Chapitre 2
Après une première nuit agitée, je bois une longue gorgée de café avant de déposer ma tasse et mon bagel sur mon bureau.
Je prends le temps de rédiger un message à ma tante Rose pour la rassurer sur mon nouvel environnement. C'est la petite sœur de ma mère et son exact contraire. Elle a tellement été incroyable avec moi cet été, sans jamais me donner l'impression d'être jugée, que je n'ai pas eu le cœur à contredire son enthousiasme concernant cette cohabitation pourtant mal embarquée. Enfin bon, je m'étire de tout mon long, puis me plonge dans le planning et l'organisation de mes cours.
Je suis surprise par un frappement à ma porte qui me sort de ma concentration.
– Entrez ! m'écrié-je en me tournant pour découvrir le visiteur.
– Déjà au travail ? m'interroge Matt, les cheveux en pagaille. Les cours ne commencent que demain ! Détends-toi un peu.
– Tu me connais, j'aime bien que tout soit en ordre. – Arrête de stresser, tout va bien se passer.
– Je ne stresse pas.
– Si tu stresses. Je te parie que tu t'es levée il y a une plombe. Je zieute vers mon réveil et constate qu'il est déjà 11 h.
– OK, je me rends ! pouffé-je. Je ne peux pas me permettre de perdre ma bourse d'études.
– T'as toujours eu d'excellents résultats. Aucune chance que tu la perdes... Et pourquoi tu te prends la tête avec ça alors que tu n'as même pas commencé ton année ?
– Parce que c'est important pour moi, Matt. J'ai dû prendre une décision que je regretterai sûrement tout le restant de ma vie et je lui dois bien ça.
– Lilou, soupire-t-il, soudain attristé. Ne sois pas trop dure avec toi même.
– Si, je le mérite, le contredis-je alors qu'il secoue la tête de contrariété. Mais je refuse surtout de donner plus de pouvoir aux parents.
– Ils t'aiment, même s'ils sont maladroits. Je suis sûr qu'ils vont finir par se calmer.
J'en doute...
– T'es venu jouer le grand frère moralisateur ? m'enquiers-je en affichant mon agacement.
– Pas vraiment, se marre-t-il. Je voulais te remercier pour le petit déj'. T'assures !
Je lui dédie un clin d'œil en retour et observe les traits tirés de son visage.
– T'as l'air crevé. La nuit a été courte ?
– Trop courte ouais, me répond-il en esquissant un sourire carnassier.
Alarmée, je secoue ma main devant lui pour l'empêcher de continuer.
– Je ne veux rien savoir !
Son éclat de rire ricoche avec force contre les murs de ma chambre. Il m'embrasse sur le front, puis sort de la pièce. Je souris en plongeant à nouveau mon nez dans le cours de communication.
Mon ventre gargouille de plus en plus fort. Un coup d'œil sur le réveil et je constate qu'il est l'heure d'aller grignoter un petit quelque chose. Je vais proposer à Alice si elle veut bien m'accompagner. Elle doit certainement connaître tous les bons plans de ce campus.
En traversant le couloir, je découvre Neal vautré sur le canapé du salon, une grande blonde sur les genoux. Ils sont occupés à se rouler une pelle plutôt indécente ! La fille gémit lorsqu'il passe sa main sous son chemisier. Géniaaaal ! Il va falloir que je m'habitue très vite à ce genre de scènes !
Mon soupir les surprend, et je me foutrais des baffes pour ma maladresse, surtout lorsque mon coloc me fusille du regard. Il faut que je trouve un prétexte à ma présence ici. Et vite !
– Je cherche Matt.
– Tu ne peux pas le lâcher un peu ! grogne-t-il.
Il est tellement charmant que je décide de l'être à mon tour.
– Il m'a demandé de lui rendre un service, déclaré-je en une innocence feinte. Mais je ne retrouve plus l'ordonnance. Tu sais où elle est ?
– Quelle ordonnance ? s'enquiert-il, confus.
– Eh bien... pour votre traitement, lui réponds-je d'un ton gêné en jetant quelques coups d'œil vers la fille. Pour ce que vous... Tu sais bien...
– Non ! Crache le morceau !
