Chapitre 29 : La Cérémonie d'ouverture

Il entre.

Grand, jeune, métisse.

Coupe en brosse. Tenue soignée. Eye liner doré.

Je reste béate, choquée, subjuguée.

- Cinna !

Venia, Octavia, Flavius et Aliénor me dévisagent tous comme si j'avais dis le mot le plus grossier du dictionnaire. Ils font l'aller-retour entre mon visage où le sourire le plus immense du monde s'est affiché - j'en ai presque mal - et vers le visage calme du nouvel arrivant.

La dernière fois que j'ai vu Cinna, c'était le soir de notre rencontre. Vous vous souvenez ? Une fois mon Sacre passé, nous avons tous assisté à la Fête du Zénith, un grand banquet qui a eu lieu en mon honneur à midi et suivi de la plus grosse fiesta de tous les temps le soir-même, le Grand Bal. C'était magique (si on enlève ma rencontre avec Snow) et c'est dans cet environnement festif que j'ai foncé tête la première sur quelqu'un sans m'en rendre compte. Il s'agissait du beau créateur de mode qui me fait maintenant face. On a eu le temps de faire connaissance ; j'ai appris qu'il était styliste, et qu'il avait d'ailleurs crée les deux tenues phares que j'avais porté ce jour-là.

Serait-ce possible, d'ailleurs, que ça ne remonte qu'à il y a quatre jours ? Eh, je veux bien que le temps n'est pas le même dans ce monde-ci (comme à Storybrooke) et le mien, mais... Enfin, est-ce que je serais habituée à ce décalage horaire, un jour ?

Folle de joie, j'offre au monde la vision de mon sourire le plus heureux.

- Oh, Cinna ! Je suis...

- Emma Swan, oui, je sais.

...

Euh... Non, je voulais dire que je suis trop contente de le revoir...

Mais pas lui, visiblement.

Mon excitation retombe comme un flan. Qu'est-ce qui lui prend ? Il ne se rappelle pas de moi ? ... Non, impossible. Y a pas trente milles Emma aux noms de familles américains dans les parages, hein ! Et puis je suis inoubliable ! L'honorable fille de l'honorable couple royal du Quatrième Royaume, non mais ! Bien sûr, qu'il sait qui je suis !

- Et tu as l'air de me connaître également, poursuit-il toujours aussi calmement en s'approchant de moi à pas lents. Mes collègues ont du commencer à parler de moi.

Je ne réponds pas. Ne secoue pas la tête, ne hoche pas le menton. Ne cligne même plus des yeux. Je suis muette, en pause. Un silence s'installe dans la pièce, seulement rompu par les « tic tac » de l'horloge. Toujours mains dans le dos, Cinna se racle vivement la gorge comme pour combler ce silence pesant et s'arrête de marcher.

- Bien. Nous pouvons commencer. (Il se tourne vers mes préparateurs.) Laissez-nous seuls quelques minutes, le temps que je lui explique clairement ce qu'on attend d'elle. Nous nous retrouverons un peu plus tard.

- Très bien, accepte Flavius, se dirigeant le premier vers la porte. A tout à l'heure, mon choux !

- Au revoir, Emma, me salue Octavia avec un petit sourire timide avant de s'en aller, Venia sur les talons, et celle-ci m'envoie un baiser souffler.

La pièce s'est rapidement vidée. Je m'approche de la table où j'étais allongée il y a quelques minutes afin de m'y appuyer, puis pousse un grand soupir. Olalalala... Moi qui croyais avoir un allié dans cette vaste ville inconnue et peuplée de gens étranges, c'est raté...

- La règle s'applique pour toi aussi, Aliénor, observe le styliste en lançant un œil peu amène à l'intéressée.

- Mais je suis la responsable de l'équipe d'esthéticiennes !

- Et tes esthéticiennes viennent de sortir : moi, je suis styliste, et tu n'as pas d'ordres à me donner, rétorque-t-il avec un sourire narquois.

Aliénor fronce ses sourcils fins et blonds. Elle se contient, serre les poings, mais elle a l'air en colère. Pour ma part, je dévisage Cinna, hébétée. Mais pourquoi se comporte-t-il ainsi avec elle ?!? Avec moi ? Pourquoi ne me reconnaît-il pas ? Pourquoi le monde, pourquoi la vie ? POURQUOI TANT DE HAINE MORALE ?!

- Mais on a un Sujet commun, siffle-t-elle entre ses dents serrées. Emma est sous ma responsabili...

- Dehors, la coupe-t-il sévèrement.

Elle fait la moue et rougit jusqu'à la racine des cheveux. Je déglutis. Un « Sujet commun » ?

- Tu n'as pas d'ordres à me donner non pl...

- Vas-y, Aliénor, je te rejoindrais, la coupe-je, hochant le menton pour me donner de l'importance.

Elle renifle de dépit sans cesser de mitrailler Cinna du regard et me lance ensuite un dernier coup d'œil, s'abstenant de sortir une phrase avec « ma chérie » dedans, ce qui prouve qu'elle est sérieusement furax. Elle tourne les talons, quitte la pièce, claque la porte derrière elle.

Hm... Oui, furax. C'est le mot.

Je fixe encore quelques secondes l'endroit où elle se trouvait avant de s'éclipser et finis par me décider à affronter Cinna. Et au lieu de rencontrer le visage calme et inexpressif qu'il arbore aujourd'hui, c'est un grand sourire aguicheur et des pupilles dilatées qui me reçoivent. J'ai l'impression de retrouver l'homme que j'ai rencontré, et pas le robot qui vient de virer Ali.

Oh, zut. Il est schizophrène. Mieux vaut ne pas bouger.

- Enfin seuls !, s'enjoue-t-il, tout heureux et visiblement soulagé.

Je reste statique.

- Votre Altesse, vous ne me reconnaissez pas ?

Je l'observe sans un mot. Une question me turlupine : se fout-il de ma jolie gueule ? Un coup je suis une étrangère qu'il coupe sans arrêt, un coup je suis la Princesse qu'il connaît déjà ! BIPOLAIRE, VA ! J'aime pas les gens changeants, c'est trop compliqués... On dirait moi. La moi d'avant, parce que je me suis complètement assagis. Suis toute calme, à l'heure d'aujourd'hui... pas vrai ?

