Chapitre 12 - Rendez-vous en terrain connu

Élodie inspira avidement une grosse bouffée d'air. Son menton se mit à trembloter. Son cœur avait déjà arrêté depuis longtemps de battre, il était parti, avait laissé un trou plein de douleur. Elle s'accrocha, titubante, au tronc d'un arbre. La boule de culpabilité dans sa gorge s'alourdit, et une larme roula sur sa joue.

Elle avait envie de retourner en arrière, de tomber dans les bras de Léna, de lui dire je t'aime, vraiment, je m'excuse, je n'aurais jamais dû faire ça. Mais c'était impossible. Elle l'avait abandonnée, maintenant c'était trop tard. Encore une fois, elle avait agi sans réfléchir. Encore une fois, elle n'aurait pas dû écouter son orgueil. Elle aurait dû laisser sa fierté de côté et faire marche arrière, s'excuser, et essayer de négocier.

Mais maintenant, c'était fait.

Et on ne peut pas refaire ce qui est fait.

Elle devait aller chercher ces informations, même si c'était dangereux, même si c'était de la folie. Il n'y avait pas d'autre moyen, ils contrôlaient déjà tout. Au moins, quand elle saurait qui ils sont, elle pourrait savoir si elle avait une chance de survivre.

Alors elle continua à avancer, difficilement. Guebwiller était juste devant elle, derrière un rideau d'arbre, sa maison en première ligne. Elle mit un pied devant l'autre, manqua de tomber dans un fossé. Un léger sanglot s'échappa de sa gorge.

Il fallait se ressaisir. Elle allait y arriver, comme elle y était toujours arrivé. Elle connaissait sa maison, comment y entrer, elle allait le faire.

Mais ce qui lui faisait le plus peur, ce n'était pas ce qui l'attendait. C'était Léna. C'était ses cheveux, ses yeux, sa beauté, sa gentillesse, son humour, c'était elle. Elle avait peur de ne pas l'aimer. D'être tombée dans ses bras par soulagement, elle avait peur de regretter. Que ce qu'elle avait fait était faux. Elle avait peur de découvrir une réalité qui n'était pas la sienne.

Tout était arrivé si vite. Elle en voulait à Léna, mais plus encore à elle-même. Ne s'était-elle pas blessée toute seule ?

Une fois encore, Élodie inspira profondément et reprit sa route.

Elle descend le bout de sa rue, discrètement, dans la douceur inquiétante de la nuit, se glisse dans son jardin, silencieuse, et se dirige vers la fenêtre de sa chambre. De la lumière filtre par le volet du salon. Ils sont là. Elle doit être la plus furtive possible. Elle monte à l'arbre qui tend ses branches vers la fenêtre de la chambre de la jeune fille, au premier étage. Le volet est fermé. Tout est calme. Un grillon, perdu, se met à chanter.

La lycéenne pose sa main contre le volet électrique, doucement. Elle ferme les yeux, se concentre quelques instants, puis délivre juste l'énergie nécessaire pour l'ouvrir à l'aide de ses pouvoirs. Le panneau se soulève dans ce qui paraît être à Élodie un vacarme assourdissant. Elle sert les dents, de peur de les alerter. Elle s'arrête aussitôt que l'ouverture est assez grande pour la laisser se faufiler à l'intérieur. Elle ouvre sa fenêtre d'un coup d'épaule, et se glisse à l'intérieur de sa chambre. Une chance qu'elle ne se soit jamais décidée à dire à son père que sa fenêtre fermait mal. Elle referme délicatement les battants derrière elle, et avance, à tâtons, sur la pointe des pieds, dans le noir, évitant de marcher sur ses affaires de cours étalées sur le sol. Elle attrape son téléphone au passage, puis se dirige vers l'autre bout de la pièce. Étrange qu'ils ne l'aient pas gardé sur eux.

