— Tu t'es transformée... comme ça, reprit Ethel. Sans évènement précurseur, sans invocation, sans formule, sans contexte, débita-t-elle avant de froncer les sourcils et de poursuivre : « c'est im-po-ssible ».
— Et pourtant tu l'as fait, compléta Thomas, ahuri.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Vous pouvez m'expliquer s'il vous plaît ! les suppliai-je.
J'étais totalement déstabilisée. Je ne pouvais croire ce que je voyais dans le miroir. Parsemés de pépites dorées, mes yeux étaient couleur émeraude. Mon teint avait pâli et en même temps paressait plus lisse. Mes taches de rousseur s'étaient transformées en paillettes dorées. Sous l'œil gauche, mon grain de beauté semblait briller. Par réflexe je portais une main dessus pour tenter de le dissimuler. Déjà que d'habitude je le trouvais trop voyant mais alors là, j'avais juste l'impression qu'on ne voyait que lui. C'était déstabilisant, irréel. Et mes mains étaient illuminées d'une lumière orangée. La même que mes yeux. La même que lors de mon Évaluation, réalisai-je alors. Je relevai les manches de ma chemise, et sursautai lorsque je vis que mes bras étaient couverts de motifs lumineux, comme des tatouages, qui s'entrelaçaient. C'était magnifique et effrayant. J'avais peur. Terriblement peur. De mon reflet. De toutes ces absurdités. C'était pire qu'un cauchemar.
— Oh May ! s'écria Ethel. On n'en sait rien. On connaît très peu de choses, mais si y'en a bien une dont on est sûr, c'est que pour nous transformer on doit faire une série de gestes ou dire une formule... Ça se fait pas par la pensée !
— Enfin maintenant on a la preuve que si, reprit Thomas.
— Mais expliquez-moi comment on fait pour reprendre son apparence naturelle, alors !
— La forme que tu as maintenant est tout aussi naturelle que celle que tu as d'habitude, m'expliqua Ethel. Regarde, tu vois ce halo qui t'entoure ? Cette faible lumière qui émane de ton corps ?
Abasourdie, je hochai simplement la tête.
— C'est ton champs énergétique. Tout être vivant en possède un. Les humains aussi. C'est la représentation physique de l'énergie qui est en toi. Ton fluide magique. Seulement, d'ordinaire, il est trop faible pour être perçu à l'oeil nu.
— Lorsque tu te transformes, embraya Thomas, tu débrides ton énergie et lui permet de circuler librement dans ton corps. Du coup, elle est plus puissante parce qu'en pleine possession de sa force et ton champs énergétique se décuple, ce qui fait qu'il devient visible.
Ces explications me retournaient le cerveau mais quelque part, elles coulaient de source. Voilà pourquoi je me sentais si bien, depuis que je m'étais transformée. L'impression de sérénité et de plénitude qui m'avait envahie - avant mon instant de panique en découvrant mon corps métamorphosé - était due à la circulation sans entraves de mon énergie. Enfin libre, semblait-elle me crier. Ce sentiment me grisait, mais il était encore trop tôt pour que je puisse l'accepter et en profiter. Je me sentais toujours mortifiée.
— Si tu t'es transformée par la pensée, tu dois pouvoir redevenir normale de la même manière, avança alors Ethel, qui donnait l'impression d'avoir lu en moi.
— Pense très fort que tu veux redevenir comme avant, renchérit Thomas.
Tout cela me paraissait absurde mais il fallait que j'essaie. Je fermai les yeux et me concentrai fort sur mon apparence. Mes yeux verts, mes bras pâles, mon visage et ses tâches de rousseurs. J'eus l'impression de me vider et tombai.
Quand je rouvris les yeux, j'étais allongée par terre, Ethel et Thomas penchés sur moi.
— Tu nous as fait peur ! On aurait dû te prévenir que se transformer demande beaucoup d'énergie.
J'avais eu l'impression que me transformer m'en avait donné et non le contraire, mais je n'étais sûre de rien. J'avais une boule dans la gorge.
— C'est bon, je vais bien, leur assurai-je en me redressant.
Je tendis mes bras devant moi. Pas de traces de lumière ou de motifs quelconques. Je me sentais soulagée.
— Merci, gratifiai-je mes amis.
— Pas de quoi, répondit Ethel.
Thomas paraissait soucieux.
— On n'a qu'à faire comme si rien ne c'était passé, d'accord ? décidai-je pour le rassurer. Vous n'avez rien vu, rien entendu !
— Qu'est-ce qu'ils n'ont rien vu, rien entendu ? demanda une voix.
Nous sursautâmes.
— Zed ? demandai-je les yeux écarquillés de surprise. Tu as v... Tu as... Mais qu'est-ce que tu fais là ?
Le garçon était prostré dans l'encadrement de la porte.
— Je te cherchais pour te donner un message mais tu n'étais pas au dortoir et je te retrouve par terre dans les sanitaires. Qu'est-ce que vous étiez en train de faire ? Vous cachez quelque chose ? demanda-il.
J'haussai les sourcils de surprise.
