Chapitre 3

...

Hmmm

...

Argh

...

Le vent

....

Le crépitement des flammes

...

Et le pieu qui me transperce le ventre !
Je porte rapidement les mains à mon ventre pour retirer ce corps étranger.

Rien.

Les mains n'étraignent que de l'air. Rien ne dépasse de mon ventre. Pas de pieu. Ça devait être a l'intérieur de mon corps car quand j'appuie dessus pour tenter de calmer la douleur, un liquide visqueux et chaud jaillit d'entre mes doigts.
Je décale mes mains pour que mes paumes recouvrent imperméablement la blessure.

Le sang et la terre se mélangent dans ma bouche en formant une substance pâteuse au goût immonde qui me donne envie de vomir.

Combien de temps est-ce que je suis resté comme ça ? Je dirais assez peu de temps... Mais le calme est revenu donc suffisamment longtemps pour que le bombardement se termine...

J'entends et je sens tout autour de moi mais je ne vois toujours rien. Enfin, j'entends... je sens... c'est vite dit, il n'y a que les crépitements du feu (ou des feux, je ne sais pas), le sol en-dessous de moi et des cendres qui me recouvrent.
Je tousse, je ne peux pas me retenir, ma gorge me brûle et me gratte, comme si des braises s'y étaient logées. C'est une torture avec ce trou dans le ventre. Après chaque contraction ma tête retombe violemment et s'éclate contre le béton. Il faut que je me lève pour éviter ça, de toute façon les aspérités du sol me détruisent le dos.
Je m'assoie, tant bien que mal et m'essaye à ouvrir les yeux, lentement pour ne pas souffrir d'une luminosité soudaine dûe à une quelconque flamme. Les femmes m'ont toujours dit que mon regard était sublime donc je tiens à ne pas le brûler !

Je vois d'abord flou puis tout s'éclaircit. Je regarde à gauche, puis à droite. C'est partout pareil. La dévastation ! Il ne reste pas un bâtiment encore debout, pas un véhicule qui ne soit utilisable, même la route est plus trouée qu'un fusillé sur la place public...
Et encore, je passe les détails sur les cadavres déchiquetés et les mares de sang qui recouvrent la terre autant que la poussière et les cendres.

Il fait toujours nuit mais il y a tellement de flammes au l'on peut presque voir comme en plein jour. Quelques projecteurs à l'alimentation indépendante fonctionnent toujours.

Il faut que je me fasse un garot et que je retrouve mon ami ! Mais d'abord le garot, comme ça je n'aurai plus à me tenir le ventre, et puis de toute façon, mort j'aurais du mal à le trouver. Je dois chercher un tissu propre pour éviter les infections.
Oui mais où trouver un tissu propre dans une base totalement ravagée?

Oh...
J'ai peut-être une idée ! Les draps qui attendent d'être lavés sont stockés dans une grande benne dans la cour, à l'écart du reste. Peut-être que les draps sont toujours dedans. Ils ne sont certes pas propres mais ils le sont toujours beaucoup plus qu'un vêtement recouvert de terre.
Je ne sais pas quel jour passe le ramassage du linge...

Il faut que j'aille vérifier, dès lors que je trouverai la force de me lever. En attendant, je ne peux que continuer de regarder ce massacre...
Tiens ! Là bas il y a une bouteille de rhum qui a résistée aux explosions, à l'abri sous une table en bois massif qui a légèrement brûlé à cause des déflagrations.

Elle me tente cette bouteille ! Qu'est-ce que j'adorerais prendre une bonne gorgée dedans ! Nan, en fait j'en ai besoin ! Je ne peux pas continuer à avaler de la terre à chaque déglutissement. Elle est à une dizaine de mètres en arrière. Je dois ramper jusque là-bas sans que mon ventre ne touche quoi que ce soit. Sans quoi la poussière entrerait dans la plaie et ça s'infecterait à coup sûr...

Je pose mon coude en arrière et je soulève mon corps en prenant appui dessus avant de me rassoir trente centimètres plus loin. J'entreprends de recommencer la manoeuvre jusqu'à atteindre la table en bois.

C'est douloureux et assez fatiguant mais je finis par y arriver. Je m'adosse au pied de la table et attrape la bouteille en appuyant plus fort sur la plaie car j'ai senti le sang en jaillir à nouveau.

J'enlève le bouchon et commence à boire mais je crache la première fois pour nettoyer ma bouche. J'en bois ensuite deux gorgées cul-sec. Ce n'est vraiment pas un goût que j'apprécie brut. Le liquide me brûle la gorge en passant puis l'estomac.
Il reste la moitié du contenu de la bouteille. Elle était déjà entamée. Je vais la garder avec moi. J'ai une petite idée de ce que je vais pouvoir en faire...

Les effets me montent à la tête et me redonne un peu d'énergie, j'en profite pour essayer de me lever. Je pose la bouteille sur la table puis je saisis le rebord avec ma main libre et je tire de toutes mes forces. Je déplie les genoux et mon corps se lève... je suis debout ! Mais j'ai la tête qui tourne donc je dois quand même m'appuyer sur quelque chose pour garder l'équilibre.

Le rhum sous le bras, je me dirige vers la benne de linge difficilement mais sûrement.

Elle est renversée et criblée de multiples impacts bien qu'elle soit en métal. En fait, elle n'a pas été touchée par une bombe mais le souffle de celles qui sont tombées autour l'a fait basculer. Certains draps sont étalés sur la terre, ça n'est pas bon signe.