Arrivée à sa porte, elle s'accorde une petite pause, pour souffler, appuyée sur le mur. Elle ouvre son portable, et lit les notifications. Une trentaine de vidéos YouTube, quelques e-mails, et plus d'une soixantaine de messages et SMS de Léna, Liam et Lucas inquiets. Il reste trente-et-un pourcents de batterie. Elle peut encore appeler la police. Revenir vers Léna avec son téléphone et signaler leur position à la police. Mais non. Maintenant qu'elle est là, maintenant qu'elle est sur le point de découvrir qui ils sont, pas question de faire marche arrière.

Alors elle ouvre la porte et jette un œil discret dans l'entrebâillement. Tout est noir. L'obscurité n'est pas très rassurante, mais au moins, elle indique que la voie est libre. Élodie se glisse dans le couloir et chemine, sur la pointe des pieds, le plus légèrement qu'elle puisse, jusqu'à l'escalier qui mène au grenier, qu'elle monte tout aussi délicatement.

Arrivée en haut, elle passa la dernière porte la séparant des documents secrets, et se croyant en sécurité, elle alluma la lampe de son smartphone. Il y avait là des tonnes de caisses en carton, de feuilles de papier, de paquets ficelés et de livres qui s'entassaient dans un désordre que l'on croirait trié au premier abord. Un sentiment de satisfaction et de fierté s'empara d'Élodie, qui venait de prouver à elle-même qu'elle avait raison à propos des documents. Restait à trouver le bon. Elle s'assit en tailleur et commença à feuilleter. La première caisse qu'elle fouilla traitait des origines de la famille ; elle était pleine d'arbres généalogiques aux noms germaniques, et de vieilles photos en noir et blanc dont le gris tirait parfois sur le marron. Intéressant, mais ce n'était pas vraiment le moment de remuer le passé alsacien et les douloureuses périodes de guerre qu'il a subies.

Elle se tourna alors vers le tas d'à côté, et son regard fut attiré par un livre pour le moins étrange. Il était fait dans une sorte de papier épais et lisse, qui avait une apparence organique, comme de la peau. Mais il était bien trop blanc et parfait pour en être. Sa couverture, elle aussi constituée de cette étrange matière, était inscrite de symboles arrondis faits à l'encre bleue, comme des lettres forment un titre, et décorée en dessous d'une sorte de rosace, divisée en douze parties, chacune remplie d'une espèce de rune. Le tout était grossièrement relié avec du fil à coudre. Des feuilles, sûrement arrachées à un cahier à spirales, dépassaient d'entre les pages.

Élodie ouvrit à la première page. Deux feuilles à carreaux en tombèrent. Il y avaient là, à gauche, un petit texte, écrit à la main, toujours avec ce même alphabet aux lettres arrondies et dans cette même encre bleue, et à droite une étoile à douze branches remplie par un symbole, surmontée d'une sorte de titre, et accompagnée, en dessous, d'un texte, comme sur la page de gauche, mais deux à trois fois plus long. Élodie ramassa les feuilles tombées. Dessus étaient écrits des textes, en français cette fois, dont elle identifia l'écriture comme celle de son père. L'un des deux textes était court, et l'autre long et surmonté d'un symbole, celui qui était dessiné dans l'étoile à la première page du livre.

Elle comprit alors que les feuilles étaient la traduction en français de ce qui était écrit en Dieu-savait-quelle-langue sur le livre. Elle s'intéressa alors au contenu des traductions. Le premier papier indiquait :

« Les Pouvoirs sont des dons. Nous nous devons donc d'en profiter, pour soi et pour le Monde.

Avant de savoir maîtriser physiquement l'un des Douze Pouvoirs, on se doit d'apprendre sa force spirituelle et son état d'esprit. »

Ce livre parlait donc des pouvoirs comme ceux d'Élodie ou ceux de son père ! Elle jeta un coup d'œil à l'autre page, intitulée « La Terre » :

« L'élément du Sol est la maîtrise de la force et de la puissance. Elle peut déplacer des montagnes et ne ploie jamais. L'humina est et sera. Il est solide, résistant, et sait observer. Il peut être à tort décrit comme lent, mais est en réalité sage : il regarde autour de lui avant d'agir, il fait attention, il est là.