– Contre votre herpès.
Son air interdit contre la mine dégoûtée de sa copine est jouissif à voir.
– Mais t'es une grande malade, bordel !
– Hé ! Je vous rends service ! Pas besoin d'être si désagréable !
La nana se lève comme s'il était hautement contagieux. Je dois faire un effort surhumain pour ne pas sourire de toutes mes dents. Mais que c'est bon !
– Elle déconne, Bree. Ce ne sont que des conneries !
Fou de rage, il me dévisage de ses iris gris en fusion. Je ne peux pas m'empêcher de le trouver beau. Dangereusement beau.
– Dis-lui ! exige-t-il en se redressant du canapé.
– Pour me faire traiter de menteuse ? m'indigné-je. Hors de question !
Avant que ça dégénère, je décide qu'il est temps pour moi de tirer ma révérence. Je sors en trombe du salon tout en entendant ses pas marteler le sol. Merde ! Un cri de stupeur s'échappe d'entre mes lèvres lorsque je me retrouve plaquée entre le mur et son corps. Encore ! Un mélange de peur et d'excitation se déverse dans mes veines et la sensation est assez déconcertante.
– Pas si vite ! Tu vas où là ?!
– Deux fois en moins de vingt-quatre heures ! Je vais finir par croire que tu adores me coincer.
Ma note d'humour a le mérite de le détendre un chouïa. Son regard prend une teinte plus chaude et je peux tout à fait comprendre son succès auprès des femmes.
– Neal, je dois y aller, nous interrompt Bree. À la prochaine !
Elle n'attend pas sa réponse et claque la porte derrière elle. Sa mâchoire se contracte de contrariété quand il fixe le battant en bois.
– T'es une putain d'emmerdeuse.
– J'en ai autant à ton service, le rappelé-je à son bon souvenir.
C'est furtif, mais il esquisse un sourire qu'il réprime bien vite. Je tente de le repousser, mais il ne se décale pas d'un iota. Quant à mes doigts qui épousent ses pectoraux bien fermes, ils déclenchent une bouffée de chaleur dans tout mon corps. Je ne veux pas ressentir cette attraction soudaine. Dans un élan de colère, j'abats mon poing sur son torse.
– Bouge !
– Qu'est-ce que vous foutez ?! tempête la voix de mon frère dans le dos de son meilleur pote.
Il est si grand que je n'ai même pas vu Matt arriver. Neal prend son temps pour me libérer et lui répond en se retournant.
– Demande à ta chieuse de frangine !
...
– Lilou ? insiste-t-il face à mon silence.
Je croise les bras sous ma poitrine, autant agacée qu'énervée contre moi-même. Je voulais que cette cohabitation se passe au mieux. J'étais prête à me faire le plus discrète possible, mais Neal refuse de me donner une chance. Alors...
– Il m'a cherchée, il m'a trouvée ! Il n'y a rien d'autre à raconter. Je me décale sur le côté.
– Bon, je file. On m'attend ! annoncé-je pour couper court à un interrogatoire en règle.
Une fois devant la porte d'Alice, je frappe deux coups tout en percevant l'hilarité de mon frère. Je connais ce rire rauque. Tout reste cool entre nous, et c'est tout ce qui m'importe. J'esquisse un sourire en coin quand la jolie rousse m'ouvre.
– Hé, salut toi !
– Salut ! Je n'ai pas encore mangé. Ça te dirait de m'accompagner ? – Oui, avec plaisir.
– Tu dois certainement connaître des endroits sympas et pas trop chers ?
– Tu as frappé à la bonne porte. Attends, je prends mon sac !
À peine s'engouffre-t-elle à l'intérieur que mes deux colocs sortent de l'appart en me repérant. Matt secoue la tête en se marrant toujours. Quant à Neal, son expression reste sibylline lorsqu'il passe à mes côtés.
– Tu as fait fort, p'tite sœur !
– Il ne fallait pas me sous-estimer.
Mon enfoiré de coloc me décoche un sourire plein d'arrogance. – On va bien s'amuser alors.
