Hors compétition Nexiou




Derrière la fenêtre, les flocons tombent lentement du ciel blanc, se posant avec une délicatesse aérienne sur le sol maculé de neige. C'est étrange cette façon qu'ont ces petites taches blanches de rendre les paysages si beaux, pleinement transformés, nous laissant découvrir un autre horizon. Il y a aussi cette ambiance, ce parfum d'hiver qui s'installe, nous promettant douceur et émerveillement. On ne se lasse pas de voir ces parfaits flocons de neige voleter au gré du vent hivernal, jusqu'à recouvrir herbes, arbres, maisons. Le silence apaisant qui accompagne ce spectacle, est interrompu par le bruit d'une porte qui claque violemment. Un homme entre dans le salon, les bras chargés de victuailles en tout genre. Il dépose tout son chargement sur la table de la cuisine, manquant d'en faire tomber la moitié par terre. La femme qui se trouvait jusqu'alors dans le fauteuil proche de la fenêtre, se redresse, et se dirige vers lui.

« Il neige, tu as vu, murmure-t-elle, un fin sourire sur les lèvres. »

L'homme acquiesce, affairé à ranger les aliments qu'il a ramené dans les bons placards, et répond :

« Oui, et ça ne va pas s'arrêter d'après ce qu'ils disaient à la radio ! »

La femme hausse les épaules. Cela lui importe peu, la neige apporte avec elle, joie, souvenirs, et contradictoirement : chaleur.

« Qu'as-tu acheté ? »

« Tout ce que tu n'aimes pas, répond-il en plaisantant. »

Elle lui offre une grimace en signe de réponse. Il y a toujours eu entre eux cette profonde complicité, vous savez, elle qui permet à deux personnes de simplement échanger un regard pour se comprendre. Cette connexion, ce lien étrange et pourtant incroyablement fort, qui fait que deux personnes se connaissent par cœur, qu'ils peuvent deviner quelle sera la réaction de l'autre à l'entente de tel ou tel mot. Deux âmes, deux êtres inséparables, qui se complètent, et fusionnent.

L'homme rit, d'un rire franc, qui réchauffe le cœur. Il la regarde de ses yeux brillants d'amour, pour cette femme avec qui il partage sa vie depuis tant d'années.

« A quoi tu penses ? Interroge-t-il en la voyant fixer la fenêtre. »

Elle se tourne vers lui, plante son regard caramel dans le sien, et répond, mutine :

« A notre première neige. »

Vingt ans auparavant

« Tu ne devrais pas courir aussi vite, il y a du verglas partout ! »

Les rues sont blanches, et les trottoirs brillent, tant ils sont gelés par l'hiver froid et glacial. On est en plein mois de décembre, les rues sont décorées, et brillent dans l'ambiance chaleureuse de noël qui sera là dans quelques jours. Le jeune homme blond glisse sur la glace, en criant comme un fou. Les gens autour de lui s'écartent, certains outrés, d'autres amusés. La jeune femme qui l'accompagne, tente de le suivre tant bien que mal, manquant de tomber plusieurs fois d'affilé. Elle lui hurle de l'attendre, mais il n'écoute pas, faisant littéralement le pitre dans une rue piétonne.

« Allez Anna, dépêche-toi ! »

La concernée râle de son côté, prenant garde à chacun de ses pas. Au loin, il l'attend, un grand sourire sur les lèvres, se moquant tendrement de la jeune femme si sérieuse et si peureuse qui le rejoint sur la pointe des pieds. Il décide de s'approcher, et lui tend la main. Anna relève la tête, fronce les sourcils.

« C'est bon, je n'ai pas besoin d'aide. »

Au fond, elle ne veut juste pas qu'il la prenne pour l'une de ces filles toujours dans le pétrin, et qui ne sait pas se débrouiller toute seule.

« Comme tu veux. »

Mais alors qu'elle allait le dépasser d'un air assuré, son pied dérape sur une plaque de verglas, et elle manque de tomber la tête la première. Il se penche pour la rattraper, mais perd lui aussi l'équilibre. Dans un tour de passe-passe rapide, il se retrouve sur le dos, et la jeune femme s'étale sur lui, en travers de son ventre. La scène fait rire plusieurs personnes qui sont dans les alentours, et les regardent avec amusement. Anna relève la tête en grognant :

« Je savais que tu ne serais pas capable de me rattraper correctement Théodore ! »

Le jeune homme rigole, et murmure :

« T'es tellement têtue. »

Anna n'en tient pas compte et se redresse péniblement, mettant tout en œuvre pour ne pas se retrouver une nouvelle fois à terre. Alors que Théodore se lève à son tour, il pousse un grognement de souffrance, et s'affale de nouveau sur le sol gelé, se tenant la cheville droite en grimaçant.

