Chapitre 12

KYLE

   — Hmm... Kyle... This is Cara.

Je suis chez mon oncle à Meudon et j'entends mal ce que me raconte mon ancienne colocataire au téléphone. Faut dire qu'entre mes cousins qui braillent en jouant aux jeux vidéo, ma mère qui essaie d'expliquer par A plus B aux autres qu'elle n'a pris aucun accent malgré ses vingt-cinq ans passés aux Etats-Unis, et le labrador qui aboie parce qu'il a la dalle, j'ai du mal à en placer une.

Je me bouche une oreille, sors de la maison et me prends une gifle bien froide. On est en avril, et comme d'hab, je me les pèle ici. Ça, c'est un truc de Paris auquel je ne m'habituerai jamais.

— J'ai reçu un message d'Alice, poursuit l'anglaise d'une voix tendue.

Mon cœur s'emballe d'un coup. Et le temps parisien n'y est pour rien, là-dedans. Entendre son prénom est bien plus étourdissant que toutes les tempêtes.

— Un message pour toi, continue-t-elle. Elle veut te voir.

La panique s'empare de moi. Je crois un instant que je suis en train d'halluciner. C'est impossible. Pourquoi voudrait-elle me voir ?

— A mon avis, te fais pas trop de films. Je la vois souvent, you know. Et si elle veut te rencontrer, c'est sûrement... to say goodbye, une bonne fois pour toutes.

Je déglutis avec peine. Me dire au revoir. Comme elle l'avait fait avec Valentin. Clôturer un bout de sa vie qu'elle veut oublier pour avancer et la poursuivre sans ce poids de merde qui l'attire encore vers le fond de la cuve. Sans moi.

— Okay, je bafouille. Qu'est-ce que je dois faire ?

Ma voix tremble comme celle d'un gamin apeuré.

— Je vais voir avec elle si tu veux.

Je remercie Cara d'avoir mis son humour pourri de côté aujourd'hui.

— D'accord.

— Je te tiens au courant.

Comme je ne réponds pas, au bout d'un moment, elle reprend :

— Kyle ? Ça va aller. Va juste falloir être patient.

Je soupire, et suis au bord des larmes. Fuck it ! Je vais quand même pas chialer, sérieux. J'en ai vu d'autres.

— Je crois pas que ça va aller, Cara. C'est foutu pour de bon, là.

— Arrête de pleurnicher, damn it ! C'est moi qui dois te mettre un coup de pied aux fesses, ou tu t'en charges tout seul, you idiot ? 

— Qu'est-ce que tu veux que je fasse, bordel ? Je vais me faire guillotiner par la femme que j'aime et je dois l'accepter sans broncher ?

— Shit Kyle, je te pensais plus combatif. Tu vas aller la voir, tu vas l'écouter. Et dans quelques mois, tu décideras d'accepter sa décision, or not. C'est aussi simple que ça. And you know what ? Si ça se trouve c'est elle-même qui ne va pas l'accepter. Je la vois tout le temps. Et si je suis sûre d'une chose, c'est que là, elle est complètement perdue. Elle part dans tous les sens, et prend toutes les directions en même temps.

Bien sûr. Aussi simple que ça.

J'ai toujours en tête le deal que j'ai fait à Axel, quand je lui ai promis de sortir de la vie de sa meilleure pote. Et apparemment, je vais devoir réitérer mes vœux définitivement auprès d'Alice en personne.

— Donc arrête de te lamenter, OK ?

Alors comme la proie facile que je suis devenu, je crache mon venin pour ultime défense :

— Juste toi qui parles ! Qui quémande auprès de ton mec dès que vous vous embrouillez ! je crache.

Un blanc. Puis...

— You're an arsehole Kyle. Fuck you !

Et elle me raccroche à la gueule. Je l'ai bien cherché, faut dire. Me servir de ses problèmes de couple avec son petit Hugo, c'est moche, j'avoue.

Une heure plus tard, je reçois un sms de Cara avec un rendez-vous et une adresse. Rien d'autre. Je vais devoir m'excuser rapidement, mais tout ce à quoi je pense, là, c'est ... Putain je vais revoir Alice.

*****

   Le lendemain, j'arrive un bon quart d'heure en avance sur la Place de la République. Je me pose sur les bords de la grande statue de bronze qui a verdi avec le temps. Espérons que leur Marianne tout là-haut me porte chance.