- C'est moi, Cinna, me rappelle-t-il en se désignant, assez bête pour penser que je l'ignorais. On s'est rencontré le soir de votre...

- Si vous vous souvenez de moi, pourquoi avoir fait croire aux autres que ce n'était pas le cas ?, lui demande-je sèchement, plutôt amère.

Oui, car j'ai toujours un doute sur les gens. Je me suis peut-être calmée, mais je n'en reste pas une éternelle suspicieuse.

(Dis la meuf qui a signé un contrat de mort obligatoire avec un homme qu'elle ne connaissait pas.)

Il sourit d'un air paisible.

- Il est préférable que les autres ignorent que nous nous connaissons. C'est ma première année en tant que styliste de Tribut, alors il faudrait éviter qu'on pense que je sois sujet au favoritisme. Autant pour vous que pour moi.

- En quoi ça me concerne ? C'est pas de ma faute si vous m'avantagez au détriment des autres Tributs.

- Mais ça pousserait les gens à se poser des questions quant à votre participation aux Hunger Games, m'explique-t-il en douceur, comme pour ne pas me vexer. On pourrait vous soupçonner d'avoir d'autres objectifs que d'être une personne bien.

Mmm. Pas tout compris, mais c'est pas grave.

On se regarde yeux dans le yeux encore quelques secondes. Il est beaucoup plus grand que moi, alors je finis par baisser le regard, au regret de vous informer que je n'aime pas particulièrement les torticolis. Cinna décroise enfin ses bras, moins crispé maintenantqu'il s'est expliqué, et me propose de le suivre dans la pièce d'àcôté. Je ne lui oppose rien et m'y rends sagement.

+++

Les murs sont couleur crème et l'unique canapé chocolat, les coussins pistache, les tapis vanille, les tableaux couleur de fruits rouges et de baies bleutées. Je croque du regard tout l'immobilier. Ha ! La fille qui crève la dalle en regardant une décoration intérieure ! Du génie, Emma ! Du progrès !

Ma conscience s'éveille le temps de me foutre une claque méritée.

Cinna me propose de m'installer dans le canapé à angle. Je contourne donc la table basse en verre et m'installe dedans. Pour sursauter directement.

Oh mon Dieu, oh mon Dieu, oh mon Dieu, oh mon Dieu ! Du cuire ! Il est en cuire !

Ahuris, je caresse le dossier rugueux, frais comme du bois. Mon sursaut est dû au contact de mes mollets nus avec le canapé. Pendant que Cinna s'oriente vers un meuble rectangulaire et blanc (si c'est un frigo, je hurle) je glisse un coussin entre mes jambes et le canapé. Le reste de mon corps est encore recouvert par le...Euh...

Le peignoir.

Je suis encore en peignoir. Devant Cinna. Avec rien en dessous.

Même Damen ne m'a jamais vu comme ça. Putain, s'il l'apprend, j'aurais plus qu'à conseiller une marque de pelle à Cinna... Et un lieu où la terre est assez argileuse pour creuser une tombe facilement. On va lui abréger la fatigue physique, à ce pauvre homme.

- Vous voulez boire quelque chose ?, me propose-t-il, poli jusqu'aux bouts des doigts.

Ma conscience le dévisage en secouant tristement la tête de manière funèbre.

- Non merci. Les... les récents événements me flanquent des insomnies et des troubles de la nutrition.

J'éclate de rire intérieurement. Je sais même pas si ça veut dire quelque chose !

- Ah oui ?

Peiné pour ma pomme, il pose sa paume sur sa poitrine poilue.

PTDR excusez, je voulais faire une allitération en « p ». Je sais ce que vous pensez : insomnies, troubles de la nutrition et déficiences psychologiques. Quoi que ça, c'est de naissance. Mais j'ai appris à m'accepter telle que je suis.

Bon, en réalité, il se retourne juste, une bouteille de jus d'orange et deux verres à la main.

- Je repose tout ça, alors ?

- Faites comme vous voulez. Oh, et tutoyez-moi !

- Tutoie-moi également, dans ce cas.

Et il repose le tout, referme le frigo (oui, c'était un frigo!) et me rejoint sur le canapé. Professionnel comme tout, il n'attend pas plus longtemps pour entrer dans le vif du sujet. Ce que j'apprécie beaucoup.

- Avant toute chose, débute-t-il donc, sache que je suis profondément désolé de ce qui t'arrive.

Oh. On peut dire que ça, c'est nouveau. Je le regarde sans rien exprimer. Un sourire en coin contrit s'affiche sur mes lèvres et je soupire tristement.

- La plupart des gens pensent à me féliciter...

- Oui, je sais. Je ne vois pas très bien pourquoi. (On a vraiment les mêmes pensées, c'est rassurant. Je vais bien m'entendre avec lui. Comme je l'imaginais lors de notre première conversation.) Quoi qu'il en soit, ce que tu as fais hier était l'acte le plus courageux auquel j'ai été donné d'assister. Avec la petite fille.

- Merci.

C'est tout ce que je réussis à sortir, pétrifiée que je suis.

Mes pensées divaguent instantanément.

Prim... Où est-elle ? Que fait-elle ? Me pleure-t-elle encore, mêlant les larmes qui me sont destinées à celles qu'elle verse pour son frère ? Non, Prim... Elle doit être forte. Forte pour Colin. Même pas pour moi, j'ai moins d'importance. On ne se connaissait presque pas, mais juste assez pour que je sache qu'elle valait la peine qu'on se sacrifie pour elle. Quoi qu'il en soit, j'espère du plus profond de mon cœur que Greer, Lola, Kenna et Aylee la prendront sous leurs ailes pendant mon absence. Et si... si... si je ne reviens pas... Enfin, s'il m'arrive quelque chose, Caleb devra veiller à ce que mes parents versent une petite somme pour elle et sa famille endeuillée. C'est le moins que je puisse faire pour me racheter d'avoir cru Colin seul coupable de mon agression. Il a payer à la place d'un autre...