Pas le temps de déchiffrer ses mots que son regard dévie derrière moi. Soudain, son visage se transforme en quelque chose de plus chaleureux, de plus séducteur. Je pivote et remarque notre voisine qui semble ravie d'être l'attention de mes deux colocs.
– Salut ! s'exclame-t-elle en dévoilant une dentition parfaite, puis en rabattant une mèche derrière son oreille.
– Alice ! s'exclame Matt. C'est bien ça ?
Elle opine de la tête, aux anges.
– Je me souviens de toi, lui déclare-t-il, un éclat carnassier dans les yeux. Sympa de te revoir.
Quel petit roublard ! Je ne peux pas m'empêcher de pouffer quand j'observe ma voisine. Il vient de faire une heureuse ! D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours connu mon frère comme ça, séducteur au charme ravageur.
– Plus que sympa, roucoule-t-elle. On aura certainement l'occasion de se revoir.
– Certainement oui, lui confirme-t-il d'un clin d'œil aguicheur. Éclatez-vous bien !
– Vous aussi ! s'extasie-t-elle.
Matt tapote l'épaule de Neal pour l'enjoindre de le suivre. Mon coloc me porte un dernier regard dont l'intensité me rend toute chose. Un frisson d'anticipation traverse mon corps avant qu'ils s'engagent dans le couloir. Je me donne une claque mentalement puis dévisage Alice qui bute toujours sur la silhouette de mon frère et m'amuse de la situation.
– Je meurs de faim ! On y va ?
– Oui, bien sûr ! me répond-elle en battant des cils pour revenir à elle. Suis-moi !
Elle claque sa porte et lorsque nous sortons de l'immeuble, nous apercevons mes deux colocs au loin avant de prendre le sens opposé.
– Ton frère est tellement sexy ! s'emballe-t-elle, en jetant des coups d'œil répétés derrière moi.
– Si tu le dis.
Elle pouffe et entortille son bras au mien. Loin derrière nous, je peux enfin respirer et oublier mon autre coloc.
Après une longue marche, on pénètre dans une immense bâtisse désaffectée au style industriel.
– Bienvenue chez Osti, l'endroit où l'on mange les meilleurs hamburgers de Denver ! Enfin je ne sais pas pour les autres, mais moi, j'en raffole !
– Je te fais confiance, déclaré-je en souriant.
– Tu ne vas pas le regretter.
– J'ai trop faim pour te contredire.
Elle éclate de rire.
– C'est parce que tu ne connais pas encore la réputation de l'endroit.
– Passe la commande, et on en reparle après.
– Tu me plais, Lilou, s'enthousiasme-t-elle. Alors qu'est-ce que tu as choisi ?
– Un double bacon, des frites sauce fromage... Et un Coca. – Excellent choix !
Après avoir commandé, nous nous installons à une table. – Tu as choisi quelles études ? s'enquiert-elle.
– Marketing. Je suis fascinée par tout ce qui concerne la création des campagnes publicitaires. Dès que j'aurai acquis assez d'expérience dans le domaine, j'ai bien l'intention de me lancer en freelance.
– Tu as l'air bien déterminé !
– Oui ! Je sais ce que je veux.
– Je t'envie. Je suis en littérature, mais sans vraiment savoir ce que je désire réellement.
– T'es en quelle année ?
– Troisième. Au lycée, j'étais douée en anglais, ça m'a paru évident sur le moment. Enfin, le principal est que ça m'éloigne de l'entreprise familiale.
– C'est une entreprise spécialisée en quoi ?
Une serveuse du nom de Betty vient déposer nos plats. On la remercie d'un sourire.
– Dans l'exportation du bois, mais si ça ne te dérange pas, je préfère changer de sujet.
Je lui dédie un clin d'œil compréhensif tout en m'emparant de mon hamburger. Je l'entame avec gourmandise, puis pousse un gémissement de plaisir tellement c'est goûteux.
– Je t'avais prévenue, glousse-t-elle.
– C'est trop bon !
J'attrape mon Coca et en bois une longue gorgée. Elle grignote son aile de poulet et un silence confortable s'invite entre nous.
– Je connais un gars super sympa, m'informe-t-elle en s'essuyant la bouche. Il s'appelle Sam, il est en deuxième année de marketing. Il t'aidera sûrement si tu as des questions.