Je resserre ma veste en cuir et, tout en bougeant frénétiquement mes jambes, j'observe les skateurs se ramasser sur la place devant moi. Je crois que le stress grimpe aussi rapidement qu'Axel Megos sur l'Estrado Critico (grimpeur allemand super rapide).

C'est l'endroit idéal pour les sports de glisse, ici. L'esplanade est immense et pratiquement sans arbre, ni autre obstacle. Mises à part quelques marches, parfaites pour leurs tricks.

Au bout d'un moment, je remarque l'heure sur mon téléphone et frissonne. Je m'en grillerais bien une, mais Alice ne devrait pas tarder. Je commence à flipper.

Quand je la vois sortir de la bouche de métro et chercher autour d'elle, je prends un instant pour la regarder. Ses cheveux se soulèvent dans la petite brise, et même de loin, je peux voir qu'elle s'est maquillée. Elle fait plus femme encore, plus âgée, plus froide, plus sûre d'elle. Je me lève malgré mon envie de me recroqueviller et continuer de l'observer à la dérobée, et commence à m'approcher tandis qu'elle me repère.

Je suis terrifié. Damn, je ne veux pas lui dire au revoir. Je ne suis pas prêt pour ça.

— Salut, dit-elle en baissant les yeux et rajustant ses cheveux derrière une oreille.

— Salut. Tu...

— On peut aller s'asseoir où t'étais tout à l'heure, me coupe-t-elle. Je t'embêterai pas longtemps.

— Tu sais très bien que tu m'embêtes pas, Alice, je réponds en la suivant vers la statue.

On s'assoit, gardant une bonne distance de sécurité. Je la vois regarder à droite et à gauche les gens qui nous entourent. Trois potes se fument une clope en se marrant comme des baleines à côté de moi. Un couple s'embrasse sans pudeur à côté d'elle. Elle rougit et paraît gênée. J'imagine que ça ne lui donne pas vraiment envie de faire pareil, là, tout de suite, maintenant...

— T'es ici pour combien de temps ? me demande-t-elle finalement, les yeux posés sur les skateurs en face de nous.

L'un d'eux tente un flip, mais se casse la gueule sur le bitume. Aïe. Est-ce que je vais avoir mal, moi aussi ?

— Encore une semaine, indiqué-je en la cherchant du regard.

Mais pas moyen qu'elle tourne le sien vers moi et me laisse lire ce qu'elle ressent dans ses prunelles d'ambre. Elle est là, assise juste à côté de moi, a à peine pris ses précautions pour me maintenir éloigné, et pourtant elle ne peut pas me regarder.

— Cara... Elle m'a dit que t'étais avec ta famille, insiste-t-elle. Ton frère... Ça va ?

Elle secoue la tête, et se cache le visage dans les mains avant de se reprendre :

— Enfin, laisse tomber, ça me regarde pas.

Cette fille est incroyable. Je lui ai bousillé sa jambe, ses rêves et peut-être même son cœur et elle se soucie de mon frangin. Je hausse les épaules ; qu'est-ce que je peux bien lui répondre ? On s'est parlé deux fois en presque un an, elle et moi, je ne vais pas lui expliquer à quel point c'est la merde.

— C'est... compliqué, préféré-je esquiver. Y a des hauts et des bas, on va dire. Mais ça va.

Je sais qu'elle déteste les réponses évasives. Je ne marque certainement pas de points, là. Mais je ne sais pas comment faire autrement.

Chacun se mure alors dans son silence, elle, sûrement mal à l'aise de se trouver avec son bourreau et pressée de partir, moi terrifié à cette idée et par la suite du programme qu'elle décidera de concocter.

— Tu as été très courageux... Au procès, je veux dire.

Un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Je l'observe comme si j'étais de nouveau face au juge et déglutit avec difficulté. On n'a jamais parlé de tout ce qui nous a éloignés il y a six mois. C'est peut-être le moment...

— Je... J'ai pas pu rester jusqu'au bout, reprend-elle, c'était trop difficile, mais... Cara m'a dit, pour ta sentence.

— T'aurais voulu plus, j'imagine...

Elle me lance un coup d'œil rapide et étonné, pour de nouveau se détourner rapidement et fourrer ses mains dans ses poches, comme prise tout à coup par le froid.

— Non ! Non... se radoucit-elle. Je crois qu'on est déjà assez punis comme ça, tous les deux...