— Et si on voulait aller aux toilettes ? demandai-je de ma voix innocente.
Zed leva les yeux au ciel.
— T'es pas crédible, sourit-il en secouant la tête.
— Et bah, on avait envie de s'isoler un peu, lança Ethel pour voler à mon secours. C'est tout, sourit-elle.
— Oh je vois, répondit-il le visage toujours fermé.
— Tu devrais pas être avec les Gardes du Palais ? demanda Thomas.
— Mêles-toi de ce qui te regarde, lui répondit-il toujours sur le même ton.
Thomas eut l'air surpris. Zed avait été un peu trop agressif à mon goût.
— On n'est pas à tes ordres à ce que je sache, monsieur je-me-mêle-de-ce-qui-ne-me-regarde-pas. C'est pas tes affaires de savoir où on est et pourquoi. Si t'es pas content de nous voir ici, alors va ailleurs ! le rembarrai-je.
Son regard se posa sur moi.
— Mam'zelle May, dit-il en s'inclinant ironiquement devant moi, je suis justement venu pour te dire que Maître Gorigann et moi-même sommes pressés de voir ce dont tu es capable. Tu nous rejoindras donc dans trois semaines, même jour, après le dîner dans la forêt dorée pour ton premier entraînement de Garde. D'ici-là essaie de faire quelque chose de tes pouvoirs... Sur ce, passez une bonne journée ! nous salua t-il.
Il s'éloigna en direction de la porte mais s'arrêta juste avant de tourner la poignée. En me regardant, il me dit : « Si j'étais vous j'éviterai de quitter les dortoirs alors qu'il pourrait y avoir un recensement à tout moment... ». Un sourire ironique se dessina sur ses lèvres puis il disparut derrière la porte. Un frisson me parcourut l'échine.
Nous restâmes silencieux un moment, jusqu'à ce qu'Ethel reprenne la parole.
— Bah ça alors ! Zed ici ! Et il t'a donné un rendez-vous en plus !
— Euh, désolée mais ça n'a pas vraiment l'air de quelque chose de sympa, ou je ne sais pas ce que tu t'imagines, répondis-je avec une petite voix, encore trop estomaquée par ce trop-plein d'informations stupéfiantes.
— Ouais, mais c'est quand même un rendez-vous.
Elle soupira, l'air songeur.
— Je ne savais pas qu'il pouvait être romantique, ce Zed... continua-t-elle en me regardant, les yeux pétillants de malice.
Elle me prit le bras et nous sortîmes des sanitaires.
— Arrête, il ne me plaît pas du tout ! protestai-je en lui donnant un coup dans le bras.
J'étais sincère... malgré le fait que je ressente toujours ce vertige en le voyant.
— Comment est-ce possible, repris-je sincèrement curieuse, que tu puisses le supporter ?
— Tu rigoles ? me retourna-t-elle en me faisant face. Comment est-ce possible que tu ne puisses pas le supporter ? Son visage ténébreux ferait fondre n'importe qui, en plus il a un physique on ne peut plus avantageux, il est intelligent, sympa et il t'aide quand t'en as besoin. Tu trouves le moyen de ne pas l'aimer ? Là tu fais fort.
Elle sourit.
— Justement, c'est trop beau pour être vrai. Et je ne l'ai jamais vu aider personne !
— Ah bon ?
Elle paraissait vraiment surprise et je saisis pourquoi certains ne la comprenaient pas. Elle sembla réaliser quelque chose, avant de secouer la tête.
— Là, tu vois, continuai-je en ignorant son curieux comportement, je viens d'avoir l'un de mes plus gros chocs émotionnels parce qu'en fait je suis un monstre, alors ne viens pas m'embêter avec tes histoires de garçons, ok ?
— Désolée, me sourit-elle. Et t'es pas un monstre mais une sorcière. Tu n'es pas quelqu'un de mauvais, il faut juste que tu apprennes à maîtriser la magie qui coule dans tes veines.
— Après vous les filles, nous interrompit Thomas, me faisant sursauter.
Nous étions arrivés au dortoir et il nous tenait la porte.
— Merci, le remerciai-je en passant derrière Ethel.
Tout le monde s'était dispersé depuis que nous étions partis. Chacun vaquait à ses occupations et la tête rousse de Spoty avait retrouvé une couleur normale. Nous nous assîmes tous les trois sur le lit d'Ethel et bavardâmes.
Dans l'après-midi, Ethel me montra ses talents d'artiste. Elle peignait des arbres en fleurs, des oiseaux et beaucoup de portraits étonnamment vivants, dont un de Thomas, dessinés au fusain.
— C'est magnifique ! la complimentai-je.
Ses yeux pétillaient.
— Ces visages lui viennent de ses songes, expliqua Thomas. Elle les voit dans ses rêves la nuit et les dessine à peine réveillée.
Je hochai la tête.
La soirée s'écoula en douceur et lorsque ce fut l'heure, nous retournâmes au réfectoire. La nourriture n'était pas mauvaise, juste très différente de tout ce que je connaissais.