Car le coupable est le même depuis le début.

C'est à cause de lui que Colin est mort et à cause de lui que mon tour arrive.

A cause de lui que Damen est mêlé à cette histoire.

Tout est de sa faute. C'est lui qui aurait dû être exécuté dans une cellule de mon Palais. Lui, pas Colin.

- Bon, décrète Cinna, et sa voix musicale m'arrache de mes pensées. D'ordinaire, les stylistes de Tributs doivent connaître par cœur le corps de leur sujet, mais... Euh... Vraiment, vraiment par cœur...

Oh. Oh, on a radicalement changé de sujet.

Bizarrement, je comprends immédiatement où il veut en venir (esprit tordu forever). Choquée, je referme bien fort les pans de mon peignoir sur moi. Une brume dégoûtée par sa perversion m'enveloppe tandis que je me prépare à le baffer. S'il s'imagine que je me laisserais faire...

Il éclate aussitôt d'un rire tonitruant, se frappant les genoux et rigolant à n'en plus respirer. Je le fixe. En mode « What the fuck ? ».

- C'était drôle ?, grince-je, déroutée et dégoûtée et même un peu choquée et...

Et oui, il est schizophrène.

- Tes pensées, oui ! (Hein, hein.) Voyons, pense bien que je n'en viendrais pas à là ! Tu as vu juste, cependant. Il se trouve que nos Sujets doivent poser nus pour qu'on juge par nous-même quelle tenue conviendrait le mieux à leurs morphologies, mais je doute que cette idée serve réellement à quelque chose. Ça ne m'avancera à rien, surtout que j'ai déjà crée des tenues sur-mesure pour toi. Et elles t'allaient comme un charme.

C'est vrai, je m'en rappelle. La grande robe aux couleurs flamboyantes que je portais pour mon Sacre, et la robe de soirée que j'ai enfilé pour le Grand Bal étaient toutes deux issues de Cinna, et ça m'a d'ailleurs poussé à l'engager comme styliste officiel. D'après la rumeur, j'ai fais un carton avec ces deux tenues. Et je n'ai jamais posé à poil.

- De plus, poursuit Cinna, qui me semble déjà un peu plus sympathique, couronne ou pas, tu restes une personnalité royale. Je pourrais être exécuté dans ton Royaume si je portais atteinte à ta pudeur.

- Merci pour ton respect, lui dis-je sincèrement, touchée par sa façon de penser.

En rayant les quelques fois où je l'ai mal jugé (Schizo ! Pervers ! Sans cœur !), je comprends que Cinna est vraiment quelqu'un de bien. Hypothèse : ce sont les Hunger Games qui me retournent le cerveau. Ou bien la manie avec laquelle j'ai grandis, celle de toujours mal juger les autres, est réapparue.

Je soupire nostalgiquement.

Henry et Elena (alias Maman Blanche-Neige) me l'avaient dit à l'époque. Je repoussais tout le temps les autres, refusais de m'ouvrir et d'être impliquée à cent pour cent dans une relation de confiance, que ce soit par amitié avec tous les storybrookiens que par amour avec Damen. Ma plus grande peur : laisser mon cœur s'ouvrir et se refaire briser comme quand j'étais petite, ou m'attacher aux autres et me sentir détruite le jour où je quitterais Storybrooke. Je n'avais pas imaginer que je partirais, certes... mais encore moins que tout le monde me suivrait.

Bref.

Ceci était un court extrait de mon ancienne vie. Quelque fois, ça fait du bien de regarder derrière soit pour voir les étapes qu'on a franchit. C'est réconfortant.

(Vous êtes priées de m'applaudir et de me prendre comme exemple.)

Cinna sourit de toutes ses dents. En comparaison avec sa peau sombre, elles étincellent.

- Bien, passons à la question de ta tenue pour la Cérémonie d'ouverture.

Hm. OK. Quel charmant commencement.

What ?!

- La quoi ?, sursaute-je.

- La... Euh, quoi ? On ne t'en a pas parlé ?

Mes épaules s'affaissent d'elle-même. Oh, les traîtres ! Les traîtresses ! Tous autant qu'ils sont (Effie, Haymitch, Aliénor, Venia, Octavia, Flavius) ils m'ont tous cachés ça ! Oui, je suis écartée de toutes les conversations qui me concernent. Le Capitole est plus tordu qu'un boomerang, nom d'une tortue mauve multijambiste ! (Avant de m'endormir, j'ai zappé des chaînes de télévision, heureuse d'avoir retrouvé un écran plat après deux mois loin de mon monde. Je suis tombée sur un reportage animalier où cette espèce de tortue existait. Une espèce protégée et existante seulement au Capitole.)

Je sais ce que vous pensez. Je suis d'accord.

- OK, je vois, souffle Cinna, se laissant aller dans le canapé. Par où commencer... Bon, le principe des Hunger Games n'est pas tant de se battre, c'est surtout un jeu de survis. Et pour survivre, tu as le droit à certaines aides qui te viennent de l'extérieur de l'arène.

- Les sponsors, traduis-je en hochant la tête. Damen et Haymitch en parlaient dans le train, hier.

Merci à mon chéri pour avoir orienté leur conversation vers ceux-ci, sans quoi j'aurais été bien retardée. Cinna sourit en acquiesçant.

- C'est bien ça.

- Et pour avoir des sponsors, il faut que le public m'aime.

J'ai l'impression d'être une élève interrogée par surprise, et qui balance tout ce qu'elle sait du cours. Sans pour autant répondre à la question, d'ailleurs.

- Et pour que le public t'aimes, il faut que vous ayez un contact, approuve Cinna, poursuivant son explication. Le principe est simple. Tu auras deux contacts en tout avec les habitants du Capitole : un ce soir, lors de la parade appelée « Cérémonie d'ouverture », et lors d'une émission la veille du lancement des Hunger Games. Après la parade, toi et les autres Tributs seront conduits au Centre d'entraînements, votre résidence jusqu'au début des Jeux. Mais avant cela, lors de ton passage à l'antenne et de ton défilé de ce soir, tu devras tout faire pour plaire. Et comme tu as du le remarquer, au Capitole, c'est surtout la mode qui est mise en avant...

