Chapitre 7

>> Skinny love, Bon Iver. 

Pendant qu'il me porte à travers les couloirs de l'hôpital, j'ignore les regards interrogateurs des diverses personnes qui nous entourent. Nous tournons à droite, et tombons nez à nez avec l'escalier menant à l'étage supérieur. Je profite de cet instant pour lui poser quelques questions.

- Et toi, qu'est-ce que tu fais ici ?

Il incline son visage vers moi, hausse les sourcils.

- Tiens, tu parles toi maintenant ?

Sa petite voix suffisante me fait instantanément regretter l'utilisation de mes cordes vocales.

- Répond à ma question !

Je fronce les sourcils.
Il me regarde et pince les lèvres, comme pour s'empêcher de sourire. Il remue légèrement la tête de gauche à droite, faisant ainsi remuer ses cheveux sur son front, et il finit par craquer et à exploser de rire.

- Toujours aussi charmante !

- Hé !

Je lui tape l'épaule. Il rit de plus belle, me faisant basculer dangereusement vers le sol. Je croise les bras, offensée. Il me jette un nouveau coup d'œil, et redevient sérieux. Il reprend sa respiration, me rejette un coup d'œil, et rit doucement comme il le fait souvent. C'est alors que je vois une légère fossette se dessiner sur sa joue.

- Qu'est-ce que tu regardes comme ça ? Me demande-t-il, rieur.

Je détourne le regard et me concentre sur notre ascension dans l'escalier. Une marche, deux marches ...

- Rien, répond à ma question s'il te plaît. Qu'est-ce que tu fais à l'hôpital ?

Il soupire.

- Je te l'ai déjà dit ... Attends ... Redresse toi un peu ... C'est bon . Alors où on en était ? Ah oui, je te l'ai déjà dit, je suis bénévole, je joue de la guitare aux enfants de l'hôpital le weekend.

- Mais pourtant tu étais là hier soir ?

- Et le vendredi soir, Sherlock.

J'ai l'impression de le désespérer, mais je décide de poursuivre mes questions.

- Pourquoi tu fais ça ?

- Je devrais avoir une raison ?

Je l'observe pendant qu'il emprunte un nouvel escalier, son expression est totalement différente de celle de tout à l'heure, rieuse et moqueuse. À présent, il semble concentré, presque distant. Je décide de me rattraper :

- Non tu as raison, désolée, juste ...

- Juste quoi ? Me coupe-t-il.

- J'ai dû mal à comprendre comment ...

Je détaille le couloir.

- ... On peut vouloir passer du temps dans cet endroit, je termine un ton plus bas.

Je le dévisage du coin de l'oeil, je crois qu'il est en train de réfléchir à sa réponse, je le laisse cogiter un moment. Au bout de quelques secondes, il lâche d'une voix assurée et posée :

- C'est pas l'endroit que j'apprécie, mais le fait de jouer de la musique pour des petits bouts qui n'ont rien demandé. Ça les rend heureux, alors oui j'aime venir ici, d'une certaine façon.

Je baisse les yeux, un peu honteuse, et joue avec les petites peaux autour de mes ongles. Nous avons traversé plusieurs couloirs déjà, quand il brise le silence :

- Depuis combien de temps tu es internée ?

Je relève la tête, je suis surprise de tomber sur ses yeux, ils me fixent et sont perçants. Dans cette position avec son regard digne d'un prédateur, je me sens vulnérable, en danger. Mon instinct me dicte de fuir, mais je ne peux pas sauter de ses bras et courir comme une folle ... ? Il me scrute un moment et regarde à nouveau devant lui.

- Plus d'une semaine je dirais, je réponds d'une voix presque inaudible .

C'est en partie vrai, si on oublie les douze autres et quelques jours...

- Tu pars bientôt ?

- Dans quelques jours oui ...

Je ne peux m'empêcher de sourire à cette idée. Et puis, un lourd silence s'abat sur nous. Je n'entends que ses pas dans le corridor froid et sans vie de l'hôpital, et je me rends compte à quel point c'est pesant d'être en face de quelqu'un qui ne parle pas, n'émet pas un seul mot. C'est alors que je reconnais les chaises d'attente de mon service, nous arrivons tout près de ma chambre.

