Soixantième Chapitre.

[Dimanche 5 mars. Heaven est arrivée avec Jake au château, se remettant de ses confidences alcoolisées la veille. En discutant avec le roi une dernière fois avant son épreuve, Heaven a appris que la création même du dôme était de la magie noire, le roi l'incitant à en commettre également en tentant de lui voler, prétextant que Jorah ferait de même. Bouleversée mais clairvoyante, Heaven a laissé entendre qu'elle acceptait.]

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L'aiguille s'enfonce dans mon bras, et je sais. Je sais, au fond de moi. Je connais déjà le résultat et j'aurais beau essayer de le nier, c'était une évidence depuis le début. J'aurais pu le deviner dès mon arrivée ici. J'aurais pu le sentir en moi. C'était caché, tapi dans l'ombre, et j'avais trop peur. Mais je le savais. Je l'ai toujours su. J'ai toujours été un monstre.

- Heaven ?

Je lève la tête vers Zac, clignant des yeux pour reprendre mes esprits. Je suis dans l'infirmerie. Du château, pas chez nous.

- Tu veux qu'on fasse une pause ? m'interroge-t-il, reposant la seringue sur la petite table en métal à côté de lui.

Je secoue la tête, lui adressant un sourire se voulant rassurant.

- Non, non, c'est bon.

Il étudie un instant mon visage, puis reprend avec précaution le contenant du tonique qu'il m'injecte doucement. Je ne regarde pas son geste par peur de retourner dans mes pensées. Ce n'est pas une prise de sang. Je n'ai rien à craindre. Plus rien à apprendre. Je sais tout, à présent.

Mince, je recommence.

- Ça aura quel effet ? demandé-je alors d'un coup pour m'empêcher de penser.

Zac sursaute et me regarde d'un air interloqué.

- C'est juste un concentré de vitamines et de plantes, pas de la drogue, plaisante-t-il.

Appuyant délicatement sur la seringue, il ajoute :

- Ça t'aidera juste à récupérer vite. Pour pas que tu nous fasses un coma de quatre mois, par exemple.

Je souris. J'hésite un peu. Je l'observe retourner à sa tâche, concentré, les cernes sous ses yeux un peu masqués par l'éclat vibrant de ses iris. Je vois cependant les traits tirés sur ses pommettes, le contour serré de sa mâchoire. Je peux presque sentir l'inquiétude et la fatigue battre de lui. Mais je n'ose pas lui dire que ça ne servira à rien d'attendre toutes les nuits aux côtés de Joyce. C'est ce qui le fait tenir. Je crois que j'aurais fait pareil. Et parmi tous mes amis, je suis la seule qui n'a pas dû attendre une éternité le réveil d'un des leurs.

- J'ai parlé avec Jake, déclare-t-il alors, comme s'il avait lu dans mes pensées. Ne t'inquiète pas, je ne passe mon temps à ruminer dans le noir.

Il tapote sur mon avant bras et repose la seringue vide sur la table avant de me regarder.

- Je n'ai pas peur pour Joyce, poursuit-il avec un sourire. Je sais qu'elle va se réveiller bientôt. Je veux juste être là quand ça sera le cas.

Je baisse les yeux, embarrassée.

- T'as raison, je... Désolée. Je ne veux juste pas que tu t'inquiètes. Elle ira bien.

Il ne dit rien, et je garde les yeux rivés sur le sol jusqu'à ce que je sente sa main caresser le haut de ma tête, puis relever mon menton. Nos regards se croisent et il me sourit avec une telle douceur que j'ai envie de m'agripper à sa main, à la chaleur qu'elle répand dans ma joue.

- Merci, Heaven.

Nous nous regardons en silence pendant un long instant, et peu à peu, je souris à mon tour. Je souris et j'inspire, parce que sa tendresse a apaisé mon corps, parce que sa présence a trouvé mon cœur.

Quand je baisse les yeux vers ma main, j'hésite encore. Puis je desserre mon poing, et le tends à Zac. Il louche sur le creux de ma paume avant de me considérer d'un air interdit.