- D'accord... Et cette émission... Enfin, ça se passe comment pour les autres Tributs ? On passera un par jour, ou...

- Non, tous le même soir. Vous aurez un temps de parole limité. On commencera par la fille du Un, le garçon du Un, la fille du Deux et ainsi de suite.

- Ah.

Mon exclamation le coupe dans sa foulée. Il me dévisage bizarrement, et je baisse la tête, me renfrognant.

- Je serais la dernière fille à passer..., soupire-je, dépitée.

Il rit de ma remarque, qui est juste.

- C'est plutôt une bonne nouvelle ! Tu auras plein d'exemples, comme ça. Les filles qui te précéderont auront de l'avance sur toi car elles sauront toutes ce qu'elles doivent faire pour charmer le public.

- Ah bon ? On retransmet aussi la parade ?

Cinna fronce les sourcils. Un court silence s'installe. Hum... J'ai dis quelque chose de bête ... ?

- Tu ne savais pas que les Hunger Games étaient retransmis en direct ?, s'écrie-t-il, sous le choc.

- Bah si, mais juste les Hunger Games... Pas les événements qui... qui...

Je cesse progressivement de parler. Enfin, c'est plutôt ma voix qui s'éteint. Cinna me regarde, et le sourire qu'il a depuis tout à l'heure se dissipe doucement. Il finit par baisser la tête, lugubre. Je l'imite, m'affale dans le canapé, le moral à zéro.

C'est évident, Emma.

La Moisson était le début de tout.

Les Hunger Games ont commencé, et je n'ai toujours pas de tactique de jeu. Pas la moindre idée de ce que je dois faire pour être aimée du public. Pas la moindre capacité à me battre avec une arme, à moins qu'ils aient des revolvers... Je suis cuite.

- Bien... (Cinna se racle la gorge, ce qui est visiblement son meilleur moyen d'alléger l'atmosphère.) Pour en revenir aux tenues, c'est ma collègue Portia qui se chargera de ton camarde. Damon, il me semble ?

- Damen, mais c'est tout comme...euh... Portia, tu dis ?

UNE collègue. C'est donc une fille.

Portia, Portia, Portia... Ma chère et bien-aimée Portia...

Tu as juste intérêt à avoir la même psychologie très saine de Cinna... C'est-à-dire qu'il est bien évidemment hors de question pour toi de porter atteinte à la pudeur de quelqu'un, que ce soit ou non un membre de la famille royale du Quatrième Royaume. Autrement dit, tu es assez compatissante de notre misérable sort et assez peu perverse, et SURTOUT, tu tiens assez à la vie...

Pour ne pas demander à Damen de poser nu.

Par soucis d'ignorance concernant sa morphologie.

Tout ça parce que tu es une styliste très impliquée dans ton travail et que le but ultime de ta vie consiste à ne créer que des modèles sur-mesure pour tes « Sujets ».

Non, Portia. Tu es normale, heureuse, peut-être as-tu des amis : tu n'as donc aucune envie de me rencontrer en ayant vu ce que tu ne verras jamais. C'est évident ! Quel soucis je me fais ! A très bientôt, dans ce cas, et bonne continuation.

(Au pire des cas, tu pourras te concerter avec Cinna d'une bonne marque de pelle pour creuser ta tombe sur une terre assez argileuse, histoire de t'épargner l'effort physique et la fatigue.)

Amicalement, Emma Swan.

- Oui, Portia, affirme Cinna.

OK. OK... Je prépare un plan d'attaque avant de me coucher.

- Et tu l'ignores certainement, mais la coutume de la parade consiste à refléter votre District d'origine. Lors de la Cérémonie d'ouverture, chaque Tribut doit porter quelque chose en rapport avec l'économie principale de son District, en faite. Pour le District Onze, par exemple, c'est l'agriculture. Pour le Quatre, la pêche. Le Trois, les usines.

J'acquiesce doucement, suivant son résonnement. Même si une Portia me trotte encore dans le crâne.

- Ce qui veut dire que Damen et toi, venant du District Douze, êtes tenus d'évoquer...

Petite pause, et naissance d'un suspens croissant en moi. Je reste suspendue aux lèvres de Cinna. Quelle est la spécialité du District Douze ? Le temps que j'y étais... je n'ai rien vu de très... Enfin, c'est peut-être une spécialité culinaire qui fait sa réputation. Je serais déguisée en tarte au chocolat ? En hôtel de justice ?

- Les mines de charbon, clos-t-il, juste comme ça.

My God.

L'image d'une Emma armée d'une pioche, d'une lampe torche et vêtue d'une combinaison crasseuse et d'un casque me vient à l'esprit. Pire : l'image d'une Emma nue et recouverte de suie. Vive le District Douze !

Snow n'a rien laissé au hasard. Il voulait vraiment me ridiculiser...

J'ai un complexe de la nudité, ce dernier temps, non ?

- Je serais déguisée en mineur ?, m'horrifie-je, m'attendant au pire.

- Hm... Pas exactement. Portia et moi pensons que le thème de la mine est usé jusqu'à la corde. Ce n'est pas comme ça que les gens se souviendront de vous. Or, nous considérons tous les deux qu'il est de notre devoir de rendre les Tributs du District Douze inoubliables.

Oh, non ! J'avais raison, je vais me trimballer à poil, c'est ça ?

- Si bien qu'au lieu de partir sur l'extraction du charbon, nous préférons nous focaliser sur le charbon lui-même, poursuit-il.

A poil, et couverte de suie. Mon imagination débordante a du vrai, des fois. C'est épouvantable !

- Et que fait-on avec le charbon ? On le brûle, achève-t-il.

C'est absolument horr... Euh... Hein ?

Perdue, je fronce les sourcils sans plus comprendre grand chose. Le sourire de mon nouvel ami s'élargit progressivement.

- Tu n'as pas peur du feu, hein, Emma ?

+++

Vingt-et-une heure.