- Nia ! Mais où étais-tu ? J'étais morte d'inquiétude !

Je ne réponds pas, j'observe juste la scène qui se déroule devant mes yeux. Ma mère se dirige droit sur Will et donc sur moi en l'occurrence, elle pose sa main sur mon dos et m'embrasse la joue. Will s'éclaircit la voix, j'en sens les vibrations au niveau de sa cage thoracique, il se présente :

- Bonjour Madame, je suis Will, ravi de vous rencontrer.

- Bonjour Will, je suis la mère de Nia, mais ... Elle nous regarde l'un après l'autre.
Vous vous connaissez ? Tu es un ami du lycée ? Le questionne ma mère, curieuse et méfiante à la fois.

- Pas vraiment madame, je l'ai trouvée dans le salon au troisième étage, elle n'arrivait pas à marcher.

Bravo Will ! Quel beau résumé ! Je peux déjà entendre le coeur de ma mère manquer un battement !

- Mais enfin Nia, qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête ? Partir au beau milieu de la nuit de ta chambre !

Sa voix se fait de plus en plus forte, mais j'y perçois tout de même de l'inquiètude. Fidèle à moi même, je reste muette.

- Si je peux me permettre, je pense qu'elle a voulu faire un tour pendant la nuit, et qu'elle s'est endormie.

La voix de Will est calme, ce qui contraste avec celle de ma mère, et, ça me surprend qu'il l'utilise pour prendre ma défense.

- Nia, il a raison ?

Je hoche la tête.

- Mais tu as perdu ta langue ? S'impatiente ma mère. Au fait, je te remercie Will de l'avoir ramenée ici, c'est vraiment très gentil à toi. Puis à moi : Écoute, je me suis fait un sang d'encre ! Je t'ai cherchée partout, et je n'ai pas pensé à aller au troisième étage car tu n'aurais jamais dû aller aussi loin ! Nia, regarde moi s'il te plaît ! Bien. Promets moi de ne plus recommencer !

Nouvel hochement de tête de ma part.

- Bien. Will, est-ce que tu peux la déposer dans son lit si tu le veux bien ?

- Bien sûr.

Il s'exécute. C'est alors que je me rends compte que Will me porte toujours, et qu'il ne s'est pas plains une seule fois. Je réalise que j'ai eu de la chance de tomber sur lui, j'ai beau être blindée, je n'aurais pas pu monter seule dans ma chambre ...

Lorsqu'il rentre dans la pièce, ma mère sur les talons, elle me glisse à l'oreille :

- Je reviens, je vais rassurer tout le monde. Je suis contente que tu te fasses des amis.

Après un bref baiser sur le front, elle s'éloigne. À son retour, il faudra que je mette les choses au clair avec elle. Will et moi ne sommes pas amis.
Will me dépose délicatement sur le matelas du petit lit d'hôpital, rabat la couverture sur mes jambes, prend une chaise comme s'il avait répété ce geste un million de fois.

- Tu t'en vas ou pas ? Je lui demande, agacée.

Il esquisse un sourire, puis rapproche son visage du mien, surprise, je recule.

- Toi, tu ne m'aimes pas beaucoup j'ai l'impression.

Son air amusé m'exaspère, mais je dois avouer que j'apprécie quand même sa présence, après tout ... Il m'a aidée.

- Je suis méfiante, je souffle.

- Je vois ça ...

Il balade son regard dans toute la pièce, puis son regard s'arrête sur ma table de chevet. Il pince les lèvres, comme mécontent. Me fixe à nouveau, les mots qui sortent de sa bouche se répercutent dans mon cœur et me font paniquer instantanément :

- Tu n'as pas de cartes, tes amis ne sont pas venus te rendre visite depuis ton opération ?

J'essaye de paraître impassible en entendant le dernier mot.

- Non, je réponds le plus simplement en tentant de cacher les émotions qui se bousculent à l'intérieur de moi.

Il me dévisage un moment, perplexe, puis lâche :

- Je vais devoir y aller ... Les enfants m'attendent.

Il se lève, et avant qu'il ne franchisse la porte, mon cœur s'emballe et je ne peux me retenir :

- Will ?

Une main sur l'embrasure de la porte, il se retourne.