– Avec grand plaisir. Je veux mettre toutes les chances de mon côté.
– Attends ! me déclare-t-elle en fouillant dans son téléphone. Ah voilà, je l'ai retrouvé. Je t'envoie son profil via Messenger. Toi c'est Lilou Evans, c'est bien ça ?
J'opine de la tête.
– C'est fait !
– Trop sympa ! Merci !
***
De retour à l'appartement en fin de journée, je constate que je suis seule. Aucun signe des garçons, mais le bordel laissé dans la cuisine atteste de leur passage. Je fais un rapide nettoyage tout en prévoyant d'avoir une discussion avec eux dans les prochains jours, puis mate un nouvel épisode de Orange is the new black sur mon ordinateur. Plongée dans une scène aussi haletante que terrifiante d'une croix gammée tatouée à l'aide d'un métal chauffé à blanc sur une des détenues, je suis dérangée par plusieurs éclats de rire.
Super, les gars ne sont pas rentrés seuls !
Je me renfrogne et essaye d'augmenter le volume, mais ça ne fonctionne pas. J'ai l'impression d'avoir basculé dans une soirée estudiantine. Je chope les écouteurs dans la table de nuit et les connecte à l'ordinateur. Je monte le son – c'est beaucoup mieux ! Et continue à dévorer la suite de l'épisode jusqu'à l'irruption de mon frère dans ma chambre. Je mets sur pause et l'accueille en râlant.
– Tu pourrais frapper avant d'entrer !
– C'est ce que j'ai fait, mais tu ne m'as pas entendu, me répond-il en souriant. Ta journée, raconte ?
Je lui fais de gros yeux, hallucinée.
– T'es pas assez occupé avec tout le bordel que vous faites ?
– Quelle bonne humeur ! se marre-t-il en s'asseyant sur mon lit. D'accord, allons à l'essentiel. On a ramené des filles et...
– Bon, ça va, j'ai compris ! Ne t'inquiète pas pour moi. J'ai déjà tout prévu.
Je lui montre mes écouteurs.
– Et si je m'ennuie vraiment, je pourrai vous chronométrer pour savoir lequel est le plus endurant.
– Tu doutes de mes capacités, frangine ? plaisante-t-il alors qu'il se penche vers moi. Je suis le meilleur.
Son clin d'œil arrogant m'arrache un rire.
– Tu ne changeras jamais !
– Pourquoi changer quand la vie m'offre tout ce dont j'ai besoin ! – Tu ne doutes de rien, m'esclaffé-je.
– Je suis content que tu le prennes comme ça.
Je soupire en levant les yeux au ciel.
– Matt, il faut que tu me lâches. Je suis ta petite sœur, OK, mais sur le plan sexuel, n'oublie pas que j'étais avec un gars plus âgé que toi.
– Ce n'est pas ce que je voulais dire... cette colocation n'est pas évidente pour moi. Je n'avais pas forcément envie de partager mes plans cul avec toi.
– Partager tes plans cul avec moi ?... Putain, Matt, C'est dégueulasse !
Mon trait d'humour provoque son hilarité et il sort de ma chambre, visiblement soulagé. N'empêche, je n'en mène pas large, mais je veux que Matt s'amuse comme il le faisait avant que je m'incruste. Je remets mes écouteurs et continue ma série.
À l'instant où j'éteins la lumière sans aucun son dans les oreilles, j'entends un vrai concerto de gémissements et de râles. Dos au matelas, je soupire en rabattant les coins de l'oreiller contre mes tympans. Faites que ça ne dure pas !
Je prends mon mal en patience et me réjouis enfin du silence qui m'entoure. Je me tourne sur le côté et m'assoupis à peine lorsque l'un des deux décide de remettre le couvert. Je me redresse avec l'envie furieuse de crier mon mécontentement. Je frotte mes yeux en pensant à l'avertissement de Neal : « On va bien s'amuser alors. » Il voulait plutôt dire qu'il allait bien s'amuser, lui. Enfoiré !
Je finis par sombrer avec Coldplay dans les oreilles. Ce groupe va devenir mon meilleur ami pour m'endormir. Je le sens bien !
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