C'est l'heure à laquelle bon nombre d'émissions commencent, dans mon monde. Et c'est le cas aussi pour le Capitole. Il est donc vingt-et-une heure (oui, un incroyable bond dans le temps) et Aliénor jubile toujours autour de moi, dansant yeux en l'air et sourire béat comme une femme ayant accomplis son rêve le plus inaccessible. Venia et Octavia, Flavius, ainsi que tout le reste de l'équipe ressemblent à peu près à ça également.

Ils sont fiers de leur résultat final. Pour que je me joigne à leur joie, ils me tendent un miroir. Cinna me dévisage, pressé de voir ma réaction.

- Oh mon Dieu, lâche-je tout bêtement.

Rien d'autre ne peut mieux me résumer.

Je me trouve dans le costume qui sera sans doute le plus sensationnel de la Cérémonie d'ouverture. Le plus magnifique... et aussi le plus terrifiant. Fatal, même.

C'est une combinaison noire moulante qui part de mes chevilles et remontent jusqu'au bord de mon cou. Il faut dire qu'elle me va comme un gant, à croire qu'on l'a cousue à même ma peau. Mes courbes sont assez avantageuses, dedans. Il faut dire que mon régime involontaire me laisse un ventre plat et de jolies formes, mais je trouvais plus stylé qu'on m'ajoute une cape, histoire de cacher mes fesses trop moulées dans la combi. Cinna avait répondu à l'avance à ce petit caprice, car il en avait prévu une : noire comme la suie et faite de lanières oranges, jaunes et rouges, rappelant la couleur chaude de mes prunelles. Quant à mes chaussures, ce sont de jolies bottes à lacets qui me montent jusqu'aux genoux. J'espère pouvoir les garder dans l'arène. Elles sont super confortables.

Mission tenue : OK.

Point de vu visage, je suis vraiment peu maquillée, à mon grand étonnement. Un coup de fond de teint et une mise en valeur de mes yeux, mais pas de trop. Mes esthéticiennes m'ont rappelé qu'elles pouvaient faire de moi une femme fatale, mais ma sobriété et mon charme naturel peu également jouer en ma faveur, dans ce cœur du Capitole où toutes les filles ne jurent que par le plongeon de leur tête dans un pot de peinture. Mes cheveux ont été soigneusement lavés, coiffés, lissés. Pour rappeler mes origines royales, Aliénor m'a fait une jolie tresse couronne. Des mèches rebelles et ondulées encadrent mon visage, rajoutant dans le naturel.

Voilà le topo, donc. Un corps « avantageux », un visage « adorable », une équipe « du tonnerre » (car c'est ainsi que Flavius nous a résumé) : on pourrait croire que j'ai le droit de partir tête haute, sûre de plaire. Cependant, il y a un hic : mon costume si wonderful.

Oui, ça ne suffisait pas, qu'il soit noir comme du charbon.

Pour bien rappeler mes antécédents du District Douze, Cinna a prévu d'enflammer ma cape et ma coiffe juste avant le lancement de la parade. « Ce ne seront pas de vraies flammes, évidemment. », m'a-t-il prévenu, croyant peut-être (par grande naïveté) qu'il réussirait à me rassurer. « Rien qu'un petit feu synthétique. Vous ne risquez absolument rien. » J'ai ensuite hoché le menton comme pour dire non pas « Ah,d'accord », mais « Oui, à coup sûr, je ressemblerais à un poulet plumé camerounais carbonisé dans un volcan avant la fin de la parade. »

- Je veux que le public te reconnaisse lorsque tu seras dans l'arène, s'explique-t-il en ce moment d'un air rêveur. « Emma, la Fille du Feu. »

Je l'observe avec panique. Fille du Feu, Princesse des Flammes... Et toast grillé, on en parle ?! Si ça se trouve, je me suis trompée pour me détromper pour me re-retromper. Je pensais à notre rencontre qu'il était gentil, puis j'ai cru qu'il était un pervers schizophrène, mais en fin de compte, j'en ai conclus que Cinna est quelqu'un de bien et d'intelligent. Je ne saisis que maintenant qu'il est bien et intelligent, mais surtout suspect. Veut-il ma mort ? Si ça se trouve, son apparence calme dissimule l'âme d'un fou furieux rescapé d'un asile psychiatrique. Moi j'dis, méfiance et surveillance. De toute manière, si je risque quoi que ce soit, Damen lui cassera la figure.

Sauf s'il est cramé lui aussi.

Oh, non... On a été piégé...

- Emma ?

Je me tourne vers mon si charmant styliste. Les membres de l'équipe de soin également.

- Je viens de recevoir un appel de Portia. (Et il raccroche son téléphone portable, me laissant choquée. UN PORTABLE ! Bon, il ressemble aux premiers Nokia des années 90'... Mais bon...) Elle nous attend avec son équipe et Damen. (Euh... Ah oui, Portia.) On peut y aller.

- OK, c'est parti.

Je me lève de mon fauteuil, et aussitôt, des acclamations et des baisers m'enveloppent de partout. Octavia se baisse derrière moi et veille à ce que ma cape ne soit pas pliée sur les bords lorsque je marche. Venia resserre les lacets de mes bottes, Aliénor vérifie que ma tresse couronne tienne bien. En face de moi, Cinna me regarde avec émerveillement. Le résultat final plaît à tout le monde.

- Les gars, on va faire un carton !

- Tout ne dépend plus que de toi, chérie, me souffle Aliénor, tripotant mes longues boucles d'oreille, stressée mais pressée.

- J'essayerais d'être...

- N'essaie pas !, me coupe Flavius, presque déstabilisé. Tu as tout intérêt à être parfaite, bien sage et à ne pas faire fuir les sponsors ! Sinon, Effie va te scalper !

- D'ailleurs, où est-elle ?, lance-je à la volée.

- Aucune idée, mon choux. Concentre-toi plutôt sur ce qui t'attend.

Je hoche le menton à tous leurs conseils, remarques et idées pour plaire au public. Il faut dire que je ne sais pas vraiment cerner la psychologie des gens du Capitole - ils sont tellement superficiels ! - mais j'espère pouvoir être à la hauteur. Ne serait-ce que pour honorer le travail de mes nouveaux amis.