- Je veux te confier ça, déclaré-je. La fiole qui brille est celle de Molly. Et l'autre... l'autre contient mon sang.

Son visage se fige, le trouble se glissant peu à peu sur ses traits alors qu'il repose les yeux sur les deux petites fioles.

- Je me doutais que tu en avais gardé, expliqué-je prudemment. Mais je me suis dit qu'il était peut-être un peu passé, alors je... bref. Voilà du sang tout neuf. Merci pour les potions, souris-je en levant la main, où se dessine la cicatrice à peine visible sur ma paume, juste en dessous de celle du pacte de sang. Elle a guéri en quelques minutes cette nuit.

- Tu as trouvé la clé de mon laboratoire ?

- Dans la table de chevet de Joyce, sérieusement ? C'est l'équivalent de la clé sous le paillasson pour toi.

Il rit d'un air absent, et je vois une nouvelle expression peindre son visage. Au-delà du trouble, au-delà de l'inquiétude. Il fronce les sourcils et ne prend pas les fioles. Il me regarde. Et il ne dit rien.

- Je veux que ce soit toi qui les aies, insisté-je. Les larmes de Molly sont trop importantes, je ne peux pas prendre le risque de les garder sur moi. Et mon sang... mon sang pourrait être utile s'il y a un problème. Non ! ajouté-je en le voyant se redresser. Je ne dis pas que je vais mourir. Mais au cas où. Juste au cas où.

- Juste au cas où quoi ? Où tu disparais, où tu te retrouves dans les limbes ou que ton cœur s'arrête ? Heaven...

- S'il te plaît, Zac, le coupé-je. Ça ne servira sûrement à rien, c'est juste pour me rassurer. Pour savoir qu'au moins vous avez un peu de moi et que ça pourra vous aider.

Il serre les dents, semblant s'empêcher de répliquer alors qu'il étudie tout mon visage. Puis, il pousse un soupir d'exaspération et prend les fioles dans sa main, les glissant dans les poches intérieures de sa veste. Il baisse la tête et se masse vigoureusement le front en inspirant difficilement.

- Je n'aime pas ça, marmonne-t-il.

- Merci, réponds-je simplement.

Je vois ses yeux s'ouvrir.

- Tu n'es pas obligée, tu sais, fait-il lorsqu'il relève le menton.

Je penche la tête, claquant la langue d'agacement.

- Je sais que tu le sais, corrige-t-il en levant les mains. Mais je veux que tu te souviennes que tu n'es pas un instrument. Ce n'est pas parce qu'on t'a fait croire que tu étais un cobaye, un objet, une arme massive, que tu l'es. Quand je te regarde, je vois toujours la fille qui était terrifiée à l'idée de faire des boules de feu et qui s'émerveillait quand elle voyait qu'elle pouvait faire voler les feuilles autour d'elle. Mais tu n'es plus émerveillée. Jamais.

Je laisse échapper un rire rauque.

- Je ne peux pas être émerveillée. Mes pouvoirs n'ont plus rien de merveilleux, Zac, fais-je en secouant la tête. Ils doivent être dangereux. Avant, je trouvais le vent magnifique dans mes mains quand il faisait voler les feuilles. Maintenant, j'espère qu'il sera assez fort pour arracher des têtes.

Je hausse les épaules, et le calme de ma voix me heurte autant que je le vois blesser Zac. Nous échangeons un regard triste, tous deux démunis.

- J'aimerais être simplement ton mentor et te dire que ta magie est belle et qu'elle n'appartient qu'à toi, dit-il à voix basse. Mais c'est trop tard pour ça. Pas vrai ?

Je ne réponds pas tout de suite. Pendant un instant, je lui souris simplement, la gorge nouée, la tête pleine d'échos.

- Ce qui compte, c'est ce que tu m'aies montré qu'elle pouvait être belle. Et je t'en serai éternellement reconnaissante.

C'est à ce moment que je me rends compte qu'il me tient la main, parce que nous resserrons tous les deux notre prise. Le silence s'installe à nouveau, tous les mots qu'aucun de nous ne dira suspendus dans l'air.

