indigna-t-il.

–Tu ne croyais tout de même pas qu'on allait te laisser vagabonder avec nous sans être attaché ? Lui répondit l'orque. Jusqu'à preuve du contraire, tu es notre prisonnier.

–Vous ne pouvez pas me ramener à Irindor, fit-il.

–Bien sûr qu'on le peut, s'exclama Torestrin, et on va le faire.

–Mon cousin me tuera.

–On se fiche bien de ce que ton royal cousin te fera, lança Elecia à la surprise de tout le monde. Tant qu'il nous donne l'argent c'est tout ce qui nous importe. »

Son cœur battait la chamade, il ne pouvait pas les laisser le ramener là-bas. Qui sait ce qui m'attend là-bas ?

« Berengar n'a aucune parole, déclara-t-il. Il vous donnera l'argent certes, mais à la seconde où vous lui aurez tourné le dos, il vous fera arrêter. Non seulement il aura eu ma tête sans débourser la moindre pièce, mais il se sera débarrassé de trois voleurs et meurtriers.

–Ton cousin aura beau essayer mille ans de me tuer il n'y arrivera pas, rétorqua Elecia en se rapprochant de lui. Qu'il essaie seulement de me toucher et je lui tranche les deux mains. Qu'il ordonne à ses gardes de nous arrêter et je lui arrache la langue. Qu'il pense, ne serait-ce qu'une seconde, à nous piéger et je fais sauter sa tête. »

Durlan déglutit difficilement en voyant l'air menaçant sur le visage de la jeune femme, et l'ombre qu'en apportait sa capuche ne faisait que renforcer sa peur.

« Prenez-moi avec vous, murmura-t-il. »

Alors que le nain et l'orque éclatèrent de rire, Elecia restait de marbre et le considéra comme s'il n'était rien de plus qu'un cafard.

« Pourquoi est-ce qu'on ferait ça, bâtard ? Cracha-t-elle. »

Sa phrase lui fit le même effet qu'un poignard dans le cœur.

« Je sais me battre, j'ai eu une éducation noble, la stratégie et la géographie n'ont aucun secret pour moi. Je peux vous aider.

–On s'est bien débrouillé sans toi jusqu'ici, répliqua Torestrin. »

Il ne savait que faire, mais il savait qu'il fallait à tout prix qu'il les convainque.

« Je n'ai pas peur de tuer, fit-il.

–Nous non plus, répondit Murzol.

–Donne-moi une seule bonne raison de d'accepter et de ne pas te faire taire à jamais, ajouta la jeune femme. »

De bonne raison, il n'en avait pas et c'était là son plus grand souci.

« Je ne veux pas mourir, souffla-t-il sincèrement. »

Il s'attendait à des rires mais il n'en fut rien. Au lieu de ça, Elecia resta à le dévisager longuement, semblant réfléchir à toute allure.

« Si tu viens avec nous, nous n'empocherons jamais la rançon, releva Torestrin.

–Emmenez-moi sur les Terres d'Ambres, dit-il, à Lakar. La reine vous paiera cher pour me voir en sécurité.

–Combien ? Demanda Murzol.

–Bien plus que ce que mon cousin veut vous offrir. Les Terres d'Ambre sont le royaume le plus riche des humains, elle saura vous récompenser.

–Nous ne sommes pas des pigeons voyageurs porteurs de messages, marmonna le nain.

–Non mais vous êtes des chasseurs de primes, déclara-t-il fièrement, et votre intérêt premier est l'argent.

–Je commence à bien l'aimer ce petit, lança l'orque. »

Le regard de Durlan croisa les yeux de saphir d'Elecia et il la défia en silence. Elle restait impassible, ne lui montrant rien de ce qu'elle pouvait penser, ce qui le déstabilisait quelque peu.

« Si tu parles de trop, commença-t-elle, je te couperai la langue moi-même, bouge de trop et je te jette en pâture aux loups, trahis-moi et je te décoche une flèche entre les deux yeux, mens-moi et je te ramène directement à ton cousin. Suis-je claire ? »

Il resta pantois quelques instants. Sans savoir pourquoi, il était effrayé par cette femme. Il savait que ses paroles n'étaient pas du vent et qu'elle n'hésiterait pas à les exécuter, et c'est ce qui lui faisait peur. Le moindre faux pas et elle me tue. Mais avait-il d'autre choix ?

« Parfaitement claire. »

Elle s'éloigna de lui et se dirigea vers l'une de leur monture, un hongre noir.

« Tu vas monter avec Murzol le temps qu'on te trouve un cheval, déclara-t-elle en passant un pied dans l'étrier, ne compte pas sur nous pour te tracter jusqu'à Lakar. »

Puis elle monta en selle, sa cape se déployant sur la croupe de son cheval.