On me conduit donc tout en bas du Centre de Transformation, lieu où je me suis faites bichonner, et le rez-de-chaussé n'est qu'une vaste écurie appelée le Grand Cirque... qui est en ébullition. Bondée de monde. Je me fige.

Des stylistes partout.

Qui tournant autour de leurs Sujets.

Vingt-trois Sujets. Les Tributs.

Mes adversaires.

- Portia est là-bas, nous dit Cinna, pointant du doigt l'extrémité de l'écurie.

L'équipe continue de rire et de m'applaudir, jubilant et frétillant d'excitation à l'idée du triomphe qui m'attends. Je les suis machinalement, mais ne leur prête aucune attention. Chaque binôme de Tributs - une fille et un garçon de chaque District - réajustent leurs costumes ou se remettent un coup de mascara avant d'embarquer sur un chariot où ils doivent être debout, tirés par quatre chevaux. Mais ce n'est pas tant les attelages qui m'intéressent, mais les gens qui montent dedans.

Je les scanne tous un par un.

Personne le moindre costume n'arrive à la cheville du mien. Ils ont l'air ridicule, mais quand je vois certains stylistes - chauves, moustachus, ridés - je comprends qu'eux-même ne battront jamais Cinna. Je ne m'intéresse donc pas à leurs costumes, mais à leurs visages. Une fille aux longs cheveux blonds complètement magnifique et au sourire énigmatique, mais au regard fauve. Elle me fait penser à la sœur aînée de Damen, Rosalie. Elle m'a toujours détesté sans que je saisisse pourquoi. Sur un autre chariot, un petit garçon rond et joufflue aux bouclettes brunes. Il doit avoir douze ans. A priori, personne n'avait assez de cœur pour se sacrifier pour lui, dans le District d'où il vient. Il est accompagnée d'une meuf de seize ans au regard sauvage, coupe au carré. Derrière eux se tient un attelage portant un asiatique à la carrure impressionnante et une fille rousse et aux yeux bleus de bébé. Une fille aux cheveux bruns mais trop fins se tient pas loin, entre deux autres ado d'environ dix-huit ans qui me font carrément baisser les yeux de peur.

Je n'y parviens pas. C'est au-dessus de mes forces, je ne peux pas les voir normalement. Autrement que... des...

Des tueurs. Une horde de chiens sauvages. C'est ainsi que je les vois.

Ils peuvent sourire comme des humains, mais j'ai l'impression que dans quelques jours, ils seront tous prêts à me courir après pour me crucifier sur un chêne.

Ils embarquent deux par deux sur leurs chariots. Cinna me force à me décrocher de ce spectacle et me fait monter sur le mien. Choquée, c'est là que je réalise que Damen m'attend et me regarde depuis au moins dix bonnes minutes. Je le dévisage sans sourciller.

Apollon existe bel et bien.

Mes yeux ne parviennent à se décrocher de son visage juste le temps de le balayer du regard. Indescriptible, désolé. C'est impossible de décrire son costume, sa cape, ses cheveux, ses beaux yeux... Non, je ne peux pas. Ce serait un blasphème que de mal résumer sa beauté juste exceptionnelle. Jamais il ne m'a parut aussi... ouah. C'est presque gênant de soutenir son regard, à lui, la personne que je connais le mieux. Je réalise d'ailleurs avec un temps de retard que toutes les filles présentes le lorgnent. Même la Portia.

Elle et Cinna se baissent derrière nous et ajustent le drapé de nos capes, nous regardent avec fierté, puis s'éloignent légèrement en murmurant entre eux. Je regarde la styliste brune avec un œil furibond. Ouais, fais la sainte...

- Magnifique.

Abracadabra, pouf ! Emma se décroche du visage de Portia et se tourne vers son petit-ami, alias un vampire à tomber à la renverse même avec un T-shirt crasseux et un jean délavé, qui lui a dit le premier mot de la soirée. De la journée. Vingt-quatre heure sans sa voix mielleuse : c'est presque plus simple de se passer de nourriture...

Hum,OK. Il t'a parlé, là. Je pique un fard, baisse les yeux sur mes mains tremblantes. Il étouffe un petit rire. Je suis aussi gênée - et pathétique - que si c'était un parfait inconnu.

- Tu es très beau aussi..., chuchote-je, priant pour qu'il ne m'ait pas entendu.

« Si tu veux pas qu'il t'entende, pourquoi tu l'as dis, crétine ?! »

- Je sais, rit-il, allégeant l'atmosphère. Ça se voit aux regards des autres.

Ma gêne retombe comme un flan. Furieuse, je dévie mon regard vers le sien.

- Et ça te plaît, en plus ?!

- Bah je vais pas pleurer, non ?

- SI ! Elles ont... pas à... C'est impoli !

Il fait les gros yeux, arque un sourcil. Je réalise que le terme « impoli » dans la phrase est une connerie monumentale.

- Impoli ?

- Ouais ! (Au fond de moi, je sais bien que non, et je crois que la vérité s'affiche sur mes traits. Je continue tout de même à mentir.) Ouais, impoli !

- Dis que t'es jalouse...

- IMPOLI.

- Et eux, ils sont impolis aussi ?, demande-t-il en désignant du menton des gens derrière moi.

Je me retourne et découvre que tous les garçons présents, et même certaines filles, me lancent des coups d'œil qui ne se soucient pas d'être discrets. Certains ont l'air admirateurs, d'autres fous de rage. Les muscles de mon visage se crispent sévèrement et, rouge de colère, je chuchote :

- Argh, les salauds ! Salopes ! Tous et toutes, c'est atroce !

- T'as un grain...

- Nan mais tu te rends compte ?!, lui lance-je en revenant à son visage parfait, le mien virant peu à peu au cramoisie complet. Ils osent me dévisager ! Moi !

- Et... ?

- ET !... Et... Et voilà !

Damen éclate de rire en détournant le visage, amusé par mes idées. Furieuse, je décide de le bouder et reste concentrée sur notre chariot, noir de jais comme nos quatre chevaux. Je viens de percuter que nous n'avons même pas de rennes, ce qui signifie qu'ils sont assez bien dressés pour se passer de cocher.

