Chapitre 3

Le long bloc abritant le fameux « couloir de la mort » était effectivement semblable à celui regroupant les détenus condamnés à perpétuité, excepté le fait que la construction formait un très grand « L ».

Là encore, un gardien était assis à un bureau, surveillant le couloir.

Finch, le gardien-chef Vince et David s'arrêtèrent devant chacune des cellules : John Finch semblait tenir à présenter, au moins sommairement, le nouveau jeune directeur à tous les détenus, et vice versa.

Certains avaient un air parfaitement normal, anodin. Quelques uns paraissaient même tout à fait courtois et charmants. Si l'on ne s'était pas trouvé dans cet endroit, David se dit qu'ils auraient pu passer sans problème pour de sympathiques collègues ou voisins.

On était loin de se douter des horreurs qu'ils avaient commises pour se retrouver là, à attendre d'être électrocutés, exécutés par la justice des hommes.

D'autres, cependant, étaient franchement plus inquiétants, comme notamment un dénommé Ruppert dont le regard de fou, insoutenable, faisait froid dans le dos. David apprit par Finch qu'il avait été reconnu coupable d'avoir violé et tué au moins 8 fillettes, les ayant séquestrées dans des conditions épouvantables.

Un autre tournait en rond comme une bête fauve en psalmodiant à voix basse une litanie incompréhensible. Lorsqu'il vit les trois hommes s'approcher de la porte de sa cellule, il cessa net son manège, vint se planter devant les barreaux et, blême, dit à Finch d'une voix suraiguë :

- C'est l'heure, n'est-ce-pas, c'est l'heure ! Vous venez me chercher ! Dieu m'a prévenu que c'était l'heure, qu'il m'attendait.

On voyait de la salive blanche à la commissure de ses lèvres.

Finch leva le bras dans un geste qui se voulait apaisant.

- Calmez-vous, Garrand. Non ce n'est pas l'heure, ni le jour, ni même la semaine. Lorsque ce jour approchera, nous vous le ferons savoir, n'ayez crainte.

Le type le regarda avec des yeux qui semblaient prêts à jaillir de leurs orbites, essayant visiblement d'assimiler ce que venait de lui dire Finch.

Il se retourna finalement, alla s'assoir sur son lit et se cacha la tête dans les mains, demeurant prostré ainsi.

- L'exécution de Garrand a été repoussée déjà deux fois, chuchota Finch en poursuivant leur marche, mais il reste sans doute le premier en tête de la liste. Il erre, quasiment en permanence, dans une sorte de délire mystique et dit que Dieu lui parle. Il a tué une famille entière, ses voisins en fait : le mari et la femme éventrés avec un couteau de cuisine et les deux enfants de 9 et 11 ans pendus à l'aide de fil de fer à un tuyau de chauffage dans le sous-sol de la maison. Il a toujours prétendu que c'était Dieu qui le lui avait ordonné mais a cependant été reconnu responsable de ses actes.

Ils tournèrent à gauche au bout du couloir, s'enfonçant dans l'aile du bloc qu'on devinait être un cul de sac de ce côté-ci et où se trouvaient les dernières cellules.

David compta qu'il y en avait huit mais seules les trois dernières, au fond, étaient occupées.

Ces huit cellules différaient de toutes les autres, notamment en ce qu'elles étaient beaucoup plus vastes et comportaient une douche. Mais aucune fenêtre ne donnait sur l'extérieur, l'éclairage étant donc entièrement artificiel, et la paroi séparative d'avec le couloir, tout comme la porte, au lieu des traditionnels barreaux à claire voie, étaient faites de plexiglas transparent très épais percé ça et là de nombreux petits trous d'un diamètre un peu plus gros que celui d'une cigarette.

Deux gardiens étaient assis à un bureau disposé en face des trois cellules ainsi occupées et semblaient surveiller ces détenus en permanence, même si quelques magazines traînant çà et là trahissaient de probables moments d'inattention.

- Ces huit cellules sont ce que nous possédons de plus sécurisé, dit doucement Finch. Comme vous le voyez, les détenus y sont surveillés 24 heures sur 24. Un projet est d'ailleurs à l'étude pour installer des caméras mais cela a été jugé coûteux et je ne sais donc pas si l'idée débouchera sur du concret.

- Mais, ces hommes ne sortent jamais de leur cellule ? demanda David.

- C'est rarissime : pour des raisons de sécurité, comme tous nos prisonniers ils prennent leurs repas en cellule ainsi que je vous l'ai indiqué, mais contrairement aux autres ils n'ont pas droit à la promenade et ne vont pas aux douches collectives, d'où la douche dans les cellules et la grande taille de celles-ci. Ils disposent également de lecture à volonté et nous diffusons parfois de la musique. Aussi, ils ne quittent leurs cellules que pour aller à l'infirmerie le cas échéant, ou à l'occasion de très rares transferts dans un autre établissement, ou enfin pour...vous comprenez... leur dernier voyage dirais-je. Leur permettre de se promener dans la cour, même seuls, présenterait un trop grand risque d'évasion ou d'agression envers les gardiens ou d'autres prisonniers : non pas que ceux que vous venez de voir précédemment ne soient pas tous très dangereux mais ces trois-là...