Le bon maître de la terre est inflexible, inébranlable. Il n'agit jamais sans réfléchir, et choisit d'attendre pour observer plutôt que d'agir vite dans le danger. Mais il doit aussi savoir faire preuve de tolérance, et connaître parfois le changement. Il doit éviter ses vices, que sont l'intolérance, la dureté, l'archaïsme. »

Élodie savait bien que ce n'était pas le moment, mais elle ne put résister à la tentation de trouver la page la concernant. Elle feuilleta alors le manuscrit, jusqu'à tomber sur la page dont la traduction française indiquait « La Foudre ».

« La structure des Feux des Dieux est la maîtrise de la fougue, la spontanéité et la précision. Le fulge est rapide, précis, et agit dans le moment. Il va droit au but, sans faire de détour, mais sans rencontrer d'obstacle. Il est ferme, et direct, franc. Il n'est cependant pas obligatoirement dur. Le fulge peut être vu comme imprudent et prenant des risques inutiles. Mais il agit avant tout selon son sens de la justice, de la loyauté, et de l'amour.

Le bon maître de la foudre est valeureux, courageux, a un sens de la justice et de la loyauté très fort. Il est rapide, précis, n'hésite pas. Le fossé piège du fulge est de faire confiance aux apparences. Il doit agir dans le moment, mais en faisant attention à ce qui se passe, en faisant attention à qui il fait confiance. »

Élodie médita quelques instants sur les mots qu'elle venait de lire. Elle ne savait pas qui était l'auteur de ce livre, mais il avait raison. Elle n'hésitait jamais, et on lui disait bien trop souvent qu'elle prenait des risques inutiles. Et elle avait confiance en des personnes qui ne le méritaient pas.

Alexis.

Encore une fois, la nausée monta dans la gorge de la jeune fille, mêlée cette fois à la culpabilité qui la rongeait depuis qu'elle avait laissé Léna seule.

Elle les chassa de sa tête. Ils n'étaient pas là ; pourquoi alors les garder dans son esprit, avec elle ?

La lycéenne ferma les yeux un instant. Qu'avait-elle appris grâce à ce livre ?

Elle avait appris que c'était normale qu'elle soit impulsive, ou tout du moins qu'il n'y avait rien d'étonnant à cela. Et elle avait appris que les gens comme elle, qui contrôlaient la foudre, étaient appelés « fulges ». Et c'est tout. Elle avait encore perdu son temps. Il fallait qu'elle se remette à la recherche des informations, et au plus vite.

Tout d'un coup, elle ouvrit les yeux. Un bruit. Des pas. Quelqu'un. Dans l'escalier. Il monte.

Élodie se lève, en vitesse, silencieuse, éteint la lampe de son téléphone, et se cache, trop grande, derrière une pile de cartons trop petite. Les pas s'arrêtent devant la porte du grenier. La poignée s'abaisse. La porte grince sur ses gonds. La lumière inonde la pièce. Le cœur d'Élodie bat fort, manque de s'arrêter.

La silhouette s'approche. Elle s'arrête. Net. Elle l'a vue. Elle retourne, lentement, en arrière. Elle va alerter les autres. Élodie se déplie violemment et pointe sa main en direction de l'ombre, renverse une caisse, et un éclair déchira brusquement l'air, se ficha dans le cœur de l'intrus dans un claquement assourdissant.

La silhouette retomba sur le sol dans un bruit sourd. Élodie écarquilla les yeux, resta haletante, ses yeux encore aveuglés par la foudre. Le silence l'accablait de reproches. Il y avait un homme mort sur le sol de sa maison.