- Il y a plus de cent mille personnes qui essayent de se frayer un chemin pour tenter d'apercevoir les Tributs, déclare une voix derrière moi. Et les sponsors vont les voir pour la première fois. L'importance de ce moment ne doit pas être sous-estimée !

Je me retourne et écarquille les yeux : un écran géant est accroché derrière nous, dévoilant deux présentateurs avec en fond la grande route bordée par la foule sur laquelle nous allons passer. L'un d'entre eux a les cheveux blancs et en forme de cœur - coupe originale... - et l'autre arbore une queue de cheval bleue nuit.Trois plans différents s'affichent alors : une image des deux présentateurs, celle de la foule et au milieu...

Snow, dans son trône, propre comme un sou neuf.

(Bras d'honneur mental.)

Dégoûtée, je reviens vers Damen, qui continue de ricaner. Une idée me vient pour le calmer, tiens...

- Et t'en penses quoi, des flammes, toi ?

Les vampires ne craignent rien : ils sont immortels. Toute fois, immortel ne signifie pas indestructible. La seule solution pour les détruire à jamais est de les démembrer et de mettre le feu à leurs restes. C'est assez macabre, mais j'y ai déjà assisté. C'était d'ailleurs une étape obligatoire pour mettre fin à la Malédiction qui enveloppait Storybrooke pendant seize ans.

Bref, parler des flammes à un vampire a donc un effet garantis : Damen se fige et cesse immédiatement de se moquer de moi. Fière de mon coup - malgré que je sois moi-même inquiète pour lui, car les autres ignorent encore qu'il n'est pas humain - je redresse le menton. Il se renfrogne.

- On passe un accord, susurre-t-il entre ses dents serrés. Arrache ma cape, et j'arrache la tienne.

- Marché conclus.

Peut-être qu'en étant assez rapides, j'éviterais de trop grandes brûlures, et mon copain ne deviendra pas un tas de cendre fumant. Gardons espoir.

- Petit hors sujet, mais où sont Effie et Haymitch ? Ils ne devraient pas nous soutenir ?

- Avec tout l'alcool qu'Haymitch a dans le ventre, mieux vaut qu'il reste éloigné des flammes !, s'esclaffe-t-il, et je ris de sa remarque. Mais ils me semblent qu'ils sont dans le public, dehors.

J'hoche paisiblement le menton, pressée d'en finir.

Puis la musique d'ouverture retentit.

Je cesse de respirer. Damen serre mes doigts, essayant de paraître rassurant, mais ses mâchoires contractées prouvent le contraire.

On ne peut pas manquer l'hymne de Panem, elle est diffusée à travers tout le Capitole, et donc à la télé. Les portes massives de l'écurie s'ouvrent et dévoilent enfin la route principale du Capitole, bordées par la foule en ébullition. D'après les infos que j'ai pu soutirer de Cinna - le seul qui ait assez pitié de moi pour m'éclaircir les idées - , le trajet jusqu'au Centre d'entraînements dure moins d'un quart d'heure.

Plusieurs hommes en costumes noirs tournent autour des chariots, posent leurs index dans le creux de leurs oreilles, où sont nichées leurs oreillettes. Ils lèvent la main en même temps. Les deux stylistes chargés des premiers Tributs souhaitent bonne chance à leur Sujets, du District Un, qui s'élancent les premiers, bien droits sur leur chariot tirés par des chevaux blancs qui me rappellent ceux de mon père. Derrière moi, l'écran de télévision retransmet en direct les applaudissements du public.

- Les voilà, nos tout nouveaux Tributs !, rit de joie le présentateur Tête-de-Coeur.

- Oui, c'est vrai que ce moment est très touchant !, ajoute Cheveux-bleus. Ça me donne la chair de poule !

Et quand on sera dans l'arène, tu auras la chair de poule aussi ? Ou bien tu mangeras du pop-corn dans ton canapé ? Ou bien seras-tu dans ton joli fauteuil en face de la caméra, à commenter nos morts ?

- Vous ne trouvez pas ça incroyable, ce don qu'ont les stylistes pour faire ressortir la personnalité de chacun avec leurs costumes ?, poursuit-il, sous mon regard des plus irrité.

Je reste concentrée sur la jolie blonde de tout à l'heure, la fille du Un. Elle et son partenaire sont si beaux, peints à la bombe argentée, dans leurs élégantes tuniques ornées de bijoux. Vu les matériaux de leurs costumes, je pense que leur District confectionne des objets de luxe. La foule les accueillent dans des hourras qui me font baisser la tête de dépit. Sponsors, sponsors, sponsors... ça va pleuvoir, pour eux...

Les mecs aux oreillettes relèvent leurs bras. Au tour du District Deux - un des colosse flippant de tout à l'heure, et une petite brune au visage meurtrier - de partir. Plus les chariots s'élancent sur la route, plus le notre avance, prêt pour notre tour. Mon cœur bat très vite. C'en est presque inquiétant.

Cris de la foule, applaudissements, chariots, hourras, coucous. C'est autour du petit garçon joufflu et de la fille qui l'accompagne - celle avec le carré blond et le visage sauvage - de partir. Notre chariot avance.

- OH !

- Quoi ? Quoi ?, s'inquiète aussitôt Damen.

Ahh !! Ils sont du District Onze !

On est les dernier !

C'est à nous d'y aller !

Oh mon Dieu ! Je sais pas ! Olala ! Qu'est-ce qu'on fait ? On pleure ? On crame ? OH MY GODNESS ! J'ai peur ! J'ai le trac ! Je me trémousse, apeurée, et découvre mes doigts tout blanc à cause de ceux de Damen, qui me serre trop fort. L'écurie s'est vidée. Quelques personnes, stylistes et préparateurs, restent scotchées sur le grand écran, dans notre dos. Radieux, Cinna s'approche de nous avec une torche enflammée.

Maman ! Papa ! HELP US !!!

- C'est à nous !, annonce-t-il, déterminé.

Henry, je t'aime ! Clark, Caleb, je pense à vous !

- Cinna, je pense qu'on devrait plutôt...

Avant d'avoir pu terminer ma phrase, il met le feu à nos capes sous le regard impressionné des autres stylistes.