- Tout ça ressemble bien trop à des adieux. Arrêtez vos conneries.

Nous sursautons tous en même temps quand Thaniel débarque dans la pièce, un plateau de gobelets à la main.

- J'ai volé du café au roi. Vous en voulez ?

Je ne cache pas ma stupéfaction, et Zac se lève de sa chaise en secouant la tête.

- Tu es de bien bonne humeur, Thaniel, c'est super. Je peux savoir qui t'a autorisé à entrer dans mon cabinet sans frapper ?

- Premièrement, je ne crois pas que ce cabinet t'appartient. Deuxièmement, pas besoin d'être aussi froid. Tu sais aussi bien que moi qu'on est proches depuis que tu as changé mes pansements.

Même Zac n'arrive pas à retenir son éclat de rire. Je me lève à mon tour, ignorant facilement le vertige dans mon crâne en approchant Thaniel. Je lui pique un gobelet de café, ce qui semble le réjouir puisqu'il me propose de trinquer. Je plisse les yeux pour mieux l'observer.

- Tu es rayonnant. Tu as passé une bonne nuit, je suppose ?

Il recrache son café dans son gobelet et je bois le mien tranquillement, n'attendant pas qu'il ait fini de tousser pour rire en le contournant vers le couloir.

- Tu es démoniaque, se plaint-il.

Mais je ne l'écoute pas, car ma mère vient d'arriver devant moi. En tenue de combat, encore essoufflée, les cheveux s'échappant de sa tresse collés sur son front par la sueur, elle me semble avoir couru ici au plein milieu de son entraînement.

- Heaven, fait-elle alors que Zac et Thaniel passent à côté de nous discrètement. Je suis désolée de ne pas pouvoir venir, mais je veux juste...

Je remarque la dague à sa ceinture. Elle en avait une, en fin de compte. Elle se bat à l'épée par simple envie. Le roi le savait. Il a encore sauté sur l'occasion de me provoquer.

- Je ferai attention, la coupé-je automatiquement.

Je me mets en marche pour la forcer à faire de même, regardant loin devant moi les dos de mes amis.

- Je sais. Je te fais confiance. Ce n'est pas ça que je voulais te dire.

Je ne la regarde pas, mais ralentis le pas.

- Je veux qu'on s'entraîne toutes les deux, face à Elijah. Je crois que j'ai découvert quelque chose.

Je lui glisse un regard intrigué. Elle se mord la lèvre et hésite avant de continuer :

- J'ai entendu la voix de Zac. J'étais seule dans une salle à l'autre bout du château mais j'ai entendu sa voix comme s'il était à côté de moi. Il me demandait si je voulais qu'on fasse une pause.

Je me fige brutalement. La regarde fixement.

- Quoi ? m'entends-je lui dire.

- Oui. Je sais.

- C'est à moi qu'il l'a dit.

Elle fait un pas vers moi et plonge ses yeux dans les miens. Lorsqu'elle pose ses mains sur ses épaules, je sens mes bras trembler.

- Je crois qu'on peut communiquer, déclare-t-elle. Imagine que les limbes aient créé un lien psychique qu'on peut encore exploiter. On a ressuscité ensemble. Et si ça avait fusionné une partie de notre esprit ?

J'entrouvre les lèvres, incapable de trouver une réponse convenable. Je secoue la tête, essayant d'imaginer ce que ça pourrait impliquer et comment on pourrait s'en servir.

- Si on atteint ce niveau de fusion au combat, qui sait ce qu'on pourrait faire...

Je déglutis difficilement, retrouvant ma contenance en fermant un peu les yeux.

- Pourquoi tu me le dis maintenant ?

Son regard s'intensifie.

- Quand tu seras au-delà du dôme, quand tu essaieras de le briser, pense à moi. Essaie de m'imaginer de l'autre côté. Si tu arrives à me voir, à me sentir, à m'entendre, peu importe, si notre connexion traverse le dôme, ça voudra dire qu'elle est bien réelle.