J'aime bien cette phrase. Elle a raison. La sentence n'est que la partie émergée de l'iceberg qui nous sépare.

Et puis elle me balance le premier coup.

— Écoute... Je... Je voudrais... te rendre ton argent. Celui que tu m'as prêté l'an dernier pour le dossier d'échange universitaire.

Je la regarde abasourdi.

— Quoi ? Mais non ! J'ai pas changé d'avis depuis... Il est à toi, cet argent, maintenant.

Elle garde les yeux sur ses mains, qu'elle a sorties de ses poches pour les bloquer entre ses cuisses.

— Il est pas à moi et j'ai besoin de te le rendre. Je veux...

Elle inspire un bon coup et je l'entends trembler lorsqu'elle prononce la suite :

— Je veux tourner la page pour de bon. J'ai besoin de te rendre cet argent, Kyle.

Je fais non de la tête avant même qu'elle ait terminé sa phrase.

— C'est hors de question. Je peux pas accepter, je suis désolé.

Elle finit par tourner la tête d'un coup sec, ses cheveux fouettant ses joues, pour me fusiller de ses billes mordorées. Au moins elle me regarde maintenant.

— T'es certainement pas en position de décider quoique ce soit. Je vais te rendre cet argent. Tu me dois au moins ça.

Je rigole devant la bizarrerie de sa demande.

— Mets-toi à ma place Alice, après ce que je t'ai fait, je peux certainement pas reprendre ce fric.

— Et toi mets-toi à la mienne, de place ! Juste une fois ! crie-t-elle.

Je vois le couple qui arrête de se bécoter pour nous mater, avant que je sois de nouveau happé par deux prunelles brillantes de colère.

— J'ai besoin que tu récupères cet argent, insiste-t-elle. J'en ai besoin pour couper tout ce qui reste entre... ce qui reste de... de... toi.

Okay. Deuxième crochet du droit. Je vais finir KO, c'est certain. J'en reste sans voix. Qu'est-ce que je peux répliquer à ça ? Elle veut me supprimer de sa vie, comme si je n'avais pas compté.

— Je veux tourner la page une bonne fois pour toute, tu comprends ? ajoute-t-elle en me parlant comme si j'étais un môme.

— Eh ben donne l'argent à une asso, mais je peux pas le récupérer. C'est vraiment pas possible.

Elle serre la mâchoire et les poings. Y a moyen qu'elle m'en décoche un pour de bon avant la fin de notre conversation.

— Écoute... C'est un fardeau pour moi. Donc... s'il te plaît, je t'en supplie, reprends-le si t'as une once d'empathie pour moi.

Comme je n'ouvre pas la bouche, elle secoue la tête, comme résignée par ma connerie, et ajoute en me regardant :

— Tu sais, le pardon, ça ne s'achète pas.

Je m'attrape l'arête du nez. Comme si je ne le savais pas...

— Je veux pas acheter ton pardon, Alice, murmuré-je.

Elle cache son visage dans ses mains, déposant ses paumes sur ses yeux, ses coudes dans ses rotules. Je la regarde tandis que le brouhaha de la ville remplit le vide qui s'est installé entre nous.

— A chaque fois que j'ai mal au genou, c'est une piqûre qui me rappelle que j'ai plus le droit de t'aimer.

Bam ! Encore un uppercut. Je souris cyniquement.

— T'as plus le droit de m'aimer, et moi je suis condamné à t'aimer.

Désespéré, je finis par abdiquer.

— D'accord, je t'enverrai mon RIB, si t'y tiens.

Je ne le ferai pas, évidemment. Mais je peux au moins essayer de gagner du temps. Elle hoche simplement la tête.

Finalement, comme mu par une force destructrice, je veux reprendre le contrôle et utiliser la dernière arme en ma possession avant qu'elle ne le fasse elle-même.

— Je t'écrirai plus de mails, non plus. Pas la peine de t'emmerder avec du bullshit que tu lis pas. Faut que t'avance. Et moi aussi.

Deuxième fois qu'elle me regarde en oubliant la distance qu'elle nous impose depuis le début. Je rêve ou elle a l'air sonné par ce que je viens de faire ? Moi aussi, ceci dit. La balle que je viens de tirer a ricoché pour m'exploser en pleine gueule. Je viens de couper moi-même le dernier lien qui nous restait.