« Tu t'es fait mal ? »

« Je crois que je me suis foulé la cheville ! »

Inquiète, elle s'agenouille, mouillant ses collants sur le sol verglacé. Elle retire les doigts de Théodore, et regarde sa cheville.

« Bravo, c'est grâce à madame « je n'ai pas besoin d'aide » que je me retrouve handicapé ! »

Anna lève les yeux au ciel, et répond :

« Arrête de faire le bébé. On devrait aller la faire voir aux urgences au cas où. »

Théodore acquiesce, et se relève grâce à l'aide de la jeune femme. Il passe un bras autour de son cou, et Anna le soutient comme elle peut, alors qu'il avance à cloche pied. Ce qui est loin d'être facile, et les deux jeunes gens manquent plusieurs fois de tomber de nouveau.

La nuit tombe tout doucement sur la ville, il fait froid, mais il n'y a pas une once de vent qui vient les frigorifier sournoisement. Ils continuent d'avancer difficilement, donnant l'impression de boiter avec seulement trois jambes qui fonctionnent. Puis, Théodore entraîne tout à coup Anna, et les deux protagonistes tombent durement sur une grosse motte de neige. La jeune femme pousse un cri suraigu, suivi par le rire de Théodore. Affalés sur cette épaisse bosse blanche et humide, Anna frappe l'épaule de celui qui se trouve à ses côtés :

« T'es complètement dingue ! »

Le concerné ne lui répond que par son éternel sourire franc, ce genre de sourire qui vous fait oublier pourquoi vous êtes en colère.

« Tu aurais pu te refaire très mal tu sais. »

« Mais non, ma cheville va bien. »

Sur ces mots, il lève la jambe et tourne son pied dans tous les sens, sous l'air surpris et courroucé de la jolie brune. Elle secoue la tête, et lance :

« Tu es insupportable. »

La jeune femme va pour se relever, montrant sa détermination à vouloir partir et le laisser fanfaronner tout seul, mais une main rapide la retient, et elle se retrouve de nouveau les fesses dans la neige.

« Allez Anna, c'était simplement pour rire. »

« Ce n'était pas drôle. J'ai vraiment pensé que c'était de ma faute si tu étais blessé à la cheville. Mais tu préfères faire l'idiot, et me faire culpabiliser. »

Elle fit une nouvelle tentative pour partir, mais il la retient de nouveau, et le regard fixé sur un point invisible, il lance :

« Regarde, il neige. » Anna se tourne dans la même direction que lui, et aperçoit les petits flocons tomber tout d'abord grâce à la lumière du lampadaire qui éclaire la rue, puis, elle l'aperçoit tout autour d'elle. Redressant la tête, elle regarde la neige tomber du ciel, certains flocons s'écrasant sur son visage. Reportant son attention sur Théodore, elle répond à son sourire, avant de lancer d'une voix feutrée :

« Tu ne m'écoutes pas en fait. »

Le jeune homme sourit un peu plus, et secoue la tête. Ses doigts se posent sur le menton de la jeune femme, tandis que ses yeux louchent sur un flocon qui fond sur le coin des lèvres de la demoiselle. Il redresse le regard, et murmure :

« Pas vraiment. »

Puis, comme le flocon qui se dépose avec douceur sur l'herbe, les lèvres de Théodore effleurent celles d'Anna. On ne saurait expliquer les sentiments qui envahissent à cet instant précis les deux jeunes gens qui s'embrassent avec hésitation et tendresse. Ils se retrouvent aux portes des prémices de l'amour, lorsque tout est aussi léger qu'un flocon de neige, lorsque tout est aussi pur que le manteau blanc que revêtit l'hiver chaque année. Le baiser se rompt tendrement, lorsque leurs paupières s'ouvrent, ils se redécouvrent, leurs cœurs battant à un rythme effréné. Un flocon se dépose sur la joue d'Anna, et Théodore le fait disparaître à l'aide de son pouce.

« C'est notre première neige Anna, chuchote-t-il en la fixant amoureusement. »

Vingt ans après

« Tu es toujours aussi idiot qu'il y a vingt ans. »

L'homme rit, et s'approche de la femme pour l'enlacer de ses bras chaleureux.

« C'est ce qui t'a plu. »

Ses lèvres se déposent sur la joue d'Anna, qui vient lier ses doigts aux siens. Elle ferme les yeux un instant, transportée par les souvenirs qui reviennent l'envelopper d'une nostalgie bienveillante. La neige tombe toujours au dehors. L'horizon est pratiquement immaculé de blanc, les nuages continuent de déverser d'intarissables flocons de neige. Anna et Théodore ont connu plusieurs hivers ensemble, et ils en connaîtront encore beaucoup. Mais chaque hiver, la première neige de l'année les transportera toujours vingt ans en arrière, à leurs premiers émois amoureux, leurs premiers battements de cœur.

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