Ses paroles résonnent longtemps dans mon crâne avant que je ne les assimile. Mais elle a raison. Elle parle comme une guerrière, comme mon alliée, mon alter-ego qui me comprend mieux que personne.

J'acquiesce vivement. Elle m'imite, puis m'attire vers elle, ses mains glissant naturellement sur le haut de mon dos. Je lui rends son étreinte en serrant les paupières, mon cœur se réchauffant malgré moi au contact de son odeur devenue familière.

- Je suis désolée, laissé-je échapper.

Elle se détache de moi pour m'observer, interloquée.

- Qu'est-ce que tu as fait ? s'alarme-t-elle soudain.

Je ris brièvement.

- Rien. Enfin... je veux juste m'excuser, parce que tout à l'heure j'étais énervée contre toi pour des bêtises.

Elle lève un sourcil, mais je ne vois aucune surprise sur son visage.

- Tu as dit que tu étais la dernière Silencieuse de Sang Pur et je l'ai mal pris. Je n'ai pas aimé te voir aussi proche du roi et de Stefen, comme si tu allais devenir plus leur alliée que la mienne, parce que tu es une adulte et que je me sens comme une gamine dès que tu es là. Ça ne vient que de moi et je ne veux pas que tu croies que je ne te veux pas à mes côtés. Je crois juste que j'ai très peur de te perdre et que plus personne ne me prenne au sérieux maintenant que tu es là. J'ai peur de ne plus représenter grand chose parce que tu es bien la dernière Silencieuse de Sang Pur et que tu me montres ce que j'aurais dû être. Tu me donnes envie d'être protégée et je déteste ça. J'ai l'impression quand je suis avec toi de n'être qu'une enfant et d'avoir juste envie de dormir dans tes bras.

Elle reste bouche bée, et semble ne pas savoir si elle doit bouger ou non. Ses mains tremblotent sur mes épaules, et elle commence à les retirer avant de se raviser. Elle se mord la lèvre avant de parler à son tour :

- Quand je suis avec toi, je suis partagée entre le besoin viscéral de te protéger, l'impression que rien d'autre n'a d'importance que toi et ta survie. J'ai envie de tout arrêter, de te prendre avec moi et de t'emmener à l'autre bout du monde pour que plus personne ne te fasse jamais de mal. Mais j'ai aussi cet autre côté de moi, qui se réveille dès que je me bats ou que je parle avec les autres, ce côté qui me fait redevenir une jeune fille de dix-huit ans torturée, de vingt ans tuée après avoir vu tous les siens mourir devant elle. Elle se réveille et elle ne pense qu'à la vengeance, qu'à la nécessité de massacrer le responsable pour enfin sentir que sa vie a un sens. Je ne sais pas comment me comporter quand tu es là, parce que tu me fais oublier tout ce que je veux en tant que femme, mais que je ne veux pas me résoudre à vivre sans me venger. Je sais que je serais capable d'abandonner toutes mes envies pour toi, et je ne sais pas encore comment vivre avec ça.

À mon tour, je ne sais plus quoi dire. Je la regarde, observe son visage, ses yeux. La longueur de ses cils, l'angle de son nez, la rondeur intacte de ses joues, tout ce qui me ressemble quand on le voit de plus près. La lueur dans ses yeux, reflétant la mienne sans qu'aucun mot ne puisse l'expliquer. Je me sens frémir, et je crois que je vais pleurer mais je me mets en réalité à sourire. J'expire profondément et sens mon cœur s'emballer dans ma poitrine, un soulagement indescriptible s'étendant dans mon corps. Tous mes membres s'animent chacun leur tour et je me laisse tomber contre ma mère, la serrant contre moi fort, fort, fort. Assez pour sentir son cœur battre contre le mien et sentir ses cheveux contre mon cou. Pour sentir que si je tombe, elle me rattrapera.

- Je ne veux pas qu'on ait peur, dis-je à voix basse en fermant les yeux.

Sa main se pose sur ma nuque.

- On va apprendre à deux. On va y arriver. Ne t'inquiète pas. Tu n'es pas seule, Heaven.