- Le sont encore plus, dit David, finissant la phrase de Finch.

- Exactement. Ce sont des types très malins, manipulateurs à l'extrême et, qui plus est, ils n'ont strictement rien à perdre. Tous les trois ont par le passé, une ou plusieurs fois, agressé soit le personnel soit d'autres détenus. Le premier est Bill Lucas, convaincu par le jury d'avoir tué et dévoré 10 personnes dont on a retrouvé de multiples restes à son domicile. Le deuxième est Norman Shelton, un ancien policier qui, profitant de ses fonctions et de la confiance qu'inspiraient son uniforme et sa voiture de service, ramassait des autostoppeuses afin de les torturer, de les violer et de les tuer. Soupçonné d'actes nécrophiles et de diverses autres horreurs, on lui a imputé 14 victimes, chiffre sans doute très inférieur à la réalité. Quant au dernier, là, dans la cellule la plus au fond, il s'agit de notre ami Art Mac Callum dont vous avez entendu parler comme tout le monde. Venez.

Lucas, le premier des trois détenus, était occupé à écrire ou à dessiner dans un grand cahier à l'aide d'un crayon de papier. Dès qu'il les vit, il quitta le petit bureau et s'approcha de la porte en plexiglas, affichant un sourire qui se voulait avenant.

Il avait un physique des plus ordinaires, un aspect insignifiant, le genre de type sans aucune particularité dont vous avez du mal à vous rappeler une heure plus tard.

- Bonjour, Messieurs, dit-il d'un ton un peu emphatique, que me vaut l'immense honneur de la visite du directeur ?

Sa voix était très légèrement étouffée par l'épaisse cloison mais restait parfaitement audible.

- Bonjour, Lucas, répondit Finch. Eh bien à vrai dire, pour répondre à votre question, vous me voyez ici pour la dernière fois car voici M. Chessman, le nouveau directeur appelé à me remplacer. Je suis muté dans d'autres fonctions.

L'homme hocha la tête en un signe qui pouvait s'interpréter, au choix, comme des félicitations à l'égard de Finch ou comme, au contraire, destiné à montrer qu'il s'en moquait. Puis il regarda attentivement David, semblant le jauger du regard, et dit au bout de quelques instants :

- Très heureux, M. Chessman. Bienvenue à Woodville. Je vois que M. Finch a tenu à vous faire visiter toute la galerie des monstres avant de vous confier la maison. Et il a gardé les meilleurs spécimens pour la fin, fit-il avec un petit sourire bizarre.

- Ce n'est pas ainsi que je vois les choses, ni M. Finch je pense. Il n'y a pas de monstres ici, juste des hommes qui ont transgressé les règles et qui paient pour leurs fautes.

Le sourire disparut instantanément du visage de Lucas pour faire place, en une seconde, à un terrifiant masque de haine.

La métamorphose était stupéfiante lorsqu'il cracha :

- Allons, jeune homme, ne me servez pas ce baratin : on vous donne les clés d'un des zoos où sont enfermés les pires nuisibles de ce pays, alors ne me faites pas croire que vous n'avez pas envie de voir à quoi ils peuvent bien ressembler. Etes-vous déçu ? Vous m'imaginiez avec de grands crocs dépassant d'une gueule sanguinolente et des touffes de poils sortant de mes oreilles ? Je n'ai commis aucune faute, comme vous dites ! Ce sont les flics qui m'ont collé toutes ces saloperies sur le dos !

- Ne m'appelez pas jeune homme, M. Lucas, mon âge n'a rien à voir avec les fonctions que j'exerce. En outre, je ne suis pas là pour vous rejuger : la justice vous a condamné à la peine capitale, je m'en tiens là.

David pouvait voir à travers le plexiglas les veines de son cou gonflées à se rompre et ses yeux injectés de sang.

- « La justice vous a condamné à la peine capitale, je m'en tiens là » fit-il, répétant la phrase de David avec une mimique simiesque et en imitant sa voix d'une façon absolument saisissante de réalisme.

Il avança jusqu'à toucher la vitre :

- Vous et Finch, priez le ciel que je ne vous rencontre pas un jour sans cette cloison, dans ce monde ou dans l'autre, gronda-t-il d'un ton à glacer le sang tandis qu'il passait lentement sa langue sur ses lèvres.

David allait répondre mais Finch lui mit la main sur le bras gauche, l'obligeant à rompre ce face à face aussi malsain qu'inutile.


Le deuxième détenu, Shelton, était en apparence beaucoup plus affable mais David se rendit compte très vite que sous son aspect débonnaire, ce gros type qui avait été adjoint d'un shérif de comté était d'une perversité innommable. Il dégageait le charisme d'un serpent à sonnette et, avec son sourire malsain, faisait froid dans le dos, demandant à David s'il était au courant de ses « exploits » qu'il se réjouissait visiblement de raconter pour peu qu'on le lui demandât.

David se dit qu'il devait avoir ce même sale sourire en violant et en torturant ces pauvres filles.

Il commençait vraiment à se sentir mal.

- Venez, David, dit John Finch en le prenant fermement par le bras, que je vous présente ce bon M. Mac Callum avant de vous montrer la salle d'exécution.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top