- Oui, Nia ?

Je le regarde, et cherche mes mots. Mais le plus simple suffira à exprimer ce que je ressens :

- Merci.

Je le vois sourire, il contourne l'entrée, et s'appuie sur le mur extérieur, la main sur la poignée. Je ne vois que le haut de son corps.

- Il y a pas de quoi, Nia.

Et il ferme la porte, me laissant seule. Je prends une profonde inspiration et ferme les yeux. Quelques secondes plus tard j'entends la voix de mes parents et de Marie dans le couloir. Les ennuis commencent ...


                                                                                          ***



Nous sommes mardi. Après que Will m'ait ramenée dans ma chambre samedi matin, j'ai eu le droit au sermon de mes parents et de Monsieur Johnson : " Tu tiens à passer le reste de ta vie dans un fauteuil roulant ? Parce que c'est ce qu'il va se passer si tu ne te ménages pas ! ", " Te rends tu comptes de notre inquiétude, Nia ? ". Je les ai écoutés, muette, observant le spectacle qui se déroulait devant moi, une vraie pièce de théâtre à la française. Mon père s'agitant et parlant fort, ma mère en retrait, et le docteur ainsi que Marie acquiesçant à chaque propos de mon père.
Je n'étais pas désolée. Non . J'avais eu besoin de m'échapper, rien qu'une nuit. Je ne suis pas un oiseau en cage, et j'ai horreur de cette autorité, celle qui coupe les jambes et empêche de respirer. Comment leur expliquer que je veux sortir ? Que je veux sentir le vent, frapper le sol de mes pieds, ne plus rien écouter, juste entendre ?
Depuis ce jour, mon quotidien est le même, rééducation, balade dans le parc, déjeuner, lecture, télévision ...
Ce matin, dans la piscine, je me suis arrêtée sur le rebord pour respirer un moment. Sur l'écran de la télévision, était diffusé un live d'un groupe qui m'était inconnue, mon regard s'est attardé sur le guitariste et sur la guitare folk, plus particulièrement. Je me suis alors demandée quand reverrais-je Will, et si je le reverrai, je regrette mon comportement envers lui, froid, distant, alors qu'il m'a aidée. J'ai voulu me protèger de ce jeune homme que je ne connaissais pas. Pourquoi ? J'aimerais le dire à voix haute, le crier, le pleurer même. Mais je ne peux pas, car j'ai décidé de me taire, et surtout, le souvenir est tellement encore encré dans ma mémoire qu'il m'est impossible d'y faire face. Pas encore. C'est trop tôt.
Dans l'eau chaude, je me suis demandée si j'aurais l'occasion de me rattraper envers lui . Mais la réponse est négative car demain ... Je rentre chez moi.

             Allongée sur le côté dans mon lit, je fixe la brochure de mon nouveau lycée, posée sur la table de chevet. Le lycée St-Peter. Il est situé non loin de San Francisco, dans une petite ville qui est voisine de la mienne, ayant obtenue mon permis en juin, je pourrais m'y rendre seule en voiture. Je saisis le dépliant et le feuillette, " St-Peter HIGH-SCHOOL" . On y voit des lycéens souriant dans une bibliothèque, un gymnase, un laboratoire ou encore, une cafétéria.
Encore heureux cet établissement n'est pas adepte des uniformes, mais je ne ressens aucun enthousiasme, seulement une angoisse sourde. Mes mains tremblent et une envie de vomir monte en flèche vers ma gorge. Je ferme les yeux un instant et respire à fond. Malheureusement, c'est trop tard, je m'y vois déjà, entourée par le bruit : les portes des casiers qui claquent, les rires, les cris, les pas dans les couloirs. Les élèves. Un véritable cauchemar. Et arriver en plein milieu d'année n'arrangera rien. Oh non. Je me répète en boucle que tout sera différent, que peut être j' arriverais à passer inaperçue, et que personne ne me remarquera. Je me répète que je dois tourner la page et que ce lycée est une chance pour moi, de tout recommencer ... Mais bien sûr Nia ! Je roule en boule le papier, et le balance sous le lit.


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Voilà pour ce chapitre ! Vous a-t-il plu ? Rendez-vous la semaine prochaine pour un nouveau chapitre !
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