Pendant le dîner, on nous apprit que la menace des Tériatomes avait été écartée et que l'alerte était levée. Les cours reprendraient donc le lendemain. Plus tard, nous retournâmes au dortoir, bavardâmes encore un peu sur le lit d'Ethel avec pour tout éclairage, une faible lueur qu'elle produisait avec ses mains – c'était à croire que personne ne respectait les règles du C.I.S.I. — puis nous regagnâmes nos lits respectifs et nous endormîmes.
Les trois semaines qui suivirent, je me levais tous les jours aux aurores, me préparais à moitié endormie et me rendais en cours avec mes amis. Cinq fois, mon sommeil avait été perturbé par des cauchemars et cinq fois, j'avais erré avec des cernes de trois kilomètres de long toute la journée. Je n'étais pas encore tout à fait sûre d'être une sorcière, mais j'avais tout l'air d'un zombie. Heureusement les créatures d'ombres n'occupaient pas tellement mes pensées, trop obnubilées par l'étrange monde dans lequel j'avais atterri.
Mon cours préféré était celui de Mme Kletter. Ce professeur était exceptionnel. Grâce à ses cours de soutient, elle m'aidait à trouver mes repères et à reprendre confiance en moi. J'avais appréhendé le cours d'astrologie qui s'était finalement révélé intéressant quoique mortifiant et le premier cours de pratique n'avait pas été catastrophique non plus. On m'expliqua la différence entre magie et sorcellerie. La première émanait des sorciers et la deuxième était l'exécution de sorts et de charmes grâce à des formules et toutes sortes de potions.
Et bien sûr, j'appris comment déclencher mes pouvoirs avec une série de gestes précis, bien que je puisse aussi le faire par la pensée, comme je l'avais expérimenté plusieurs fois en secret. Quand j'étais transformée j'éprouvais la même sensation de bien-être et de puissance que la première fois qu'ils s'étaient déclenchés.
Vers le milieu de la semaine, Jac me révéla que je n'étais pas associée à la planète que la Grande Prêtresse m'avait assignée. Il parut surpris mais ne fit aucun commentaire. Cela m'inquiéta, ce n'était pas très « Jac-esque ».
J'étais conduite par la lune, la lumière de la nuit, l'astre aux deux visages. Aussi étrange que cela puisse paraître, la foudre y était associée. Enfin, il m'affirma que j'étais une vraie boule d'énergie, si puissante qu'elle pouvait se révéler dévastatrice. Super.
Le professeur m'assura qu'il m'apprendrait à m'en servir et à la maîtriser et qu'il ne fallait pas que je m'inquiète. Mes amis s'étonnèrent quelque peu de mon pouvoir « rare », bien qu'Ethel ne réponde qu'en souriant, mais ne me demandèrent pas plus de détails.
C'est ainsi qu'arriva le fameux jour de ma rencontre avec Zed dans la forée dorée. J'avais revêtu une des tenues du Repaire du Sorcier : un pantalon noir et un haut ample, bleu marine. J'avais mis mes bottines et me dirigeais vers la passerelle en compagnie de mes amis.
— Tu te sens prête ? me demanda Thomas. Si t'as un problème, fais-le nous savoir.
— T'inquiète, ça va aller.
Nous avions commencé à tisser des liens au cours de la dernière semaine.
Thomas avait le pouvoir de l'eau céleste, comme nous le disaient nos profs. Ce qui signifiait qu'il pouvait invoquer la pluie, un orage, ou encore hydrater ou déshydrater quelqu'un simplement en le touchant. Il était porté par Uranus.
En revanche, Ethel puisait sa magie dans les arbres, comme elle me l'avait déjà évoquée. Elle pouvait tirer une sorte de sagesse de certains spécimens quant aux décisions à prendre si elle en avait besoin, former des tempêtes de feuilles, ou encore se fondre dans le paysage en devenant quasi transparente. C'était incroyable.
Toujours est-il qu'il était temps pour moi de rejoindre la forée dorée, ou bien j'allais être en retard. Nous étions dans le vaste hall en haut des escalators. Au croisement des différentes passerelles, mes amis me montrèrent le chemin vers un tunnel étroit qui se différenciait des autres par son opacité. Ce n'était pas très rassurant mais nous le traversâmes dans l'obscurité, jusqu'à arriver devant une sorte de mur transparent. On aurait dit un rideau de pluie, mais Ethel m'assura qu'il s'agissait d'un « trou de poussière dorée », et que c'était le seul passage possible pour entrer dans la forêt dorée.
— Il te suffit de te transformer pour pouvoir le traverser.
— Et tu te retrouveras au beau milieu de la forêt, enchaîna Thomas.
— Je crois que je vous laisse ici, alors...
Il me suffit de me concentrer deux secondes sur mes pouvoirs pour me transformer. La sensation de puissance m'envahit à nouveau et une vague de chaleur me parcourut. Je frissonnai de plaisir. Ça tombait plutôt bien puisque j'étais absolument morte de peur.
Ethel me fit un clin d'œil.
— Bon voyage, me sourit Thomas.
— À toute à l'heure ! leur souris-je à mon tour.
Et je franchis le rideau.
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*dernière mise à jour : 20/07/18*
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