* * *

Je n'aurais pas dû parler à tout le monde aujourd'hui comme si je n'allais plus les revoir avant une éternité. Comme si j'avais besoin d'exprimer mes peurs et mes émotions avant cette épreuve, comme si elle allait mettre fin à une partie de moi. Maintenant que je suis devant, que plus rien ne me sépare de ce moment, j'ai l'impression qu'il suffisait d'y aller sans réfléchir. Que de toute façon, que j'y arrive ou non, rien ne changera. Parce que ce dôme n'est que l'illusion de la sécurité, et que je sais que Jorah la brisera d'une manière ou d'une autre. Que rien ne nous séparera des Bannis quand ils se jetteront sur nous. Le roi aura beau faire croire au peuple autant de temps qu'il veut qu'ils peuvent avoir confiance en cette protection infaillible, il ne fera croire à personne que les rues d'Érédia ne seront pas noires de sang dans quelques jours.

Peut-être que c'est en ayant aucune confiance en ce dôme que je parviendrai à le vaincre.

- Tu es prête ?

Je me tourne vers le roi, passant la tête par dessus l'épaule d'un des quatre soldats qui me cernent. Je crois bien qu'on avait dit trois personnes, mais je ne vais pas lui en tenir rigueur. Pas quand tous mes amis nous regardent et qu'on a pas pu éviter la présence de nombreux curieux, que je peux sentir au loin dans mon dos malgré toute la force mobilisée pour les écarter de la scène. Mais peu importe. Je me fiche d'avoir des spectateurs. Cela fait un bon moment que tout ce que je fais est un spectacle.

J'acquiesce. Je le vois échanger un regard avec les soldats autour de moi, puis avec les deux sentinelles présentes sur les tours d'observation de chaque côté. Il fait un geste de la main et toutes les personnes chargées du maintien du dôme reculent de deux mètres, se divisant en deux groupes. Tous bougent en parfaite harmonie, répondant aux gestes des autres avec automatisme. J'entends un claquement de doigt, des bruits de pas rythmés, des murmures synchronisés, et bientôt, les sentinelles forment une haie de chaque côté de moi, armes brandies et magie irradiant d'eux comme des boucliers. Je devine que si le roi doit affaiblir le dôme pour que nous puissions le traverser, les soldats en face de nous doivent être prêts à combattre le risque de l'intrusion. Si les Bannis nous observent, ils profiteront évidemment d'une brèche. Je regarde le roi agir, et en voyant l'éclat des yeux, je me dis que c'est ce qu'il veut. Que son frère regarde. Qu'il me voit lutter contre ce qu'il n'arrivera pas à briser. Qu'il me voit échouer contre ce qui causera sa perte.

Je jette un coup d'oeil par dessus mon épaule à la rangée de mes amis, alignés derrière nous en tenue de combat. Ils m'adressent un signe d'encouragement à l'unisson, et je suis obligée de leur rendre un sourire. Quand je me retourne de nouveau, fixant l'orée de la forêt de l'autre côté de la barrière, je vois le roi se frayer un chemin entre ses guerriers pour se placer devant moi. Je fixe son dos, semblant s'élargir alors qu'il se redresse de tout son long, étendant les bras devant lui.

- Mettez vous à terre, nous indique-t-il sans nous regarder.

Je fronce les sourcils, mais quand je vois que les quatre soldats qui m'accompagnent obéissent sans broncher, je les imite à mon tour. À plat ventre, je fixe l'herbe à quelques centimètres de mon visage en me demandant ce qui a bien pu se passer pour que je me retrouve dans cette situation.

C'est quand je sens la vibration sous mes mains que je reprends mon sérieux. Le bruit me paraît ensuite, ténu, frôlant mes tympans, comme un grondement résonnant du sol. En levant les yeux, je peux apercevoir les mains du roi. Je peux voir ses doigts se crisper, jouer avec l'air, donner une nouvelle direction au vent. Je vois l'herbe pencher sous la brise, et c'est en suivant son mouvement que je perçois enfin la brèche se créer. À peine visible, là où la force magnétique du dôme nous pousse normalement en arrière, elle semble ici attirer l'herbe, aspirer l'air, se rétracter puis se reformer. Au sol, là où l'air manque, nous allons devoir ramper.