JE TE DEMANDE PARDON, PRIIIIIIIM !

Portia trépigne littéralement sur place. Aliénor fond dans les bras de Venia, en larmes, visiblement partagée entre la terreur et l'impatience. Octavia et Flavius nous dévisagent avec de grands yeux écarquillés, bouches bées.

- Le District Onze, déclarent les présentateurs derrière nous, voyant arriver le chariot du petit garçon.

Je retiens mon souffle.

Mais ça ne fait rien.

Ça ne brûle pas. Ça ne pique pas. C'est à peine chaud, en faite. Poussant un soupir de soulagement, Cinna grimpe sur notre chariot et met le feu à nos cheveux. Damen et moi nous tournons l'un face à l'autre avec la même expression de choc.

- Oh, ça marche ! Ça marche ! (Fou de joie, mon styliste redresse doucement mon menton.) Tête haute, souriez ! Ils vont vous adorer !

Cinna bondit à bas du chariot. On le regarde en souriant, tout deux fiers de son travail. Il a assuré. Il a géré sa mère, putain, il déglingue de trop. On a enfin une chance d'amasser des sponsors !

Je lui souris de toute mes dents. En retour, il... il...

Il fait ce que Snow interdit à tous de faire. Quelque chose qui est pourtant obligatoire dans le reste de Narnia. Je porte mes mains à mes lèvres, touchée. Un sourire s'affiche sur les lèvres de Damen.

Il me fait une belle, et longue, et magnifique révérence.

- Le carrosse de Son Altesse est avancé, rit-il une toute dernière fois. Ne lâchez pas vos mains, c'est parfait ! Bonne chance, Fille du Feu.

Une larme perle au creux de mon œil droit. Je lui envoie un baiser avant que les hommes aux oreillettes ne lèvent les bras. Je me tourne vers l'avant, mes doigts étroitement emmêlés à ceux de Damen, et nous nous élançons.

Le premier réflexe de la foule en nous voyant arriver est de... pousser un cri commun. Puis se succèdent presque dans la seconde des cris et des hourras, des « District Douze ! ». Toutes les têtes se tournent vers nous, au détriment des autres chariots qui paradent toujours.

Au début, je reste pétrifiée, toute sèche, mais ensuite je nous aperçois sur un écran géant et je suis frappée par le tableau que nous offrons. Dans la nuit noire, la lumière des flammes illumine nos visages. Nos capes ondulantes semblent suivies d'une traîne de feu. Cinna a eu raison concernant le maquillage minimaliste : nous avons l'air plus beaux tous les deux, mais nous restons parfaitement reconnaissables.

- Tête haute, Princesse, me glisse Damen avec un sourire enjôleur.

Il a raison. Qui est de sang royal, ici ? Eux ou moi ? Snow ou ma famille ? Panem ou la Forêt Enchantée ? Avec toute la dignité dont je suis capable, je redresse le menton et affiche mon plus beau sourire, agitant ma main libre - toujours en rentrant légèrement le pouce, comme les souverains. Une fois habituée à la vitesse de nos chevaux noirs galopant comme des fous, je me surprends même à adresser des baisers à la foule. « Petits, petits, petits ! Sponsors, sponsors ! Venez par ici ! »

Ah le délire !

- Parfaite, observe Damen, fier de moi.

Je me tourne vers lui en souriant et lui donne un coup d'épaule amical.

- Tu ferais mieux de m'imiter. Faut satisfaire Haymitch, ne l'oublie pas !

Il hausse les sourcils, surpris par mes mots. Eh ouais, mon gars ! Ça rigole pas !

Damen roule des yeux en lâchant ma main et se tourne vers la foule de droite. A deux mains, il les couvre de baisers chaleureux et offre un sourire qui rend le mien pittoresque. Des cris aigus - des filles... - proviennent de partout. Jalouse, je me tourne à mon tour et joue les mannequins américaines, crânant et riant et embrassant du regard toutes les personnes présentes. Les trois chariots encore devant nous se retournent, certains surpris, d'autres jaloux par notre succès. La foule nous couvre de fleurs, hurlent nos noms, acclament, admirent, et me laissent excitée comme une gamine la veille de Noël.

Cinna m'a donné un grand avantage. Personne ne m'oubliera.

Son Altesse Emma, la Princesse Fille du Feu.

Pour la première fois, je sens une pointe d'espoir monter en moi. Après ça, il y aura certainement un sponsor pour miser sur moi ! Et avec un petit coup de pouce, de la nourriture, une arme appropriée et un allier vampire, pourquoi devrais-je m'estimer vaincue d'avance ? On me lance une rose rouge. Je l'attrape, la hume délicatement telle la Princesse que j'aurais toujours dû être, puis souffle un baiser dans la direction de celui qui me l'a offerte. Une centaine de mains se lèvent pour saisir mon baiser, comme s'il s'agissait d'une chose réelle.

Des fous, ces gens. Ils ont un grain.

- E-mma ! Da-men ! E-mma ! Da-men !

J'éclate de rire, suivis de mon amoureux. Nos prénoms retentissent comme des paroles religieuses. Ils veulent tous de nos baisers.

Et au lieu de leur en donner, une idée me vient. Je regarde Damen, et il me regarde. On hoche le menton. Je suis puissamment choquée par notre synchronisation : on pense la même chose. On est connecté l'un à l'autre, c'est fou.

Nous nous tournons tout droit, face aux caméras.

Face à Snow.

On entortille de nouveau nos doigts et levons nos mains bien haut au-dessus de nos têtes, ce qui accroît les hurlements du public. Les gens se mettent debout et applaudissent comme des fous.

Oh, Damen... Je n'ai jamais trouvé quelqu'un qui me ressemble autant, mon amour. Tu es réellement tout pour moi, car nous avons les mêmes idées, les mêmes pensées... Et le même message à adresser.

Oui, on est des Tributs. Oui, on va devoir se battre. Oui, on va devoir tuer.

On va devoir survivre.

Mais personne, personne, que ce soit dans ce monde-ci ou dans l'ancien, dans ce monde-ci ou dans le prochain...

Personne ne nous séparera l'un de l'autre.





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