J'espère qu'il en reste des propres... Je continue d'avancer dans sa direction en m'appuyant sur les différents murs ou très gros débris.

Je l'atteinds enfin et m'affale sur le linge blanc tombé de la benne, le temps de la fouiller. Tous ceux que je trouve sont soit recouverts de terre soit brûlés et troués donc je ne peux pas m'en servir. Je crois bien que je ne trouverai pas ce que je recherche ici...

Ah ! J'ai peut-être parlé trop vite ! Celui que je viens de saisir à l'air en bon état ! Je tire pour l'extirper du tas. J'avais raison, il convient tout à fait à l'usage que je veux en faire.

Je me lève et j'étends le drap sur la benne. Je verse du rhum uniformément sur tout le tissu pour qu'il s'en imprègne. Une partie de l'alcool coule sur le reste du tas par les trous dans le métal. Quand j'arrête de verser, je vérifie qu'il m'en reste pour moi boire plus tard : c'est bon il en reste !

Je soulève mon maillot ensanglanté et je m'enroule le tissu imbibé d'alcool autour du ventre en le faisant tenir avec un noeud bien serré. Je sens le fluide entrer dans mon corps et parcourir les vaisseaux. C'est extrêmement douloureux, ça me brûle de l'intérieur. Je dois me tenir fermement à la benne pour ne pas tomber à la renverse. Mais bon, à ce qu'il paraît ,ça désinfecte et cicatrise donc je ne peux pas m'accorder le luxe d'éviter ces souffrances.

Bon, il faut que je parte chercher mon frère d'arme maintenant, on ne peut pas rester au milieu de ce cimetière plus longtemps. Quand je l'aurai rejoint, il faudra que je trouve un véhicule pour me rendre au camp le plus proche mais je crois qu'ils ont tous été détruits. En fait j'en suis sûr, c'est une cible de choix lors des bombardements.

Bon, il peut être n'importe où dans le camp mais juste avant les premières détonations, je l'avais vu partir vers la tour de guet donc je vais commencer mes recherches là-bas puis élargir au fur et à mesure. Je m'y dirige en titubant toujours. Malgré le relief cahotique de la zone tantôt à cause d'un cratère, tantôt à cause de débris; je me rends immédiatement compte qu'il n'est pas ici, il a dû partir pour trouver un abri. Logiquement, étant donné que les premières explosions ont eu lieux autour de la tour, s'il est parti, c'est dans le sens opposé. C'est donc cette direction que j'emprunte. Je fais attention au moindre corps étendu au sol et au moindre mouvement avec l'espoir de le retrouver vivant.

Cet espoir est anéanti lorsque je vois un pantalon semblable au sien dépasser de sous un morceau de toit bien qu'il y ait une chance pour que ça ne soit pas lui. Je contourne le débris qui recouvre le dos de ce cadavre pour vérifier que son visage n'est pas celui que je cherche. Je le reconnais mais malheureusement c'est la personne que je n'aurais pour rien au monde voulu voir dans cette position.

Je m'agenouille à côté du corps de mon meilleur ami et cherche son poul avec mon doigt. Il est mort. Je lui ferme les yeux et la bouche, par respect. Il venait pourtant de trouver son objectif dans la vie, et il se retrouve écrasé et tué par un toit pendant un bombardement... Mais je n'ai pas le temps de m'appitoyer, ma vie est toujours en jeu, et j'ai toujours une chance de la sauver. Bien qu'envahi par l'émotion, je fouille ses poches à la recherche de la lettre qu'il avait récupéré : une promesse est une promesse. Je l'ai trouvé, maintenant je dois m'en aller. J'enverrai une équipe s'occuper d'enterrer nos morts quand j'aurai atteint un autre camp.

Pour partir, il me faut de la lumiere donc je vais m'en fabriquer une : j'attrape un morceau de bois et je retourne à côté de la benne pour enrouler un second drap autour avant de verser du rhum dessus. Je m'approche d'un des foyers d'incendie et embrase le tout.
Je traverse le portail par lequel je suis rentré. Enfin ce qu'il en reste.

Je peux maintenant reprendre la route. Je suis le sentier qu'on a emprunté il y a quelques heures pour rentrer de mission.
Il me semble beaucoup plus chaotique qu'à l'habitude, c'est sûrement parce que c'est la nuit et que je suis à pieds et fatigué. Donc je dois me concentrer davantage pour ne pas trébucher.

Je passe à côté d'un ancien abri de bus. C'est bon signe, ça signifie que j'approche de la vieille ferme. Je dois continuer jusqu'à atteindre les barrières puis les longer sur quelques dizaines de mètres. Normalement, il devrait y avoir un vieux portail en métal rouillé.

Après quelques minutes supplémentaires de marche, je suis enfin en face du portail. Il est si rouillé qu'il ne bouge pas d'un poil quand je le pousse alors que le verrou est ouvert. Dans mon état, je n'ai pas assez de force pour réussir à le pouvoir. Tant pis, je passe par dessus, je me tiens bien pour ne pas tomber et ça passe.

Je m'arrête devant la porte du bâtiment résidentiel et frappe à la porte. Ça ne répond pas donc je frappe à nouveau. Peut-être que le propriétaire ne m'avait pas entendu. Quelques longues secondes s'écoulent avant que la porte ne s'ouvre.

"Bonsoir, veuillez m'excuser de vous déranger si tard... ou si tôt, je ne sais pas... Mais j'aurais besoin de votre aide"

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