- Allez-y. Chacun votre tour, ordonne le roi.

Il ne nous regarde pas. Rien dans sa voix ne trahit son effort.

- Que ma vie soit dure, que ma mort soit brutale, que mon âme soit paisible.

Je me fige, et le soldat à ma gauche le répète. Il le répète encore une fois, puis part en premier. Comme une prière, son serment lui donne la force d'avancer. Je baisse la tête, incapable de le regarder. Ils se sentent obligés de prier pour sortir. Ils savent que ma protection pourrait être leur dernière mission. Ils savent que la mort les attend peut-être dans la forêt, mais aussi qu'elle est peut-être en train de les suivre.

Je sens le soldat à ma droite bouger, et je devine que le premier est sorti. Je me mets à ramper juste après lui, regardant ses pieds pour ne pas regarder dehors. Plus j'approche, plus je sens la force du dôme vibrer autour de nous, nous absorber peu à peu, et bientôt, je n'entends rien d'autre que son grondement. Je le sens trembler autour de moi, sens le sol brûler sous mes coudes. La pression dans ma poitrine devient plus grande encore, comprimant mes poumons, me plaquant au sol, collant ma joue à la terre. Je serre les dents, et avec une dernière impulsion, je sors. Je passe de l'autre côté, en un instant, et la pression disparaît. Pendant une seconde, je reste immobile, clouée au sol et fixant l'herbe qui ne bouge plus. Je me sens frémir, et je me rends compte que je suis en terrain ennemi. Je suis hors de la ville. Je me remets debout d'un coup, mon corps répondant malgré moi, mon cerveau s'alarmant de lui-même. Je prends une profonde inspiration et je baisse les yeux sur mes mains, ayant l'impression de retrouver l'air lui-même. Ayant l'impression de me libérer, mais aussi d'avoir été jetée dehors. Je me raidis, et lentement, je relève la tête. Les quatre soldats ont retrouvé leur position, et ils ont sorti leurs armes. Ils regardent autour d'eux, mais ne me surveillent pas, moi. Je déglutis difficilement, et enfin, j'ose regarder de l'autre côté. Je me tourne, la forêt dans mon dos, et je regarde mes amis à l'intérieur. J'évite leur regard, mais je suis tout de suite accrochée à celui du roi. Qui me fixe sans un mouvement. Vu de l'extérieur, son dôme n'a rien à voir avec celui de Kali. Il n'est pas là pour cacher la ville, ni pour garder prisonnier. Il n'est pas invisible, mais translucide. Semblable à du verre poli, parcouru de filaments orageux. Il est en mouvement, semblant se reformer en permanence. Le brouillard disparaît puis revient. Parfois opaque parfois transparent, son dôme paraît vivre. Il respire.

Je fais un pas en avant. Juste un. Le brouillard devient fumée, l'orage devient tempête. Je suis propulsée en arrière, ma respiration se bloquant violemment dans ma poitrine quand mon dos heurte le sol à l'atterrissage. Je me relève automatiquement, tournant sur moi-même pour cerner la forêt, puis refais face au dôme. Je vois de nouveau le roi. Il hausse les épaules, puis croise les bras. Juste comme ça, il me met en condition. Il me provoque. Il me dit que si je veux revenir chez moi, si je veux être en sécurité, je n'ai qu'à le mériter.

À moi de lui montrer qu'il ne me fera plus jamais ramper.

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Voilà pour le chapitre 60 ! J'espère qu'il vous a plu !

Déjà 60 omg, c'est vraiment une brique ce tome :')
Vous ne rêvez pas, j'ai posté deux chapitres en moins de deux semaines, absolument ! Et si je vous dis qu'il y en aura un autre dans moins d'une semaine, est-ce que vous me croyez ? I am back, prête à en découdre comme Heaven !

Préparez-vous pour les prochains chapitres, vous allez vous rendre compte qu'on était trèès tranquilles depuis bien trop longtemps hehehe

À bientôt pour la suite, bisouus ♥

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