Elle se recroqueville sur elle-même, le regard bas, et sa voix chevrote quand elle murmure :

— Oui, c'est sûrement mieux...

J'essaie d'encaisser, mais bordel, c'est dur. J'ai l'impression de suffoquer. Ça y est, on y est, à ce moment que je redoutais tant. Finie, notre histoire. Et c'est moi qui en ai posé le point final.

Je ferme les yeux un instant et m'accroche aux paroles de Cara. " Tu vas aller la voir, tu vas l'écouter. Et dans quelques mois, tu décideras d'accepter sa décision ou pas. C'est aussi simple que ça". Aussi simple que ça. On dirait bien que j'ai pas accepté sa décision, et plus vite que prévu. Je déglutis avec peine tandis qu'Alice passe ses doigts sur ses joues et amorce un mouvement pour se lever.

— Je dois y aller maintenant, annonce-t-elle en frottant ses mains sur ses cuisses.

Je me lève à mon tour, mais elle bloque mon avancée avec une paume autoritaire devant elle. C'est là que je remarque qu'elle pleure. Elle pleure, bordel. A cause de cette histoire de mails ? Parce qu'elle sait, elle aussi, que c'est vraiment fini, cette fois ?

— Laisse-moi partir, je préfère, lâche-t-elle.

Laisse-moi partir...

— Alice... Damn... Pleure pas...

Sans réfléchir, je pose mes mains sur ses joues pour les essuyer de mes pouces. Fuck, j'avais oublié à quel point sa peau était douce. Je ne l'ai pas touchée depuis près d'un an, bordel ! Et ce simple contact ravive encore un peu plus tout ce que je peux ressentir pour elle.

Alice agrippe mes poignets, et je n'arrive pas à comprendre si elle essaie de retirer mes mains ou de les retenir. Elle ferme les yeux avant de balbutier :

— J'aurais... j'aurais tellement voulu que ça se passe autrement...

Je la regarde, absorbant ses mots qui me broient les tripes.

— Et moi donc... je réponds, la voix rauque.

J'aurais envie de la serrer dans mes bras, d'envelopper son corps frêle du mien, de la sentir contre mon torse, et de ne plus la lâcher. Jamais. Au lieu de ça, je retire mes mains comme si je m'étais brûlé, prenant la mesure de mon geste, et me passe une main dans les cheveux. Alice reste bloquée sur moi un moment, tentant de contenir de toutes ses forces les émotions qui pourtant semblent déborder d'elle. Elle chiale encore à cause de moi.

— Je... Je dois y aller. Prends soin de toi, murmure-t-elle.

— Toi aussi...

Elle acquiesce, la bouche devenue aussi fine et hostile qu'une ligne de barbelé, et tourne les talons pour s'en aller. Sans se retourner. Je remarque ses poings serrés, ses épaules contractées, sa tête légèrement baissée.

Je reste comme un con à la regarder partir, s'engouffrer dans la bouche de métro.

Je me rassois, et n'arrive pas à enrayer la panique qui remonte de mon bide. Parce qu'au fond, je sais qu'elle a raison. Je ne dois pas me battre pour elle si je veux qu'elle soit heureuse. Comme je l'avais promis.

Je dois la laisser partir.

Je l'ai laissée partir. 


*****

Hmm... Hmm... Ne me lynchez paaaas 😭😅 N'oubliez pas que, normalement, une histoire ne s'arrête pas au chapitre 12... 😋

Alors cette rencontre ? Qu'avez-vous pensé de l'attitude d'Alice ? De celle de Kyle ? 

A votre avis, que va-t-il se passer maintenant ?

La musique ? Apparat - Goodbye... Le son met du temps à démarrer, accrochez-vous une minute, ensuite c'est magnifique ❤️

Pour le mois de novembre, suis désolée mais les publications ne seront pas régulières... Je participe au NanoWriMo, vous connaissez ? C'est un défi perso d'écriture, où on essaie d'atteindre les 50K mots en un mois... Du coup j'avance sur la suite de DTR, et sachez que le brouillon des 20 prochains chapitres est déjà écrit 😊Et, y a des moments super cute que j'ai trooop hâte de vous faire découvrir 😍Si si, il va y en avoir plein, promis ^^Je fais tout pour vous poster la suite au plus vite 😁 

Prenez soin de vous, 

Cheers et cœur sur vous ❤️

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