Ses oreilles sifflaient. Rien. Tout était calme, silencieux, noir, sourd, pesant, inquiétant. La lumière qui passait par la porte entrouverte continuait de se déverser, comme une menace.

Élodie était figée par le silence. Elle ne pouvait plus bouger. Sa conscience lui criait d'aller fermer la porte, mais ses membres demeuraient immobiles. Elle était incapable d'effectuer le moindre mouvement. Même son regard restait coincé sur la lumière de l'autre côté du battant.

Soudain, une détonation retentit à côté d'elle, et la porte claque toute seule, plongeant la pièce dans le noir total. La jeune fille devine la carrure imposante d'un homme, là, tout près d'elle. Des mains puissantes tentent de la saisir, lui arrachent les bras, la tirent dans l'obscurité. Élodie tend le bras et lance, à l'aveugle, une lame d'électricité qui transperce l'air pour venir exploser sur une pile de papiers, qui s'enflamme aussitôt. Le feu s'étend, dessine la silhouette de cet homme, gigantesque, qui continue de jeter ses poings vers Élodie, pour l'attraper, ou peut-être la frapper. Ses coups s'enfoncent dans les côtes de la lycéenne, qui se débat et tente d'y échapper. Elle tente à nouveau de le foudroyer, mais l'éclair retombe sur une caisse, qui s'embrase. L'homme la saisit par le poignet, le lui serre à tel point qu'il semble se casser.

La vue d'Élodie se trouble, elle sent ses jambes faiblir. La violence semble presque silencieuse, tant les coups sont brutaux et déstabilisants. Mais elle ne doit pas se laisser faire. L'homme la presse, lui retourne le bras. Elle tend l'autre main, et, coûte que coûte, projette des éclairs, dans toutes les directions, quitte à se brûler, tant qu'elle trouve le moyen de s'échapper de l'emprise du colosse.

Mais aucun ne l'atteint. Et il continue, avec une force toujours plus écrasante, de dompter la jeune fille, qui se débat furieusement. Les flammes grandissent, lèchent le plafond, donnent à la pièce une couleur rouge sang. Alors, à bout de souffle, Élodie cesse de lancer la foudre, et se met à frapper son agresseur du plus fort qu'elle puisse, à chaque fois qu'elle en a l'occasion. Mais l'homme ne semble rien sentir, et continue de l'oppresser, faisant ployer sa victime toujours plus bas.

La chaleur et la peur brûlent la gorge de la fulge, ses paupières raclent des larmes de lutte, ses muscles tremblent, ses poumons se remplissent de moins en moins. L'air est de plus en plus confus. Dans une tentative inespérée de reprendre le dessus, Élodie lance son genou dans les parties du géant, mais il s'écrase ridiculement sur une coque.

L'ombre de l'homme se fait de plus en plus pesante, sa force semble la broyer de plus en plus. Les flammes de la pièce projettent des monstres noirs sur les murs de feu. Élodie titube. Des points de vide apparaissent dans sa vue. Le visage de l'inconnu la fixe, tremble, s'étire, se fissure, coule. Ses jambes se dérobent, ses bras se déchirent, les murs l'avalent, le plafond de sang ruisselle dans ses yeux, son ventre et ses poumons débordent de feu. Le rouge envahit ses pensées, son identité, vide de son corps ce qui avait un sens, suivi d'un noir, profond, sans émotion, sans autre parole que le rien. Un noir de terreur et d'incompréhension. Un noir d'oubli et de mort.


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Hey ! Eh oui, encore un chapitre avec une fin pas très joyeuse... Et encore une attente de plus d'un mois... Je ne me renouvelle pas beaucoup 😅 !

Ce chapitre était un peu plus long que les autres, parce qu'il marque un tournant dans l'histoire. Pourquoi il marque un tournant ? Ben... Enfin... Elle s'est faite attraper par les méchants, quoi... 😆

Bref, j'espère que ça vous aura plus, et je vous fais des bisous, à la prochaine ! 😁

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