« Me trouver un cheval ? Vous avez assez d'argent pour en acheter un ? Demanda-t-il alors que le nain montait sur son double-poney et l'orque sur un coursier. »

Murzol se mit à rire de ce rire gras qui lui était propre avant de lui tendre la main.

« Tu ne crois tout de même pas qu'on va dépenser des pièces pour te payer un cheval mon garçon ? Plaisantait-il. Ton cheval, on va le voler.

–Bienvenue dans la vraie vie ! S'exclama le nain en voyant la tête consternée du jeune homme. »

Durlan attrapa le bras de l'orque et se hissa derrière lui alors qu'Elecia s'enfonçait déjà dans la forêt, sans même vérifier s'ils la suivaient. Il la regarda longuement. Il n'arrivait pas à la cerner. À l'admirer ainsi, de dos et cachée sous sa cape, elle ressemblait à une lady, gracieuse sur sa monture, le dos parfaitement droit. Mais il l'avait vu se battre la veille, elle ne se battait pas comme lui ou un autre homme. Elle était plus agile, plus souple, plus légère, plus rapide et avait encore une fois, de la grâce dans ses gestes. La voir combattre en était presque beau, comme une danse. Et puis lorsqu'elle lui a adressé la parole, elle n'avait fait que le menacer, lui promettre sa mort, c'était bien loin de ce qu'il avait pu imaginer d'elle.

Quant au nain et à l'orque, il commençait déjà à les apprécier. Ils ressemblaient beaucoup à ses amis de la taverne, à rire pour des pacotilles et à respirer le bon-vivant, même s'ils pouvaient se montrer dur. Je suppose que leur vie dans la nature y est pour beaucoup. Il ne savait pas encore s'il pouvait leur faire confiance, peut-être même qu'ils l'emmenaient à son cousin sans qu'il le sache, perdu comme il était, mais il n'avait qu'eux. S'ils n'étaient pas intervenus, il n'aurait pas donné cher de sa peau.

Il repensait à ce qu'il a pu leur dire. Prenez-mois avec vous. Il avait été sincère. On lui avait tout enlevé, il n'avait plus rien alors devenir un chasseur de primes était la seule option qu'il avait, en plus de mourir mais il tenait à sa vie. En tant que bâtard dont la tête était mise à prix, vivre comme un bandit était la seule chose qu'il pouvait faire, et il savait que ces trois-là pouvaient le comprendre. Après tout, ne sont-ils pas eux aussi des parias ?

Il essaya de leur donner une identité, une histoire. Torestrin lui a avoué qu'il avait une lointaine ascendance royale, peut-être lui aussi avait été rejeté pour son faible sang royal ? Et Murzol était un orque tout ce qui avait de plus normal. Sans doute avait-il commis un crime qui l'a obligé à s'enfuir. Quant à Elecia, il n'arrivait pas à savoir. Son apparence était celle d'une humaine mais elle avait été catégorique, elle n'était pas comme lui. Et après réflexion, il se dit que la race humaine ne lui allait pas, elle dégageait quelque chose qui n'était pas humain. Certainement qu'elle était une sang mêlé, à moitié humaine.

Il écarta l'idée des elfes puisqu'ils avaient disparu deux siècles auparavant et elle n'avait ni les cheveux blancs, ni les oreilles pointues, ni les yeux violets. Elle n'avait rien des demi-elfes, ses oreilles étaient trop petites et ses cheveux trop bruns. Elle était trop grande pour être une naine, trop gracieuse pour avoir du sang de troll, trop jolie pour être à moitié orque. Si elle avait du sang de nymphe, sa peau aurait été décorée d'écorces si sa mère avait été une dryade, ou il aurait fallu qu'elle vive près de l'eau si elle était une naïade. Il restait les sirènes mais là encore, il dû écarter cette option, elle ne possédait ni branchies ni d'écailles sur la peau. Il pensa alors aux druides mais si elle en avait été une, elle porterait l'emblème de l'Ordre afin qu'on la reconnaisse, et il n'avait jamais entendu parler d'un quelconque druide chasseur de primes. Mais qui est-elle donc ?

Alors que la forêt défilait lentement autour de lui, il se perdit dans ses pensées, oubliant qu'il était recherché et en danger. Il se posa mille et une questions dont il n'aurait certainement jamais la réponse. Elecia ne voulait pas l'entendre parler, seulement empocher la récompense que lui procurera sa tête. Même s'il mourrait d'envie d'en apprendre plus sur ses origines, sa bouche resta close. Il n'oubliait pas ce qu'elle lui avait dit. Si tu parles de trop je te couperai la langue moi-même. Mais s'il ne pouvait rien obtenir d'elle, Murzol et Torestrin se montreraient certainement plus loquaces. Avec un peu d'alcool, on peut tout savoir. 

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